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VOYAGES
D'UN
NATURALISTE.
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Digitized by the Internet Archive
in 2011 with funding from
University of Illinois Urbana-Champaign
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2
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http://www.archive.org/details/voyagesdunnatura03desc
2477 FRONTISPICE . d'ae 35
DOUTE
1 COURT
Bombardement du Fort Redoutable de la Crête-a-Pierrot Pres du Bourg de la Petite Riviere de LarriBonrre
VOYAGES
NATURALISTE,
ET SES OBSERVATIONS
FAITES sur les trois règnes de la Nature, dans
plusieurs ports de mer français, en Espagne, au
continent de l'Amérique septentrionale, à Saiat-
Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l’Auteur
devenu le prisonnier de 40,000 Noirs révoltés,
et par suite mis en liberté par une colonne de
l’armée française, donne les détails circonstanciés
sur expédition du général Leclerc ;
DÉDIÉS à S. Ex. Mar. le Comte DE LACÉPÈDE,
Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, membre du Sénat,
de l’Institut , etc.
Par M. E. DESCOURTILZ,
Ex- Médecin Naturaliste du Gouvernement, et Fondateur du
Lycée Colonial à St.-Domingue.
Multa latent in majestate Naturæ.
Pzixe, Hist. nat. Præm.
TOME TROISIÈME.
PARIS.
DUFART, PÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR.
L Ts Ce 7e 2
1809.
Rs Vo ne LR OR LL LR
AVANT-PROPOS.
———- | ——
Crsr autant pour servir l'Histoire
naturelle, que pour charmer la mono-
tonie de ma triste existence , l’ennui
périodique de jours trop longs écoulés
lentement au milieu d’hommes sauvages,
ignorans et jaloux; que je me suis dé-
cidé à mettre à contribution mes foibles
moyens pour rassembler divers faits his-
toriques , dont j’étois le témoin oculaire
dans des parties d’amusemens que des
amis imaginoient pour négayer. L
Enivré du désir d’être utile , les pre-
miers pas faits avec un certainavantage,
m'ont porté à diriger plus noblement
ma course dans une carrière, étendue
à la vérité, mais piquante pour ma cu-
riosité assidue.
Peiné des débats existans sur un point
obscur de lPHistoire naturelle, je me
suis hasardé de travailler à l’éclaircir ;
et c’est pour y parvenir que j'ai souvent
À 3
v) AVANT-PROPOS.
risqué ma vie, et concentré encore
davantage ma solitude pour parfaire mes
ébauches déjà souriantes à mon activité.
J’ai scruté, sondé , étudié les ruses,
les mœurs et la nature du Crocodile de
St.-Domingue, qui y est appelé Caïman,
et c’est le récit didactique de mes études
souvent rappelées sur le même objet, que
je dénomme sous le titre qu’on voit à
la tête de cet Ouvrage: De là, partant
d'une presque certitude, je me suis
occupé de la division des chapitres, et
du soin des détails qui ne peuvent qu’in-
téresser un ami de létude et un contem-
.plateur zélé.
DIVISION DE L'OUVRAGE (i).
Dans Le premier Chapitre, j'ai cru
devoir démontrer lutilité pour l'Histoire
naturelle , de donner une idée juste des
(1) J'achevai à St.-Domingue J'anatomie comparée
du Caiman de ceite île, en 1800 ; mais des événemens
malheureux ne me permirent de l'offrir à la classe
des Sciences physiques et mathématiques de l'Institut,
qu'en mai 1807. Je communiquai à cette épcque mon
AVANT-PROPOS. vi
différences qui se trouvent exister entre
plusieurs espèces de Crocodiles trop sou-
vent confondus , et enrichir cette classe,
de la description d’un individu qui n’a
pas encore été décrit, ainsi qu’on en
peut juger par le tableau comparatif.
Le second comprend sa physiologie
raisonnée, que na fourni un examen
sévère. Il est terminé par la récapitulation
de ses proportions métriques.
Dans le troisième j'ai placé son ostéo-
logie raisonnée, où je donne à admirer
la structure intéressante du reptile am-
phibie : il est également suivi de la pro-
portion des mesures du sujet.
Le quatrième fait mention des parti-
cularités qui existent dans la myologie
de ce reptile. Ce n’est qu’un rapport
travail à M. Geoffroi Saint-Hilaire, occupé alors
à la confection de son Mémoire sur la détermination
des pièces qui composent le crâne des Crocodiles
(voyez les Annales du Muséum d'Histoire naturelle,
tome x, pl. 249); et je fus assez heureux pour m'être
rapporté en grande partie avec la nomenclature" de
ce savant observäteur, qui m'accucillit avec l'afabilité
et l'indulgence du vrai talent.
À 4
#55; AVANT-PROPOS.
succinct, ne prétendant point faire un
traité complet d'anatomie.
Le cinquième renferme la connoïissance
de sa splanchnologie, véritablement bien
disparate de celle des autres animaux.
Le sixième expose au curieux ebser-
vateur. l’examen intéressant des parties
de la génération dans le mäle et la
femelle.
Dans /e septieme je donne connoissance
des préludes de son amour, des détails
sur son accouplement, et de l’âge auquel
il peut produire : assertions appuyées
d’un tableau tracé par l'expérience.
On voit dans le huitieme quels sont
les soins du male et dela femelle avant
et après la ponte.
Dans le neuvième on arrive successi-
vement à la naissance du petit, et à sa
position dans lœuf.
Dans le dixième je rends compte de
ses mœurs, des ruses qu’il emploie, et
de la finesse de son odorat.
Je décris dans le onzieme , la chasse
qu’on lui fait aux lägons et au bord de
AVANT-PROPOS. 1X
l’eau ; la manière de découvrir les nichées
au frais de la femelle, le danger éminent
de cette chasse, et la curiosité souvent
punie.
La chasse au canot ; purement récréa-
tive et nullement à craindre, fait le sujet
du douzième.
Je termine dans le treizième, Vhistoire
des.chasses par celle la plus à craindre,
et pour laquelle il faut des précautions
bien rigoureuses, je veux dire la chasse
aux repaires.
J’assure aux Lecteurs la régularité des
proportions dans les dessins attachés à
cet Ouvrage; toutes ont été compassées, |
après avoir été soumises à une échelle
de réduction.
J’enrichirai ce travail de plusieurs
observations qu’ont bien voulu me
communiquer M Cuvier et Geofroi
Saint-Hilaire, depuis sa présentation à
Pinstitut national, mais ce n’est point
à titre de plagiat. Il est doux pour ma
reconnoissance , de concourir à la célé-
brité de ces savans observateurs. Ex
# AVANT-PROPOS.
citant leurs noms, c’est poser un fleuron
de plus à la couronne brillante dont la
Renommée les a déjà immortalisés.
Le désir de rendre lhistoire du Cazman
intéressante pour tous mes Lecteurs,
m'a également déterminé à réduire à
cinq les trente-cinq planches de son
anatomie comparée, dont je réserve la
publication pour les Observateurs et
les Etudians en ce genre. Jai préféré
flatter l’œil du Lecteur par des planches
variées et plus récréatives, qui com-
pléteront le nombre dont le volume est
orné.
VOYAGES
D'UN NATURALISTE.
VN NN Re ne D RU RO RE RL
*
HISTOIRE NATURELLE
DU CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE,
APPELÉ CAIMAN;
Suivie de Notices sur ses mœurs, les diverses
mameres de le chasser, les ruses qu'il emploie,
et l’'uulité de le détruire.
CHAPITRE PREMIER.
Utilité, pour P ITistoire naturelle, de donner
une idée juste du Crocodile de Saint-
Domingue , afin d'éviter une confusion
déja trop grande dans les nomenclatures.
T'ableaucomparatif. Parallèle du squelette
avec celui du Crocodile du Nil. ILappartient
plutôt au Crocodile qu’au Caïman, décrit
dans la nouvelle Encyclopédie ; mais c’est
une espèce particulière , et qui n'atteint
jamais la taille de celui du Nil (x).
C: n’est sûrement pas le reptle appelé à
Saint-Domingue, caiman , que M. Fabbé Bon-
naterre a décrit dans la parue erpétologique
(1) L'étymologie du mot crocodile, dit M. Geoffroi
12 | VOYAGES
de l'Encyclopédie, par ordre de mauères , dont
il s’est chargé, où il eût été trompé par de fausses
instructions, par des renseisnemens imaginaires,
par des figures idéales, én confiont au graveur
l'exécution des planches, sans s'assurer de la
Saint-Hilaire (Annales du Muséum d'Histoire natu=
relle), vient, d'après Hérodote, Liv. 11, chap. 691»
de xpnes et deihos , littéralement safran et timide,
parce qu'on a prétendu que le lézard d'Ionie ne pouvoit
supporter la vue, ni l'odeur du safran. Voyez Cic. de
natur& Deorum; et Plin., iv. vit, chap. 28. Il est
bien reconnu, continue M. Geoffroi Sant-Hilaire,
qu'il y a en Egypte deux espèces de crocodiles; l'un
d'un caractère farouche et indomptable, et l'autre
appelé suchos, dont le caractère plus doux est suscep-
tible d'être apprivoisé. C'est cette espèce qu'on em-
ployoit au service des autels. Le culte superstitieux des
Egyptiens pour les crocodiles étoit si absurde et si contre
nature, qu'on vit des pères se réjouir d'avoir vu ces
dieux révérés dévorer leurs enfans!!! IL est appelé
alligator sur les côtes d'Afrique. Les habitans de
Fhébes ont tant de vénération pour le crocodile, dit
aussi Hérodote, qu'on le nourrit de la chair des
victimes ; et quand il meurt, on l'embaume, et on le
dépose dans une caisse sacrée. M. Geoffroi Saint-
Filaire a rapporté d'Egypte plusieurs de ces momies
qu'il trouva dans les catacombes, où l'on enterroit les
babitans de la ville de Thébes. Ces têtes embaumées
sont ornées de pendans d'oreilles d'or ou de pierres
factices. La ville d'Arcinoë leur fut consacrée.
D'UN NATURALISTE, 13
conformité des caractères de l'animal, par des
personnes qui ont eu occasion d'en examiner
avec attention.
A la premiére observation , je vis que le reptle
meurtrier de Saint - Domingue n’avoit point
encore été décrit, et qu'on ne devoit pas même
le comparer au caïman de Bonnaterre, auquel il
est fort éloigné de ressembler , et pour les formes
et pour les caractères des nomenclateurs. I} ap-
paruendroit plutôt au crocodile du Nil, mais
c'est une espèce particulière qui ne parvient
jamais à la taille du dernier, duquel il diffère
encore, sous beaucoup de rapports. C’est donc
avec l'intention pure d'éclairer l'Histoire na-
turelle, sur un point jusqu’à présent obscur,
que J'ai projeté l'étude de ce reptile avec toute
l'assiduité d’un amateur passionné.
Tout favorisoit mes intentions dans cette con-
templation intéressante : voisin de deux rivières,
VEster et l'Arubomite, qui en sont infestées, et
dont les canaux arrosent nos jardins, j’étois bien
à même de m’en procurer à volonté. Aussi
sortois-Je, avec la cerutude du cuisinier qui va
faire son choix dan$une basse-cour bien peuplée.
Je dois rendre jusuce à l’autorité de l'agent du
gouvernement français, M. Roume, qui, m’ayant
pris sous ses ailes bienfaitrices, m’a facilité la
confection de cet ouvrage compliqué; puisque
14 VOYAGES
c'est à, la faveur du ütre de naturaliste, dans
son autorisation de continuer mes recherches,
que beaucoup d'individus, écartés du théâtre
de mon travail, se sont avancés pour m'offrir
leurs services. :
Mais ce qui n'a rendu ce travail difficile,
c’est l'impossibilité de trouver un aide intelligent
pour les besoins mécaniques et manuels; car
tous me fuvoient. On m'évitoit jusqu’à table,
où on me servoit à boire et à manger, comme
à un être impuissant de ses mains, tant l'odeur
forte et désagréable étoit imprégnée sur mes
vétemens, malgré mes soins de macérer souvent
entre mes doiots, la plante qu'on appelle ici,
herbe aux caimans, dont l'odeur aromauque
veutralise celle puante des préparations anato-
miques de cet animal. Il m'a fallu disséquer
cinquante-sept sujets pour achever mon ouvrage,
n'épargpant point. mes peines, et voulant urer
de mes observauons la vérité telle qu’elle doit
paroitre, et qu'on la promet au public (1). Mais,
(1) Ces cinquante-sept préparations tant ostéolo-
giques que viscérales et muscul&ires, destinées aux
divers cabinets impériaux, furent, hélas! la proie des
flammes, ainsi que toute ma fortune, et deux mille
cent de mes planches manuscrites qui avoient été mises
au net, et étoient l'ouvrage de six ans d'une étude
assidue et d'un travail opiniâtre,
D'UN NATURALISTE., 15
reprenons l’étude du repuüle carnassier de Saint-
Donungue.
Je vais faire entrer en parallèle, dans un
tableau comparatif, cinq de ces animaux de Ja
même famille, que l’on confond, faute de les
examiner attentivement. Je veux parler du cro-
codile du Nil, chef de cette famille redoutable ;
de celui de une Domingue, auquel je conser-
verai le nom de caïman, qu'il a dans le pays;
du fouetie-queue, du gavial, et du caïman de
Bonnaterre (1).
(1) Le célèbre Cuvier, dans son savant mémoire
sur les différentes espèces de crocodiles vivans, et sur
leurs caractères distinctifs, duquel il a daigné me faire
le don, et où il annonce avec obligeance mon travail
sur celui de Saint-Domingue, compte douze espèces
parfaitement distinctes, savoir :
Classis. Amphibia.
Ordo.. Sauri.
Genus. Crocodilus.
Dentes conici, serie simplici. Lingua carnosa , lata,
ori affixa. Cauda compressa , supernè carinata serrata,
Plantæ palmatæ aut semi-palmatæ. Squamæ dorsi,
ventris, et caudæ, latæ sub-quidratæ.
* Alligatores.
Dente infero utrinque quarto, in fossam maxillæ
superioris recipiendo, plantis semi-palmatis.
1. Crocodilus lucius.
Rostro depresso parabolico, scutis nuchæ quatuor
habitat in Americà septentrionali. |
10 MOTAGES
Voyez ci-joint le tableau comparatif, et suc-
cessivement, celui du parallele des squeléttes ,
qui achève la détermination. |
2. Crocodilus sclerops.
Porca transversa inter orbitas, nucha fasciis osseis
quatuor cataphracta. (Seb. 1, tab. 104 , f. 10.) Habitat
in Guyanà et Brasiliä. |
3. Crocodilus palpebrosus.
Palpebris osseis, nucha fasciis osseis quatuor cata-
phracta. Habitat. .....
4. Crocodilus trigonatus.
Palpebris osseis , scutis nuchæ irregularibus carinis
elevatis trigonis. (Seb. 1, pl. 105, f.3.) Num variet.
præcedet.? Habitat......."
** Crocodili.
Dente infero utrinque quarto , per scissuram maxillæ
superioris transeunte, plantis palmatis, rostro oblongo.
5. Crocodilus vulgaris.
Rostro æquali, scutis nuchæ 6, squamis dorsi qua-
drats , sex fariam positis. (Ann. mus. Paris, x, tab. 5.)
Habitat in Africä.
6. Crocodilus biporcatus.
Rostro porcis 2 sub parallelis, scutis nuchæ 6,
squamis dorsi ovalibus, octo fariam positis. Habitat
in insulis maris indici.
7. Crocodilus rhombifer.
Rostro convexiore, porcis 2 convergentibus, scutis
de nuchæ
OMPARAT
vent confondus, l’un
|
|
|
|
JE BONNATERRE,
s. (Crocodilus sclerops)E GAVIAL (3
(SCHNEIDER. ) | +
rrondie; le musea: Ltréci
ER ons rétréci, cylindrique, extrêmement
à grandeseu renflé au bout; la longueur du crâne
e cinquième de la longueur totale de la
M. Cuvier}). Edwards compare ce
: ec du harle.
e; ke cofdylome placé |
J placé plusre de la gueule ne se fait sentir ee
elles. |
; égales.
l’'alvéoles ;
es ; les dents égales. resqu'égales, 25 à 27 de chaque côté en
sn haut : les deux premières et les deux.
le la mâchoire inférieure passent dans
: : res de la supérieure. (M. Cuvier.)
a figure de l'Enc 12 PR :
ne AS es supérieure armée de cinquante-
“ETS outes et l'inférieure de cinquante, coniques.
Îles sont égales et plus nombreuses que
autre espèce.
u has naroiss 4
sent , :
dénasser fu n’est point traversé nar Îles deux.
depuis mon retour de Saint-Domingue ; dans!!
éloignée de la Capitale, je n’ai pu me procurer, |£
ation de cetOuvrage, Vexcellente dissertation |#
lue à l’Institut , et publiée en 1801 dans les À
wlogie et de Zootomie de Wiedmann, et celle}?
ce des Crocodiles. Ces objets de comparaison 6
vi arefondre ce tableau comparatif que je n’ai|}
1t-Domingue , Join de toutes bibliothèques ,|£
scriptions souvent infidelles. Je renvoie donc, {À
grand éclaircissement , à l'anatomie compare€||
No. 1. Tome TIT, page 16,
MPARATIF
| L'AB:L;: E AU °C
9 Des différences de conformations entre des Reptiles sofvent confondus, l’un d'eux n'ayant pas encore été décrit.
——— — : =
| | | LE CAIMAN DE BONNATERRE Dr. nl
| TN SAN OCODICE DE SATNT-DOMINGUE, Où lu s. vo iboleronsh LE FOUETTE-QUEUE. : LE GA VI AL (5):
FE CROLSBELE DU NIL (1) Appclé Caïman. Planche ère, (2) e nue jé 4
EE "2" ER
1
La tête alongée, aplatie sur son sommet ou
crâne , ayant deux trous ovales, et terminée par un
gros museau un peu arrondi,
É A 2 j a ête alongée et un peurelévée vers le bout: le! Le museat
Mêmes caractères ; la peau adhérente à la tét| La tête ramassée , rrondie; le museau court, | La Me AE Pac nr | ? alongé, un pl
sans êlre ridée, maïs retenue par des excavations retroussé, en boule-do ue, et couvert de grandes| museau aplati, larg a
pouctuées, écailles ; le front ren
rétréci, cylindrique, extrême
u renflé'au bouts le longueur dt râue)/f
fait à peine If cinquième de In longueur totale de Jai}
tête (selon M, Cuvier). Edyvards compare ce
museau au ÎJec du harle.
L'ouverture de li gueule se fait sentir jusqu'au
‘delà des oreilles : le condylome de la base n'est pas
marqué,
Même ouverture : le condylome bien‘marqué | Plus courte ouvertu 3 le coïdylome placé plus] L'ouverture de la gueul
dépassant pas l'o-|!
dans tout son reploiment ovalaire. au dessous.
L'ouvertufe
jusqu'aux ob
cs la gueule ne se fait sentir que
(:1SS ; ;
Mächoireg égales
achoi ni s és isposili emblables mesures. äâchoireg égales,
La mâchoire supérieure plus longue, et recou- Mêhnes caractères. Mêmes dispositions S e
Vrint les dents antérieures du bas.
Les dents tantôt à découvert , tantôt cachées par
les mächoires, l
al dents de même, inégales en grosseur et| Aucune apparence
lalvéoles ; les dents égales. | Les dents paroissant à décoüert.
ongueur.
Ï HSE
Les dents esqu'égales, 25 à 27 dec
bas, 27 à »8 dn haut: les deux prem
On en compte 36 à chaque mächoire : elles sont| Tr nie-huit dents à la mâchoire supérieure , et
coniques , pointues, un peu recourbées vers la treu
gueule, d'une grosseur inégale, et disposées sur
une méme rangce,
J'en compte, dans
à l'inférieure; coniques, striées jusqu'à l'âre | vingt-six à chaque
adulte, un peu recourbées, d'une grosseur inégale , égales, coniques et re
et su un seul rang.
a figure de l'Encyclopédie, | La mâchoire supérieure!
ächoire; elles sont toutes | huit dents; celle u bas 00
urbées, crochues , toutes à peu près
unie de quarante-| La mâchqire supérieure armée de cute”
krante, longues et [huit dents, étl'inférieure de cinquante, coniques
es. et droites. Elles sont égales et plus nombreu: s que
dans aucune futre espèce. f
Les deux dents antérieures du bas traversant la
mâchoire supérieure. Les quatrièmes qui sont les
plus longues , passent dans. des échancrures, et ne
à k 1 1
ont point logées dans les creux de la mâchoire
supérieure,
i au.
Ge; Crocodile ‘a la dixième du haut et les! Les deux dents bas. paroïissent dépasser| Les deux dents ne mr pas le musea
4 et me du bas plus longues que leur voisine ;'le museau , quoiquon naperçoive pas les
sis
Le musedu n'est point Î
mémé caractère pour les dents du bas. conduits.
dents antérièures du bas.
.Le bout du museau garni d'un disque cartila-
slneux où sont placées
ù es narines marquées par
Seux croisçsans, GE)
: É ; s : ee ositifément au bout du
Même conformation : les croissans placés près!” Les caractères poinbassez déterminés dans la Les uarines placées posit
l'un dé l'autre comme deux festons.
issans adossés.
figure, pour prononce museau , en forme de croiss ch
KT sui _——
Les yeux saillanpnais écartés l'un de l'autre.| Les yeux gros et rapprénhés)
Les yeux gros, sur le somm
et dela tête, ne pa-
OÏSsant pas L'ès-rapproc hés,
Les yéux très-saillans, placés sur le
sommet de la
tête,
|
l
Les oreilles derrière et au dessous du niveau| Les valves éloi nées RER 1 yeux, Er Ja
des yeux; les valves rubanées forme de quatre demi-cercles se éunissant par leur
3 4 ;
Les yeux très-saillans, et comme placés sur Ja
tête hors des orbitaires.. : é
Les oreilles très-
près el au dessus du niv
yeux.
eau des
De même : Ja valve, qui se rabat devant l'ou-
verlure, est festonnée sur ses bords,
Les oreilles placées derrière les yeux.
*
base.
Le coù chareé de tubercules. Le Léunures distinctes tu- ou garni de sailhies proéminentes. Le cou srl de phs ous sglure FETES
| F S s çou ga sa ee cles: ; ü Ft
Ë : î
n!! u Mgr, lo Grand Chancelier Lacépède, dans son! {:) Décrit par Me Geofroi-de-Saint-Hilaire. ( Annales : r (3) Confiné 4 à
Stoiro des quad rupèc S$ OPivares, pag. 255 , en distingue du Muséum d'Hist nat. ,tom.1]l 55
deux. Cette nssertion véridique à été conlirmée depuis Re A2 TE
pe M. Gcoffroi-de-Saint-Hi ai
une campagne
avant la publi,
de M. Cuvier,
Annales de ZdQ
urla différer
mauroient se}
pu faire à Saïy
qu'avec Le de
Pour un plus
de M. CSTA
x M, ire, savant distingué
nus È Me
=
D
!
=
[
à ff
Suite du Tableau comparatif.
LE CROCODILE DU NIL.
Le corps armé de segmens couverls de tubéro-
sités calleuses.
Les rangées de tubercules sont plus élevées dans
les bords au dessus des flancs que dans le centre.
Le ventre grumelleux.
Quatre doigis derrière palmés, dont trois pourvus
* AQU
d'ongles.
Cinq doigts devant séparés, souvent p'étant point
tous pourvus d'ongles.
Les pieds armés d'éperons latéraux et cartila-
gineux ; ceux de derrière palmés,
La queue ornée de deux rangs de tubercules
relevés en forme de crêtes presqu'arrondies, se
réunissqut en un seul rang à une certaine distance
de son extrénuté,
La queue trainante, aussi longue que le corps,
mais pas si grosse dans toutes ses proportions que
celle du Caiman do Saint-Domingues
Sa couleur est tantôt jaunâtre tachetée de brun ,
Je dos brun avec des bandes jaunes,
. On dit que sa longueur est quelquefois de vingt-
cinq pieds sur cinq de circonférence.
mm
vimme-ileaiste des didférences-danslooemmetères-des-doux-promicrs-seulement.aomap:
LE CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE,
Appelé Caÿman. Planche ir,
.
Idem, mais les bindes point régulières, et les
tubercules non placés à point nommé.
Même position.
Idem, et à compartimens carrés.
Même configuration.
Cinq doigts devant séparés , ‘dont trois seu-
lement sont pourvus d'ongles.
Mèêmes caractères; les éperons bien prononcés;
les pieds de dernière palmés.
La queue garnid de même, d'abord de deux
rangs de crêtes lymplleuses, mais plus distinctes ,
plus flexibles, et point arrondies ; augmentant de
longueur où elles np forment plus qu'un rang.
|
La queue trainan(e, aussi longue que le corps,
!
LE CABMAN DE BONNATERRE,
Ou Caïman à lunettes. (Crocodilus sclerops).
(SCHNEIDER ).
Le corps recouvert d'écailles sous diverses figures.
A peu près la même.
A écailles raboteuses.
Quatre doigts a Pt et pourvus
d'ongles. |
, è |
Cinq doigts devant séparés , tous pourvus
d'ongles, re |
On n'y voit point d'éperons latéraux (caractères
propres aux Caïmans).
Les écailles de la queue embrassent la moitié
de sa circonférence, et se recouvrent les unes sur
les autres.
La queue sur la figure de l'Encyclopédie, ne
et monsirueuse à Sa naissance par sa circon-|paroît pas aussi longue que le corps; elle est
férence,
Mêmes nuances} d'après les diverses gradua-
les couleurs rembrugissent : à quatre pieds sa robe
est dans toute son élégance.
Ila, à sa plus grânde taille, seize pieds et demi
sur cinq de circonférence.
a
As
arquée et retroussée,
On ne dit point sa couleuf. Eucyclop. méthod.
tantôt d'un vert sale avec des bandes brunes, tantôt {tions où on le rendontre ; car plus il vieillit, plus|Erpetologie, page 36.
On dit que sa taille est quelquefois de vingt
pieds.
CONCLUSION.
LE FOUETTE-QUEUL.
Le corps revêtu d'écailles rhomboïdes disposées
sur rangées transversales.
Les écailles sont presqu'ésales. |
Garni-d'écailles unies etcomme rayées super-
ficiellement.
Cinq doigts derrière palmés et pourvus d'ofgles. | Quatre doigts garnis d'ongles; les deux ext
Cinq doigts devant séparés, garnis d'ongles f
crochus.
Les éperons seulement apparens aux pattés de
derrière.
La queue ornée pareillement de deux rangs de
tubercules, en crête , courte et recourbée.
Sa seule dénomination doit cesser de le faire
méprendre avec le Caiman de Saint-Domitpue,
qui n’a pas la même souplesse dans la quehe.
Î
Les écailles sont d'un jaune de safran fonpé et
mélangé de brun,
Sa taille m'est inconnue. |
LE GAVIALS
Même disposition d'écailles que le crocodile,
mais les tubercules plus nombreux sur le dos.
Les caroncules des flancs, innombrables,
Lisse el à compartimens carrés.
rieurs à moitié palmés.
Cinq doiets devant onglés, etune petite men
Ibrane entre le second et le troisième.
Mêmes caractères
bien visiblement distincts
Sa queue semblable à celle du Caima
Saint-Domingue.
ÊAE
La queue aussi longue que le corps, ct}
issant, conforme aux proportions de cell
aiman de Saint-Domingue. °
‘Point de renseignemens sur sa couleur. + 4
J'ignore aussi’ le période de son af ro
sement. est
+270)
LE GAVIAL
!
.
|
| TO AUERSE-DRO REED 2e SERRE TERRE EE SEE TS
| , A 1 0 l
osees ,
faire
1gue,
ue.
cé et
Même disposition d'écalles que le crocodile
mais les tubercules plus nombreux sur le dos.
Les caroncules des flancs, innombrables.
Lisse el à compartimens carrés.
Quatre doizts garnis d'ongles; les deux exté-Mi,
rieurs à moitié palmés.
Cinq duiets devant onglés, et une petite mem-
brane entre le second et le troisième.
Méêmes caractères bien visiblement distincts.
Sa queue semblable à celle du Caiman de
Saint-Domingue.
roissant conforme aux proportions de celle du
La queue aussi longue que le corps, et pa-l!.
|
Caïman de Saint-Domingue. |
|
|
‘Point de renseignemens sur sa couleur.
J'ignore aussi le période de son accrois-
sement. |
etes :
N°. 2. TomelIÏT, page 16.
Les Caracteres phy Lomingue,
le rapproch: dit.
Voyons à une disse@mparalson.
PARALLETTES.
LA
CROCODILE DUINT-DOMINGUE,
LA TÈTE. ÎTE
Si la figure est régulière dans l'Enc°°e$ de dents inégales en.
copié le squelette du Crocodile, je les suivent les festons des
dents égales à la mâchoire inférieulent de la mâchoire sapé-
| PNR .. . ème de l'inférieure plus
J'apercois bien à la mächoire 1
oblique au dedans duquel passe intérie
- DESERT ent festonnées, en relief,
masseter, mais point d'alvéoles par
dentelures des apophyses convoi 25e SEEN
i : èvement de la mâchoire
qui, par la tension du muscle mass:
# : it perforés pour le jeu des
disposées à soulever les chairs qui P P
Le trou ovale et oblique se
respect. Le “
__ hnaxillaires.
L'arc temporal point prononcé.
» L'orbitaire petit et point aussi élevasé et placé presqu'au
N°.2. TomelIIT, page 16.
Les Caractères physiques du Caïman ve Saint-Domingue,
le rapprochant du Crocodile proprement dit.
Voyons à une dissection intérieure pour parfaire la comparaison.
—————————_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_——EEEE |
RER ES CS | MR 7702 ee SO a
PARALLÈLE DES SQUELETTES.
CSSS SES SSSR
CROCODILE DU NIL.
LA TÈTE.
Si la figure est régulière dans l'Encyclopédie où j'ai
copié le squelette du Crocodile, je ne vois que des
dents égales à la mâchoire inférieure.
J'apercois bien à la mächoire inférieure le trou
oblique au dedans duquel passe intérieurement le muscle
masseter, mais point d'alvéoles partagées; point les
dentelures des apophyses condyloïdes et coronoïdes,
qui, par la tension du muscle masseter, se trouvent
disposées à soulever les chairs qui les tiennent en
respect,
L'arc temporal point prononcé.
L'orbitaire petit et point aussi élevé,
D —
Point de traces d'oreilles,
La partie antérieure ge museau plutôt pointue que
atulée.
Au lieu dune plate-Forme l'endroit dr crâne, jee" app sie plat ctperforé de deux
jois couvert d' apophyses saillantes qui l'écartent beau
coup de celui du Caïman de Saint-Domingue.
0
CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE.
LA TÉTE.
Les deux mächoires armées de dents inégales en
“grosseur et longueur , lesquelles suivent les AA des
os maxillaires. La dixième dent de la mâchoire supé-
rieure et les quatrième et onzième de l'inférieure plus
longues que leurs voisines.
Les maxillaires élégammbnt festonnées, enrelie
d'alvéoles süllantes. Les apophyses condyloïdes
cotonoïdes ; marquées au rdlèvement de la mächoire
inférieure, Les os ponctués et perforés pour le jeu des
fibres nerveuses du dedans. ir trou ovale et oblique se
faisant mieux sentir sur les maxillaires,
L'arc temporal cintré.
L'orbitaire largement évasé et placé presqu'au
sorimet de la tête ; les yeux lrès-prés l'un delanten eme
plate-forme du conduit auriculaire placée au
dessus de l'arc temporal.
Le museau spatulé antérieurement : sa voûte moulant |
vers les os du crâne,
les orbitaires, et d une troisième excavation osse
sémi-circulaire CE au milieu de r
d'apophyses en ces parties. “ie
Suite du Parallèle des Squelettes. :
CROCODILE DU NIL.
LE CORPS
Les cervicales réunies et paroissant ne former qu'un
seul corps, ce qui, j int à la construction des vertèbres
du tronc, rendroit plausible l'assertion de quelques riar-
rateurs au sujet de la difficulté de ses mouvemens de
côlé.
Les clavicules uniformes paroissent détachées dé la
cage; celle-ci nullement comparable à la boite osselise
du Caïman de Saint-Domingue. ‘|
Le premier segment composé d'une côte courbe et
cylindrique; le second segment paroit être un disque
cartilagineux, et le troisième une ligne. courbe plus
largement arrondie à son départ qu'à la fin de|saÿ
courbure, cependant marquée par un bouton. |
Les côtes lâches et non réunies par un slernum. |
Aucune apparence d'omoplate; l'humerus d'une
construction particulière. |
|
Les dorsales et autres vertèbres tellement serréés,
que ce rapprochement rend impossibles les circon-
volutions de l'animal.
Er J
crochues; la cage ne paroïissant composée quede sept
vraies, à la suite desquelles se trouvent cinq fausses
grêles. | "
Le bassin ne paroissant
clavicules inférieures,
7
! LA QUEUE. rt
MA :
ÎLes vertèbres caudales ne ressemblant en atic
manière à celles du Caïmidn de Saint-Domingue,
ne
” recourbément vers latte, qui n'est point non plusii
CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE.
LE CORPS. é
Les cervicales bien distinctes et mobiles par des ax: à
communs, de même que les vertèbres du tronc qui
reploient facilement sur elles-mêmes, étant placées
recouvrement, comme on peut le voir planche
conformalion qui donne beaucoup de souplesse à
mouvemens de l'animal.
Les clavicules solidement jointes à l'omoplate
un ligament tendineux, et adaptées à la losang,
cartilage xiphoïde.
forment des côtes uniformes. L'abdomen est en oütr
recouvert d'une réunion de côtes grêles en che
brisé, réunies et solidifiées par des muscles ï
costaux. s Î
Le sternum dépassant la cage et s'avançant sous
dernières vertèbres cervicales, il est prolongé pa
TEE ES
Point d'union trop étroite entre les vertèbres
quelles des altaches nerveuses et tendineuses aol
un jeu facile dans, tous les sens, excepté pour
position naturelles .
Les lombaires sans côtes pendantes : la cage ormée
de douze sur chaque flanc , différemment élagées vers
.
l'épine dorsale.
Le bassin, ou les os des isles, composé de douze 05,
y compris les quatre clavicules inférieures. |
Re u
LA QUEUE. , ? |
Différente configuration dés vertèbres caudales que
l'animal meut à volonté, excepté daus la direction
supérieure , c'est à dire en cerceau.
rallèle des Squelettes.
Gr om
CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE.
LE CORPS.
Les cervicales bien distinctes et mobiles par des axes
communs, de même que les vertèbres du tronc qui se
reploient facilement sur elles-mêmes, étant placées en
recouvrement, comme on peut le voir planche ITT, !
conformalion qui donne beaucoup de souplesse aux |
mouvemens de l'animal.
Les clavicules solidement jointes à l'omoplate par
un ligament tendineux, et adaptées à la losange du
cartilage xiphoïde.
Frois segmens brisés, et ramenés versle sternum,
forment des côtes uniformes. L’abdomen est en outre
recouvert d'une réunion de côtes grêles en chevron
brisé, réunies et solidifiées par des muscles inter-
COsfaux.
Le sternum dépassant la cage et s'avançant sous Îles
dernières vertèbres cervicales, il est prolongé par le
cartilage xiphoïde qui sert à la réunion des côtes.
L'omoplate et les clavicules réunies conjointement
au sternum , l'humerus ne différant point de celui des
LA QUEUE.
Différente configuration des vertèbres caudales qu2
l'animal meut à volonté, excepté dans la üirection
supérieure, c'est à dire en cerceau.
D'UN NATURALISTE. 17
nuchæ 6, squamis dorsi quadratis sex faritm positis ;
membrorum squamis crassis, carinatis. Habitat...
8. Crocodilus galeatus.
Crista elevata bidentata in vertice, scutis nuchæ 6.
(Hist. anim. Paris; t. 64.) Habitat in Indià , ultra
Gangem.
9. Crocodilus biscutatus.
Squamis dorsi intermediis quadratis, exterioribus
irregularibus subsparsis, scutis nuchæ 2. Habitat...
10. Crocodilus acutus.
Squamis dorsi intermediis quadratis, exterioribus
irregularibus subsparsis, scutis nuchæ 6, rostro pro-
ductiore ad basim converso. (Geoffr.an. mus. Paris, 11,
tab. 57.) Habitat in magnis Antilis.
*** Longirostres.
Rostro cylindrico, elongato, plantis palmatis.
11. Crocodilus gangeticus.
Vertice et orbitis transversis, nucha scutulis 2.
(Faujas, Hist. mont. S. Petri, tab. 46.) Habitat in
Gange fluvio.
12. Crocodilus tenui rostris.
Vertice et orbitis angustiornibus, nuchæs cutilis 4.
(Faujas, loc. cit. tab. 48.) Habitat...
[gel
Tome Il.
18 VOYAGES
ARCS SSSR D D D nn ee 5 ee So
CHAPITRE DEUXIÈME.
Physiologie raisonnée du Caiman de Saint-
Domingue. Proportions du sujet décrit,
ayant quatre pieds huit pouces.
1e caïman , lézard-crocodile, animal amphi-
bie, si redoutable dans ses affüts, où 1l garde
le silence le plus profond; la terreur de tout
être vivant , au caractère farouche et indomp-
table, est tantôt d’une couleur obscure, qui
le fait souvent confondre avec des vieux troncs
d'arbres abattus ; tantôt d’un vert sale , marbré
de taches noires, brunes, olives ou grisätres (1).
Je ne sais pourquoi M. l’abbé Bonnaterre
refuse le utre d’amphibies aux crocodiles , qui
le sont cependant réellement. L'eau est plutôt
leur élément que la terre , où ils languissent , et
meurent même bientôt desséchés par. l’ardeur
(1) La couleur noirâtre au lieu de verte, dont la
robe de certains caimans est empreinte, ne désigne
pourtant point une autre espèce. Ceux de l'Ester et
de la rivière de l'Artibonite sont nués de couleurs
vives et brillantes, tandis que ceux des lagons sau-
imâtres ont les tons plus rembrunis.
LS
Le Cayman Surpris.
D'UN NATURALISTE. 9
du soleil qui leur est très-funeste. Aussi, quoi-
qu'ils se plaisent souvent à recevoir sur leur
corps l'influence de cet astre, ils sont forcés
néanmoins de regagner bientôt la plage hquide
pour faire reprendre à leur peau cette souplesse,
cette élasticité qu'elle perd par la dessication.
Sur vingt-quatre heures , le caïman reste à peine
six heures sur terre, encore Ja majeure parue
est-ce pendant la nuit. Je m'étendrai davantage
sur ses mœurs, dans divers traits véridiques que
je citerai à la fin de son histoire , et dans les
chasses qu’on a imaginées pour le détruire.
La disposition naturelle da climat à putréfier
promptement tout corps corruptible privé de la
vie , m'a forcé de faire mes observations , tantôt
sur des jeunes, tantôt sur des vieux; ce qui
m'a confirmé que les proporuons ne sont pas
les mêmes, et les caractères aussi parfaits dans
les jeunes que dans les adultes : mais venons à sa
description.
Le sujet avoit, de l'extrémité du museau à
celle de la queue, quatre pieds bnit pouces;
ayant choisi cette taille pour pouvoir dessiner
les figures de grandeur naturelle. Tout son
corps étoit recouvert d’une peau coriace, cornée
et écailleuse , armée aux parties supérieures et
latérales de tubérosités calleuses, qui rendent
à la taille de dix pieds, ces parties élasuques
B 2
20 VOYAGES
résistibles aux coups de feu.L a queue prise au
milieu du bassin est aussi longue que le reste du
corps.
La téte longue et conique, est raccourcie
dans les mâles, et plus effilée dans les femelles.
Le museau d'abord renflé , s’abaissant après
la proéminence antérieure spatuleuse, remonte
aussitôt pour aller former la voûte du cerveau,
au devant de laquelle sont placés verticalement
deux yeux trés-saillans, séparés seulement par
une cavité de quelques lignes, laquelle, en
formant une surface plane, recouvre le dessus
de la tête d’une double armure qui se termine
un peu au dessus des vertébres cervicales par
une ligne arquée légérement au milieu, mais
plus sensiblement aux deux extrémités qui
reprenant de chaque côté , en se repliant, une
direcüion parallèle , vont se joindre au coin
postérieur de Pocil. Le bout du museau dans sa
parte renflée, est surmonté d’un disque caru-
Jagineux eisaillant, perforé de deux trous arqués
qui servent de conduit nasal et d'organe olfacuf.
( W’oyez ma monographie du caïman.)
La mâchoire supérieure (1), festonnée et
SR
(1) Le caïman est le seul des animaux dont la
mâchoire supérieure soit mobile sur l'inférieure. Cette
découverte est due à Hérodote, La tête du squelette
LM Ld RE 70. L/ À LÉ
Tu. d age 21.
Po:
EE T
D'UN NATURALISTE., SI
armée de trente-huit dents canines et inégales ,
dépasse un peu l’inférieure : au devant de cette
dernière se trouvent deux dents qui, lors de la
réunion hermétique, s’emboîtent dans deux
tuyaux qui, leur servant de gaine , sont placés à
la mächoire supérieure dont ils dépassent la
convexité, Ces deux tuyaux se trouvent devant
le disque carulagineux , canal de sa respirauon.
Chaque dent est cannelée de bas en haut,
jusqu’à l’âge où les stries se perdent par le
développement ou lusé de cette arme terrible.
(pl. Le fig. 11.) a la mächoire ouverte, pour faire
voir de quelle manière le crocodile élève la mâchoire
supérieure sur l'inférieure. A l'égard de l'état de mo-
bilité de la mâchoire supérieure vers l'inférieure,
M. Geoffroi Saint-Hilaire observe avec raison, 1°. que
la mâchoire inférieure est d'un sixième plus longue
que la mâchoire supérieure et le crâne ; 20, que cette
même mächoire inférieure présente une cavité à
double facette, où s'articulent par ginglyme les cornes
de los temporal ; 50. que le condyle occipital est sur
la même ligne que les quatre condyles des os tempo-
raux, en sorte que la tête est réellement retenue
vers ses points d'articulation , comme le couvercle
d'une boîte l'est par une charnière; et 40. que les deux
mâchoies n'ayant qu'un mouvement simple de haut
en bas, ne peuvent se porter séparément à droite on à
gauche, pour faire subir aux alimens une sorte de
trituralion.
L°3
22 VOYAGES
Elles sont également creuses à l’intérieur , s’em-
boftant l’une dans l’autre pour leur renouvel-
lement. (F'oyez ma monographie du caïman.)
La mâchoire inférieure, qui forme une ligne
droite , est seule mobile et armée de trente dents
canines , ainsi qu'il suit : quinze de chaque
côté ; le vide qui se trouve entre les deux cro-
chets antérieurs du bas, est rempli par deux
autres provenant de la mâchoire supérieure.
C’est un emboîtement serré et parfait, au travers
duquel rien de l'intérieur ne transpire. Je
compare la jonction des deux rateliers à celle
du coquillage bivalve, appelé Za grifiite. Les
dents n’étant que canines à cause de leur dispo-
sition, l'animal n’a pas besoin de molaires; aussi
ne fait-il que déchirer et avaler. On voit an
reste (dans ma monographie du caïman de
Saint-Domingue, pl. AU, fig. 1ère d’ostéologie)
que ses mächoires ne peuvent se mouvoir que
verücalement.
Les dixièmes dents de la mâchoire supérieure
qui sont plus grosses que leurs voisines, et qui
servent à faire des hochets aux enfans, se
tronvent, de chaque côté, dans une alvéole
renforcée. Celles de l'inférieure , destinées au
méme usage , et qui se trouvent à Ja chute de la
pare renflée du museau, sont, de chaque côté,
emboîñtées dans la quatrième alyéole. Ces mon-
D'UN NATURALISTE. 23
ucules , sans lèvres , ni gencives, sont calleuses,
saillantes , et point retenues sous un même tissu
charnu comme dans les autres animaux. Les
dents sont séparées lune de lautre par un
espace destiné à -en recevoir une de la partie
opposée, et enchässées dans leur alvéole res-
pecuve, trouvant à loger leur pointe dans un
trou pratiqué à cet eflet dans le milieu de l'os
maxillaire qui lui fait face. La chute de ces
premières dents à la suite de quelque combat,
est réparée par l'apparition de nouvelles qui se
trouvent au fond des alvéoles.
La ligne longitudinale de l'ouverture de la
mâchoire n’est point droite; elle est composée
de quatre festons. La commissure de la base de
la mâchoire est renflée dans la peau d’une
bourse ou condylome, qui se déride pour favo-
riser la dilatation de la gueule : c'est au dessus
que se trouvent les oreilles.
Les oreilles sont apparentes seulement sous
la forme d’une tunique en feston horizontal. On
est obligé d’écarter la lèvre , ou plutôt la mem-
brane qui leur sert de tégument , en forme de
basque à un battant, pour en examiner l’inté-
rieur qui se perd autour du cerveau. Cette peaz
(voyez ma monographie du caïman de Saint
Domingue ; physiologie, pl. VIT, fig. vr et vi. )
étroite d’abord et adhérente à une ligre droite.
B
à
2Â VOYAGES
sa base diverge en s’élargissant vers le bout
arrondi. Elle est attachée du côté supérieur, par
des ligamens; sous le couronnement qui se
trouve au dessus de locciput : elle est soulevée
à volonté , et fermée daus l’eau par lanimal (r).
Glandes musquées. Sous la mâchoire infé-
rieure, au niveau perpendiculaire de lœil , la
peau dans ses rides cache, de chaque côté , une
légère ouverture conduisant à une glande renfer-
mant du muse, laquelle varie de grosseur
suivant les âges, comme on peut le voir dans les
figures vin, 1x, x, x1 de la planche VIIT, de
physiologie de ma monographie. C'est de cette
parue et de l'ouverture sexuelle que s’exhale une
odeur de musc insupportable , lorsque le caïman
s’étend par terre pour se reposer au soleil, la
gueule ouverte, ct dans l’état de nonchalance
qui lui est familier.
Ses yeux sont d’un jaune verdatre tacheté.
4 ]
(1) Certains voyageurs, dit M. le comte de Lacépède,
auront apparemment pensé que cette peau, relevée en
forme de paupières, recouvroit des yeux; et voilà
pourquoi l'on a écrit que l'on avoit tué des crocodiles
à quatre yeux. Voyez Bryvn. Hist. nat. de la Jamaique,
page 461. Hérodote dit qite les habitans de Memphis
attachoient des espèces de pendans d'oreilles à des
crocodiles privés qu'ils nourrissoient , et embaumoient
après leur mort.
D'UN NATURALISTE.. 25
La rétine qui est suscepuble de se resserrer
comme dans le chat, est une ligne courte,
noire et perpendiculaire, lorsqu'il est en repos,
et lenuculaire lorsque quelque chose l’offusque.
Elle est entourée d’une raie d’un jaune päle,
qui s’arrondit d’après les monvemens de la
réune qui chatoie à volonté. L’iris est une ligne
noire étroite , entourant la pupiile d’an jaune
sale. Au moindre étonnement, l'animal recouvre
le globe de l’œil, d’une paupière inférieure
cristalline, où membrane mnictitante (1), se
fermant de l’angle añtérieur , et allant joinüre le
postérieur. Ce tégument est recouvert lui-même
d’une paupière extérieure , ridée et écailleuse.
J'ai remarqué l'usage de cette membrane
clignotante, en faisant nager un caïman de
cinq pieds que je retenois depuis huit jours dans
une chambre, sans aller à l’eau. Ce séjour aqua-
tique, quoique court, rappela sa férocité.
Comme il a besoin de voir dans l’eau pour ne
pas manquer sa proie, sa cornée élant trop
sensible , la Nature l’a pourvu de cette paupière
transparente qu'il garde étendue, tandis que
(1) M. Gecfroi Saint-Hilaire réfute avec raison
l'article par lequel Hérodote prétend que le crocodile
ne voit pas dans l'eau. Ses paupières vitrées prouvent
au contraire que la Nature l'y a destiné.
26 VOYAGES
l'opaque est reurée, { Physiologie, planche VIT,
fig. IV; ouvrage déjà cité.)
Sa langue, qu'un proverbe créole dit être
mangée par le chien, dont il est pour cela
l'ennemi juré , n’est point saillante : elle est
toujours enduite d’une humeur visqueuse (1),
cachée sous une membrane pelliculaire très-
mince, et composée de plis pour favoriser tous
ses mouvemens. (Physiologie, pl. V et VI;
ouvrage déja cité.) Quoique cette masse charnue
soit retenue sous une membrane, elle ne s’en
contracte pas moins lorsque l'animal veut con-
duire ses alimens à l’œsophage. Alors elle se
ramasse, et est portée en arrière à l’aide des
muscles tüiroïdiens.
Sa gueule, ce gouflre si avide, est tapissée
d’une peau ridée d'un jaune clair piqueté de
points sangumolens ; elle se ferme avec tant de
force , que souvent ses dents volent par éclats ,
om
(1) Hérodote dit avec vérité que lorsque le caïman,
étendu sur les berges, y dort la gueule ouverte, elle
est tapissée de maringoins souvent retenus par un
mucus qui l'enduit en tout tems; c’est le todier qui
va le délivrer de ces hôtes incommodes et nuisibles,
et dont cet oiseau fait sa nourriture, Aussi le caiman
même à son réveil, par une reconnoissance légitime,
ne cherche point à inquiéter un si officieux pro-
lecteur.
D'UN NATURALISTE. 27
surtout si l’objet qu’on lui présente est dur. Ses
mâchoires éprouvent un claquement sec , lors-
qu'il cherche à mordre; ce qui a heu lorsqu'on
se plaît à l’agacer : à ce bruit, tout son corps est
dans un état convulsif. (Physiologie, pl. V et VI;
ouvrage déjà cité. )
Son gosier, au premier abord de sa capacité,
paroît très-peu vaste ; mais dès qu'on vient à
lexaminer , et à éprouver sa dilatation, on
reconnoît qu'il est très-élastique, semblable en
cela à celui des serpens. Son entrée est entière-
ment cachée par une luette à deux pans, recou-
verte d’une large membrane mobile et pendante,
qui cède aux impulsions de l'expiration et de
l'inspiration, aussi bien qu’à la nourriture dont
la pesanteur et ‘le volume franchissent sans
peine le léger obstacle. (Physiologie, plancheW ;
ouvrage déjà cité.) La soupape élastique de la
base de la langue a la forme d’un cuilleron; elle
est intérieurement carülagineuse ; flanquée par
deux os yoïdes (voy. pl. IV de ce volume),
et placée au fond de sa gueule meurtrière,
entre les angles de la mâchoire. C’est à l'aide de
cette adnurable organisation que le caïwan,
lors du relèvement de la soupape, peut rester
dans l’eau la gueule ouverte, sans craindre
l'introducuon du hquide environnant.
La luette membraneuse à deux pans, reeue
25 VOYAGES
dans la cavité de l’épiglotte, dont l’avancement
concave relève vers le milieu de la parue
charnue , sert de double soupape contre l’intro-
ducuon de l’eau qui ne peut avoir lieu à canse
du happement continu , et de l’adhésion de
cohésion de ces parties l’une vers l’autre. L’ou-
verture du gosier étant, dans cet état, imper-
méable à l’eau, à plus forte raison la trachée-
artère en est-elle délivrée : alors le caïman res-
pire par les deux évents du carülage nasal :
mais, Comme cet air ne lui suffit pas, il reparoît
sur l’eau, et ouvre sa guenle de temis à autre,
pour en laisser passer un plus grand volume.
Le caïman a deux sons différens pour mani-
fester sa colère : le premier , triste effet du période
de sa fureur , navre d’un saisissement involon-
taire ; c’est un rugissement rauque, bas, grave et
comme étouflé, un peu à la manière d’une lice
défendant ses petits : l’autre, qui n’est pas moins
effrayant, est produit par un effortintérieurspon-
tané, qui Jui fait chasser l’air contenu dans ses
poumons, lequel obligé d’écarter les deux lèvres
serrées et pendantes du palais, puis les carontules
qui ferment le vide de cette partie, de concert
avec la soupape décrite, sort avec le bruissement
d'un soufilet d’orgues fortement comprimé.
{ Voyez l’intérieur du gosier, physiologie,
pl. IV de ce volume.)
D'UN NATURALISTE. 29
Je ne puis nr’étendre ici sur la structure
interne de ces parties, puisque leur analyse
anatomique appartient à la description inté-
rieure, |
Le cou. Il y a quatre tubercules séparés et
aigus longitudinalement, posés sur une ligne
éhiptique qui sert à garanur l’occiput. Chacune
de ces tubérosités renferme, sous la parue ex-
térieure cutanée, une base osseuse de même
configuration.
La seconde armure qui défend les vertèbres
du cou, est composée de six de ces cabochons
ovalaires, comprimés sur leurs flancs, qui con-
servent leur forme à la base, et offrent une
lame élipuque au sommet. Les deux du milieu,
les plus larges, surpassent de moitié les deux
Jatéraux moins grands en diamètre, qui eux-
mêmes se terminent où reprennent les deux
derniers, sur la même ligne des deux premiers.
Sa gorge grasse et tremblante par ses plis
ondoyans , est avalée, et forme un goître à l’ex-
iérieur. Les rugosités du cou très-apparentes,
et garnies, entre leurs sillons, d’écailles rondes,
trapèzes , pentagones , hexagones ou quadrangu-
laires, suivant la position, sont dans d’autres,
recouvertes de tubercules caronculeux.
Il marche très-souvent la tête levée, de
manière à faire. trouver son goître sur la
30 VOYAGES
même ligne, d’après la conformation des ver-
ièbres, qui laissent à l’occiput un jeu aisé. Son .
mouvement est vermiculaire , en sorte qu’en
_rampant, le plus souvent son ventre et sa queue
traînent à terre, d’où lui vient probablement le
si parfait poli des plaques écailleuses dans cette
parue.
Le corps. I se trouve, pour le jeu des omo-
plates et la direcuon des mouvemens serpentins
du repule, un intervalle dénué de ces bosses
lamelleuses, vis à vis les vertébres dorsales ,
c’est à dire, sur la ligne de la joncuüon des hu-
merus. C’est de là que sortent les pattes de
devant, pentadactyles, moins longues et moins
trapues que celles de derrière. Les pieds aussi,
beaucoup plus peuts, ont le pollex , l’index et le
médium, armés de trois ongles noirs courbés.
Les deux derniers doigts n’en ont point. Les
éperons de l’avant-bras (Physiologie, pl. Ière ;
ouvrage cité.) denature cornée, sont aux pattes de
devant, au nombre de cinq; à celles de derrière,
il y en à huit qui adhérent à la peau, vis à vis
le péroné.
Le dos est armé de tubérosités saillantes,
également sous la forme semi-circulaire. 11 se
trouve dix-huit pouces depuis la naissance de
cette troisième armure , qui continue Jusqu'au
niveau du fémur. Les bandes du dos séparées,
D'UN NATURALISTE. 3
91
pour sa souplesse, par des lignes sillonnées,
carülagineuses, et d’un tissu plus flexible, se
terminent irrégulièrement, et vont aboutir sur
les flancs. Chaque bande transversale est renflée
au milieu par deux rangs de ces cabochons peu
saillans et moims larges que ceux des troisième
et quatrième rangs placés de chaque côté, et
qui semblent protéger, par leur élévation supé-
rieure, tout le long de l’épine dorsale, Il s’en
trouve encore plusieurs’ rangs incorrects, et
comme placés accidentellement. ( ’oyez pl. Kère
et Vide l’ouvrage déjà cité. ) |
Les pattes de derrière sont tétradactyles ,
c’est à dire, ont quatre doigts, dont trois seu-
lement pourvus d'ongles, lesquels doigts sont
réunis par une membrane qui leur sert pour
nager. Toute la partie postérieure de Pavant-
bras est armée de huit éperons, comme je l'ai
déjà dit (pl. IX de l'ouvrage cité ).
Le ventre est d’un jaune blanchätre, formé
de larges bandes bien disunctes. Cette sorte de
cuirassé écaillense est par compartimens qua-
drangulaires, lesquels, à l’apnroche des aisselles,
vis à vis le sternum, et au contour renflé et
charnu du masseter, prennent la figure d’hexa-
gones, de pentagones, lesquels diminuent de
grandeur, plus ils s'approchent du cul-de-sac
de la mâchoire inférieure. L'ouverture géniale,
32 VOYAGES
commune aux deux sexes, est ridée et sert
d’anus , ainsi que de développement aux parties
de la générauon. (Physiologie, pl. II de l’ou-
vrage Cilé. )
Le corps, pris sous les aisselles, a trois pieds
et demi de contour, et trois pieds dans sa parue
la plus renflée. Nous tuàämes un mäle de dix
pieds de longueur, dont le ventre avoit, dans
cette parue, quatre pieds cinq pouces de circon-
férence.
La queue large et charnue, de trente-deux
pouces de circonférence à sa naissance, de trente-
six à sou milieu, et de six lignes à son extrémité,
est composée, dans sa partie double, de seize
bandes complètes et circulaires, ou tronçons
surmontés d’éperons lamelleux en carène; ils
sont trés-flexibles , et vont en croissant vers
l'extrémité jusqu’à la jonction de la crête simple.
Chaque éperon a un pouce de hauteur, la base
en est large de dix lignes.
Ces bandes doublées sur les côtés, de bosses
écailleuses et incisives, donnent à ce terrible
instrument sa dureté , etle rendent redoutable. Le
resie de la queue, c’est à dire, la crête simple
est composée de dix-neuf bandes allant en dé-
croissant de hauteur et de largeur, jusqu’à
l'extrémité.
La forme de la queue est donc telle que, depuis
sa
D'UN NATURALISTE. 33
sa naissance au carrefour des crêtes à double”
rang, elle s’amoindrit et s’effile, quant à la
partie circulaire des bandes; de manière que
chacune est marquée d’une ligne qui rétrécit
de plus en plus la partie charnue, doublant, par
ce moyen , la hauteur des carulages natatoires,
pour leur donner plus de souplesse dans l'usage
auquel la Nature les a destinés.
Nota. La peau nétant qu’un entrelassement
de fibres nerveuses, tendineuses , ligamenteuses,
membraneuses, cornées et écailleuses, fait corps
avec les muscles de la queue et de la région
dorsale. Elle est cependant perméable, puisque
c’est à celte faveur qu’on voit le suintement de
Ja graisse , lofs de la colère que l'animal éprouve,
ou de son repos au soleil. L’épiderme enlevé aux
jeunes caïmans, laisse entrevoir les figures des
tubercules , et leurs couleurs alors bleues et
violettes.
Récapitulation des mesures du sujet
physiologique.
Longueur ducorps entier mesuré en ligne
droite depuis le bout du museau jusqu’à celui PF pou. lig.
C6 ÉPICES CR
Longueur de la tête depuis le museau
QUE POCCIphL, + à à + + "+ ee + + où © n
Circonférence du museau vis à vis le
CANAL NS EE M NE Re ON TR
4
Tome II C
34 VOYAGES
. pi. pouc. lig,
Circonférence du museau prise au dessus
MS VOURS 0 S ce Mie ne Re ns SION
Circonférence de l'ouverture de labouche. » 11 »
Distance entre les deux narnes. . . . . » » 1
Diamètre de la proéminence. . …. sg 7
Distance entre le bout du museau et l'angle
amtecieur de l'œil: : 4... 0 > 0bfio
Distance entre l'angle postérieur etl'ouver-
ture de la soupape auriculaire . . . . . . » » 2
Lonoueur de l'œil, d'un angle à l'autre . » » 13
Omeérture dé l'œil ss 6 0m ee 6
Circonférence de la tête, prise entre les
yeux et les oreilles. . . . . . : .« .« … « » 10 &
Longueur de la soupape auriculaire. . . » 1 1x
Largeur du grand feston . . . . . . . » » 6
Distance entre les deux oreilles . . . . » 2 2
Distance entre les orbites et l'ouverture
denbaiinesnMatatio dites Ve On
Largeur des orbites . . . . . . . . . » 1 D
Hauteur des’ orbites... .. .. 4 à 0 1:
Longueur de la mâchoire de dessous, depuis
le bout du museau jusqu'au bord postérieur
de l'apophyse condyloide . . . . . . . . » 9 5
Epaisseur de la partieantérieure de la fosse
Met Le PP ET D
, (dansson1ier renflement. » 1 6
Hauteur dela mà- |
; à. dans son 2ème , : . . » 2 1
choire supérieure, Le K
dans son 5ème, , 1.» 33
Honstent AU EUR SE a UT 0 0
Circonférence du cou à sa partie renflée. 1 2 6
Circonférence du corps, prise derrière les
JADE de devant MS US VOIRE
D'UN NATURALISTE. .35
pi. pouc. lig.
Circonférence à l'endroit le plus gros . 1 6 6
Circonférence devant JE jambes de der-
GUN PURE SR. MAI, 6
Longueur de la queue . . . . . . . 2 4 »
Circonférence à l'origine. . . . . . . F2 »
Idem partie moyenne, mais renflée. . 1 2 »
Idem à l'extrémité. 5 2%
Longueur de} tas , depuis le cu
JUSQU BOENEE NL PEN NS OS » 2 2
- Longueur de l'humerus. . . . . . . . » 5 5
Circonférence du poigiet. . . . . . . 005
Longueur depuis le poignet jusqu’au bout
CRT Te CNE ER » 5 4
Longueur de la cuisse hors du corps. . . » 4 »
Circonférence de la partie la plus grosse. » 7 3
Longueur de la jambe, depuis le genou
ILSQUAUMAISEDRe Net LES S', » 510
Longueur depuis le talon jusqu’au bout des
SRE TE - >, 1035 LEA
Longueur du pied, la mere inter-
médiaire écartée . . « « + » + + +. »s 5 5
36 VOYACES
CHAPITRE TROISIÈME.
Ostéologie du Caïman de Saint-Domingue ,
le sujet décrit ayant quatre pieds huit
pouces.
CHAPITRE QUATRIÈME.
Examen comparé de Myologie et
Névrographie.
Voyez, pour ces deux chapitres, ma mono-
graphie du caïman de Saint-Domingue.
Ten. 11. d'age 87.
Fe
Anatomie
D
d'age 87.
Anatomie
+
|
"
ere
Fg,r
3
+
ar derriere.
Vus en face, etp
ommgue
D
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Viscères du Crocodile de S
D'UN NATURALISTE. 3
Le 7, 9%, 2, 7, 7, 0, Se D D D D nn ne eo no ne nn Te Ce ne Te ne
CHAPITRE CINQUIÈME.
Splanchnologie, ou Examen du larynx, de
l’œsophage, des poumons, des lobes du
Joie, de la rate, du cœur, du pancréas,
et autres viscères. ( Planche 1IÏ de ce
volume. )
J E passe de merveilles en merveilles, et ne me
lasse point d’adnurer la sagesse ineffable de
l'Auteur de la Nature. Il y a dix-septheures que
l'animal est privé de sa tête, et je vois encore
les muscles se contracter, se dilater, et offrir
à mes yeux étonnés les derniers efforts des
esprits vitaux. Que dis-je? je m’aperçois que les
vaisseaux sanguins ne communiquent point
entr'eux.
Sa langue (planche IV de ce volume) qu’un
proverbe créole dit être mangée par les chiens,
est apparente cependant, mais couverte d’une
membrane pelliculaire jaune, parsemée de
taches grisätres, au milieu desquelles se trouvent
des points noirs. La surface est garnie et plissée
de rugosités bien apparentes.
Le caïman n’a pas de langue, dit-on; on re-
marque à la place une simple membrane. Cette
assertion vient certainement de quelqu'un qui
C 3
38 VOYAGES
n’en a jamais disséqué, ou qui l’a examiné
superficiellement. Je crois donner, dans le cours
de mon ouvrage, assez de preuves de son exis-
iénce pour en parler briévement ici. Qui dit
membrane, dit une peau plus ou moins dure,
qui enveloppe les chairs. C’est done sous la
première membrane jaune, striée par ses plis,
que se trouve un corps charnu , à la base duquel
sont situés deux os sous la forme de léviers, qui
sont les os yoïdes, appartenant en propre à la
racine de la langue.
Les muscles linguaux se réunissent sous la
Jangue vers le milieu, en fer de flèche : des
vaisséaux en arrosent le dessous, jusqu’au cul-de-
sac du boutoir inférieur, où les artères se per-
dent en ramifications insensibles.
À Ja base de Ja langue se trouve cette soupape
destinée à fermer hermétiquement l'entrée de
l'œsophage et de la trachée-artère, lorsque le
caïman est dans l’eau : c’est le cartilage uroïde
cavé, lamelleux, et cintré à son sommet, pour
bien prendre le creux du palais. Il se baisse et se
relève à volonté par le jeu du muscle lingual, et
par suite des deux os yoïdes qui, servant de
Jévier, lui font prendre diverses positions plus
ou moins inclinées.
Au centre de la cavité de ce cartilage (pl. IV
de ce volume) se trouve un corps charnu bomhé
D'UN NATURALISTE. 39
et oblong, garni de lèvres vermeilles, et d’une
fenie antérieure ouverte, et fermée par les
muscles de cette parue. C’est cette ouverture
qui donne entrée et issue à l’air affluant et
expiré des poumons, conduit par la trachte-
artère qui, à six pouces du larynx, se replie
pour le ralentissement de l'air effluant. C’est
aussi le siége du larynx, comme on le voit dans
les détails de cette parue (pl. IV de ce volume).
Cette ouverture plus large dans les mâles, est
par cela plus tremblotante au passage de Pair
poussé avec force; ce qui donne aux vibrations
isochrones de l'animal, un ton rauque aui n’est
point soutenu chez les femelles.
Derrière la partie décrite, au dessus de la
trachée-artère, se trouve l’œsophage gaufré, et
suscepuble d’une dilatation extraordinaire. Il
adhère aux muscles vertébraux et cervicaux
internes, et est placé dans la rigole qui les
sépare. S1, dans la déglutition, sa proie ne va pas
toute entière dans l'estomac, pour cause d’inca-
pacité, au moins elle reste dans le gosier qui est
trés-élastique. L/acuon des sucs salivaires, aidée
de celle des fibres de l'estomac, concourt à la
digestion de ses alimens : l'animal vit long-tems
sans manger, par le peu de déperdiuon, et le
tissu serré de sa peau. J'en ai conservé dix-sept
C4
ko VOYAGES
jours, bien emmuselés, sans boire n1 manger, et
toujours assOupis.
La trachée-artère fléchie se bifurquoit à un
pied dans le sujet de quatre pieds huit pouces,
pour se rendre, par deux branches de même
pature et de deux pouces six lignes de longueur,
aux deux lobes des poumons oblongs composés
de vésicules, et arrosés de vaisseaux sanguins :
ils sont placés debout derrière les lobes dû foie,
en sorte que pleins d'air, ils s'élèvent plus e
moitié au dessus de leur grandeur, sans être
contrariés dans leur graduelle extension (1).
Les cellules pulmonaires , ainsi que dans les
cétacces, communiquent entr’elles, de manière
que si l’on vient à souffler la trachée-artére,
ious les poumons s’emplissent d’air. D’après
l'inclinaison en arrière dun diaphragme, les pou-
mons non gênés dans leur loge cave, peuvent
s'étendre sur l’épine du dos, et s’y adosser ; ils
sent séparés par Île muscle trapèze interne.
(Myologie, pl. IV ; ouvrage cité.) Suivant que le
caïman contracte ou dilate ses poumons, par
l'expiration ou l'inspirauon, il baisse ou s’élève
dans l'eau.
(1) La courbure de la figure vi, planche 1V, com-
prime l'air, et rendant sa circulation difficile, occa-
sionne ce son tremblant produit par la vibration du
lirynx,
D'UN NATURALISTE. ét
Au dessous de la bifurcation du canal aérien,
qui se rend de droite et de gauche, aux deux
lobes des poumons, on voit la réunion artérielle
de l’aorte, et la veine cave ascendante, formant
un couronnement au dessus de l'enveloppe péri-
cardine bleuâtre, placée au milieu des deux
lobes du foie.
Le cœur, organe musculeux, compressible
et dilatable , d’où sortent les artéres , et où
abouussent les veines, est très-petit, et son péri-
carde contient une grande quantité d’eau :1l n’a
qu’un ventricule. (PI. XX VIIT del’ouvragecité.)
L’oreillette droite est plus large, en ce qu’elle est
destinée à recevoir le sang du tronc principal de
la veine cave ascendante, des jugulaires et axil-
laires. Ce mouvement merveilleux angiostatique
est mu par systole et dyastole, c’est à dire par
compression et dilatation. Le petit tronc de Îa
veine cave ascendante va aboutir dans l’oreilletie
gauche.
Voici donc la différence qui existe entre les
repüles et les quadrupèdes.
Circulation du sang dans les quadrupèdes,
Dans les quadrupèdes terrestres et non ram-
pans, le sang poussé du ventricule droit, par la
systole des muscles du cœur, est transporté
dans les poumons par l'artère pulmonaire ; d’où
42 VOYAGES
se rendant à l’oreillette gauche, et dans ce
ventricule par la dyastole, il est ensuite rejeté
par la compression de ce même ventricule dans
l'aorte, qui le partage dans les ramifications du
reste du corps, d’où 1l revient au cœur, sa
source, par l’intermède de la veine cave.
Circulation du sang dans les reptiles (1).
Dans les quadrupèdes rampans au contraire,
c’est par l’ouverture de ce seul ventricule placé
entre les deux oreillettes, qu'au lieu de passer
par les poumons, le sang sort pour refluer de
l'artère pulmonaire en laorte. .
Les lobes du foie sont inégaux, longs et
triangulaires, séparés derrière et devant par des
membranes intermédiaires. C’est dessous le lobe
droit que se trouve la vésicule du fiel, qui le
dépasse par le bas de la moitié de la longueur:
elle avoit dans ce sujet deux pouces de long sur
huit lignes de largeur ; de la forme d’une poire
un peu alongée, et attenante à la naissance du
duodénum. +
L'estomac arrondi, se wouvant plus à gauche
qu'à droite, est aminei vers le milieu dans son
enveloppe. Je trouvai dedans des débris de gros
mil, patates, des scarabés, des arêtes, des vers,
QG) La froïdeur du sang tranquille des reptiles les
rend peureux.
“
D'UN NATURALISTE, 43
et des restes de volaille. Les pierres qu’on y
rencontre servent à entretenir la dilatation de
l'estomac, et lors d’un jeûne un peu long, em-
péchent a cion des fibres nerveuses.
Le diaphragme membraneux et nerveux,
s’arquant sous les lobes du foie vers le milieu
de l’estomac, est très-mince.
Les instestins n'étant point divisés d’une ma-
nicre assez sensible os y disunguer les espèces
différentes, ce n’est qu’à l’apercu des circonvo-
lutions qu'on peut tabler à peu près pour
l'intelligence de la descripion. A proprement
parler, on ne reconnoît que les intesüins grêles,
et les gros ; les premiers placés dessus, à lin-
verse de ceux de l’homme.
Le tube intestinal a, depuis la naissance Ge
l'œsophage jusqu’au coude supérieur de l’es-
tomac, huit pouces; et depuis le départ du duo-
dénum jusqu'au petit pancréas, un pied, y com-
pris les circonvolutions : depuis ces replis jusqu’à
la distincüon des intesüns grêles, trente-deux
pouces ; et depuis cet endroit jusqu'au rectum ,
trente pouces. Le rectum est long de cinq pouces.
Le sphincter, qui se wouve au centre du
rectum , dans le milieu de sa longueur, a un
bourrelet bien sensible.
De la rate, un canal se rend au duodénum.
Elle est située (pl, XXVIIL, fig. 1ère; ouvrage
5°
44 VOYAGES
cité.) à la droite du cul-desac inférieur de l’es-
tomac, au dessous du lobe droit pulmonaire, et
appuyée entre les deux prostates.
À la droite du départ de la circonvolution
des intestins, se trouve placé un corps solide
rosacé, abouché par un tube au jéjunum. C’est
un second pancréas beaucoup plus sensible que
celui adossé au coude intérieur des mênies in-
testins. Ceux sous lesquels 1l se trouve, sont
repliés en deux circonvoluuons serrées. (PL. IE
de ce volume.)
Le rectum très-gros, est appuyé sur les.
reins, qui se trouvent au bas du dos. Ce viscère
passe au dessus d’une membrane pelliculaire,
servant de vessie, et qui s’adapte au collet du
rectum par des tubes’ appropriés ou urétères.
Les prostates rouges, entourés de graisse, se
trouvent à chaque côté intérieur des reins oblongs.
(PI. IIT de ce volume. )
Les parties sexuelles, soit dans le mâle ou la
femelle, sont renfermées dans le canal de l’anus.
Le cerveau, où plutôt le ganglion, contenu
dans sa cavité (pl. XXV de ” ouvrage cité), est
irés-peut, renfermé dans une boîte osseuse en
losange, et composé de deux lobes antérieurs
les plus gros, de deux médiaires peuts, et du
postérieur ou cervelet duquel s'échappe la moëlle
spinale.
D'UN NATURALISTE. 45
Pr os ns ns nr nn sn in nr Te ar
CHAPITRE SIXIÈME.
Examen des organes de la génération.
Voyez , pour ce chapitre, ma monographie
du caïman de Saint-Domingue.
en 2 ‘9 2 ©
CHAPITRE SEPTIÈME.
Préludes de son amour; détails sur son
accouplernent ; et indication de l’ége auquel
. . . y
il peut.produire : assertions appuyées d'un
tableau tracé par l'expérience.
Ce n’est point la contenance humble du dou-
cereux tourtereau près de sa fidelle compagne
que Je vais décrire ; ce ne sont plus ces roucou-
lemens mélancoliques et voluptueux , avant-
coureurs de la jouissance et du plaisir ; mais des
mouvemens violens, une agitation turbulente ,
une poursuite acharnée, des mauvais traitemens
pour les refus, et des hurlemens lors du contact
sexuel. Voici de quelle manière nous avons
surpris le caïman, et comment je l’ai observé
dans les préludes de son amour.
Grossier dans ses manières, pourquoi cher-
cheroit-1l, à l’exemple des favoris de l'amour, des
a parer po EE 0
RE mt
sms nm
45 VOYAGES
bosquets agréables, pour y reposer un corps
dur et insensible? lui que l’aspeet d’un être
quel qu'il soit, faugue etirrite, est-ce pour une
brute de ce ‘caractère que sont faits les beaux
jours., la verdure émaillée des paisibles cam-
pagnes, le murmure agréable des peuts ruis-
seaux?..... Non! les abatus de bois épineux ,
les tiges vermoulues de cardasses desséchées, les
sinuosilés impratcables des halliers les plus
hérissés, une eau fangeuse, lente et obstruée
dans son cours, de plantes aquatiques entre
lacées , ont pour lui plus de charmes , et sont les
lieux choisis pour cacher à la Nature et sa laideur
et sa férocité. Aussi, heureux lorsqu'il est tran-
quille , c’est un tyran puissant et farouche qui jette
la terreur et l’épouvante dans toutes les classes
créées d'animaux qui lui sontinférieurs. Le noir
limon des rives bourbeuses sert de lit de repos à
ce morne ennemi de la Nature aimable.
Tout annonce que le caïman est polygame ,
et je me vois appuyé dans mon dire, par la
raretc des mâles , et la profusion des femelles ;
puisque , sur quantité de trous fowillés dans un
canton barricadé aux deux extrémités de seines,
nous avons trouvé un nombre prodigieux de
‘femelles et peu de mâles.
Nous avons eu aussi plusieurs fois occasion de
remarquer les combats des mäles; leur poursuite
D'UN NATURALISTE. 47
acuve dans l'eau (1) , leur élément familier; leur
fureur en cas de rencontre, les coups de dents
terribles qu’ils se donnent en se redressant : l’eau
bouillonne sous leur poids et sous leurs efforts ;
les oiseaux aquatiques effrayés, s’éloignent en
criant, exprimant par la le trouble qui les
agite; l'oiseau terrestre même; le silencieux
cocot-zin { colomba parvula, Linnæti)
craignant pour sa vie, cherche la cime des
arbres, et cache, sous quelque touffe de feuillage,
son peut corps tremblotant. Toute la Nature
en un mot, sourit à leur absence , et gémit à leur
aspect. Mais le combat cesse; et c’est au vain-
queur qu'est réservée la jouissance des femelles.
Il garde à cet effet une exacte surveillance. #
Maître de son sérail, veut-il accorder ses
faveurs ? 1l fixe l’objet qu’il envie, annonce alors
sa fierté parses crisrauqueset redoutables, déploie
sur l’onde son extrême agihité, la coupe, en
«
(1) À l'époque intéressante du rapprochement des
sexes, où tous les êtres semblent avoir reçu une ame
nouvelle , les yeux du caiman n'en sont pas plus
étincelans, et l’ardeur qui ie tourmente n'est qu'un
besoin à satisfaire, et non un désir produit par de
douces émotions. Des rugissemens horribles, effrayans
pour les hommes, mais que sa femelle sait comprendre
et apprécier, sont plutôt le langage de la fureur que
de l'amour. ‘
48 VOYAGES
rase la surface, sans même la rider; puis il
s’avance, se place sur le côté, et d’un coup de
queue, ordonne à la femelle de prendre la même
posiuon. Ils se réunissent en s’embrassant, ne se
servant plus que de leur queue et de leurs pattes
de derrière, peur se soutenir sur l’eau pendant
l'intromnssion , qui dure vingt à vingt-cinq se-
condes. Le plaisir éprouvé, l’acte & propagation
achevé, ils se séparent, et accompagnent cette
retraite des cris et rugissemens affreux, qui pré-
sident à l’acte du coït. Leur naturel étant féroce,
l'expression de leur amour doit être brutale, et
comporter les mêmes caractères.
Mais ce son de voix, qui ne nous semble
cômposé que d’une modulation, sert pourtant
à expliquer ses volontés. J’eus la satisfaction,
en réfléchissant sur ce point, de voir mon hypo-
thèse confirmée par le fait suivant. J’apercevois
au dessus de ma tête, le mäle de la cresserelle
du pays, tournoyer et planer, tenant en son
bec un mulot qu'il destinoit à sa femelle , occupée
à couver. Le pourvoyeur se perchant, fit un
cri : aussitôt je vis sortir d’une vieille masure
la femelle qui, dans la rapidité de son vol, lui
enleva l'animal, sans s'arrêter, et alla le de-
pecer promptement, pour rentrer dans son nid.
La différence des intonations, la durée des
sons , leur Qualité interprètent sûrement ce
| langage
\
D'UN NATURALISTE. 49
langage inconnu. C’est un dénouement auquel ,
je crois, l’observateur discret doit renoncer.
Divers examens anatomiques m’ont confirmé
que le rapprochement des deux sexes, pour la
copulauon, n’a lieu dans les mâles, qu’à l’âge
de dix ans, et dans les femelles, de huit à neuf.
On peut en juger par le tableau de la progression
des âges et de la taille, annexé à ce chapitre.
On y verra que, dans ces animaux, la puberté
est lente et tardive à se déployer, par les dispro-
portions énormes des facultés progénitrices mâles,
type le plus en faveur de ma combinaison.
La fécondité de ces animaux dangereux, nui-
sible par la quantité de germes destructeurs
sortis de la terre, à chaque incubation, pour
l’appauvrir dans ses créatures ,ne dure quetrois,
quatre, et au plus cinq ans dans les femelles (1) :
le Créateur apaise donc cette vertu prohfique,
en rendant, à un certain âge, impuissanies leurs
facultés, et ne conservant que de quoi entretenir
l’espèce. |
D’après l'étendue des ovaires, la quantité des
œufs, et l'emplacement qu'ils occupent jusqu’à
leur perfection, je crois devoir répéter que les
femelles ne pondent point avant l’âge de huit
ans. Quelle dévastation s’ilen étoit autrement , et
(1) Foyez le post-scriptum du chapitre +.
Tome IT, D
5o VOYAGES
si la fécondité n’étoit point arrêtée! Une autre
preuve est qu’à un cerlain àge, ces animaux fe-
melles trouvées dans le tems de la ponte, si
elles ont acquis la taille de onze à douze pieds,
ont cessé d’engendrer. J’en ouvris quantité avec
ces proportions, qui n’avoient point d'œufs, ni
aucune apparence que leurs ovaires dussent être
fécondés : leurs trompes au contraire, aupara-
vant dilatables, étoient rétrécies et duriusculées,
Caïmans scrupuleuses ,
oussole , |
rgeur
lent
érieure.
a
.
ole.
le base.
dents inf.
dè nasal.
1 ctilage très-
2 hmencée,
&1
5 Es dépassant
Glpar les deux
2 lignes 1/2.
Je 3 lig. 1/2.
; le &lignes®
8 |
LP + ä
Longueur et larseur
des pliques de son armure,
Les deux principales du cou,
ayant 4 lignes sur 5,
7 lignes sur b.
7 lignes sur 5 1/2,
Idem.
7 lignes sur 6.
8 lignes sur 7.
9 lignes sur 8.
10 lignes sur 9.
11 lignes 1/2 sur 10,
13 lignes sur 11.
15 lignes 1/2 sur 153.
16 lignes 3/4 sur 14 1/2.
15 lignes 2/3 sur 16 lignes.
21 lignes 1/3 sur 19 lignes.
2 pouces 3 lignes sur 21 lignes.
2 pouces 9 lignes sur 22 lignes.
2 pouces 11 lignes sur 23 ligues.
3 pouces sur 22 lignes,
La
è
RE —
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mt gr
te mir "
rm
me IT, page bo,
Lun jour de naissance,
six mois
ui an,
deux ans,
Vois ans,
quite ans,
doq ans,
sixans,
“plans.
huit ans,
ntufans,
dixane,
douze ans,
Quatorze ans,
| tire ans.
dix-huit anss
Yngtans,
Tgt-deux ans.
TABLEAU des progressions de
Taille,
9 pouces 1/2,
18 pouces.
24 pouces.
32 pouces.
3 pieds 4 pouces,
kpieds,
& pieds 8 pouces.
5 pieds.
5 pieds 8 pouces.
6 pieds 7 pouces,
3 pieds 4 pouces,
pieds 2 pouces.
9 piéds 2 pouces,
10 pieds 4 pouces,
12 picds1/2.
1#piels et 5pouces:
16 pieds Gpouces.
“Idem.
Tems de puberté,
Idem. F
Adultes ct très=ardens,
Idem.
Adultes etmoïns ardens,
Aduilteset jaloux.
Moins ardens.
Invalides,
la taille, et de la fécondité des Caïmans par rapport à leur âge , fait d’
Proportions des parties
de génération.
Très-peu sensibles,
Presqu’imperceptibles,
À peine visibles.
Un peu plus sensibles.
La verge de 8lig. de longueur.
Le sujet femelle, l'ovaire point
développé.
La verge té 10 lig. 1/2 jusqu’à
la naissance dunerf érecteur.
Une femelle point formée,
Pas encore bien formée.
L’ovaire encore plissé, et
point encore dilaté.
La verge de 18 lignes.
Voy. pl. 31 de mon ouvr. cité.
La verge de 6 pouces.
La verge de 6 pouces 5 lignes.
La verge de sept pouces 1/2.
La verge de 7 pouces 9 lignes.
La verge de 7 pouces 10 lignes,
Racornies et ridées.
en me servant, pour boussole, de l’époque de la ponte.
Longueur et largeur
de la dixième dent
de la mâchoire supérieure.
1 demi-ligne.
1 ligne.
2 lignes.
2 lig. 1/2 hors de l’alvéole.
4lig. sur une lig. 1/2 de base.
6lignes sur 2 de base. |
7 lignes sur 2 de base
7 lignes 1/2 sur 2 1/2,
8 ligrés sur 2 1/2.
9 lignes sur 4.
13 lignes sur 4 1/2.
15 lignes 1/2 sur 6.
16 lignes 1/2 sur 7.
24 lignes sur 91/7.
3 pouces sur 14 ligné{ 1/2.
4 poucessur 18 lignel,
4 pouces 1/2sur 20 lignes.
Incomplètes et écorhées:
Idem de Ja quatrième
et onzième dents
de la mâchoire inférieure.
1 demi-ligne.
ligne.
1 ligne 3/4 et une 1/2.
2 lignes et une ligne 3/4,
4 lignes et 3.
signes ct4,
G lignes 1/2 ct 5 lignes.
7 lignes et 5 1/2.
7 lignes et 6.
8 lignes et 7.
9 banes et 7.
11 lignes et 10 1/2,
14 ligues 1/2 et15.
15 lignes et 14.
2 pouces 1/2 et2 pouces.
3 pouces une ligne et3 pouces.
3 pouces 1/2 et3 pouces.
Cüssées ou émoussées.
Longueur de la tête,
et largeur de sa base
à læ bascule de l'arc temporal.
18 lig. sur 7 latèterenflée,
30 lig- la têle plus développée.
5 pouces 4]ig. sur un pouce 3 lig,
5 pouces 8 lig. et 1 pouce 7 lignes.
6 pouces sur 2 pouces 8 lignes.
7 pouces sur 5 1/2 de base.
8/pouces 3 lg. sur 3 pouces 6 lig.
8 pouces 8 lig. sur 4 pouces 3/2.
9 pouces 1/2sur 5 pouces2 lignes,
11 pouces sur 6 1/2.
11 pouces sur 8,
13 pouces sur 9 1/2.
24 pouc. sur 18 pouces,
30 pouces sur onze,
3 pieds 1/2 sur 13 pouces.
3 pieds 11 pouces sur 18 pouces,
Æ pieds sur 21 pouces,
Idem.
après des obseryalions |scrupuleuses ,
Conduits des deux [dents inf.
près le cartiligé nasale
Longueur et largeur
des pliques de son armure:
Point percés, le canilüge très-
saillant,
Les conduits point fonts,
Point encore percés,
La fraction des os co
Les conduits percés.
Percés, mais (F5 den
à peine le museau,
Les conduits perforés
dents saillantes de hi
Les dents saillantes del
Les dents saillantes
de 5 lignes.
de 5 lignes 1/21
Idem.
de 4 lignes.
Somi-fermés,
Bouchés, dents obtikes,
Idem.
Idem.
Idem.
——————————© —— |
Les deux principales du cou,
ayant 4 ligues sur 3,
7 lignes sur b,
7 lignes sur 5 1/2,
Idem,
4 lignes sur 6,
lignessur 7.
lignes suri8s
10 lignes sur 9. :
11 lignes 1/2 8ûr 104
16 lignes sur 11,
15 lignes 1/2 ur15:
16 lignes 3/4raur 14/2,
18 lignes 2/4 sur 16 lignes.
21 lignos 1/3 sut 19 lignes,
à pouces 5 lignes sue 21 lignes.
apouceslo lignes sur 22 lignes:
2 pouces irlignosaura5 lignes
Spoucessuralignes.
D'UN NATURALISTE. SI
Poe os rs on nr or ne or nr rs in a
CHAPITRE HUITIÈME.
Conduite du Mäle et de la Femelle avant et
après la ponte.
Pos par une induction naturelle, ces ani-
maux , sentant le besoin de propager leur espèce,
éprouvent, dans la régénération printanière, les
üullatonsirrésisubles de cette passion fougueuse,
qui donne alors un plus haut ton à leur fureur
brutale et"jalouse. C’est au sein de la terre, hors
des regards humains, que doit être confiée la
progéniture qui doit un jour venger ‘leurs
outrages, épouser leur férocité, désoler Ja
Nature, et renouveler leur emploi tyrannique.
C’est sûrement dans cet espoir cruel, qu'ils
quittent les froids momens de leur indiflérence,
pour céder aux impressions poignantes de leur
bestialité. D'une torpeur engourdie, d’un repos
glacial, on les voit rapidement passer à un
période effrayant d’agitauon convulsive et fa-
rouche.
I est à croire que le mäle, oubliant son
esprit de domination et d’égoïsme , aide la
femelle dans la fouille du nid; je le suppose au
moins, d’après les traces différentes qu’on aper-
D 2
D) VOYAGES .
coit autour de la couvée. Ce que je puis assurer,
c’est que la femelle se sert d’abord de ses pattes
pour agrandir et creuser son trou circulaire;
mais, quand leur longueur ne peut plus achever
la profondeur nécessaire, elle fait usage du bout
de son museau, comme d’une spatule, pour
caver le creux , et en soruür la terre inutle.
On est étonné de voir régner une si parfaite
régularité dans louvrage d’un animal aussi
inepte; mais la surprise est remplacée par une
admiration due à la sagesse du Moteur de ces
merveilles, qui éclaire la stupeur de ces ma-
chines animées, en accompagnant de quelques
combinaisons idoines, le tems nécessaire à leur
régénération. Ce même insunct est encore déve-
loppé dans les poursuites et les vengeances de
ce repule carnassier.
Les œufs, au nombre de vingt-huitseulement,
sont placés circulairement dans le couvoir, rang
sur rang, de manière à ce qu'ils ne se touchent
point. Po prévoir cet inconvémient, la femelle
a soin d’interposer une couche deterre, etnon de
la paille on feuilles sèches, ainsi que quelques
auteurs l’ont avancé. L’humeur visqueuse qui
se trouve sur les œufs, amoncéle, agslutine, entre
chaque cavité, les particules terreuses que la
femelle a soin de répandre sur chaque rang, en
D'UN NATURALISTE. 5
sorte que le tout ne forme qu’une seule masse
contiguë. |
Les caïmans choisissent, pour placer leurs nids,
un tertre un peu élevé; et, indépendamment de
cette première précaution , 1ls joignent celle de
taper le dôme du couvoir, de peur de la pénétra-
uon des pluies accidentelles. Aussi la Nature qui
prévoit tout, ne les fait-elles pondre que dans les
secs, dans les niêmes endroits qui sont submergés
dans les pluies (1)!
La ponte est en mars, avril et mai pour les
plus tardifs, c’est à dire une seule fois l’année,
lincubauon est d’un mois, ainsi que nous
avons éprouvé par des œufs enlevés, et en-
terrés au pied de notre case, après nous être
assuré que le développement du germe n’étoit
point encore commencé.
La femelle dépose à la bo ou ceouR
parfaits, dont la coque est dure. J’en ai toujours
(1) Les repüles ovipares sous le climat torride de
Saint-Domingue, n’ont besoin de.confier leur postérilé
qu'à la concentration de la terre, tandis qu'en Europe,
où le sol n'est point aussi chaud, les couleuvres et
certains autres reptiles choisissent des tas de fumier,
plus propres à réverbérer la chaleur nécessaire aux
progrès de l'incubation. Ainsi tels climats , telles habi-
tudes, et par-tout des preuves non équivoques de
l'influence du Génie créateur,
D 2
DA VOYAGES
trouvé vingt-huit humectés d’une humeur vis-
queuse. La coque crétacée, tapissée intérieu-
rement d’une tunique épaisse, produit un son
clair, en raison, je crois, des petits trous dont
elle est parsemée, et qui traversent jusque dans
l'intérieur. Ces porosités rendent lincubation
moins lente et plus facile.
À. voir les traces de ces animaux près leurs
nids, on croiroit que lun ou l’autre vient re-
poser dessus pendant la nuit pour entretenir une
chaleur constante, etéviter aux œufs la fraîcheur
du serein, its nécessairement les progrès
de l’incubation ; mais cette conjecture, quoique
d’ailleurs vraisemblable, ne peut être citée en
cette Occasion; car, ayant découvert des nichées,
ÿai garni l'emplacement , de cardasses , ra-
queltes , et autres plantes épineuses : elles n’ont
point été dérangées, et nous n’avons apercu que
les anciennes traces.
La femelle, après avoir donné tous les soins
réservés à la maternité, abandonne, comme les
tortues, a la concéntration etau soleil l'espoir de sa
postérité. Ce qui prouve que les œufs n’ont pas
besom d’une grande chaleur, c’est qu’ils sont en-
foncés à dix pouces de la convexité, qui leur sert
d’auvent, où la terre commence à être très-
fraîche, ainsi que je l'ai remarqué en sondani
des nichées.
D'UN NATURALISTE, 55
Impatiente de se voir reproduite en ses petits,
l'insunct porte la mère à venir, à l'approche du
terme de l’incubauon, visiter sa future géné-
ration. Elle tourne, retourne, s’agite, appelle,
fait beaucoup de mouvemens sur la place, afin
d’exciter ses petits à donner signe de vie. Par une
admirable prévoyance de da Nature, lorsqu'ils
sentent les mouvemens, ils aboient comme de
jeunes chiens; alors la femelle gratte, déterre
les coques , et voit avec joie le fruit de ses
amours, C’est à la tête de ses peuts qu’elle est
plus que jamais féroce. Hargneuse et prompte-
ment irrascible , elle wattend plus qu'on
l'attaque ; elle fond sur celui dont la présence
linquiète, et cherche, par cette démarche me-
nacante, à l’expulser de la vue de ses peuts,
qu’elle mène à l’eau en grondant, et tournoyant
comme une poule à égard de ses poussins. Qui
pourroit alors la heurter de front avec sang-
froid? Les armes les plus sûres tremblent dans les
mains vacillantes. Il y auroit de la témérité à
l’attaquer seul en cette occurrence , où tout
cède à la force de son boutoir.
S'il est rare de voir le caïman debout sur ses
pattes, on le voit communément en cette occa-
sion, période de sa colère. Il affecte encore
quelquefois la même marche, lorsqu'il est
D 4
56 VOYAGES
poursuivi par un ennemi qui lui est supérieur
en force : 1l court alors comme un lézard.
_ Les petits, qui ne peuvent en naissant rester
Jong-tems sous l’eau, ne font que plonger et
reparoitre. La mère les nourrit en dégorgeant sa
pâture, et la ruminant, lorsque le sac alimentaire
ombilical a épuisé tous ses sucs nourriciers,
Les senumens d'amour pour les jeunes rep-
üles, sont encore moins Jlong-iems soutenus
dans le mâle que dans la femelle, qui vaille à
leur accroissement jusqu’à l’âge de trois mois
environ. C’est pendant cette. garde assidue,
qu’elle a besoin de toute sa surveillance et de son
courage pour préserver d’une incursion Carnas-
sière sa peute famille que le mäle cherche
continuellement à éteindre; aussi fait-elle tou-
jours bonne contenance, et l’attend-elle de pied
ferme , pour détourner, par une prise de corps
unanime , le coup prêt à frapper, et qui doit
la priver de quelqu'un de ses peuts.
En raison de leur imexpérience dans l'élément
liquide, ils y sont moins en sûreté qu’à terre,
où 1ls se rassemblent très-près des flancs de leur
mère, qui les protége des mêmes armes que la
Nature ui a départies (1). C’est pourquoi ils sont
—
{1) Ceite mère, toujours inquiète, cherche de pré-
férence les endroits des berges garnis de biussons
D'UN NATURALISTE, 57
souvent la vicume de cette confiance tranquille,
surtout si le mâle vient à eux en silence, en cin-
glant entre deux eaux. Quatre, un jour, furent
dévorés de suite à la vue de la mère, inconso-
lable de son défaut de prévoyance. Elle quitte
bientôt ces soucis maternels, pour reprendre
ses habitudes premières qui l’écartent impérieu-
sement de toute société. Aussi, ces bonnes
habitudes oubliées, porte-relle la guerre chez
l’engeance animale qui la redoute, et succombe
par sa foiblesse.
—— 2 EF PS
épais, ou de racines de mangliers, propres à recéler
les jeunes caïmans, et où les gros ne peuveri
pénétrer.
58 VOYAGES
RRS Le BR Le VV VD LL VND
CHAPITRE NEUVIÉÈME.
Naissance du Petit, et ses diverses positions
dans l'œuf.
uiL est beau pour l'observateur déiste de
réfléchir sur la formation et le développement
de la substance homogène du jaune de l'œuf,
où se trouvent réunis , d’une manière impercep-
üble et cachée à la lentille la plus mulüpliante,
les molécules matrices du musc, de la peau,
des viscères, etc. ! C’estse perdre dans la nuit des
conjectures que de fonder des systèmes sur des
secrets que la Nature discrète cachera toujours
dans son sein. Le voile de la concepuon des
êtres organisés , pour jamais impénétrable, ne
pourra tout au plus être que demi-transparent
aux yeux percans du zélé contémplateur. Cepen-
dant glorieux du titre d'homme, de maître de
la création soumise à mon espèce, je dois porter
partout des regards avides; mais les baisser
respectueusementsur les points que ne peut fixer
ma foible raison; reconnoître alors la supré-
mate incontestable du grand Ouvrier de la
Nature, qui a limité mes moyens moraux et
physiques ; leur a assigné un cercle circonserit,
D'UN NATURALISTE. #9
et a ordonné au livre des secrets de la Nature,
de se fermer à mon approche.
Il est malheureux , pour intérêt del’ouvrage,
que des circonstances impérieuses , des inimiués
mal fondées , m’aient empêché de mettre à exé-
cutuion le projet que j’avois de suivre jour par
jour , les progrès de lincubauon, et d’en des-
siner graduellement les planches. J’étois bien
disposé à observer dans une infinité de nichées
que je connoissois, mais qu'on eut la méchan-
ceté de me découvrir pour en casser les œufs , et
ne me laisser à chaque visite que le regret d'y
avoir pensé. Je ne puis donc exposer ici que les
parues les plus évidentes du succès de l’incuba-
uon , ainsi qu’on peut en juger par les figures
de la planche V.
Voici l'exposé de quelques observations vic-
torieuses des mauvais tours qu’on a voulu me
jouer. La mère, soit qu’elle exprime irop véhé-
ment sa Joie , soit que lourde dans ses manières,
elle ne puisse en mitiger la brutalité, écrase
toujours plusieurs peuts en les déterrant pour
leur donner la lumière ; elle paroît même insen-
sible à la perte qu’elle vient de faire, d'une
manière plus remarquable que si les pets
eussent seulement vécu un jour; alors elle sy
attache. |
Elle répond à leurs prenuers aboiïemens par
6o VOYAGES
une vibration isochrone, rauque ou tremblante,
qui glace d’effroi les auditeurs de l’engeance
raisonnable.
Le peut, dont les yeux sont énormément
saillans, ést, dans l’œuf, roulé sur lui-même.
(Planche V, fig. ur.) La coque crétacée cède
aux batiemens réntérés de son boutoir : elle est
seche et cassante , garnie, intérieurement d’une
tunique ou pellicule assez épaisse , que le peut a
d’abord percé de ses dents aiguës, avant sa
naissance. ‘
Je parle, au Chapitre dixième , de sa férocité
innée; et j'ai eu moi-même occasion de réitérer
plusieurs fois l’expérience, en ayant conservé
huit dans une baignoire pendant quinze jours,
lesquelsrefusèrentconstammenttoutenourriture,
tant que le sac alimentaire ne füt pas dépensé.
Ce sac alimentaire (planche V.) est une partie
du jaune de l'œuf, entourée d’une membrane
qui va se rendre, par un conduit vasculaire
comparable au cordon ombilical d’un jeune
enfant, aux vaisseaux chyliferes de la courbure
dc l'estomac, à mesure qu’il est élaboré par la
digestion. Le peut repule né, ce sac rentre en la
région hypogasirique , au dessous et devant ies
intesuns grèles. Alors la suture ombilicale
(planche V.) se fait longitudinalement au bout
de quelques jours : elle a quatre lignes de
D'UN NATURALISTE. 16
longueur. J’ai conservé dans du tafia un de ces
petits nouveaux nés, dix minutes sans mourir ,
et sans même qu'il ait donné le moindre signe
de souffrance,
Ce sac alimentaire servant d’abord d’intestin
au reptle qui wa pas besoin, dans l’œuf, de
déjections alvines, mais seulement d’une matière
nutritive , est recouvert de vaisseaux sanguins
ayant leurs troncs abouchés aux veines mésenté-
riques. Il est très-volumineux, comme on le
voit d’après nature , comparativement à la
grosseur de lPamimal qui n’avoit qu'un jour
de vie , étant éclos le matun devant moi. C’est
un crible d’où partent autant de ramifications
pour entretenir petit à petit les vaisseaux chyli-
fères. C’est donc aussi, si je puis le dire, un
secondestomacélaborantcette matière précieuse,
et en faisant passer les sucs où besoin est par
ses canaux appropriés. Le véritable estomac ne
contenoit aucun aliment en digestion , et les
intestins étoient vides.
G2 VOYAGES
BR ee LV OR ne
CHAPITRE DIXIÈME.
De ses mœurs’, des ruses qu’il emploie, et de
la finesse de son odorat.
Lu famille Rossignol - Desdunes est renommée
à PArubonite par sa constante assiduité à purger
la terre, depuis plus de trente ans, de ces
monstres qui, à Fexemple de l’hydre de Lerne,
reparoissent toujours, mais en quantité bien
inférieure à celle de cette époque reculée.
Qu'on juge donc de la férocité naturelle et
innéedu caïman , par ce seul trait caractéristique.
Un jour, M. Desdunes père, crut découvrir une
uichée à une monticule de terre récemment
remuée et piettée; 1l ne se trompoit pas. Il fit
fouiller , etse disposant à éteindre cette postérité
vorace, il écrasa un œuf. L’incubation étoit
finie ; car le petit animal , en se déroulant, donna
des preuves de sa méchanceté en lui tra-
versant de ses dents aiguës la semelle de son
soulier.
Maintenant qu’il me soit permis de raconter un
trait de la gloutonnerie impitoyable des adultes.
La famille citée, recommandable par son huma-
nité , ne négligeoit rien pour parvenir à ses fins.
D'UN NATURALISTE, 63
Chaquejour plusieurs canots, bien approvisionnés
de muniuons de bouche et de chasse, voloient
à la poursuite des amphibies. 1] se üroit quel-
quefois neuf cents balles par jour dans les parties
projetées où se trouvoient le plus souvent ses
huit fils. Un caïman de douze pieds fut harponné,
et traîné à terre où 1l fut assommé. On l’ouvrit:
quel fut l’étonnement de trouver dans son corps
un pareil animal, de moyenne grosseur, à moitié
digéré, et un chien qu’il venoit d’enlever ! Ce
qui prouve bien l’élasticité de son gosier, qu’au
premier abord on juge trop étroit pour l’intro-
duction de pareilles bouchées volumineuses. 11
est à remarquer que le caïman ne se nourrit
de ses semblables que lorsqu'il les rencontre
sans vie.
Quoiqu'il ne soit guères prudent de chasser
seul le caïman , cependant il est bon de recom-
mander à celui dont on ne peut réprimer la
passion, d’user de beaucoup de prudence, et de
ne point regarder pour pusillanimité, ce qui
n'est que sagesse et prévoyance. M. Desdunes le
plus jeune se promenoit sur une berge de l’Ester ;
il aperçoit un gros caïman, il est plutôt rendu
que le noir qui laccompagnoït. Il avoit eu
limprudence d’amarrer le bout de la corde
autour de son bras ; l’animal prêt à couler , il ne
voulut pas laisser échapper un si gros but, sans
64 VOYAGES
y fixer le trait que devoit diriger son adresse : il
Jance, l'animal est atteint , et rougit de son sang
l'onde agrée par ses mouvemens, et bouillon-
rante par son souffle. Le caïman fuit, 1l s’éloigne;
la corde a déjà filé que le jeune homme, content
de sa victoire, n’a point encore apercu les pas
qu’il faisoit vers la mort. Il reconnoît trop tard
sa faute, et marche déja involontairement dans
l’eau , entraîné par l’'amphibie furieux , lorsque
son noir se jette à la nage, le devance, et coupe
Ja corde. Il est sauvé; 1l frémit, en pensant à une
représaille plus horrible de la part de l’agressé,
qui l’entraînoit sous Veau dans le repaire
tortueux où , s’il n’est point trop aflamé, 1l met
pourrir toutes ses victimes avant de les manger.
Une des ruses qu’il emploie est de ne point
remuer, jusqu'a ce que sakproie lui soit assurée;
le fait suivant en est une preuve. M. Lachicote-
Desdunes, allant ramasser du gibier qu’il venoit
de tuer sur l’eau peu profonde d’un lagon, se
trouva enfourcher un caïman de dix pieds et
demi de longueur, qui subitement parut sur
l’eau avec des intentions perfides, laissant aper-
cevoir les deux dents blanches qui Jui percent la
mâchoire supérieure. Notre chasseur , dont le
courage magnanime est pourtant à cs
puisqu'il passe quelquefois la prudence, fut in-
tümidé, et ne voulut faire aucun mouvement;
car
D'UN NATURALISTE. 65
car il y alloit de sa vie. Il fit signe à son domes-
tique de l’approcher, lui fait tenir horizontale
ment la crosse de son fusil, dans lequel il mit
deux balles, sans changer de position. Pendant
ce tems, le caïman, agitantlégérement sa queue,
à l’exemple du poisson qui surnage, lur frottoit
les cuisses ; puis, pointant à bout touchant son
canon près de l'œil de l’animal, M. Desdunes-
Lachicotte lui fit sauter la cerveile , et s’en déhvra
par ce moyen, le seul que la prudence püt lui
suggérer en cet état critique.
M. Desdunes père, étoit si adroit, qu'un jour
ilsauva de cette manière la vie à son domestique.
Ce dernier, très-imprudent, se jeta à l’eau,
à la vue d’une tortue qu’il vouloit prendre. 1l
nageoit, malgré les sages remontrances de son
maître , qui apercut derrière lui un-caïman
affamé, ouvrant déjà la ‘gueule pour le dévorer.
Sans dire mot, il envoya une balle au caïman,
qu’il tua roide. Le domestique finit malheureu-
sement , à ce qu'on a lieu de conjecturer. Très-
friand de tortues (1), 1l alloit les chercher jusque
(1) Par un instinct fort singulier, lorsque ces tortues
ont suffisamment pris de nourriture , sans avoir été
tnquiétées par le caiman, qu'elles reconnoissent pour
ennemi, elles vont affronter sa présence, et se cacher
dans son trou, où le caïman ne peut leur faire aucun,
mal, parce qu'il n€ peut manger dans l'eau. Elles sy
Loue HI. E
66 VOYAGES
dans les repaires des caïmans, où on en trouve
quelquefois en abondance. Ses vêtemens et son
chapeau , qu’on trouva sur terre, au dessus d’un
de ces trous, font croire qu’y ayant rencontré
l'animal, il a eu à souténir un combat dans
lequel il a succombé. Jamais on n’a entendu
parler de lu depuis cette époque.
Dans la chasse au harpon, il arrive ‘le plus
souvent que lanimal n’est que blessé ; alors 1l
faut de grandes précautions pour l'emmuseler.
Voici la manière qui nous a le mieux réussi.
On profite du moment de sa tranquillité, et de
l’étonnement que lui cause la vue d’êtres supé-
rieurs à lui, en ruses et en adresse, pour lui
jeter en travers, sur le cou , un pieu qu’à l'instant
deux hommes saisissent à chaque bout, en Pap-
puyant vers la terre. L'animal veut bondir, mais
on arrêle ses mouvemens en usant du même
moyen, par rapport à la queue. Il est si honteux
de se voir vaincu, qu'il ne s’agite plus. Alors on
lui lance à la tête un nœud coulant, lequel, se
tiennent en repos, la tête retirée, jusqu'à ce que le
monstre sorte pour faire sa tournée. Elles épient alors
ses mouvemens et la direction de son excursion, . pour
bientôt après sortir et nager vers l'endroit opposé, afin
de gagner la terre; mais elles ont à craindre d’autres
caimans souvent en maraude.
D'UN NATURALISTE. 67
fermant, ne peut pas glisser du museau, qui
est spatuleux à sa partie antérieure, ainsi qu’on
Va vu dans les planches de physiologie.
I ne faut pas se distraire sur les dangers
qu'offre le voisinage d’un semblable animal;
car quelquefois, au moment inattendu, il donne
une secousse qui jette les hommes. à terre.
Cependant la Nature | toujours prévoyante ,
a restreint , Jusqu'à un certain point, la
voracité de lamplibie. Ainsi 1l ne poursuit
l’homme que quand il est pressé par la faim,
ou lors de la ponte ; il se cache. même à sa vue,
lorsqu'il a assez trouvé de scarabées, de poissons,
et d’autres choses propres à rassasier son appéut.
J'ai trouvé, dans l'estomac des petits caïmans, des
chevrettes déjà rougies par la chaleur concentrée
dans ce viscère, pour le travail de la digestion.
C'est un spectacle horrible que de voir le
caïman au nulieu d’un feu acüf. Il réunit, dans
celte conjecture, tout son courage, et menace
avec fureur les assistans ; en se roulant et
repliant avec des contorsions affreuses , il
découvre aussitôt son sexe : c’est alors qu’il
est prêt à succomber à la douleur effroyable
qu'il ressent.
Lorsqu'un gros caïman surprend une tortue,
1l.s’en saisit, et levant tout à fait sa tête hors de
l'eau, il broie l’écaille en deux ou trois coups
E 9
68 VOYAGES
de dents , ainsi que nous l’avons entendu plusieurs
fois.
C’est en vain qu’on a tenté jusqu'ici de familia-
riser le caiman ; d’ailleurs cet animal, offrant
aucun but d’utuihité dans sa conservation , c’est
s’exposer que de faire de semblables essais. Un
parüculier du Port-au-Prince a gardé un de ces
‘ammaux plusieurs années, dans un bassin qu’il
avoit fait construire pour le succés de cette expé-
rience. Ille fit prendre bien au dessous de six
mois, et fut obligé d’y renoncer, ne voyant point le
caractère féroce de l'animal, disposé à s’adoucir.
Le période de la taille des caïmans paroît
être à Saint-Domingue de seize pieds et demi,
ainsi que l’a observé la famille Rossignol-Des-
dunes, qui en a fait une chasse journalière et
constante pendant une trentaine d’années : le
plus gros qu'ils aient vu et qu'ils ont pris,
avoit cétte taille. Privé de toutes ses dents, les
alvéoles fermées par des cicatrices osseuses, l’œil
morne , les écailles presqu'usées, annoncoient
une parfaite caducité. Joignez à ces symptômes
de caducité le peu d’agilité dans les mouvemens;
il ne se nourrissoit plus que de poissons, ou
d’autres petits animaux s’engouflrant dans sa
large gueule, croyant s’y mettre à l’abri. Aussi
lavoitil toujours ouverte, ne la fermant que
lorsqu'il vouloit dégorger l'air retenu dans ses
D'UN NATURALISTE 69
poumons, en l’expirant par le cartilage nasal.
Il étoit très-maigre, en raison de sa taille. C’est
ce caïman qui, tenu vivant à l’éperlin, ennuyé
dans sa prison, se replia sur lui-même, croyant
travailler à sa liberté, en sorte que , sans se
dérouler , 1l atteignit à la hauteur de douze
pieds la solive où étoit attaché le bout de la
corde ;. ce qui prouve encore une parfaite
tension: de muscles. °
Des amis du merveilleux ont cru aperce-
voir des arbustes implantés sur le dos de vieux
caïmans, à la faveur de l’impercepubilité de leurs
mouvemens ; mais, avec plus d'attention, ils
n’ont apercu que des conferves ou d’auires
plantes aquatiques que ces animaux accro-
chent en passant près des rives, et qui restent
sur leur corps quelques heures, ou moins,
retenues aux apophysés, jusqu’à cequ’une flaque
d’eau les en détache.
Une femelle surprise près de ses œufs, s’élanca
sur M. Desdunes père, et lui déchira sa veste,
Non contente de cette première vengeance, elle
se redressa un peu, voulant l’attaquer au visage ;
mais 1l ne rapporta à la case que la marque des
deux pieds de l’animal, déjà montés lun sur la
cuisse, et l’autre sur la poitrine. C’est près d’as-
souvir sa cruauté sur ce bon père de famille, que
cette femelle eut peur de deux chasseurs qui
3
70 PA VONACGES
vinrent à Ja défense de leur ami bien en
danger. Cet événement fut raconté, et le chas-
seur intrépide de la maison voulut seul laller
attaquer : 1l parut donc ,; sans mot dire;
rendu au lieu indiqué, il apercut un <en-
üer très-étroit en apparence, parce que les
herbes s’étoient rapprochées. Ne pensant déja
plus au caïman, 1l crut devoir l'atribuer au
passage de gingeons qui fréquentoient ces
endroits solitaires. Il s’avance au milieu de ces
laïches très-fourrées; mais, à peine a-t-1l fait
quatre pas, que Île caïman en embuscade
s’élance sur sa cuisse, et le met sur-le-champ
hors d'état de défense par la douleur excessive
que lui cause la morsure : l'animal déchire cette
cuisse en la secouant rudement; bientôt al la
quitte pour prendre le bras qui ne pouvoit se
lever pour l’immoler. Déjà en reculant , 1l cher-
choit à se frayer un chemin dans les laïches pour
y entrainer sa proie ! Le malheureux, frénnssant
de l'horrible avenir que lui présageoient ces
précautions sanguinaires , profita de ce que les
toufes étoientmèêlées, pour feindre un mouvement
de fuite; l'animal ouvrit sa gueule, et lächa prise
pour mieux reprendre sa victime; mais l’homme
fut assez prompt pour lui présenter la crosse de
son fusil qu'heureusement le monstre serra
fortement sans vouloir la quitter. Le chasseur
trop heureux de ceite méprise avantageuse, en
D'UN NATURALISTE, 1
profita pour hâter sa fuite, et se dérober aux
regards de son redoutable ennemi. I arriva à la
case, meurtri, confus, et tout sanglant, dans un
si mauvais état enfin, qu’il fût mort de ses bles-
sures , sans les soins particuliers et généreux de
M. Desdunes pére, son compatissant bienfaiteur.
On étoit à diner; mais tous les convives quit-
tèrent la table pour marcher sur l’animal féroce,
dont la destrucuon étoit d'autant plus désirable,
qu'à sa première attaque quelqu'un pouvoit
succomber : on ne revint pas sans sa tête.
Comme le coq oublie son inimitié pour son
rival , lorsqu'il s’agit de défendre son espèce de
la poursuite des pintades, de même le caïman se
dévoue pour ses semblables, C’est ainsi que nous
promenant sur les rives de l’Ester , nous ren-
contrâmes un jeune caïman que nous fimes
crier ; aussitôt nous en vimes de tous les points
fendre l’onde en silence, et, avec la vitesse d’un
trait, venir en troupe au cri de leur pareil, Ils
tentèrent même de monter vers nous ; mais la
hauteur des digues en talus les en empêéchèrent,
Un, plus gros que les autres , parut en redou-
blant d’eflorts : on lui lanca le harpon, qui
à plusieurs reprises rebroussa sur son dos,
parce que, par la posiuon, on étoit obligé de lui
jeter à pic. La voie oblique est la plus sûre.
Si le caïman succombe quelquefois aux inva-
£ 4
CT
792 MOTAGES
sions soudaines et imprévues du requin son
ennemi juré, ce n’est point qu'il Jui soit infé-
rieur en force, mais bieñ parce qu’il ne peut
mordre. dans l’eau, sans courir risque de se
noyer. Aussi le vivipare a-tl tout l’avantage sur
lui dans cet élément, tandis qu’à terre ül
craindroit de l’attaquer. C’ést dans l’Artibonite
qu'on voit se livrer ces affreux combats dans
lesquels le requin a tout l’avantage : aussi ne
durent-ils que quelques momens, car le caïman,
peu endurant et vindicauf, douloureusement
tourmenté par les blessures de l’assaillant, veut
ouvrir la gueule; et détachant de son palais Ja
soupape cartilagineuse qui y happe, donne, par
ce mouvement, accès à un courant d'eau qui
le noye bientôt.
LADA T
Post-Scriptum. Ayant eu, depuis la fin de ces
mémoirés , l'occasion de lire le voyage de Williams
Bariram dans les parties du sud de l'Amérique septen-
trionale, et m'étant convaincu, par ma propre expé-
rience , des erreurs dont la plupart des articles de
Williams Bartram, concernant le crocodile ,. sont
aitérés, je crois, par intérêt pour la science, devoir
réluter des ässertions qu'il seroit dangereux de laisser
propager. Je ne prétends point être le critique détrac-
teur de Williams Bartram , mais je dois les observations
que me dictent la justice et l'impartialité.
D'UN NATURALISTE »3
Williams Bartram dit d'un crocodile qui nageoit :
« L'eau sortoit à flots de sa gueule entr’ouverte, et ses
» larges narines l'exhaloient en vapeurs ». On a vu,
par les détails anatomiques qui précèdent, que la
conformation des organes du reptile soppose à ces
prétendus effets. Plus bas : « De nombreux crocodiles
» hurlèrent pour applaudir au vainqueur ». Le croco-
dile est silencieux, taciturne et peu démonstratif.
« De nombreux crocodiles m'investirent, et firent
» tout pour renverser ma barque». Ceci n'arrive jamais,
et les crocodiles au contraire, moins hardis dans l’eau
que sur terre, où le danger provoque leur férocité,
évitent les canots, ou s'ils les environnent, c’est pour
plonger et reparoître alternativement. au dessus de
l'eau, dans l'espoir qu'on leur jetera quelque proie.
« Îls rugissoient d'une manière horrible en se re-
» dressant vers moi, et vomissoient sur moi des
» torrens d'eau ». Celte assertion paroït d'autant plus
invraisemblable que j'ai prouvé anatomiquement que
le crocodile navale d’eau que ce qui est nécessaire
à sa subsistance.
«Ayant quitté mon canot chargé de poissons, à mon
» retour je vis un crocodile d'environ douze pieds, les
» pattes appuyées sur le bord , et prêt à s'emparer de
» ma pêche. Uiïe autre fois, étant occupé à écailler
» du poisson sur un rivage , un très-gros crocodile vint
» à moi, et d’un coup de queue balaya dans l'eau une
» partie de ce poisson, et ilm’auroit entrainé moi
» même si je n'eusse fui».
Bartram dit encore : « Je vis en un endroit tant de
» crocodiles, qu'il n'eüt pas été impossible de traverser
» larivière en marchant sur leurs têtes. Enfin, ces ani
2 maux ayant surpris un banc de poissons , ils en Great
4 VOYAGES"
» un si grand carnage que des torrens de sang et d’eau
» sortoient de leur gueule, et que leurs narines sem
» bloient vomir des torrens de fumée! !!!»
II paroïit aussi que le même auteur a examiné
avec des yeux multiplians et microscopiques les
nids des crocodiles, puisqu'il lescompare à des monti-
cules de quatre pieds de hauteur, et prétend qu'ils
contiennent chacun de cent à deux cents œufs. La pro-
gression par couvée en seroit rapide, et la multipli-
cation désolante !
S+
T1 dit dans un autre endroit, avoir rencontré un cro-
codile mäle ou femelle, conduisant sa progéniture, au
nombre decentenviron; mais j'ai, je crois, suffisamment
prouvé, par des expériences multipliées, que les ovaires
ne peuvent contenir que vingt-huit œufs , pour que le
lecteur puisse croire plus long-tems à cette assertion
exagérée,
Il dit encore : « Leurs rugissemens ébranlent l'air
» et l'eau, et font trembler la terre. Lorsque les cro-
» codiles rugissent par cent, et mille à la fois, on
» seroit tenté de croire que quelque secousse violente
» agite le Globe, et l'ébranle jusque dans ses fon-
» demens!!!!»
C'est trop s'éloigner de la vérité pour ne pas relever
de semblables erreurs. Ainsi des voydgeurs exagérés et
peu véridiques dans leurs narrations , détruisent la con-
fiance du public qui , je le sens, doit être tardive à se
prononcer,
D'UN NATURALISTE 5
DR RS VOL ns
CHAPITRE ONZIÈME.
De la chasse qu’on fait au Caïman dans les
lagons et au bord dë l'eau ; de la manière
de découvrir les nichées au frai de la
Jemelle, et du danger éminent de celte
chasse.
OO: appelle à Saint-Domingue, lagons, ce
qu'on devroit appeler lagunes. Ce sont de peuts
lacs ou flaques d’eau dans des lieux marécageux,
qui ne sont entretenus que dans le items des
pluies , fertilisant ce sol et le recouvrant de
laiches fourrées. C’est alors qu'on y rencontre
du gibieren abondance : aussi les caïmans ontils
soin de les fréquenter, et de fixer leurs repaires
dans ces toufles si entrelacées , qu’on ne peut
guères s’y faire un chemin qu’en y mettant le
feu. Ces lacs bientôt évaporés par les rayons de
l'astre du jour, perdant ensuite leur humidité
par la sécheresse de la nouvelle saison, ne
forment plus que des bourbiers que les
caïmans n’abandonnent pourtant point encore,
toujours dans l'espérance d'y trouver leur
pâture. Le lagon Æarchein qui se trouve après
le pont de l’'Ester , sur le chemin des Gonaives,
fat le rendez-vous indiqué pour tenter Patiaque
d’un monstre qu'on y avoit apercu,
6 VOYAGES
L'eau avoit totalement disparu : il falloit
donc se résoudre à mesurer son courage et sa
promputude avec la vélocité des caïmans, au
milieu de cette vase épaisse et infecte, tantôt
venant battre à la cuisse, tantôt à la ceinture. Il
falloit s’étourdir sur les dangers éminens qu’on
avoità craindre, en rencontrant sous les pieds un
de ces animaux affamés. La passion de la chasse
anime et rend courageux ; nous nous mimes en
marche.
Quatre sondeurs munis d’épieux d’une main,
et d’un coutelas de l’autre , étoient spécialement
chargés de nous faire connoître si le chemin
étoit libre. Venoient ensuite très-près des pre-
miers, les deux harponneurs, sur la même ligne
que M. Desdunes-Lachicotie et moi, armés
chacun d’un bon fusil à deux coups. Nous défi-
lions donc en bataille, et dans le plus grand
silence, afin de nous assurer de la victoire du
monstre qui, en raison de sa grosseur, étoit au
dessus de la vase, et ne pouvoit couler.
Sur ces entrefaites, 1l s’en lève un de huit
pieds, à qui la faim fournit de l’audace jusqu’à
venir, en grondant et la gueule ouverte, droit sur
notre bataillon, On le laisse approcher à dix pas.
M. Desdunes, dont la dextérité est surprenante
pour tout ce qui regarde les exercices du corps,
lui décoche une balle qui va le frapper à Fœil,
D'UN NATURALISTE. 57
et le culbute. Les deux harpons sont aussitôt
lancés pour le urer dehors, auprès du boucan.
Au bruit de larme à feu, le monstre fu-
rieux nous fait face, et s’avance en ouvrant sa
gueule effroyable : il grondoit, de manière
à intimider. Sa contenance étoit alüère, et
pourtant 1l devoit être vaincu. Il s’élance une
première fois, dans l’impatience de nous joindre,
mais :l étoit encore trop éloigné. N'ayant point
de tems à perdre, j'engageai, pour plus desûreté,
M. Lachicotte à lui lancer lui-même le premier
harpon. Il l’atteignit : c’est alors que la vase,
bouillonnant par les secousses de l'animal plein
de rage, nous couvrit tous de cette boue puanie.
Ne voulant point le türer avec le fusil, afin
de conserver sa tête entière, on lui jeta le
second harpon. Percé de cette mamiëre, six
hommes le traînèrent à terre, avec bien de la
peine. On alluma du feu autour de lui, pour le
mettre en fureur : 1l rugissoit d’une manière
effroyable, et rompoit l'air de ses sifflemens.
Comme un tyran de cette taille et de cetie vo-
racité étoit à craindre, je lui traversai le cœur
d’une balle ; des flots de sang sortirent par
l'ouverture.
Le monstre, privé d’alimens depuis long-tems,
étoitextrêmement maigre. Sa taille étoit de douze
pieds huit pouces, et ouverture antérieure desa
78 VOYAGES
mâchoire effrayante, ainsi qu’on peut le voir par
la figure de la planche V, où sa tête est de
grosseur naturelle. Son cou y est dans la position
longitudinale, un peu rétréci1 par la tension des
muscles fléchisseurs de la tête, vue aux trois-
quarts et en raccourci, afin de laisser remarquer
Ja glotte et la forme des deux soupapes un peu
écariées; Ce qui donne jour à l’ouverture de
l’œsophage et du canal aérien. La tête est re-
marquable par les bosses osseuses qui la sur-
montent, Ces festons supérieurs répondent aux
inférieurs de la même parue. La tête, à l’ouver-
ture de l’angle de la mâchoire inférieure, a
vingt-sept pouces, de largeur quinze pouces.
Il est trèspeu de dents dans leur position
convenable, parce que.la plupart ont été régé-
nérées à la suite de combats, dans lesquels lani-
mal en brise plusieurs à la fois : beaucoup aussi
ne sont pas parvenués à leur grosseur. Il est
impossible de trouver à cet âge des râtcliers
parfaitement complets.
- Ce sujet étoit mâle, ainsi que je l'ai reconnu
d'abord par son collet plus garni, et sa tête
arrondie dans ses formes. En préparant sa peau,
j'ai eu occasion de remarquer qu'il étoitborgne,
par la blessure d’une balle que j'y retrouvai dans
Porbitaire , laquelle avoit entièrement changé
de forme.
D'UN NATURALISTE. 79
Dans la dernière chasse que je fis le 12 août
1800, je promis bien de ne plus commettre à
l'avenir de semblable imprudence; ayant eu trois
fois face à face un caïman, ne pouvant me
débarrasser de la boue, et ne devant mon
salut qu’à ceux qui n’entouroient. Il est vrai
que , prudent d’abord , je restai seul quelques
momens dans le canot, laissant M. Lachicotte
suivre le torrent de sa passion fougueuse pour
cette chasse ; mais je n’y pus plus ter, lorsque
j'entendis de suite deux coups de fusil, des cris
de joie et de frayeur.
Un de nos noirs, voyant mon impatience,
offrit de me porter sur ses épaules ; mais il ne le
put, à cause de la profondeur et de la ténacité de
la vase : je m’y jetai, et le cœur agité, je me häta
de rejoindre mon compagnon. Le chemin ne se-
condoit guëères mon désir, puisqu’à tout moment
jenfoncois dans un trou plus ou moins pro-
fond, si bien que le noir , affligé des peines que
j'avois à me débarrasser à chaque pas, marchant
devant moi, sapoit, à coups de manchette , des
gerbes de laîches, pour me servir de traîneau.
Dès qu'on n'apercut, on me fit signe qu’on
alloit m’attendre pour tirer un caïman.
Dans un cul-de-sac presqu’impraucable à
l'homme , par l’enlacement des mangles, Île
monstre, le museau seulement hors de l’eau,
ëo VOYAGES
grondoit à l'aspect des chasseurs ; enterré sous
les joncs, je m'y fis un passage, et approchai
assez prés du repüle, pour l’écraser dans la boue.
Je ne pus le ürer à la tête, parce qu’il plongea ;
mais son dos s’élevant un peu, en dépassant le
niveau, je lui frappai ma balle entre les deux
épaules, et lui fracassai quatre vertébres; le
même coup lui rompit la moëlle spinale, et
perca le cœur : 1l resta sans mouvement.
En retournant au boucan, 1l s’en leva deux
au milieu de nous, dans les endroits mêmes
où nous avions passé. Nous les primes vivans,
en les entourant d’une seine. Qu’on juge, d’après
ces faits, du danger de chercher des nichées
dans une vase où souvent il se lève des caïmans
au moment où l’on s’y attend le moins; en ce
jour même, un de nos hommes fut mordu.
CHAPITRE
D'UN NATURALISTE. 8r
NES SLT SSL SACS
CHAPITRE DOUZIÈME.
De la Chasse en canot.
D. par la nature brülante du climat à
chercher l’ombrage et la fraîcheur, on trouve,
dans la chasse en canot, la plus récréauve
et la moins fatigante, à secouer ce sommeil
assoupissant, à apaiser ce feu ardent qui
dessèche le corps, à rendre la souplesse à ses
mouvemens pénibles et paresseux , à respirer
Jair pur et délassant qu’entretient la frai-
cheur de l’onde, protégée elle-même par les
cintres fourrés d’une verdure commune aux
rives de l'Ester : aussi conseillaije de préfé-
rence, à tous égards, les promenades sur cette
plage solitaire, et presque toujours soustraite,
dans ses sinuosités tortueuses, à l’influence
torride de l’astre du jour; car, outre le couron-
nement enlacé des arbres de toute espèce qui
bordent cette rivière agréable, outre les parfams
suaves et odorans du citronnier , de l’oranger
et de l’acacia , le parterre est émaillé lui-même
d’une verdure toujours nouvelle que le jaune vif
du câprier, ou le coloris brillant de la grenadille
relève avec élégance,
Towe I. | F
82 VOYAGES
Les bords de l’Artibonite au contraire, n’of-
frent à l'œil de l’admirateur, que des crevasses
hideuses et desséchées où la végétation regret-
teroit de s'établir; un terrain sec où on ne voit
cà et là que des arbres souvent languissans,
ou dont la verdure éuolée rappelle lécou-
lement passé et trop rapide de cette eau tour-,
billonnante, à qui le soleil actif ôte toute espèce
de fraîcheur; mais elle est très-poissonneuse ,
ferulise les terres dans ses débordemens, et est
excellente à boire lorsque le mon qui la trouble,
s’est précipité par le repos : voilà son uülité.
Les courses surl’Artibonite sont d’ailleurs plus
pénibles , par la rapidité de son lit qui met sans
cesse le canot en mouvement, et dérange la
justesse du coup d'œil; moins sûres par l’agita-
uon conunueile des caïmans qui ne peuvent y
rester en repos, moins agréables enfin par la
vase qui, toujours en action avec son eau, en
trouble entièrement la transparence, et fait
souvent confondre les caïmans, qui y sont
en beaucoup plus petite quantité, avec des
vieux troncs d'arbres que cette rivière charrie
continuellement.
L'Ester au contraire, engageant par sa frai-
cheur et son agrément à déterminer une marche
lente ou vive, selon le besoin , offre une glace
tranquille où sont réfléchies ces pommes dorées
D'UN NATURALISTE. 83
si délicieuses pour étancher la soif, où au moins
pour Ja satisfaire. La pureté de sa transparence
“cristalline permet à l’œ1l d'observer, d'étudier ,
dans leur état de vigueur, les plantes aquatiques
dont son fond est parsemé, et qui y sont bercées
mollement par l'écoulement insensible de ceue
rivière à peine frémissante. Aussi y surprend-on
souvent les caïmans endormis, s’en approche-
t-on facilement, sans eMort et sans bruit;
les voit-on filer entre deux eaux, lorsqu'ils
veulent se soustraire aux poursuites , et tromper
l'œil du chasseur en allant reparoître plus loin
à un point inattendu. Au moins, le chasseur
adroit voit-il, par le sang, les traces de sa vic-
toire sur le caïman, qui souvent fuit encore une
mort prochaine et inévitable. L’onde claire,
rougie par le sang de l'animal, fournit au chas-
seur la preuve éclatante de son adresse et de sa
précision; mais la teinte colorée disparoît bientôt
pour se confondre à l'élément, une des causes de
sa perte et de son effusion.
Il est certain tems de la journée où le reptile
amphibie, désirant la chaleur , profite de quel-
qu’échappée du soleil, au travers d’un branchage
légérement feuillé, pour en laisser réverbérer les
rayons sur son corps froid et endurci. C’est alors
que lent à quitter cet endroit propice, le caïman
s’y laisse surprendre; on arrive face à face, de
F 2
84 VOYAGES
‘manière à ne point le manquer, soit au harpon,
soit au fusil. : k dit
Une autre fois, jouissant d’un morne silence
sous les voûtes sombres abandonnées des habi-
tans de l'air, il attend près de son repaire le
passage de quelque proie pour s'en saisir, et
augmenter avec, la provision de son garde-
manger ,Où il met pourrirses victimes avant d’en
goûter. Le chasseur, à lapercu de semblables
réduits, doit s’y engager prudemment et en si-
lence. Glacé d’effroi, à l’aspect d'un séjour téné-
breux et si consternant, on frémit à la moindre
convulsion de l'animal, se jouant lourdement
sur l’eau qu'il frappe de sa queue, par léton-
nement qu’il éprouve au moindre bruit, et inter-
rompent ainsi le repos de cette nature sauvage.
Le caïman fuit, plonge, disparoît, etélève bientôt
son mufle au dessus de l’eau pour remplir ses
poumons ; c’est aussitôt qu'il faut le rejoindre et
lui lancer le harpon. S'il est atteint dangereuse-
ment, 1l s’agite, 1l gronde, bat l’eau de sa
queue , plonge, replonge , et fuit autant que le
cordeau du harpon peut s'étendre : il faut le
suivre , où bien on le perdroit; mais marchant
sur ses traces , ne Jlächant point le cordeau, la
douleur ou la rage Hu Otant linsunct, 1l descend
toujours au leu de remonter, et s’avancant
ainsi vers la mort, 1l Ja trouve bientôt parmi ces
herbes où 1l immola tant de vicümes ; lui-même
D'UN NATURALISTE, 85
s’y noye, furieux d’être vaincu, et rend, par
sa mort, le repos aux êtres organisés du canton
dont il étoit le dévastateur. |
Souvent il arrive qu’on le tire au fusil ,etque,
plongeant pour la dernière fois, il va mourir au
fond de l’eau. On peut revenir au bout de vingt-
quatre heures en toute sûreté, et on le trouvera
au même endroit, flottant sur l’eau. Les plus
gros Caïmans, ainsi que je l'ai éprouvé, ne
restent qu'une heure ou au plus une heure et
demie sous l’eau sans se noyer. Avant de plon-
ger , ils emplissent leurs poumons. La sortie de
Vair, retardée par les cornets tendineux du
milieu de la fosse nasale, s'effectue insensible-
ment par les deux petits tuyaux ; ce qui fait
apercevoir à la surface, de tems à autre , quel-
ques bulles d'air s’élevant du fond.
Le caïman maître chez lui, est plus furieux au
sorur du trou, où àl se croit aidé et fort
par la retraite qu'il peut faire, qu’au milieu de
Peau, où, dès qu’il est fortement inquiété, il de-
vient timide, etcherche son salutdans la fuite (r).
(1) Avant de terminer l'histoire du crocodile de
Saint-Domingue, je dois parler d'un petit sputateur,
aussi aimable par ses gentillesses que le monstre
amphibie est grossier dans ses manières. Quoique
cette digression soit étrangère à cette monographie,
le lecteur me la pardonnera en faveur de l'objet dont
ie
86 VOYAGES
il s'agit. Je dois accorder un souvenir à l'ami paisible: x
au compagnon intéressant de ma solitude, au bon
zizi (tome 11, planc. XI), lézard sputateur qui inté-
ressoit tous mes momens, savoit délasser, par ses
moindres actions, l'application d'une étude trop long-
tems soutenue. Ce charmant animal sétoit tellement
familiarisé, que je le conservois près de moi, dans
un gros étui dont il avoit fait sa retraite, et d’où il s'é-
lançoit soudain au passage des mouches ou autres
insectes dont il faisoit sa nourriture. Quelquefois 1}
alloit se chauffer au soleil, puis revenoit auprèsde moi,
jouer sur mes dessins sans me causer la moindre impor-
tunité. Souvent, au son de mon violon, il sortoit de
son élui, et rampoit doucement, avec l'attitude con-
irainte de quelqu'un qui écoute, et craint de perdre
nn son. Le pauvre 222 fut un jour la victime de l'étour-
derie d’un enfant qui, en sautant sur mes genoux pour
m'embrasser, écrasa mon petit ami reposant sur
mon sein. Je l'en retirai trop tard, 1l rendoit les der-
niers soupirs en se reployant, et donnant des preuves
de ses rezrets de quitter la vie ; il se cramponna à ma
main qui le nournissoit, comme pour Jui donner Ja
dernière marque de sa reconnoissauce , et mourut dans
cette attitude.
D'UN -NATURALISTE. 87
LV VILLE D
CHAPITRE *TREIZIEME.
De la Chasse aux repaires.
. manière de chasser le caïman , la plus
intéressante et la plus curieuse pour ur ureur
adroit et intrépide, est sans contredit la plus
dangereuse. Face à face avec le monstre furieux,
si le coup d'arme ne fait que le blesser, à
Pinstant qu'il s’élance, 1l ne faut pas, comme on
le dit, se décider à le laisser fondre vers soi, pro-
fitant brusquement de ce moment pour faire une
feinte, et courir s'emparer de sa queue, où alors
on est hors de danger; mais bien, fuir si on n’a
pas de quoi lui faire résistance. Non seuiement il
n’est pas prudent de se fier à la queue du caïman,
mais c’est qu'avec 1l ramène la proie vers sa
gueule, qu'il dirige à l’instant de côté pour la
recevoir. Les mouvemens du caïman sont si sou
ples, que d’un moyen effort, son museau a atteint
le gros de sa queue, sans presque être replié. Les
narrateurs fabuleux attribuoient son impossi-
bilité de se retourner avec agilité, à la posiuon
de ses côtes qu'ils disoient être placées horizou-
talement. Les mouvemens de rage qu'si exécuic
88 VOYAGES
avec la tête ou la queue sont si véloces, qu’on ne
peut les suivre des yeux.
Voici de quelle manière nous avons procédé
a l'attaque d’une femelle en train de pondre.
Sortant de déposer, à l'ombre de bois inabor-
dables , une partie des œufs de sa couvée , elle
entendit du bruit , et se jeta à l’Ester avec lagi-
lié qui lui est ordinaire en cas de surprise. Nous
gueltämes ses mouvemens, et la vimes filer
entre deux eaux jusqu’à une certaine distance;
mas elle échappa à nos regards acufs dans des
berbes aquatiques dont l’Ester est recouverte,
qu’on appelle vulgairement salades ; c’est Le
pontéderia des botanistes. |
Un de nos surveillans vis à vis le contour
d’une gorge assez profonde , remarquant à ses
pieds de Peau récemment salie , preuve certaine
de la présence du caïman, nous appela : aussitôt,
de passer de l’autre bord , et de concerter s&r
les mesures à prendre pour la parfaite réussite
de notre attaque.
Deux noirs, habiles plongeurs, sont chargés
de barricader l'ouverture de la gorge avec des
pieux trés-serrés et amarrés de lianes phiantes ;
trois autres, de percer la voûte de l’antre, afin
de s’assurer de sa forme. Déjà la peine et l’im-
patience avoient passé le plaisir, les ouvriers
indolens demandoient relâche par la dureté du
D'UN NATURALISTE. &
tuf entre-mélé de racines, lorsqu'on entendit un
bruit sourd : tous furent ranimés. Le pionnier
armé de son lochet, M. Lachicotte et moi, de nos
fusils ; les uns de houes, d’autres de harpons ou
mäàchettes ;. chacun reprit son poste.
Le faîte bientôt s’écroula sous les coups redon-
blés des bécheurs revivifiés par l'espérance. On
décida de sonder. Ayant introduit une perche de
six pieds environ ,l’animal irrité deceuteagacerie,
frémit de tout son corps, fittrembler le tertre qui
nous portoit, poussa un rugissement épouvan-
table, et reuntle bois qui se broya bientôt sous ses
dents incisives. Une commune joie se fit ressentir :
pour aiguillonner davantage le reptule, on seservit
d’une gaule armée d’une pointe de fer très-aigue.
C'est alors que furieux et oubliant le danger
qu'il alloit courir, 1l se prépara à sortir pour se
venger de ses agresseurs. À peine apercus-je Île
gbout de son museau, que plein d’impatience, je
n’en pus attendre davantage, je làchai mon coup.
La balle lui traversa de part en part les parties
supérieure et inférieure de la mâchoire, d’où il
jaillit à Pinstant beaucoupde sang. Pleinderage et
grondantd’une manière effrayante ,illaissa sa tête
à découvert. Mon second coup fut détendu; mais
la pierre se brisant sur le bassinet ,ne putmeitre le
feu à l’amorce. Lecaïmansereuraensedébattänt.
Résolu de l’attendre en face, je me baissui,
#”
90 VOYAGES
prêt à lui faire bonne contenance, en cas d’une
nouvelle sortie. [l ne tarda pas à reparoître;
mon coup partit, la balle Iui cassa la mâchoire
inférieure gauche, et alla ressortir par une ver-
iébre cervicale. Son sang ruisseloits mais il ne
fut que plus irrité, il s’élance..…. M. Lachicotte,
qui m’avoit procuré cette chasse, üre; la balle,
entrant par l’œsophage , lui traverse les intesuns,
et va sortir derrière et dessous l’anns. Dangereu-
sement blessé, 1l se retire et garde un silence
menaçant. Le croyant mort dans son trou, on fit
descendre un homme pour le haler dehors. La vue
d’un être qu'il croyoit son ennemi, ranime ses
forces et sa colère ; il court rapidement surlui. Un
cri unanime est poussé..….….; mais une nouvelle
balle lui enlevant le crâne, le laisse sans mouve-
ment, et en délivre la victime innocente, sur
laquelle il alloit assouvir sa cruauté féroce (+).
Nous examinämes ses blessures; c’est alors
que nous vimes bien disunctement où les coups
avoient porté. La Nature faisant en lui un der-
nier effort, lui fit encore rappeler sa juste ven-
geance; et c’est pour l’exercer, qu'il se servit de
(1) Les lingots de fer ; proposés par M. Geoffroi
Saint-Hilaire, dans ses observations sur les habitudes
attribuées par Hérodote, aux crocodiles du Nil, seroient
d'autant plus avantageux pour la chasse aux caimans,
. que les balles de plomb s’aplatissent.
D'UN NATURALISTE, ot
sa queue, son arme la plus terrible, et la fonetta
avec encore assez de roideur contre un Curieux
qui heureusement l’esqniva, et se retira pru-
demment, remettant plus tard ses observations.
Le caïman ne peut la faire mouvoir que dans le
sens horizontal : c'est de cette maniére que,
nagcant doucement entre deux eaux, 1l s'ap-
proche lentement et sans agitation , du rivage où
il voit un animal se désaltérer ; touchantla terre,
il monte rapidement vers Jui, et d’un coup de
queue qu'il ramène vers sa tête, il lance à l’eau
la bête imprudente, si elle n’excède pas la gros-
seur de la chèvre, chien ou cochon ; mais, dans
le cas contraire, lorsqu'il surprend un bœuf ou
cheval, c’est par les narines qu'il l’entraîne à
l’eau, le noye, et le conduit dans son trou où 1l
le laisse pourrir , ainsi que me l’ont cerüfié d’in-
trépides plongeurs, qui ont eu trés-souvent l'occa-
sion de le remarquer , en cherchant des tortues.
L'animal étant trop mutülé pour le bien ob-
server anatomiquement , je le fis néanmoins
ouvrir pour diverses raisons. C’étoit une femelle
de huit pieds de longueur, du bout du musean
à celui de la queue. Je trouvai vingthuit œufs
parvenus à leur parfaite grosseur, quoique la
coque encore molle, dans deux canaux placés
de chaque côté sur les reins, et correspondans
en haut à l'ovaire, et au bas à l’orifice de Fovi-
*
92 VOYAGES
ductus. Les œufs, dans leur état parfait, avoient
trente-cinq lignes de longueur sur dix-neuf de
largeur : ils n’ont point de forme ovoïde, ce sont
deux lignes parallèles, simplement arrondies
aux deux extrémités. (7oy. pl. V.)
Voulant contenter les spectateurs, qui préten-
doient trouver l’époque de sa naissance au
gref de son estomac, contenant, dit-on , autant
de pierres que l'animal a d’années , je le fs ouvrir.
On en trouva vingt-cinq, parmi lesquelles 1l
s’en rencontra d’arénacées, et un grain de plomb
à canard qui avoit changé de forme. C’est appa-
remment la dégustation vorace de quelque gibier
mort, qui nous procura cette rencontre. Quant
aux picrres qui se trouvent dans l’estomac , elles
sont, je crois, destinées à triturer les alimens
peu digesufs, tels que le bois et autres corps
durs dont se nourrissent les caïmans, en disette
d’unenourriture plus succulente, et à entretenir,
en ce cas, la dilatation des intesuns, et non point
à marquer leur âge.
. C’est en cherchant à prouver à mes entêtés
cette vérité plausible et incontestable , qu’on vint
nous avertir de la présence d’un jeune caïiman
dans les halliers de l’autre bord de l’Esier. Comme
j'en désirois un de cette taille , afin de m’assurer ,
et de la conformité des âges et des sexes, je me
fs piroguer ; mais M. Lachicotte, qui nvavoit
D'UN NATURALISTE. 93
devancé, le joignit. Craignant, en raison de sa
peutesse, de le massacrer, et de le mettre, par la
mutilation , hors d'état de répondre à mes.vues,
1l le tira assez près des narines, pour que la co-
lonne d’air vivement rompue, refoulée etrentrée
en elle-même, le renversät comme asphyxié.
Il le saisit, et l’attacha avec une corde; peu aprés
le caïman reprit ses sens : cependant, quoique
sans blessures , 11 mourut au bout d’une heure,
M. Lachicotte témoignoit pour cela son éton-
nement, puisque tant de fois 1l en conserva
ainsi quinze jours sans manger. On ne peut
donc attribuer sa mort qu’à l'expérience phy-
sique qui lui fut tout à fait défavorable.
Trois jours après, M. Lachicotte, toujours
empressé de satisfaire mes désirs, traver-
soit à gué un bras de l’Ester qui sert à notre
habitation, de cañal d'arrosage. Il apercoit, à
fleur d’eau, un caïman qui, la gueule ouverte,
se chaufloit au soleil. Pensant à la dissection que
j en avois projetée, sans craindrel’éminent danger
qui le menacoit, il se détermine à le prendre
vivant , afin qu'aucun de ses ©6s ne soient
rompus, et que je puisse examiner à mon loisir
ses moyens de défense en état de gêne, sa
souplesse dans ses mouvemens tortueux, et la
force de sa queue lorsqu'il est irrité, et qu'il
veut se venger. Très-adroit à lancer l’éperlin, il
94 VOYAGES
le tenoit d’une main , détachant de l’autre un
pistolet du ceinturon de son sabre. 11 s’avance ;
l'animal terrible, lors de sa ponte, n’attend point
qu’on l'attaque. En travers devant son agresseur,
le caïman donne un violent coup de queue, et
l’eau le conduit face à face : l'animal ouvre sa
gueule meurtrière, et la referme trois fois avec
bruit, à quatre pouces de la cuisse du chasseur.
Grondant d’avoir manqué sa proie qui, d’abord
retenue dans la boue, s’en débarrassa bientôt,
et attendit de pied ferme le monstre pour lui
décocher une balle qui lui fracassa l’omoplate.
L’amphibie , sensible à cette blessure , re-
plongea doucement sous l’eau ,et y resta pendant
que le chasseur irrité appela à son secours de
bons plongeurs qui lui étoient fidèles : brûlant de
venger leur maître , ils étoient déjà dans l’eau avec
leur seine , lorsque l’animal , voulant l’éviter , s’y
trouva pris. C’est alors que, plein de rage, il
tenta , avant de périr, de se venger à son tour.
Se trouvant ressérré , le caiman, de plusieurs
coups de queue, rompit le filet, et finit par s’en
délivrer aveée ses dents terribles. Bientôt 1l
s’élance vers l’un des plongeurs qui, en fuyant,
tombe à genoux, mais aussitôt se relève et lui
échappe, L'animal surpris de son peu d’agilité,
en raison de sa soif de sang, alla une seconde
fois cacher sa honte au fond des eaux, qui se
troublèrent par sa vive agitauon,
D'UN NATURALISTE. 05
On lui fait une seconde attaque , dans laquelle
il est vaincu, amarré tout vivant, et conduit
prisonnier, confus de sa docilité. Je fus de suite
averti, et me transportai sur les lieux. Je fis
délier les pieds attachés sur son dos, afin d’exa-
miner sa démarche.
La mâchoire muselée, deux fortes cordes le
retenoient à un pisquet. On l’excita pour rallumer
sa colère assoupie en apparence; d’un coup de
queue il frappa si rudement la cuisse d’un des
spectateurs, qu’on la crut cassée. Le même mou-
vement rompit les cordes , et il commencoit à se
démuseler. I devenoit redoutable ; je voulus ter-
miner de suite mes essais , et c’est pour sonder sa
parue sensible que je lui piquai une balle der-
rière la mâchoire inférieure, qui, lui coupant
la jugulaire et le canal aérien, ressorut de l’autre
part, pour se ficher en terre. Etourdi du coup,
et peu assuré sur ses pieds engourdis, il tomba
sur le côté , rendant beaucoup de sang, et râlant
sourdement, à cause de sa nouvelle blessure,
Cependant, reprenant ses sens et sa fureur, il
se rephioit sur lui-même; maisj’avois déjà décidé
où devoit porter le coup fatal : plus prompt que
lui, ma balle Patteint entre l’oreillé et l'œil,
et lui fait sauter la cervelle. Il se roïdit, débat sa
queue, couvre ses yeux, et expire sans plainte,
en faisant un dernier bond, ,
06 VOYAGES
Je le fis ouvrir : c’étoit une femelle de sept
pieds , ayant beaucoup d'œufs, et dans l'estomac
une seule pierre; ce qui confirme mon asser-
ton, et détruit entièrement le conte absurde
des anciens.
Le caïman ne s’amuse point à mordre, mais
à déchirer et dépecer , en secouant brusquement
Ja tête. La proie qu'il üent est bien tenue. Si
c’est une jambe, par exemple, dilacérée sous la
pression énergique de son râtelier cruel , il faut
couper Ja chair, ou plutôt, par compassion, tuer
Vanimal sur la place; car il ne lâche jamais
prise, malgré l'introduction de leviers, qui re-
broussent toujours. +
On m'en prit un dans une seine, qui resta
cinq jours sans manger , et tout aussi cruel, sans
que ses forces parussent s’afoibhir. Je le con-
servois dans une chambre, pour examiner ses
mœurs, qui ne sont pas du tout douces n1 so-
ciales; car, quoique retenu par le train de der-
rière ,1ls’élancoitversmoi,etfrappoitsirudement
sa queue ou sa tête contre le banc sur lequel je
m'étois réfugié, qu'a chaque coup, ou sa mà-
choire saignoit abondamment par la force de la
contusion, ou les dents étoient éclatées, ou bien
encore sa queue étoit endommagée.
Ayant besoin de l’observer , et ne sachant
comment Je faire mourir sans détériorer lé sujet,
j'imaginai
D'UN NATURALISTE. 97
jimaginai plusieurs moyens. Aucun ne me
réussit mieux que celui de l’étranglement, par
le moyen d’un tourniquet, C’est à l'approche
des derniers instans du caïman, que sa peau
devient perméable dans ses rugosités, à cette
graisse en déhquium qui s’exhale sous la forme
d’un fluide jaune ruulent, L'animal eut une
longue agonie.
Quand il fut mort, je découvris que sous sa
double paupière , la réune qui n’étoit que d’une
demi-ligne de largeur, avoit changé de forme
pour prendre celle d’une circulaire de quatre
lignes de diamètre. Je parle d’un sujet de quatre
pieds dix pouces.
Je terminerai le récit de mes observauons par
dire, que ce qui rapproche moralementle caïman
de Saint-Domingue du crocodile du Nil, c’est
son goût pour les chiens; c’est pourquoi , quand
on veut le faire mordre aux appâts qu'on lui
a tendus, on fouette de ce côté des chiens, afin
de les faire crier. Aussi est-1l fort imprudent
de se mettre à la nage avec un chien, que les
caïmans éventent de fort loin.
Tome III.
98 VOYAGES
ATLAS CSSS D Se Ve a es Ve
EXTRAIT
Du Rapport fait à l’Institut de France ,
sur un Ouvrage manuscrit relatif au
Crocodile de Saint-Domingue.
INSTITUT NATIONAL;
Classe des Sciences physiques et mathématiques.
Le Secrétaire perpétuel pour les Sciences naturelles,
certifie que ce qui suit est extrait du procès - verbal
de la séance du lundi 15 juin 1807.
Nos avons été chargés, Mrs Tenon, Lacépède
et moi, d'examiner un ouvrage manuscrit de
M. Descourulz, sur le crocodile de Sumnt-
Domingue. Pour en mieux faire sentir l'intérêt,
il est bon de rappeler à la classe quel étoit, il y a
encore peu d'années, l’état de la sience à l'égard
de ces monstrueux repules.
Les voyageurs ne voyant des crocodiles
qu'isolés, et ne pouvant les comparer entr’eux,
n’en avoient point saisi les différences. Ils les
considéroient tous comme semblables, et leurs
descriptions ne portant point sur les caracteres
peu sensibles qui les distinguent, avoient fait
eroire aux plus habiles naturalistes, qu'il n’y a
D'UN NATURALISTE. 09
qu'une seule espèce de vrai crocodile dans les
deux Contnens,
C’est seulement depuis que les voyageurs ont
mis plus de soin à rapporter les objets qu'ils
rencontrent, et à les déposer dans les grandes
collecuons publiques, qu'il a été possible d’oh-
server à côté l’une de l’autre les espèces très-
semblables non seulement dans ce genre , mais
dans presque tous ceux des grands animaux, et
de remarquer dans cet examen comparatif les
différences peu frappantes qui échappoient ,
quand on les voyoit chacune séparément à de
grandes distances, de tems et de lieux.
Ainsi, quoique les crocodiles des divers pays
aient été décrits par d’habiles gens, celui
d'Egypte par Perrault et Duverney , celui du
Brésil par AMargrave, celui de la Caroline par
Catesby , etc. ; leurs descriptions ne fournissoient
aucun moyen de les distinguer.
Cependant toutes ces espèces sont différentes,
et il y en à encore plusieurs autres. L'un de
nous en décrira dix dans un mémoire qu’il se
propose de lire incessamment à la classe, sans
compter les crocodiles à longs becs, auxquels on
a parüculièrement réservé le nom de gapials.
Le crocodile de Saint-Domingue occupe dans
ce nombre un rang distingué, parce qu’il est la
seule, de toutes les espèces d'Amérique, qui se
G 2
100 VOYAGES
rapproche des formes communes aux espèces
de l’ancien Monde. Sans lui, on auroit pu di-
viser le genre en deux sous-genres, qui auroient
eu des caractères assez marqués, et dont chacun
auroit été propre à l’un des deux Continens.
Sa ressemblance avec Ze crocodile vulgaire
ou du N7/, est même si grande, qu'il a fallu
beaucoup d’attenuon de la part de M. Geoffroy,
pour en saisir les marques disunctuves qui con-
sistent seulement dans un plus grand alongement
du museau, et dans une autre distribution des
écailles du dos.
À Ja vérité , il existoit depuis long-tems d’excel-
lentes figures de ce crocodile, et de son anatomie,
dans les manuscrits de Plumier, déposés à la
bibliothèque impériale ; mais ces manuscrits
étoient restés inconnus au public, et d’ailleurs
Plumier ayant vu que ce seul crocodile,
n’avoit pu insister sur ce qui doit véritablement
le faire reconnoître.
C’est donc cette espèce paruculière et inté-
ressante dont M. Descouruilz vous a présenté
l'histoire.
Il en a observé un très-grand nombre pendant
son séjour à Saint-Domingue, et en a disséqué
plus de cinquante,
Il en donne une description très-exacte , ac-
compagnée de grandes figures coloriées, etc.
D'UN NATURALISTE, IOI
Il décrit et représente avec le plus grand soin
Fostéologie, la myologie et la splanchnologie de
cet animal; et comme nous avons eu nons-
mêmes l’occasion de disséquer un crocodile frais
de Saint-Domingue, que le général Rocham-
beau avoit envoyé au Muséum d'Histoire natu-
relle ; que d’ailleurs nous avons fait Panatonne
de diverses autres espèces conservées dans Ja
liqueur, nous avons pu nous convaincre de
l’exacutude de plusieurs articles de la descripüon
de M. Descourulz. Ses figures nous ont aussi
paru dessinées d’après nature, et avec des
yeux d’observateur. Élles remplissent cinq
planches. L’ostéologie y est traitée avec le plus
grand détail. On y voit en général, un grand
nombre de parties de l'animal qui w'avoient
pas encore été représentées. Les objets que nous
avons été à même de vérifier d’après nos observa-
tions précédentes, nous garantissent l’exacutude
de ceux qui sont nouveaux pour nous.
La parue de son ouvrage la plus intéressante
pour les naturalistes, parce que c’est celle qu’on
ne pouvoit obtenir que dans sa potion, consiste
dans ses remarques sur le développement et les
habitudes de ce dangereux animal; elles con-
üennent un trés-grand nombre de faits nouveaux
pour les naturalistes.
M. Descourulz nous apprend que les fernelles
G 3
102 VOYAGES
sont beaucoup plus multipliées que les mâles ;
que cependant ces derniers se battent entr’eux
par jalousie ; que les deux sexes s’accouplent
dans l’eau , en se tenant sur le côté; que l’intro-
mission dure au plus vingt-cinq secondes ; que
les mâles deviennent prohfiques à dix ans, etc.
Il à dressé une table de l’accroissement du
crocodile , depuis sa naissance où 1l n’a que
neuf pouces et demi, jusqu’à l’âge de vingt-deux
ans où 1] atteint seize pieds et plus.
La ponte se fait en mars, avril et mai. La
femelle creuse, avec les pattes et le museau , un
trou circulaire dans le sable , sur quelque tertre
un peu élevé ; elle y dépose à peu près vingt-huit
œufs, enduits d’une humeur visqueuse, qu’elle
dispose par lits, séparés par des lits de terre.
Les peuts éclosent au bout d’un mois. Vers ce
tems, la femelle vient les appeler et gratter la
terre autour d’eux, pour les aider à sorur;
ensuite elle les conduit, les défend, surtout
contre le mäle qui cherche à les dévorer, et les
nourrit en dégorgeant sa pâture pendant environ
trois MOIS.
Ce crocodile , comme tous les autres, ne peut
mordre n1 avaler dans l’eau , sans courir risque
de se sufloquer, en laissant pénétrer ce liquide
dans son larynx; mais il entraîne ses victimes
daus des trous qu’il creuse sous l’eau , où il les
D'UN NATURALISTE.,. 103
noye, et les laisse pourrir : 1l les extrait alors
pour les dévorer sur le rivage.
5
La roideur de ses vertèbres, n’est pas aussi
forte qu’on le croit ; 1l peut très-bien se courber
de côté, au point de mordre sa queue.
Ces diverses observations toutes précises, et
rapportées à une espèce bien constatée , four-
nissent une base solide à la véritable histoire
naturelle des crocodiles.
En y comparant ce que M. Geoffroy a observé
sur l'espèce vulgaire du Nil, ce que les Amé-
ricains rapportent de celle du Mississipi et de
la Caroline , ce que Margrave , Dazzara et
Laborde , nous disent de celle du Brésil et de
la Guyane; on découvre que chaque espèce a en
propre de certaines habitudes, comme de cer-
tains caractères disuncufs, et qu’en même tems
elles ont toutes en commun un nombre d’habi-
tudes plus grand , comme elles se ressemblent
aussi entr’elles par la presque totalité des points
de leur conformation.
La science seroit heureuse, si chaque voyageur
s’attachoit ainsi à approfondir quelqu’objet paru-
culier, et à contribuer ainsi pour sa part à
l’éclaircissement de quelque poruüon du système
général.
G 4
104 VOYAGES
Nous pensons donc que la classe doit témoi-
gner à M. Descourulz, la sausfaction qu’elle
éprouve de l’heureux emploi qu'il a fait de ses
loisirs CC.
Fait au Palais Impérial des Beaux-Aris,
le 15 juin 1807.
TonÉ np à
Signé, TENON, LACÉPÈDE,
et CUVIER, rapporteur.
Nota. Métant proposé de suivre ponctuel-
lement l'ordre du discours préliminaire du
premier volume, je vais entretemr le lecteur de
mes observations sur les mœurs et coutumes des
Guinéens transportés à Suint-Donnnigue.
D'UN NATURALISTE. 105
Ph PS ie or os ie rs os re OR ns
PLANCHE IIL
Splanchnologie.
Dessins de demi-grandeur naturelle.
F g. 1ère, (a) Cartilage tiroïde détaché à l1 naissance
de la langue de la membrane pelliculaire, qui roule
dessus daps tous les mouvemens de cet organe. (à) La
trachée-artère. (c) Sa bifurcation pour se rendre au
centre des poumons. (d) Œsophage, et sa direction
vers l'estomac. (e) Veines cave, et aorte s'élevant
du ventricule du cœur. (f) Le cœur sous son en-
veloppe péricardine. (2) Les poumons pleins d'air.
(Ah) Les deux lobes du foie. (4) La vésicule du
fiel, reposant sa pointe sur la petite courbure de
l'estomac. (j) L'estomac couvert des ramifications de
ses vaisseaux gastriques. (k) Le duodenum sortant
de la petite courbure de l'estomac. Les intestins sont
écartés pour laisser voir les membranes qui tapissent
les vaisseaux chylifères. (/m) Le colon hors de po-
sition. (n) Circonvolutions du jéjunum recouvert de
l'épiploon. Le pancréas (0) placé dans la région hy-
pogastrique, près du colon. (p) Le rectum. (gg) Les
reins. (r) Epiploon très-mince, (s) ‘Fissu graisseux du
diaphragme.
Fig. 11. Les mêmes viscères vus par derrière. (a) Le
cartilage tiroide. (à) La lotte. (c) L'œsophage. (4) L'es-
tomac. (e) Poumons enflés d'air. (f°) Veines. (gg) Por-
tions aperçues des deux lobes du foie. (k) Vésicule
du fiel. (:) Epiploon. (7j) Prostates. (4) Membrane
urinaire , servant de vessie. (/}) Les deux reins adossés
au rectum. (m) Le rectum. (nnnn) Circonvolutions
des intestins, |
106 VOYAGES
RRR RTL EVER VI RVRIRRVLY
PEANCHETIY:
Anatomie de la langue, du larynx et de la
trachée-artere.
Dessins de demi-grandeur naturelle.
Ps G. 1ère, La langue détachée des os maxillaires,
auxquels elle adhère par la membrane qui la recouvre.
(a) La langue. () Sommet de l'arc de la soupape
tiroïde cartilagineuse et mobile, ou épiglotte. (c) Sa
concavité. (d) Ouverture de la trachée-artère, fermée
par deux lèvres renflées qui se rapprochent lorsqu'il
en est besoin. C'est la glotie ou petite fente du la-
ryox, par laquelle air que nous respirons descend
etremonte , et qui sert à former la voix. (e) Larynx,
voûte charnue et cartilagineuse, qui conduit à la
trachée-artère. (f) Corps dela trachée-artère. (g) Œso-
phage. (4) Son entrée. (4) Corps charnus, adhérens
à ces parties. (k) Muscles œsophagiens. |
Fig. 11. (a) Suite de la trachée-artère. (b) Sa bi-
furcation pour se rendre aux poumons (cc) flasques,
privés d'air, et hors de position. (d) Proéminences
graisseuses, qui assurent l'imperméabilité de ces
organcs.
Fig. 111. (a) Epiglotte, soupape cartilagineuse ,
privée de ses tégumens musculeux et cutanés. (2) Sa
cavilé. (cc) Ses bords se recourbant vers le centre.
{d) Jonctiou et naissance de l'os yoide au cartilags
D'UN NATURALISTE. 107
de la soupape. Ils sont rabattus, vers l'intérieur , pour
Ja connoissance de leur forme ; car, dans la position
ordinaire, la saillie médiaire se trouve presqu'en
dedans, de manière à servir de point d'appui, sur
les chairs, au levier qui fait, par ce moyen, la
bascule lorsque la partie postérieure se baisse , et
qu’elle est retirée pour le happement de la soupape
au palais. (e) Os yoide, n'ayant qu'une seule corne.
(ff) Seséchancrures cartilagineuses festonnées. (g) Car-
tilage cricoide.
Fig. 1v. Os yoïde, ou corne du cartilage tiroide,
vu de côté. (a) Tête du levier. (2) Coude servant
de bascule. (c) Fin de la courbure du levier.
Fig. v. (a) Langue hors de position , recouverte
de la soupape du cartilage tiroide, (b) rabaissée vers
elle. On voit distinctement la glotte (c), et le gaufré
de l’œsophage. (d) La naissance du palais. (e) L'ou-
verture cordiforme nasale (f), qui procure l'air au
caiman, même dans l’eau, pourvu qu'il ait le bou-
toir dehors au dessus du niveau, et que le cartilage
cintré adhère au cintre, distingué par une couleur
rosacée.
Fig. vr. (a) Cartilage tiroiïde dépouillé de ses té-
gumens. (b) Larynx ouvert pour en connoître l'inté-
rieur, qui n'a rien de particulier. (c) Canal aérien.
108 . VOYAGES, etc.
«
RU ARR DL LR LR DR
PLANCHE VV.
CŒÆufs du Caïman.
Réduction à moitié de grandeur naturelle.
À
x | x - …
F, G. 1ère, Œuf entier du caïman.
Fig. 11. Les deux moitiés, et le jaune s'en écou-
Jant avec le blanc.
Fig. 111. Le caïman dans l'œuf, reployé sur lui-
méme, et dont on n'apercoit point la tête.
Fig. 1v. Le jeune caiman sortant de l'œuf, avec
sa férocité innée.
Fig. v. Le jeune caiman dans l'œuf; autre position
qui permet de distinguer sa tête.
Fig. vr. Tronc d'un jeune caiman où l’on remarque
le sac alimentaire (a) , et l'ouverture ombilicale (D).
Fig. vir. Sac alimentaire en correspondance avec
l'estomac. (a) Le sac alimentaire ; (b) l'estomac ;
(c) développement du tube intestinal. (d) Œsophage ;
(e) la langue ; (f°) tube de-correspondance.
Fig. virr. Tronc du même, après neuf jours de
naissance , où l'ouverture ombilicale (a) est réunie
par une suture qui disparoit avec l'âge.
Wig. 1x. Crâne du même, scié, et son cerveau mis
à découvert,
ESSAI
SUR
LES MŒURS ET COUTUMES
HABITANS DE GUINÉE,
A SAINT-DOMINGUE;
Pour servir à l'Histoire générale de l'Afrique,
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AVANT-PROPOS.
La Nature à Saint-Domingue, ne me
laissant aucun repos, ses curiosités sans
cesse renaissantes, réveillant à chaque
instant mon activité, me donnèrent à
connoitre que j’étois loin d’avoir scruté
ses réservoirs secrets. Que faire? mon
tems étoit tout employé, la nuit me
restoit ; c’est dans son calme imposant.
que je fus inspiré, et que je méditai
l'Histoire naturelle des diverses peu-
plades guinéennes , dont nos nombreux
ateliers étoient composés. Cependant
le souvenir de voyages en Guinée, de
narrations d'hommes célèbres me décou-
rageoient , et sembloient déclarer nulle
mon entreprise, lorsque réfléchissant
qu’aux descriptions cosmographiques et
topographiques , il faut savoir ajouter
les nuances dans les mœurs de ces
peuples non civilisés, leurs coutumes
bizarres, leurs lois, leurs usages, et sur-
tout le caractère propre aux sujets de
chaque peuplade, je repris courage, en
112 AVANT-PROPOS.
me persuadant qu’il y avoit encore beau-
coup à désirer.
Entouré souvent dans mes courses
vagabondes, de l’oiseau nocturne qui,
dans son vol silencieux , sembloit ne pas
reconnoitre en moi un habitant de la
nuit, je me fauflois près des groupes de
nègres, sans être aperçu d'eux, et me
repalssois avecavidiié de leurs entretiens
qui les reportent toujours dans leur pays
regretié; où bien, je questionnois les
moins farouches et les plus naïfs, pour
retirer d’eux, et confrontér par compa-
raison, l’éuincelle d’une vérité qui ne
devroit jamais ètre trahie.
Ce sont donc ces observations réité-
rées qui m'ont fait connoître les mœurs
des Africains. Plusieurs traits caractéris-
tiques , que Je cite à l'appui, intéres-
seront peut-être mes lecteurs. Puisse le
but de cet Ouvrage historique, puissent
mes bonnes intentions mie mériter l’in-
dulgence du public, et une confiance à
laquelle la vérité de mes récits me permet
d’oser prétendre!
ESSAI
er or ot on eo os or or on or Pod Poe on on os es or os os or BR on
ESSAI
SUR LES MŒURS ET COÛTUMES
DES HABITANS DE GUINÉE,
A SAINT-DOMINGUE.
INTRODUCTION.
D une des soirées de la saison des pluies,
fatigué de la chaleur du jour , ayant d’ailleurs
employé la matinée à la chasse fatigante des
lagons (1) , je voulus jouir librement de la
fraîcheur , et fuyant tout abri infesté par les ma-
ringoins (2) et la bigaille (3), je m’avancois
derrière une colonnade de palmiers pour respirer
l'air embaumé d’une haie de citronniers , lors-
qu’à la lueur de la lune j’apercus un groupe
de nègres rendant furtivement un hommage
idolätre à leur wangua ou fétiche que je ne pus
4 > s
(21) Les lagons ou lagunes sont des marais à peu
près desséchés, où 1l reste encore un peu d’eau.
(2) Les maringoins ou cousins sont de petits in-
sectes volans, avides de sang, et fort incommodes.
(5) La bigaille ou moustiques : on appelle ainsi de
petites mouches imperceptibles, avides aussi de sang.
Towe IL. H
114 VOYAGES
d’abord distinguer , mais que je reconnusensuite,
à ses sifflemens , pour une énorme couleuvre,
objet de l’adoration de ces êtres supersutieux,
et en faveur duquel ils se privoient tour à
tour de leur manger, et particulièrement de leur
laitage dont le repule déïfié est fort friand,
ainsi qu'on pouvoit en juger par l’ivresse que
cette fétiche éprouvoit, lorsqu’elle s’étoit gorgée
de lait (1). .
Lom de vouloir troubler ces cérémonies noc-
turnes, je me tins à l’écart, à la faveur des
bananiers qui, ombrageant le sentier, me ser-
virent de retraite, et d’où je pus à mon aise faire
les remarques que je citerai en tems et heu.
Cependant la nuit s’avancoit; la constellation
de a Poussinière rentrant vers l’horizon, Le lu-
cide bayacou ou étoile du matin , éclairant les
montagnes et permettant de disunguer leurs
contours, à la faveur de sa brillante réverbé-
rauon, je laissai dans sa "muette adoration la
cohorte prosternée , pour aller nie livrer au
repos.
Le lendemain , mon premier soin futdecharger
un nègre de la case , aflidé et très-intelligent , de
(x) Cette couleuvre à tête de chien, est si peu
dangereuse qu’elle tète les vaches et les négresses
endormies sans qu'elles en soient incommodées.
D'UN NATURALISTE. 119
m’amener , chaque soir et tour à tour, plusieurs
nègres de.nations diflérentes, sous le prétexte
par lui de nationner (1) avec eux, en buvant le
tafia et fumant la cigare, afin qu’à force de
questions faites par lui, sans que je parusse y
être présent, je pusse, à l'écart, apprendre de
leur propre bouche les vérités et détails histo-
riques qui font l’objet de cet Opuscule:
Voici le résultat de mes notes et de mes
observations. |
(1) Nationner, terme nègre; ils appellent aussi
bâtiment celui ou celle avec qui ils ont fait la traversée
d'Afrique à Saint-Domingue.
116 VOYAGES
Ps ns ns on si VV D
CHAPITRE PREMIER.
Nègres Dunkos, et Aradas. Belle stature de
ces peuples. Attachement prononcé des
femmes pour les hommes. Leur corps est
tatoué. Caractère physiologique propre
aux femmes Aradas. Les nègres Aradas
sont empoisonneurs. Négresse sage-femme
devenue bourreau des enfans, et brulée
vive. Sa superstition. Pouvoirs du roi: Les
Aradas sont idolätres , et leurs femmes
galantes. Gratitude d'une vieille négresse
Arada infirme.
L: plus beau sang a formé ces peuples; il
semble que, pour ces créatures, la Nature ait
perfecuonné tout particulièrement son mode
générateur dans leurs formes nobles et gra-
cieuses. Les hommes et les femmes y sont d’une
stature belle et proportionnée : leur démarche
n’est point celle de la contrainte, elle est noble,
assurée, grave et enjouée tour à tour.
Les femmes de Dunkos, surtout, ont pour
les hommes qui leur sont chers, des préve-
nances aimables dont la réciprocité devient le
prix. Leurs paisibles amours n’ont rien de
D'UN NATURALISTE. 117
matériel, rien de turbulent; la délicatesse les
anime, et les graces les accompagnant dans leurs
rendez-vous nocturnes, c’est di sentiment que
naît l’éuincelle de leur véritable amour ; amour
durable, et assis sur des bases que’la fri-
volité ne peut ébranler. Ils laissent aux maté-
rialistes le soin abject et brut de passer d’une
femme à une autre. Leur cœur n’a parlé qu'une
fois, et c’est pour toute la vie; aussi sont-ils
vraiment heureux dans leurs amours, de ne
point connoître le partage. Le papillon incertain
de la fleur sur laquelle il doit se fixer, est
malheureux tant qu'il voltige ; les instans s’é-
coulent > etine] jouit point réellement : il récolte
bien , mais il ne trouvera son vrai trésor qu’ au
sein de la rose entr’ouverte pour le recevoir, et
qui doit lui prodiguer ses parfums et ses richesses.
Qu'il y reste dans cette fleur; qu’il analyse,
qu’il apprécié’ sa substance , et n’aille point
mésallier le délicat pollen de son nectaire à
celui du caustique et vénéneux uthymale ou du
grossier chardon.
Les Dunkos et les Aradas sont tatoués, c’est à
dire , marqués de coupures d’après lesquelles on
disüngue, par les dessins, les familles et leur
rang dans la société.
Tous les nègres , mais particulièrement les
Aradas, employent assez communémentle poison
H 35
118 VOYAGES
pour se venger de leurs ennemis. Un d’eux
nommé Samedi, de l'habitation Rossignol-
Desdunes , quartier de l’Arubonite , où j'ai
écrit ces mémoires , avoit trouvé le moyen d’em-
poisonner deux enfans de son rival ; les preuves
en étoient presqu'acquises , mais m’étolent point
sufMisantes pour le faire condamner. Cependant
on le livra, à Saint-Marc , entre les mains de la
jusuce , . il fut interrogé à plusieurs reprises
sans pouvoir le convaincre pourtant de l’énor-
mité de son crime, dont son ton patelin rendoit le
soupcon injuste et trop prématuré. Déjà les semi-
preuves étoient regardées insuffisantes, déja le
juge et son sr A se préparoient à proclamer
son innocence , lorsqu'un gendarnie qui lac
compagnoit apercut, dans le crépu de ses che-
veux , un papier roulé. Persuadé qu’on pourroit
üurer de cette découverte , une inducuon 1irré-
cusable, le garde s’empresse d’en donner avis
au juge, qui fit saisir l’accusé, et mettre de nou-
veau sur la sellette | après avoir fait arracher de
ses cheveux, plusieurs pets cornets de papier
contenant üne poudre grisâtre que l'accusé avoua
être du poison pareil à celui dont il s’étoit servi
contre Îles enfans , et qu’il avoit réservé pour lui,
afin d'éviter les tortures affreuses du supplice
qui lui étoit préparé. I montra de plus , par un
aveu complet, les ongles de ses deux pouces
D'UN NATURALISTE, 119
qu'il laissoit croître depuis long-tems , et sous
lesquels 1l avoit fixé du poison pour s’en servir
au besoin. Le juge ayant acquis , par l’aveu du
coupable , les preuves nécessaires , bien con-
vaincu qu'il n’avoit pas à condamner un inno-
cent , appliqua contre lui toute la rigueur d’une
punition exemplaire due à son crime : le cou:
pable empoisonneur fut brûlé vif.
Une négresse Arada , sage-femme de la même
habitation , contre laquelle on avoit de pareils
soupçons, fut aussi traduite au même tribunal,
où elle avoua en riant qu’elle n’avoit pas de plus
grand plaisir que de détruire Doi humaine,
sur ous celle qui étoit destinée à l'esclavage ;
qu elle devenoit, par ce MOYEN’ la libératrice des
malheureux mercenaires à qui l'existence devoit
être à charge. Atteinteetconvaincue par son propre
aveu, celte négresse fut condamnée au même sup-
plice que le premier accusé. Comme elle s’avan-
coit vêrs le brasier qui devoit la consumer, elle
paroissoit repentante , et marchoit Éi la
tête baissée, lorsque tout à coup, par un excès
de rage-et de désespoir , arrachant une ceinture
qui retenoit sa chemise : « Voyez , dit-elle , st
» Jai bien mérité mon sort ; les soixante-dix
» nœuds dont cette ceinture est garnie , dési-
» gnent la quantité d’enfans tués de mes propres
» mains, soit par le poison , soit par une cou-
H 4
120 VOYAGES
». tume exécrable qui me faisoit un devoir d’en-
» lever ces jeunes êtres à un honteux esclavage.
» Ma qualité de sage-femme me donnant les
» occasions de tenir en mes mains les nouveaux
» nés , dès quej'y pressois une de ces victimes,
» de peur qu’elle néchappät , je plongeois à.
» l'instant une épingle dans son cerveau , par
» la fontanelle : delà , le mal de mächoire si
» meurtrier en cette colonie , et dont la cause
» vous ést maintenant connue. Je meurs con-
» Lente à présent que je n'ai plus rien à confesser ,
» et vais rejoindre dans mon pays, tout ce que
» J'y ai quitté ». À ces mots , elle s’élance avec
intrépidité vers le brasier dévorant où bientôt
elle fut réduite en cendres, en poussant des
hurlemens affreux.
Le roi, quoique très-puissant en Guinée, est
lui-même assujetu à des lois de convenance qu'il
ne peut enfreimdre. Relégué dans l'intériepr de
son palais ,1l n’en sort jamais; seulement une
fois la semaine 1l présente sa tête à une grille
pour donner certains ordres. Il prend sês repas
en présence de toute sa cour ; et comme il lui est
défendu de boire du vin , si recherché dans ce
pays , il se Sert d’un verre à soupape, afin de
ne point paroiître en faute; et pour tromper
toute surveillance, lorsqu'il se dispose à boire,
un échanson favori frappe de la baguette ; alors
D'UN NATURALISTE. 121
le peuple se prosternant, le roi lève la soupape, et
boit le vin tout à son aise : après quoi l’échanson
va remplir Je vase mystérieux de semblable
hqueur. É
Le culte des nègres Aradas est varié : les uns
adorent la lune , d’aütres des bélemnites ; ceux-
ci l’eau, ceux-là les serpens. Leurs prêtres
ont beaucoup d’empire, et ont, pour marque
distincüve, un anneau de fér au bras; lequel
anneau, une fois soudé , leur est laissé même
après leur mort. #
Les femmes très-lascives (1) trompent, avec
beaucoup d’adresse , la vigilance de leur #rors
ou mari. Elles sont très-caressantes, et sacri-
fient bien volontiers tous autres plaisirs aux doux
jeux de l'amour. La danse même , cet exercice
auquel elles se livrent avec une espèce de fré-
nésie , na plus d’appas pour elles, dès que la
bouche.de leur amant a fait sonner l’heure du
rendez-vous.
Lorsqu'un nègre Arada a été mésestimé de ses
semblables pour cause d’égoïsme , s’il vient à
mourir, ses héritiers , à leur calenda , font rôur
un chien dont l’odeur attire les autres qui vien-
nent hurlerautour de la case du défunt, en signe
(1) Et babillardes à l'excès.
122 VOYAGES
de réprobation : sa mémoire dès ce moment est
flétrie. .
La nourrice de ma belle-mère existoit encore
sur l’habitation : abandonnée pendant l’absence
de sa bienfaitrice, et vivant des Hbéralités d’au-
trui, puisque les pie étoient abolies par
les Le révolutionnaires,, cette femme menoit
Jexistence la plus douloureuse. Infirme, im-
potente, rongée du virus siphilis, appelé Les
pians, qui lui fit tomber les poignets et les
pieds, elle se traînoit sur ses moignons gercés
et douloureux, dès qu’elle vouloit se déplacer
de sa case , pour se mettre au soleil. Nous
arrivâämes à Saint-Domingue, et son premier
soin fut de venir implorer notre piué bienfai-
sante. Elle manquoit de tout : on sut pourvoir
à ses besoins ; mais elle n’eut pas de plus g srande
joiè qu’en recevant une mousticaire, ou pavillon
sous lequel elle pouvoit se mettre à l’abri de la
piqûre des innombrables maringoins (ou cou-
sis), qui en fasoient une victime. Rien de
plus incommode , rien de plus fatigant que
d’être continuellement exposé à la voracité de
ces msectes avides de sang; et la bonne femme
étoit dans ce cas, tant à cause de son infirmité
qui lui empêchoit de chasser ces moucherons,
en agitant un vieux linge autour d’elle, comme
c’est l'usage parmi les nègres, que parce qu’elle
D'UN NATURALISTE. 123
n’avoit point de pavillon pour se mettre à l'abri
pendant son sommeil. Elle fut si reconnoissante
des hbéralités qui lui furent faites, que pour
mieux en témoigmer sa grautude, elle eut re-
cours aux coutumes guinéennes ; C’est pourquoi
elle fit le simulacre de la danse (en raison de
son infirmité), et parla langage, c’est à dire,
nous fit entendre un long monologue, que nous
ne comprimes que par ses gestes de remer-
cimens (1).
ne
(1) Les nègres aiment à gesticuler, et à exprimer
dans le langage les sons imitati(s,
124 VOYAGES
at RAR AAA SSL SSD ee eV
CHAPITRE DEUXIÈME.
Nègres de Fida. Les femmes y sont extraor-
dinairement coquettes, mais tatouées.
Lx femmes, toujours énvieuses de plaire par
des parures plus où moins recherchées, con-
servent au moins en Europeles beautés naturelles
dont elles sont douées ; à Fida, c’est une cou-
tume opposée : les négresses se font limer en
festons leurs dents éblouissantes, et traverser
la lèvre inférieure, d’un anneau lourd et grossier,
qui détruit le charme du sourire, ce charme si
puissant pour tous les cœurs consumés d'amour ;
ce qui fait disparoître les graces du principal
asile de la volupté. Leur bouche, ridiculement
contraciée , éloigne et semble dispenser des pré-
ludes de Pamour.
Leur gorge n’est point naissante, qu’elle a
déjà été mutilée par un tranchant cruel qui en a
détruit la forme et le contour, et n’a laissé, au
lieu d’une peau fine et lisse, que des grumeaux
charnus et désagréables au tact, autant qu’ils
sont ridicules à la vue. L'amant n’y va pas
cueillir, y presser voluptueusement, sous sa
bouche amoureuse, un bouton de rose; celui
D'UN NATURALISTE. 195
de leur sein , outre sa couleur: noire et peu
attrayante, est coloré de vermillon , contraste
affreux à la vue, et bien peu fait pour agacer
les passions d’un Européen qui a connu d’autres
charmes. #
SSL, V, SAS SAS SL Se a Te To nn Ta a Ta Va a To nn
CHAPITRE TROISIÈME.
Coutumes funéraires des nègres d'Essa.
u’ON respecte la mémoire d’un homme qui
s’est illustré, c’est le propre de tous les philo-
sophes ; mais qu’on crée une divinité d’un défunt
dont les restes sont sans puissance, et qui, par
sa décomposition, par son anéantissement, donne
une preuve incontestable de sa frêle humanité,
de son essence mortelle, voilà le comble de la
supersütuion. Les nègres d’Essa sont dans cette
hypothèse ; ils adorent comme leur divinité
le dernier de leurs rois. Dans une pagode om-
bragée par les plus beaux arbres riverains de
la principale route de leur capitale , ils placent
sur un trône enrichi d’ornemens précieux, le
roi défunt qui doit être adoré jusqu'à la
mort du roi régnant, qui indique le mo-
ment de sa sépulture. Le cadavre est em-
baumé et oint de l'huile d’un palmiste et d’une
6 VOYAGES
teinture d’un bois amaranthe, qui lui conservent
très-long-tems sa fraîcheur, et s’opposent, par une
vertu styptique et astringente, au relâchement
du tissu cutané. Le défunt est somptueusement
vêtu jet a, nuit et jour auprès de lui, un homme
pour le garder. Quelquefois dans leur marche,
les voyageurs entrant dans la pagode, s'adressent
au mieux vêtu pour faire des questions; mais le
gardien lui observant qu’il ne parle pas, et que
c’est une divinité, alors l’idolâtre voyageur se
prosterne et l’adore.
D'UN NATURALISTE. 127
- .
ne ns or Ps
© CHAPITRE QUATRIÈME.
Cruautés des nègres d'Urba ; leur conduite
arbitraire en cas d'un meurtre commis.
Obsèques du corps assassiné. Idée des
Makendals , que le‘roi consulte lorsqu'il se
prépare au, combat. Suites funestes de leur
barbare oracld Trait historique et con-
version d’un de leur roi idolätre.
Fe peuple d’Urba est inhumain et féroce,
arbitraire dans ses résolutions de vengeance.
Si un assassinat est commis , ‘les parens du
défunt ne cherchent point à découvrir l’auteur
du meurtre ; mais, se réunissant autour du
mort , ils se cachent, et attaquent le premier
passant qu'ils éventrent impunément et sans
crainte de punition judiciaire , regardant cette
vicume livrée par leur dieu PBrataoth , et
devant être immolée aux mânes de leur com-
pagnon chéri. ‘Alors on se prépare aux ob-
sèques du parent, en laissant r. corps de leur
vicüume exposé aux injures de l’air, et à la
voracité des bêtes féroces. On fouille à cet effet
une trés-grande fosse à l’endroit où le meurtre
a été commis, afin que l’ame du défunt ue
puisse errer dans d’autres lieux.
128 VOYAGES
Le cadavre embaumé est exposé dans une
cage de fer, de manière à ce que le corps ne
communique point à la terre. Par ce moyen,
al est également ,à l’abri des tigres et autres
animaux Carnassiers qui ne peuvent y porter
aucune atteinte, au moyen des barreaux de fer
et: de la profondeur de la fosse. Le corps,
indépendamment de ces premières précautions,
est garanti par un ajoupa Construit au dessus
de lui, ce qui le rend inaccessible aux intem-
péries du tems.
Le roi d'Urba entretient à sa cour une
réunion de magiciens qu’on appelle assez géné-
ralement en Guinée, Makendals (1). Leur
devoir est de prévoir et d'annoncer le sort des
batailles , d’en faire connoître l'issue, sous peine
de chäumens très-rigoureux , que les pauvres
devins savent esquiver ,en désignant dans l’armée
certains soldats , contraires au bonheur du roi,
(1) Nom d’un nèsre empoisonneur qui commit à
St.-Domingue des forfaits atroces ; énnemi des blancs,
il avoit juré d’en éteindre la race. Ce second Cartouche
fascinoit les yeux des nègres , qui le regardoient comme
un prodige; il fut pris plusieurs fois, et trompa la
surveillance de ses gardiens, ainsi qu'il avoit prédit :
enfin 1l fut brûlé vif, en annonçant qu'il s'échapperoit
encore des flammes , sous la forme d’une mouche; ce
que les nègres croyent encore aujourd'hui.
LA
# et
D'UN NATURALISTE. 129
et cause de la défaite par leur conduite crimi-
nelle x lesquels, dans la plus parfaite innocence,
subissent la puniuon provoquée par la dénon-
ciation arbitraire des Makendals.
Lorsque le roi d’'Urba a perdu beaucoup de
monde à la guerre, il fait rassembler le conseil
devinatoire , consulte les membres qui le com-
posent, sur la manière de repeupler son
royaume; alors il lui est recommandé par l’au-
torité diabolique, d’acheter, 1°. cent couis
(vases naturels qu'on obuent du fruit du cale-
bassier après qu'il a été vidé); 20. cent canaris
(grands vases de terre où l’on conserve l’eau
dans sa fraîcheur) ; 3°. cent esclaves. Les
Makendals font transporter le tout sur le grand
chemin , et avec le sang-froid d’une ame vouce
au crime, ordonnent l’ouverture des cent
esclaves, dont ils font remplir le corps, d’huile
rouge de palmiste, et de certains coquillages;
puis on les enterre sur la place, par l’eflet atroce
d’une barbare superstition.
Un roi d’Urba , idolätre comme son peuple,
mais dont le cœur étoit disposé à recevoir les
utiles semences de la vraie religion, tomba
malade , et soit pour obéir aux usages de sa
nation , soit par crainte du peuple , 1l consulta
les magiciens de sa cour pour être délivré de son
affreuse maladie; mais ce fut en vain; car que
Tome II, I
130 VOYAGES
pouvoit cette horde hypocrite?' Sur l'avis d’un
missionnaire qui travailloit à sa conversion, il
jura que dès ce moment 1l ne reconnoissoit que
le Dieu du ciel et de la terre, et il fut inconunent
guéri.
RD
CHAPITRE CINQUIÈME.
Les nègres Æminas croient à la Métempsy-
cose. Mère ayant sacrifié ses enfans a Saint-
Domingue, pour les dérober a l'esclavage.
LE nègres Aminas et les Ibos croient à la
métempsycose. « Pourquoi, me disoit l’un
» d’eux , ne chercherions-nous pas à alléger la
» pesanteur de nos chaînes , par l'espoir d’un
» sort plus heureux ? La perte de notre liberté
» doit nécessairement entraîner celle de notre
» chétüve existence. Vous ne devez donc plus
» blâmer autant en nous le suicide, puisqu'il
» met fin à nos tourmens ». En eflet, les
Aminas et les Ibos , en arrivant à Saint-Do-
mingue , ou dans toute autre île, où leur destin
est d’y être esclaves et d'y arroser la terre de
leur sueur, croyent échapper aux mauvais
traitemens des maîtres, trop souvent injustes et
crucls , en se donnant la mort. Ïls se noyent par
D'UN NATURALISTE. IôE
compagnie, ou se pendent à la file les uns des
autres , bien persuadés qu'après leur mort, ils
sont transportés dans leur pays, et y recouvrent
le rang , la fortune, les parens et amis dont le
sort de la guerre les avoit frustrés.
Nous eûmes sur l’habitation où je me trou-
vois , une négresse Amina qui fut vendue avec
ses deux enfans. À peine débarquée, sans avoir
éprouvé aucun mauvais traitement de M'° Des-
dunes, qui agissoient envers leurs esclaves,
comme de bons pères envers leurs enfans, on
la voyoit errer , hors des travaux, vers les rives
de d'Ester, s'arrêter à chaque instant pour
mesurer de sa vue la profondeur de cette riviere
Jjimpide , et pousser quelques soupirs en élevant
les yeux au ciel , et se frappant la poitrine. Cette
malheureuse mère excita particulièrement l’in-
térêt de M. Desdunes père, qui la fit traiter
avec beaucoup de ménagement, regardant
l’émanation de ses regrets, comme dépendante
de la nostalgie , ou maladie du pays. H ne put
cependant parvenir à lui faire oublier un sort
dont la rigueur n’étoit pourtant qu’imaginaire.
Cette femme fut trouvée un matin, noyée avec
ses deux enfans qu’elle avoit attachés à sa
ceinture, pour les soustraire, ainsi qu'elle, à
V’esclavage. Les cris des enfans, repoussant les
horreurs d’une mort prochaine, furent bien
I 2
132 VOYAGES
entendus de quelques nègres pêcheurs, mais qui
ne sachant point à quoi en attribuer la cause, ne
s’empressérent point de donner du secours.
QU SSSR SSL AR SD 0 D D nn 0 2 6 1
CHAPITRE SIXIÈME.
Les nègres Ibos sont fidèles dans leurs ser-
mens d'amour. BRegrets d’un prisonnier
fait esclave, et arraché &@ sa patrie. Il
retrouve sa tendre Evahim , vendue esclave
à Saint-Domingue sur la même habitation
que lui. Union d’Aza et d’Evahim , ‘afin
d’obéir aux coutumes de leur pays. Leur
attachement réciproque. Chanson créole
relative a leur absence.
CU: jeune nègre Ibo, arraché en Guinée à de
bons parens , à sa patrie, à celle qu’il aimoit,
avoit été vendu à M. Pélerin, habitant des
cayes Saint-Louis, à Saint-Domingue. Ce jeune
Africain asservi à un double-sclavage, trainoit
ses pas tous les soirs, après son travail, vers le
bord de la mer ; alors fixant l'horizon d’un œil
umide et baigné de pleurs : © ma patrie! 6
Evahim! disoital ; puis ses bras élevés retom-
boient soudain, et sa plainte s’exhaloit eu
soupirs !
D'UN NATURALISTE, 133
Ïl revenoit à sa case, lorsque les ombres de la
nuit ne lui permettoient plus de distinguer au
loin les derniers flots de l'Océan, et que la
faugue , autant que la faim, l'obligeoient à
aller prendre une nourriture frugale qu'il arro-
soit de ses larmes. Les dimanches et fêtes , loin
de partager la gaieté bruyante des chicas (1) , 1l
s’isoloit au loin, et bientôt sa pensée le repor-
toit en Guinée. Enfin, la vie de ce malheureux
Ibo n’étoit qu'un soupir répété d'amour et de
regrets, lorsqu'il apprit qu'un navire .négrier
venoit de mouiller dans la rade des Cayes, et
qu'il y avoit à bord beaucoup de nègres de sa
nauon. L'espoir est le soutien dn malheureux :
que de conjectures ! que de doutes ! Evahim,
prisonnière en même tems que lui, n’avoit pu
entrer dans le parti de nègres vendus à son
capitaine, parce qu'il étoit au complet. Le
premier bâtiment pouvoit la transporter, mais
où ? De tous côtés on demandoit des bras afri-
cains. H espéroit pourtant, mais sans oser se
livrer au doux pressentiment de revoir sa tendre
Evahim, lorsqu'il apprit que M. Pélerin , son
L
(1) Le chica, danse nègre, consiste à faire mouvoir
jes hanches et les Iombes, en conservant néanmoins le
reste du corps dans un aplomb qui ne doit pas même
stre contrarié parles sesles voluptueux que font les bras,
[5
134 VOYAGES
maîtré, vénoit d'acheter un parti de nègres Ibos.
Une joie involontaire s'empare soudain de l’ame
de cet amant passionné; le calme reparoît en ses
sens agités. Quelle est sa surprise, lorsqu'il
reconnut Evahim et sa mére dans le groupe des
négres nouvellement débarqués! Le passage
trop rapide de la douleur au plaisir, le rend
d’abord insensible , 1l doute de son bonheur ;
mais revenu bientôt de cette incerutude léthar-
gique , 1l s'élance dans les bras d'Evahim, qui le
recoit avec les mêmes transports, et tous deux
versent alors de douces larmes. La mère rappelle
au jeune homme les présens que sa fille a recu
de lui, coutume guinéenne qui exigeoit leur
union. Celui-ci, pour toute réponse , enlève
Evahim dans ses bras, et la transporte à la case
qu'elle doit désormais partager avec lui.
Ces jeunes amans furent depuis un modèle
de constance; leurs veilles étoient en partie con-
sacrées à chanter leur doux rapprochement , et à
le célébrer. La lune, souvent témoin de leurs ser-
mens, le fut aussi de leurs voluptueuses étreintes.
C'est à la lueur amoureuse de cet astre mélan-
colique qu’Aza et Évalhim jonissoient, dans des
délices inappréciables, du bonheur de s'être re-
trouvés ; et c’est à la favenr du calme enchanteur
de la nuit qu'Evahim , attentive aux leçons d’Aza,
apprenoit de lui le parler créole. Aza li pro-
D'UN NATURALISTE. 135
noncoit d’abord, en chantant et s’accompagnant
de son banza, les mots chéris des amans ; puis
les rassemblant, il en formoit des phrases aux-
quelles il appliquoit un chant naturel. Comme
je trouvai les idées de ces jeunes amans mal
secondées par les expressions, et que Pair m'en
parut insigmifiant, je crus devoir, par intérêt
pour une constance aussi rare parmi ces peuples
grossiers , et en faveur de la délicatesse de
leurs sentimens, concourir à les faire plaindre,
et estimer des cœurs sensibles. C’est à cette
considération que je recüfiai le mieux possible
Jes paroles de leur entreuen auquel j'adaptai un
nouvel air de ma composition.
Dialogue créole. Traduction libre.
EVAHIM. E VAHIM.
a | guetté com’ z’ami toüé,
Aza ! fixe les yeux sur moi,
g li fondi semblé cire!
Vois les effets de mon martyre !
1ps la! toué tant loigné de moüé! J'étois tant éloigné de toi!
di là, guetté moüé sourire ! Aujourd’hui... tiens... vois moi sourire,
orange astor li douce au cœur, L'orange reprend sa douceur,
Evahim n’a plus de tristesse.
é fais goûté n’ioun grand bonheur Ton retour est le seul bonheur
ami toué gros de tendresse.
him plus gagné tristesse.
Que pouvoit goûter ta maîtresse,
AZA. AZA.
juior à moué ci lala crâsé ! ÂAza gémissoit comme toi ;
n pas gagné quior à z'ouvrage ; Il n’avoit plus cœur à l'ouvrage ;
oùé nuit, jour mon té songé , Nuit et jour occupé de goi,
fait li crâser davantage. Il souffroit encor davantage.
I Ve
u
4
136
AZA.
Mon pas capab’ souffri z'encor,
Mon té mouri loin de z’amie .. .!
Vla qu’Aza nien’ place de la mort,
Dans quior à toué trouvé la vie,
EVAHIM.
Bouche à toùé doux passé syrop!
AZA.
Baiser tien doux passé banane.
EVAHIM.
Dans mains z’ami j'ouquà de l’eau
Li soucré passé souc à canne.
Aï z'ami! toujours tout pour toué :
Baï’ main sur quior !.… li ca qu’échose !
A ZA.
Li broulé semblé quior à moüé !
Tous deux.
Crois ben piq” c’est pour même cause.
VOYAGES
AZA.
Accablé par les coups du sort,
J’allois mourir loin d’une amie. ..!
Mais au lieu de trouver la mort,
Dans ion cœur je trouve la vie.
EVAHIM.
Aza ! que tes baisers sont doux!
AZA.
_ Le tien l’est plus que la banane.
EVAHIM.
Des mains d’un ami , d’un époux
L'eau pure vaut le jus de canne.
Je te donne à jamais mon cœur :
Aza !.. sens le... comme il s’agite !…
A Z A.
Le mien brüle de même ardeur.
Tous deux.
L'amour le fait battre aussi vite,
Dialogue Créole
(e)
Evahin $
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Qruxor & modes ct lala crasre! Aza genrussot Cormnrre Or,
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Mon 222877772 graor à L'ouvrage, L'n'avoitplis cœur & L' ouvrage;
A lote rat jour mon te “onge': Mat et Jour occupe de lot,
Ca lat & raser davantage, Z souffrait encor davantaye.
‘ É < ‘
Mon pad capablsoufré z'encor, Accable par les corps de ort,
Mon te mouré Un de z'amce….! Jalloi mourir bi d'une anue..!
Va gu'Aramaen’ place de Ur mort, Mail au lu de trouver la mort,
Dans quior@ lode trouve Ur ve, Dand do tour Je trouve Lx vte.
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D'UN NATURALISTE. 13
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CHAPITRE SEPTIÈME.
Candeur des jeunes négresses de Beurnon.
Considération des prétendues pour leurs
époux futurs. Soumission des femmes envers
leurs maris. Fiançailles célébrées dès Lejeune
age. Propreté des femmes de Beurnon.
Soin qu’elles ont de leur corps. Prostitution
purñie par l'esclavage. Leur mariage. Mode
de leurs accouchemens. On tatoue les en-
Jans au huitième jour après leur naissance.
Vexation atroce d’un jeune prince afri-
cain envers une jeune négresse. Religion
des nègres de Beurnon. Distribulion des
maisons dans ce pays. Coutumes du rot;
justice rendue par lui. Le vol considéré
diffamatoire. Adultère royal puni de mort.
Ô pudeur! digne sœur de l'innocence, tu
rèunes à Beurnon , parée de tous tes charmes.
Modestes et mides, les jeunes filles viennent-
elles à rencontrer un jeune homme? pour mar-
quer la soumission parfaite qu’elles auront
pour leur mari, elles se prosternent jusqu'à ce
qu’il soit passé outre ; autrement, si, respectant
peu la coutume de cette bienséance ; elles
138 VOYAGES
restent debout en cherchant à le fixer, elles
sont vouées au mépris, et traitées d’effrontées.
Une prétendue rencontre-t-elle en publie
l'époux que ses parens lui destiuent? elle s’in-
cline respectueusement, et si elle est à portée
d’avoir de la verdure, elle lui en compose à la
hâte un bouquet qu’elle lui offre , en promesse
des jours heureux qu’il aura à passer avec elle.
Cette soumission des femmes pour leurs époux
va plus loin; elle est tellement exagérée, et les
hommes exercent envers elles un empire si
absolu, qu’une épouse ne présente jamais rien à
Son mari, sans préalablement lui avoir fait une
révérence très-respectueuse.
Si un jeune homme voit un bel enfant du
sexe féminin, et qu'il lui fasse quelque présent,
la fille, devenue nubile, est obligée de l’épouser.
Cette coutume est également observée chez les
Jbos.
Les femmes de Beurnon sont d’une propreté
recherchée dans leur intérieur, très-soignenses
pour leurs ustensiles de ménage, et le lustre
parücuher de leur corps. Après leurs bains
répétés trois fois par jour, elles sont dans FPusage
de s’oindre le corps avec l'huile d’un palmiste
qui en fourmit de plusieurs espèces différentes. On
obtient cette substance oléagineuse par la macé-
ration ei l'expression de son écorce et de ses
D'UN NATURALISTE, 139
grainés. Il est un autre moyen de parvenir au
même but; c’est de mettre bouillir dans de l’eau
ces parties concassées : 1l s’en dégage l’huile qui
surnage bientôt à la superficie de l’eau, dont on
la sépare par Pimbibition d'un coton en duvet,
que l’on présente légérement à la surface.
Lorsqu'il s’agit à Beurnon de consommer le
mariage, de vieilles femmes sont choisies pour
l'examen de la nouvelle épouse , et elles Ja con-
duisent au lit nupüal au son des instrumens et
des chants d’alégresse, si elle a été reconnue
vierge. Dès ce moment la nouvelle mariée jouit
de la plus haute considération. Dans le cas
contraire , à la perte de la fleur qui devoit être
réservée et cueillie par l'époux, sont attachés le
mépris et l’indignation de ses nouveaux parens
qui peuvent alors la répudier. Les lois de cette
nation sur ce point sont très-sévères et irréfra-
gables. La pudeur y trouve un asile sûr et
respecté, tandis que la honteuse prosutution y
rencontre la punition réservée à ce vice dégra-
dant. Une négresse de Beurnon, reconnue livrée
à une scandaleuse débauche, est enlevée par
ordre du roi, condamnée sur-le-champ à
l'esclavage , et vendue au premier bâtiment
négrier (1).
(1) La traite des noirs date de l'an 1442. Un Por-
tugais ayant fait deux Maures prisonniers , les vendit
140 VOYAGES
Les femmes d’ailleurs fort lubriques et com-
plaisantes , deviennent, lorsqu’elles sont mariées,
d’une ridicule décence à l’époque de leurs
couches. Il n’est permis à aucun homme d’en
approcher; elles confient aveuglément et exelu-
sivement à des sages-femmes souvent très-
ignorantes, le soin de mettre au monde leurs
enfans. Lorsque le cordon ombilical est coupé,
on cache avec soin sous l’oreiller de l’enfant
nouveau né, les ciseaux neufs qui ont servi à
cette opération, On ne les emploie à lPavenir
qu’à cet usage.
Par une prauque délirante et non moins ab-
surde , si l'enfant a le hoquet, vite on a recours
à la sage-femme qui défile sa couche , et après
en avoir mouillé un fil, elle l’applique sur le
front de l'enfant qui, dit-on, est délivré à
l'instant de cette incommodité. |
Victimes d’une coutume barbare , ces jeunes
enfans sont, huit jours après leur naissance, sou-
mis au tranchant cruel qui doit dessiner , par
des incisions plus où moins profondes , le ca-
ractère de leur nation : c’est ce qu’on appelle
tatouer. Telle secte indique les marques au
en Afrique, sur les bords de la rivière d'Ouro, et obtint
en échange dix nègres, et une certaine quantité de
poudre d’or,
D'UN NATURALISTE. 141
visage, telle autre à la poitrine ; celle-ci au bras,
celle-là par tout le corps où l’on aperçoit, à un
certain âge , des dessins symétriques du soleil
pour ses adorateurs , de langues de feu pour les
prosélites de ce culte idolâtre, d'animaux divers,
de repules , enfin de contours d’architecture
naturelle tracés en relief par des coutures sail-
lantes recouvertes de l’épiderme de la peau.
Il n’est point de crime impuni, et tôt ou tard
la Providence assure au forfait une peine quel-
conque. Un jeune prince africain , d’un natu-
rel féroce, se promenoit, suivi d’une trentaine de
ses gardes ; 1l apercoit un enfant de trois ans en-
viron , assis sur le bord de la route , et occupé à
jouer tandis que sa mère chaufloit un four. Ce
prince appelle celle-ci pour la complimenter et la
féliciter de la beauté de son enfant; puis l'ayant
pris, et faisant parade, aux yeux de ses favoris,
de la supériorité que lui donnoient et son rang
et les forces qu’il avoit à ses ordres, 1l jette au
feu ceue jeune créature, qui fut consumée en
peu de tems. La douleur de la mère ne produisit
aucun eflet sur son cœur farouche et sanguinaire,
En vain elle porta des plaintes au roi; cette
malheureuse ne fut écoutée que pour entendre à
son tour une sévère réprimande qui fut donnée au
jeune prince. Mais Dieu protégeoit l’innocence.
Le jeune prince ayant su qu’on devoit
142 VOYAGES
donner une fête à une cour voisine de ses états,
résolut d’y faire un voyage pour son amusement.
La fille de ce roi étranger portoit le nom d’une
bête féroce de la forêt, qu’on chasse en ce pays
avec passion, et qu'on nomme /abani. Comme
lidole à laquelle il sacrifioit demandoit des Za-
banis ; sans réfléchir que l'espèce humaine n’étoit
point exigée pour le sacrifice, aussitôt qu’il
entend ce mot, 1l court vers la princesse, et
l’égorge comme hors de lui-même. Voilà une
guerre terrible allumée entre les deux puis-
sances ; et le malheureux père offensé, ayant
fait prendre le jeune prince, le fit brûler lui
et sa suite, pour apaiser les manes de sa chère
Evoha.
Dieu soutint la cause innocente de ce père
malheureux, et lui fit remporter la victoire,
quoiqu’à forces inégales avec son voisin. Une
parue des prisonniers qu’il fit, furent massacrés,
au moins ceux appartenant au Jeune assassin,
soit par les liens du sang, soit par ceux de
lamiué, ou bien encore de l’esclavage. Pour
les prisonniers neutres , ils furent vendus et
transportés en grande parte à Saint-Domingue,
où il en existe encore plusieurs sur lhabitauon
Rossignol-Desdunes, où j'ai écrit ces faits.
La religion dominante des nègres de Beurnon
a beaucoup de rapport avec celle des Phylanis,
D'UN NATURALISTE, 143
L’ambition est un monstre à leurs yeux : ils ne
cherchent qu’à protéger leurs semblables; c’est
pourquoi ils ne font jamais la guerre. Sévères
observateurs de l’hospitalité , si un étranger
arrive au pays de Beurnon, le chef de cette
peuplade unie, pour capter les bonnes graces
de linconnu et le retenir dans ses états, lui
donne des terres et une de ses filles en mariage.
JL lui est de plus fourni des vivres jusqu’à la
première récolte qu'il aura pu faire. Voilà, ce
me semble, les premiers fondemens de la re-
ligion naturelle : «Faites aux autres ce que
vous voudriez qu'on vous fit ».
Îls ne mangent de viande que celle sa-
criliée et bénie par leur grand-prêtre, appelé
alpha. L'usage de la viande de porc leur est
interdit. Un homme qui fait pémitence à Beur-
non, se tent sur les grands chemins, avec des
canaris pleins d’eau, dont il offre, par charité,
à tous les passans ou voyageurs fatigués.
Les siliques du mimosa olens de leur pays,
bouillies avec du jus de citron, leur fournissant
de lencre, les plus instruits d’entr'eux se
chargent de transmettre à leurs frères le code
de leur loi divine. Une plume de bambou trace
sur des planchettes, à défaut de papier qui y
est très-cher, ou sur des taches de palmiste, les
dogmes de leur religion. Un livre ainsi achevé,
144 VOYAGES
est envié de tous les acheteurs. Les coquilles,
leur monnoie ordinaire, ne sauroient le payer,
et on ne peut l'obtenir que par l'échange de
douze gazelles (ou jeunes vaches) prêtes à mettre
bas. Ainsi des peuples barbares ont le plus grand
respect pour des simulacres que des nations
civilisées se plaisent à ridicuhiser.
Leur vénération est si grande pour un livre
de priéres, que lorsqu'ils Pont touché, ils ne
le quittent point qu'après lavoir lu, ou chanté
de mémoire. El y a plus ; sa possession leur est si
précieuse, qu'ils préféreroient, dans le besoin ,
vendre tous leurs animaux, que de se démunir
du recueil de leurs lois sacrées. On en a vu dans
l'incendie imprévu de leur case, arriver du
iravail , pénétrer sous des solives embrasées, et
chercher leur hvre au .nnheu des décombres,
par leur foi de ne point mourir en exerçant
cetle œuvre de piété.
Les habitans de Beurnon ont un code de
lois pour la puniuion des crimes,.qui doivent
être attestés par trois témoins. Leur bonne foi
est telle que, si les accusateurs dont ils ne
doutent point de Ja sincérité, se lèvent, l’accusé
est condamné à être pendu.
Chaque maison de Beurnon forme un îlet
clos , au milieu duquel se trouve une cour.
C’est là qu’à la chute du jour, chaque famille
se
D'UN NATURALISE. 145
se rassemble pour se soustraire à la voracité
des bêtes féroces. Je me rappelle que dans ma
jeunesse, me dit une nourrice de la grande case,
étant allée avec ma tante à une peuplade voisine,
pour vendre quelques provisions de bouche,
j'oubliai mon tanga qui les contenoit; mais je
n’osai avouer ma négligence, bien résolue de me
lever au milieu de la nuit, pour retourner
le chercher. Bientôt éveillée par la crainte, je me
mis en route, commettant l’imprudence de laisser
la porte ouverte, ayant oublié les trop fréquentes
visites des bêtes sauvages.
La crainte d’être grondée par ma mère, me
fit mettre la peur de côté, et je m’acheminai
seule pendant la nuit. Je rencontrai deux jeunes
hommes vêtus de manteaux blancs, qui me
demandérent où Jj'allois : je leur racontai mon
aventure. Ils me dirent gravement à leur tour :
« Vous êtes seule de fille, votre mère a six
» enfans ; ne conunuez pas votre route ». Et en
me parlant de la sorte, ils me reconduisoient.
À peine arrivés devant ma porte, ils me dirent
précipitamment : «Rentrez , rentrez vite, et
» fermez bien la porte, ou vous serez mangée par
» les bêtes ». Cette sorte de prédicuon me fit une
grande impression; cependant je remerciai ces
êtres généreux de l'intérêt qu’ils prenoient à
moi. ll ne se passa pas trois minutes, que des
Tome LIL k.
140 VOYAGES
léopards, des ours et des tigres, qui probable-
ment m'avoient éventée, vinrent hurler à la
porte. |
Le roi de Beurnon ne sort jamais ; et si quel-
qu'un, dans l’intérieur de son palais, vient à le
rencontrer et qu'il ose le regarder fixement,
son audace est punie de mort. Lorsque le roi
doit rendre justice à des plaignans , assis sur son
trône, sa figure est dérobée aux regards de la
populace , par une draperie élégamment fes-
ionnée. S'il prononce une sentence , elle est
portée au réclamant par sept hérauts disposés et
placésen amphithéätre sur sept degrés progressifs.
Alors le sujet, pour marquer sa respectueuse
soumission .au jugement de son monarque,
et lui témoigner son humble reconnoissance , se
prosterne, et applaudit des mains , après s’être
couvert la tête de cendres.
Le vol est abhorré, et tellement regardé con-
iraire aux lois de la société, que les fautes ne
sont pas réputées personnelles, mais qu’elles
entraînent la perte de toute une famille, Par
exemple, le roi, soit par l’austérité de sa mo-
rale, soit par une spéculation Ilucrauve, fait
semer dans les places publiques ou sur Îles
grands chemins , des colliers, bracelets ou autres
joyaux, pour éprouver la retenue de ses sujets ;
ses courtisans sont placés de manière à pouvoir
wc
D'UN NATURALISTE. 147
examiner les fauufs, sans être apercus. Si des
enfans ramassent ces objets qui ne leur appar-
tiennent pas, les courtisans s’en saisissent, et,
dès qu'ils sont reconnus, ils sont vendus, eux
et leur famille,
L’adultère royal est puni de mort. Une reine
fat séduite par un de ses courüsans , et attachée
aux branches vacillantes d’un arbre, au dessus
d’une rivière, pour y mourir de faim; tandis
que le père de l'enfant, résultat de leurs amours
clandesunes , fut empalé et exposé au marché,
afin d’y servir d'exemple.
IL est permis aux habitans de Beurnon de
chasser une fois l’année , à l’époque de la ponte
des poules d’eau, canards et tortues. Pour cet
effet, 1ls mettent le feu aux herbes des marais,
afin d’expulser de leurs nids les oiseaux aqua-
üques , de s'emparer de la quantité innombrable
de leurs œufs, et des tortues qu’ils rencontrent.
Comme ce peuple ne se nourrit que de viande
boucanée ou fumée, ces provisions durent d’une
année à l’autre.
Simples dans leurs mœurs, 1l en mourut un
sur lhabitation Robuste, pour avoir mangé,
à son arrivée de la côte à Saint-Domingue, du
manioc blanc amer, qu'il avoit pris pour du
manioc rouge ou doux, la seule-espèce existante
dans son pays; ce manioc blanc est un poison
K 2
143 VOYAGES
subul, si l’on n’en a exprimé le suclaiteux mor-
üfère, pour obtenir de la fécule un aliment,
espèce de pain qu'on nomnte cassave, et qui
se. dessèche sur des plaques de fer rougies au
feu. Le contre-poison du mauioc blanc ou amer
est le suc exprimé du raucou, pourvu qu’on
en fasse usage sur-le-champ.
nr nr ne ON NO
CHAPITRE HUITIÈME.
Les Mozambiques professent. la religion
catholique, qui leur a élé communiquée
par les Portugais. Leur conduite louable et
édifiante dans les églises. Secte de Vaudoux
inozambiques, espèce de convulsionnaires.
Certains se nourrissent de sang humain.
Le parue des nègres mozambiques ont
recu la connoissance du vrai Dieu par les Por-
tugais, qui sont souvent en relation avec eux;
ils sont zélateurs d’un culte dont ils éloignent les
abus, et prolessent de cœur une religion qui
leur est chère ; et bien éloignés de croire à une
contrainte honteuse lorsqu'il s’agit de rendre
des hommages à l’Auteur des êtres, leurs
offrandes sont celles d’un cœur pur, généreux ,
et entièrement consacré, au vœu qu'il a formé
L
D'UN NATURALISTE. 1/19
de remplir ses devoirs. Ainsi convaincus que les
cérémonies pieuses doivent exciter ou la ferveur,
ou la joie, ou la tristesse, ils se présentent à leur
temple , pénétrés du sujet qui les y ature, et s’y
comportent toujours d’une manière décente et
relativeau lieu saint où ils se trouvent.
Par exemple, ils dansent le jour de la messe
de minuit, au milieu du sanctuaire , en réjouis-
sance de la nativité du Sauveur, tandis que dans
un autre tems, à l’époque de la semaine sainte,
on les voit se rendre en foule au temple , la tête
baissée, et observant le plus morne silence.
Voilà les Mozambiques chrétiens, fidèles obser-
vateurs de la loi qu'ils ont juré de ne point
enfreindre : maintenant examinons la secte de
leurs vaudoux ou convulsionnaires, diagonale-
ment opposée aux principes de bienfaisance et
de charité des premiers (1).
1] en existoit une réumion sur l’habitauon
Pélerin, dite Petite- Place-le- Mince , située
(1) Quand les Néophites vont implorer leur vau
doux ou serpent , ils se prosternent devant lui, par
rang d'âge. Les uns lui demandent à capter la bien-
veillance de leurs maîtres; d’autres à acquérir de
l'argent, ceux-c1 à se faire aimer de leurs maïtresses ,
ou de pouvoir triompher de nouveau d'un cœur
devenu infidèle, et tant d'autres souhaits.
K 3
130 VOYAGES
quarüer des Cayes Saint-Louis | à Saint-Do-
mingue ; et C’est du propriétaire, témoin ocu-
Juire des faits que je vais publier , que je uens
les détails suivans : «Nous avons, me dit-il, sur
» notre habitauon plusieurs vaudoux mozam-
» biques, qui se réunissent assez souvent pour
» obéir à une coutume de leur funeste insuitu-
» uon. La cérémonie a lieu sans le moindre
» apprèt , soit que cachés par les cannes à sucre,
»ils cherchent à se dérober aux regards des
» curieux , Soit qu'ils prennent cette précaution
» avec lPintention d’être plus tranquilles. Des
» que l'endroit est choisi , ils commencent ainsi:
» un jeune enfant, chargé probablement de leurs
» fautes, est placé an milieu du cercle dont ils
» l’envirounent ; puis deux à deux , et trois à
» trois, ils s’avancent vers lui, le frappent lége-
» rement tour à tour sur l'épaule; on le voit
» bientôt tomber en crise et se rouler. Huit
»jours après cette cérémonie, Je vis, dit
» M. Pélerin , l'enfant dépérir à vue d'œil, et
4
Le
avant la fin de l’année, une mort attendue
—
er
terminer les jours malheureux de cette inno-
» cente victime }. ( |
M. Mirault, habitant de la Peute-Riviere,
quarüer de lArubonite , avoit plusieurs nègres
mozambiques. L’un d'eux se trouvoit infirnnier
à l'époque d’une maladie que son maître fit, et
D'UN NATURALISTE. Toi
dans laquelle la saignée fut ordonnée. Le chi-
rurgien avoit recommandé de garder la palette,
etil ne fut pas peu surpris lorsqu'il sut à son
retour , que le nègre mozambique avoit fricassé
le sang de la palette , et que semblable aventure
lui arrivoit toutes les fois qu'il étoit à même de
satisfaire son goût dominant pour le sang
bumain.
CHAPITRE NEUVIEÈME.
Sépulture des rois de Dahomet. Leur
barbarie envers leurs prisonniers. Habil-
lemens de ces peuples. Leur parure.
Les femmes oignent leur corps, et se
musquent avec le produit de la civette.
Usage du teklé. Continence des femmes
enceintes. Leur confiance dans les amu-
lettes. Les vétemens des filles différens de
ceux des femmes.
Le: préparaufs des cérémonies funéraires des
rois de Dahomet ressemblent plutôt aux dispo-
sions d’une fête de réjouissance , qu'aux tristes
apprêts d’un deuil qui devient par suite pres-
qu'universel. Vicuümes d’une absurde supersti-
üon, si c’est aux premiers de la cour qu'est
réservé le fatal privilége d'accompagner le ro:
K 4
152 VOYAGES
dans sa tombe, on les prépare de manière à
arriver au moment du sacrifice irréparable de la
vie par des fêtes joyeuses et bruyantes, dans
lesquelles ces infortunés s’étourdissent sur l’ave-
nir qui leur est préparé.
Le roi étant mort, l'instant de sa «sépulture
étant arrivé, et les fêtes propitatoires étant
achevées, un héraut somme les femmes, les
enfans et les esclaves du monarque d’avoir à
se revéur de Îenrs plus riches ajustemens, et
après une danse victimale qui s'exécute entre ces
êtres condamnés , on Jeur tranche la tête, et
Jeurs cadavres, fumans encore, sont précipités
dans la fosse destinée à recevoir le corps du
monarque , qu'on pose très-respectueusement
sur le monceau de ses victimes , de peur qu'il ne
touche la terre , et ne vienne à se salir.
Le roi de Dahomet, loin d’user envers ses
prisonniers , de la générosité digne de son rang,
les maltraite et insulte à leurs malheurs, par des
actes d’une cruauté inowie. C’est aux anniver-
saires des fêtes que ces infortunés sont exposés
nus aux insultes de la populace, pour devenir
ensuite des victimes expiatoires, du sang des-
quelles chacun s’abreuve , en le sucant à l’envi.
L’habillement des nègres de Dahomet con-
siste en un teklé et un mammale, morceaux de
toile ou d’étoffe dont ils se drapent le buste, et
D'UN NN NAÂTURALISTE. 155
dérobent aux yeux indiscrets la différence du
sexe. Ils mettent beaucoup d’art et de prétention
dans la coupe de leurs cheveux , et forment avec
ceux épargnés par le rasoir, des dessins plus
ou moins symétriques, que les plus riches
traversent en outre de lames d’or, que les
pauvres remplacent par des plumes éclatantes,
ainsi que les Congos.
Leur cou est orné d’un collier à double rang
de corail ou d'ivoire , de cuivre ou de fer, tous
ces objets étant confusément rangés à la suite
l’un de l’autre. Leurs bracelets et leurs bagues
de même uature, sont ordinairement matériels.
Les femmes très-propres se lavent sans cesse,
puis se parfument avec une huile odoriférante
qu’on obuent dans le pays, du palmier à cha-
pelet. Elles se musquent aussi avec de la civette,
ou des feuilles d’asperuta odorata. (Linné.)
Elles fardent leur visage avec diverses couleurs,
iclles que le raucou, l’ocre, etc. Leurs trois
rangs de collier en sautoir sont entre-mélés de
verroteries , de coquilles, d’agates, divisées en
compartimens égaux , par des pièces de mon-
noie d’or. Leur calcaneum est orné d’un anneau
d’argent.
Le teklé sert aux négresses:de Dahomet, à
soutenir accroupis derrière elles leurs enfans,
même pendant leurs occupations, Ce doux
L2
124 VOYAGES
fardeau ne les empêche en aucune manière
de vaquer aux détails de leur ménage.
Les femmes enceintes , glorieuses du nouveau
ütre de mère qu’elles vont acquérir, sont très-
réservées ; elles cessent d’habiter avec leursmaris,
et font tout en un mot pour que leur grossesse
prospère. Leur parure est alors sans affectation ,
et propre à laisser libre Ia circulauon du sang ;
c’est pourquoi elles quittent leurs lourds bra-
celets, pour revêur leurs bras de manchettes
d’écorce à brins pendans, dont chacun, par
suite de cette superstition naturelle aux Gui-
néens, est réputé avoir une vertu pour lenfant,
ou pour accouchement. On teint ordinairement
ces manchettes en rouge , couleur des féuches,
Les vêtemens des femmes, en général, ne sont
pas ceux des filles. Les enfans des deux sexes
sont nus jusqu’à l’âge de deuze ans, usage con-
servé et perpétué par les nègres créoles des
diversescolonieseuropéennes policées. Lesenfans
sont chargés d’amulettes, dont les propriétés
ficuves sont en faveur de la sante.
D'UN NATURALISTE. 155
|
CHAPITRE DIXIÈME.
Les Akréens , Crépéens et Assianthéens ont
la peau et les cheveux diversement nuancés.
Leur nourriture. Idée de ces peuples sur
l'existence de Dieu. Ils sont idolätres , et
pourquoi Ils consultent leurs fétiches dans
Les circonstances critiques. Le héron vénéré
parmi eux. Description de leurs maisons.
Ils conjurent les flots avant de combattre.
ITabillement des soldats. Leur précaution
pour les prisonniers à faire. Manière dont
ils se préparent au combat. Armes des
généraux. Instrumens des musiciens. Ils
tuent les blessés ; enfouissent leur argent
avant la bataille. But de leurs guerres.
Ils sont tous pécheurs , et ont une mémoire
très-fidelle. Les Popéens sont très-céré-
. Monteux envers leurs supérieurs. Ridicule
de leur superstition. Empire des prêtres.
Commerce de ces peuples.
Cie peuplades, voisines l’une de l’autre, sont
formées de nègres dont la peau noire est diver-
sement nuancée, Leurs cheveux crépus sont
noirs dans ceux-ci, rouges dans ceux-là, et
156 VOYAGES
blancs chez d’autres individus, dès leurs pre-
miers ans. Leurs mains sont couvertes de taches
blanches affreuses à voir, par leur contraste
entièrement opposé à la couleur de leur corps.
Ils se nourrissent d’herbages , de sang épicé
à peine cuit, de friture puante, de poisson
gäté, préparé à l'huile de palmier.
Les Akréens Crépéens et Assianthéens recon-
noissent un Étre suprême, principal et unique
moteur des merveilles de la Nature; mais ne le
croyant pas en rapport direct avec ses créatures,
le supposant bien assez occupé de la surveillance
des astres. [ls se créent des divinités subalternes
ou féuches, pour émettre auprès de lui leurs
volontés. Ce qu'il y a de plus absurde c’est qu'ils
choisissent à cet effet la plus vile des créatures.
Ils adorent un serpent non venimeux , ‘parce
qu'il en dévora un mal-faisant qui étoit prêt à
mordre un nègre.
On le ces fétiches pour la guérison des
maladies: et on leur offre, pour ENS leur
protection, des animaux vivans qu’on attache
à des poteaux jusqu’à ce qu'ils soient dévorés
où par un oiseau de proie, ou par les chiens de
buissons (1), espèce de loups si féroces et si
bardis qu’ils viennent près des maisons y hurler
(1) Jackals.
>.
D'UN NATURALISTE. 15
et chercher des vicumes. Le héron est aussi
parmi eux en vénération , et il est défendu , sous
des peines très-graves, de troubler les nichées de
ces oiseaux. Les maisons des Akréens, Crépéens
et Assianthéens sont basses et toujours enfumées.
Ces peuples, avant de combattre, vont con-
sulter la mer. Lorsque les flots sont en courroux,
ils concluent que leurs armes seront victorieuses,
etque la Nature demande vengeance. Les soldats,
revêtus d’un seul mammale ou tanga, portent
sur leurs dos une giberne de‘peau de tigre pour
contenir les provisions de bouche, et les cordes
destinées aux prisonniers qu'ils feront dans la
bataille. Ils ont pour coiffure, sur leurs cheveux
saupoudrés d’ocre rouge, un casque de peau
de bète féroce, ou de vertébres garnies de
plumes, et d’une queue qu'ils laissent pendre
derrière leur tête. Leur cou est garni d’amu-
lettes qui doivent les protéger. Ils crient avant le
combat, et se blanchissent la figure pour pa-
roître plus hideux. Les généraux ont un bâton
sculpté, et un sabre dont la poignée est revêtue
de pointes ou aspérités bien peu commodes
pour le maniement.
Les musiciens sont placés, pendant l’action,
derrière les combattans. Les uns portent sur leur
tête , des tambours formés d'arbres creusés, et
sont immédiatement suivis dans leur marche, du
1558 VOYAGES
negre batteur , tenant les baguettes qui sont de la
: forme d’un crochet dont l'extrémité est en boule ;
les autres sonnent des cors de dents d’éléphant.
La guerre ne s’entreprend entre ces peuples
et leurs voisins que pour égaliser les nations.
Les soldats se défient avant l’acuon. Ils ne se
servent point de flèches dans leurs combats,
mais de grands couteaux ou mâchettes avec
lesquels ils se battent, se défendent, et coupent
Ja tête aux blessés qui ne peuvent plus marcher.
Ces têtes, aprés la bataille, sont disséquées , et
conservées en trophée par chaque vainqueur
qui les abandonne à sa postérité. En tems de
guerre ils enfouissent leur argent dans de grands
pots.
Les Akréens, Crêpéens, Assianthéens sont
presque tous pêcheurs, et aiment passionnément
le poisson qu’ils trouvent en abondance dans la
rivière de Quitta, qui est très-poissonneuse. Ces
Ichtyophages salent et font sécher au soleil les
poissons avant de les manger.
Îls ont une prodigieuse mémoire, et citent
des particularités d’époques très-éloignées , avec
une exactitude surprenante.
Très-cérémomieux envers ‘leurs supérieurs,
les nègres popéens les saluent jusqu’en terre , en
faisant craquer leurs doigts. Abrutis par des
coutumes superstineuses, s1 les prêtres, par um
D'UN NATURALISTE. 159
intérêt quelconque, leur défendent de voir la
mer et leur prescrivent de rester dans leur
intérieur , 1ls demeurent dés-lors sous le coup de
la loi, et la moindre infracuon en ce cas est
punie de mort. Les prêtres se divinisant, 1l est
également défendu au peuple, sous les mêmes
peines, de contempler les processions, dans la
crainte de perdre la vie; ces cérémonies étant
trop augustes pour la vue d’un mortel. Les
Popéens font un commerce d'ivoire et de bois
de santal.
160 VOYAGES
D Ve D D D VV VOL RS RU Rs
CHAPITRE ONZIÈME.
Mœurs des Plhylanis. Ils mènent une vie
errante. Lieux qu’ils choisissent pour y
carnper, eux et leurs troupeaux. Union
intime des familles de cette peuplade.
Punition infligée aux enfans. Respect de
ces derniers pour les gens ägés qu’il ne leur
est point permis d'interrompre au milieu de
leur conversation. Leur religion semblable
a celle des Juifs. Description de leur
temple, et des-cérémonies qui s’observent
dans leurs fêtes. Instructions de l’Alpha
ou grand-prêtre. Sacrifice du bélier au jour
d’Audebiché. Pureté de la morale de ces
Nomades. Peineinfligée aux bouchers.
Opinion des Phylanis , sur l’existence des
esprits.
er dans leurs goûts, purs dans leurs
mœurs , l'ambition n’est point connue des Phy-
lanis ; elle fuit cette peuplade innocente , et ne
peut détruire sa frugalité. Une vie agreste et
indépendante a pour eux plus d’attraits. Sans
asile déterminé, sans chaumière précisément
établie, un roc mousseux et verdoyant que
| baigne
D'UN NATURALISTE. 161
baigne une cascade fraîche et tumultueuse,
ou des rameaux de palnners rassemblés à la
hâte, pour la construction d’un ajoupa , servent
à ces heureux pätres et à leurs nombreux trou-
peaux qui voyagent avec eux, de retraite et
d’abri contre les ondées du soir , ou les feux
brülans du midi. EL
Destinés à mener une vie errante comme les
Juifs dont ils semblent professer la religion ; se
croyant descendans de Caïn , et marqués à cet effet
d’une couleur étrangère aux autres hommes, les
Phylanis font consister leur bonheur à s’épargner
des besoins inutiles, et à se détacher des biens de
la terre. La tranquillité de leur conscience leur
prouve, par cet état inappréciable de quiétude ,
qw’en cessant de poursuivre le fantôme de l’am-
bition, ils ont trouvé dans la vraie et uule
philosophie le secret d’être à jamais heureux.
C’est dans l'intention de perpétuer cet état de
félicité , que.chaque famille de Phylanis voyage
dans l’intérieur de la Guinée, campe avec ses trou-
peaux au milieu des sites les plus rians, qui ne
contribuent pas peu à flatter agréablement leurs
sens. Leurs caravanes sont composées de bœuf,
gémisses , et de chiens, êtres utiles et fidèles amis ;
de chèvres èt de moutons, animaux paisibles et
producufs. Chaque famille jouit en paix des
Tone II, L
162 VOYAGES
douceurs de la vie champêtre; les Phylanis
s’éloignent avec soin des endroits habités, re-
doutant une contagion qui pourroit leur devenir
funeste : leur franchise évite la dissimulauon
des nègres de bourgades prétendues policées, se
contentant de leur fournir du laitage , en échange:
de vivres tirés du sein d’une terre que leur
défaut de résidence ne leur permet pas de cul-
üver : ils communiquent à cet effetavec ces habi-
tans inconnus , sans pourtant se familiariser
avec des êtres que bientôt ils ne doivent plus
revoir , les desuins de leur existence les conduisant
dans les divers cantons de Guinée qu'ils par-
courent successivement.
Que de fois le jour, des tableaux intéressans
de la vive Nature égayent et charment les
momens de loisir de ces fanulles pacifiques!
lci, c’estun vieillard caduc qui reuent à folätrer
sur ses genoux mal affermis un jeune enfant :
voyez comme celui-ci se débat; et déjà vic-
torieux des vains efforts de la débile viaillesse ,
comme il s’échappe, pour disputer une place
à son frère accroupi au dessous d’une génisse
qu'on va traire; mais le partage devient égal,
et chacun d’eux pressant d’une main délicate
les tetins qu’ils se sont choisis, voyez- les
s’abreuver à longs traits d’un lait écumeux et
éblouissant , dont l’abondance , au moindre
D'UN NATURALISTE. 103
mouvement de l'animal, vient se répandre sur
le vermillon de leurs joues.
S'élève-1t-1l une dispute de friandise? la
querelle éphémère est-elle allumée ? qui va
l’éteindre ? leur mère commune : elle accourt
en allaitant un jeune nourrisson content de sa
portion, et qui, craignant déjà le partage de
sa bouteille chérie, bondit , et cache, sous les
caresses de ses mains gentilles, une provision
qu'il veut avoir pour lui seul. Il se mettroit
bientôt en colère, il pleureroit , il crieroit en
agitant ses peuts pieds, si , au mépris de sa pré-
caution, quelqu’importun feignoit de vouloir
ai ravir un trésor qu'il ne sait point appartenir
qu'à lui seul. Telle est la vie privée des bons
Phylanis , telles sont leurs récréations légitimes,
lorsqu'ils ont satisfait aux légers devoirs que leur
imposent les réglemens de leur association.
Une mère vendue à Saint-Domingue, sur
l'habitation que j'occupois, avoit conservé les
usages de son pays, et punissoit un de ses né-
grillons pour une faute assez grave. Je vis cet
enfant en pleurs placé près la porte de la case,
à la vue de ses camarades qui le morüfioient,
ayant une pierre fort lourde sur sa tête, et
tenant de ses mains ses deux oreilles, obligé de
se baisser, pis se relever successivement jusqu’à
ce que ses genoux vinrent à fléchir de lassitude,
L 2
3164 VOYAGES
instant où la pénitence fut remplie ; 1l n’en étoit
pas encore à ce point, que m’apercevant, 1
me cria du plus loin : Pardon, maître! Je me
rendis à ses instances, et après une lecon sévère,
je l’envoyai implorer celui de sa mère, qui lui
fut accordé à ma considération.
Les enfans des Phylanis sont très-respectueux ,
et tellement habitués à la discréuon et à l’obéis-
sance, que la moindre infraction à cet ordre
sévère est punie tres-rigoureusement de diffé-
rentes peines proportionnées à la nature de la
faute. Par exemple, lorsqu'un de leurs parens ou
des étrangers plus âgés qu'eux engagent une
conversation , il ne leur est permis que d’en-
tendre, et la correction la plus rigide devient
leur partage , s'ils ont osé rompre le silence.
C’est par une suite de cette coutume que les
enfans ne mangent point avec les grandes per-
sonnes , pour laisser ces dernières plus libres
dans leurs entretiens ; aussi la moindre curiosité
est-elle suivie d’une correction très-rigoureuse.
La religion des Phylanis paroîït être celle des
Juifs. Un nègre phylanis , strict observateur de la
loi , est autant parfait qu’un homme peut l’être.
Leur grand-prêtre appelé a{pha, n’abuse point
de Pautorité que leur confrance en lui a établie ;
il pratique la morale qu’il inspire, et le moindre
différend estjugé par ce sacrificateur, qui voyage
D'UN NATURALISTE. 165
toujours à la tête de chaque peuplade. Austères
imitateurs de leur père Abraham , ils sont voués
comme lui au Dieu qu'ils implorent; ei sil
s’agit de faire profession de leur foi, et de jurer
qu’ils croient bien en Dieu, ils le témoignent en
publiant hautement devant leurs semblables ,
«qu’ils donneroient volontiers leurs enfans, si
» ce sacrifice étoit exigé du Dieu qui leur donna
» l'être ».
Allah, .veut dire Dieu en leur langage ;
et le mot amen signifie, nous vous remercions
du boire et du manger. Le’temple qu’ils cons-
truisent à la hâte, lorsqu'il s’agit d’un sacrifice
propiuatoire, s'appelle guine-grine, dans l'inté-
rieur duquel ils ne pénètrent jamais sans préa-
lablement s'être purifiés, à l'exemple des Juifs,
par un bain de pieds et de mains.
Bien convaincus que dans un édifice superbe,
ou dans un local simple, la magnificence du
grand Dieu créateur est la même, et qu'aucune
tentative des hommes ne’peut en relever l'éclat,
ou l’afloiblir, parce qu’elle est une et naturelle,
ils suppléent à leur défant de résidence pour
l'édification stable de leurs temples, par le choix
des endroits propres à rapprocher la créature de
son Créateur. La vue d’un bois touffu, dont la
verdure active témoigne en faveur de l’Auteur
de la Nature, attire d’abord leur attention; ils
L 3
166 VOYAGES
inspectent l'endroit, et cherchent à réunir, sous
son cintre , toutes les qualités requises. De
hautes futaies dont la cime seulement est ba-
lancée par le vent, un foible jour que produit
leur ombrage touffu, des nappes d’un verdoyant
gazon , des arbres fruitiers, pour en offrir les
prémices et en dessiner le contour; des rochers
frémissans sous le bruit de cascades choisies
pour la purification et l’entreuen de la frai-
choeur du lieu; un respectueux et imposant
silence qui convient au rapport direct de
l’homme avec Dieu, seulement interrompu par
des oiseaux créés pour chanter ses louanges,
voila le heu choisi au sein des campagnes, pour
l’édificauon de leur temple. Leur principale
fête qui se renouvelle tous les ans, au solsuce
du printems, s'appelle Audebiché. Les Phylanis
observent, avant son époque, un jeûne privatif
de trente jours, et la dernière semaine, ils ne
font un repas que le soir de chaque journée.
La veille du grand: jour d’Audebiché, cette
fête la plus solennelle , ils se réunissent, et con-
duits par Palpha , ils cheminent vers le lieu
appelé Bambé , choisi pour l'établissement du
sacrifice. Chacun des assistans dépose un peut
fagot au centre de la place qu'ils invesussent ;
puis , aprés la prière, l'alpha miet le feu au
bücher , et étant secondé par chacun des Phy-
D'UN NATURALISTE. 167
lanis mäles armés d’un uson, comme en Europe
au jour du feu de Saint-Jean, ce grand-prêtre
dit hautement dans son langage, en parlant
de la flamme de ce foyer: « Peuple, mes frères,
» voici encore un des bienfaits de notre grand
» Dieu ».
Le soleil couchant termine ordinairement cette
pieuse cérémonie; chacun se retire en paix, et
se livre au sommeil, toujours doux par la
pureté de leurs acuons. Ils ne peuvent cependant
pas le goûter long-tems ; l'alpha veille, et sa
grande ferveur exige des sacrifices : un de ses
acolytes est chargé par lui, vers l’heure de mi-
nuit, de sonner de la trompe pour réveiller tous
ceux des Phylanis qui ont jeûné, et ce bruit
grave leur annonce qu'ils doivent prier. Bientôt
réunis à l’alpha dont ils respectent les ordres
sacrés, ils lui témoignent, par une inclination
profonde , leur confiance et leur sounussion ;
après quoi l'alpha répond : « Nous dormons au
» lieu de prier! et Dieu pourtant veille sar nous
» le jour et la nuit ». Un signe de tête devient
une réponse approbative. La nuit se passe en
pricres.
Le lendemain , dès que létoile du maun
annonce un nouveau jour, lorsque les vapeurs
dela nuit, combinées encore avec les parfums de
Ja Nature, font cireuler leur suave odeur ; lors-
L 4
-
168 . VOYAGES
que les oiseaux éveillés dégagent leur tête de
dessous leur aile pour annoncer les pre-
miers les merveilles de leur existence, les
Phylanis ne veulent point avoir à rougir d’être
prévenus dans leur adoration par des créatures
qui leur sont inférieures, et sonmises à l’antorité
de l’homme; ils portent à l’envi leurs pas dans
les campagnes encore humides de rosée, cher-
chent des fleurs pour en ceindre leur tête, et les
cueillent doublementenrichies d’un frais cotôfé 154
d’une odeur suave et douce, et du brillant des
perles vacillantes que le serein a développées.
Les voilà qui se rencontrent, et autant pour
obéir à Ja sympathie de leur caractère, que pour
honorer le Seigneur par une nnion inume parmi
eux , ils se prennent les mains en se disant
bonjour, et, se souhaitant toute prospérité, ils se
caressent comme un frère el nne sœur.
Cependant l'instant approche où le sacrifice
va étre annoncé, et tous les Phylanis réunis
près de l'alpha, lengagent à commencer la
cérémonie, Voilà le cortége à son départ. Douze
trompettes ouvrent la marche ; ils sont suivis de
deux colonnes de Phylanis, hommes et femmes,
couronnés et séparés les uns des autres ; apres
eux, s’avancent à pas plus petits et plus précipités,
douze enfans mâles ayant également la tête ceinte
de fleurs diversement nuancées, retenant au
D'UN NATURALISTE. 169
milieu d'eux, par des guirlandes de roses blan-
ches, une jeune victime, un treizième enfant
couronné de fleurs de la même couleur. Enfin
l'alpha dont la vieillesse ralentit la marche,
suit avec peine, et termine ce simple cortége.
Arrivés au lieu destiné à la consommauon du
sacrifice , ils y trouvent un bücher préparé, le
fatal couteau posé au bas, et le vase destiné à
purifier le grand-prêtre avant d’exercer les
fonctions de son ministère. Le peuple se divise et
se range circulairement, et l’alpha arrive au pied
du bûcher, toujours précédé du groupe des
enfans. Celui que l’on a choisi pour victime est
dépouillé de ses fleurs, et présenté au peuple,
tandis qu’il appelle à grands cris les auteurs de
ses jours. Ceux-ci, glorieux d’avoir été choisis
pour immoler leur postérité au grand Dieu,
rejoignent pour la derniére fois leur enfant
chéri, leur seule espérance, se livrent à une
muette douleur dans leurs derniers embrasse-
mens, et, pour donner une preuve plus authen-
üque de leur entier dévouement à la cause du
grand Dieu, ils embrassent pour la dernière fois
leur enfant, qui lui-même donne signe de son
approbation en indiquant de son foible doigt la
route du ciel; ses plus proches parens le posent
sur le bûcher. C’est alors que le sacrificateur,
aprésavoir invoqué l'Eternel, dessille les veux des
r7 VOYAGES
assistans, et leur annonce que Dieu n’a point
créé l’homme pour lui être offert en holocauste,
que ce sacrifice ne lui est point agréable; qu’il
commande à la création , et doit remplacer la-
néantissement de son être par celui d’un animal
soumis à sa volonté. Aussitôt l’enfant est
enlevé du bûcher, élevé au plus haut par les
bras d’un groupe d'hommes nerveux , offert au
peuple qui dès ce moment le considère, et il est
remplacé par un mouton que l'alpha égorge
à l’instant. C’est, comme on le voit, le simulacre
du sacrifice d'Abraham.
L’holocauste étant consumé par le feu, l'alpha
et le peuple se prosternent en actions de graces ;
ils baisent humblement la terre , et se redressant
les bras en croix surla poitrine, l'alpha leur déve-
loppe les dogmes sacrés de leur institution en
ces termes : « Si vous voyez, leur dit-il, votre
» pere et votre mère infirmes exposés à l’ardeur
» du soleil, portez-les à couvert, ou déracinez un
» jeune bananier, et plantez-le derrière eux, afin
» qu’ils soient protégés par son ombrage ».
L’alpha dit encore : « Si vous n’avez pas soin
» des pauvres, si vous tuez ou volez; si l’esclave
» se révolte, si vous n’assistez point les malades,
» tremblz! Dieu vous punira. Jeunes gens,
» honorez les vieillards pour être, à votre tour,
» honorés comme eux dans un âge plus avancé.
D'UN NATURALISTE. aiva
» Respectez leur foiblesse ; souvenez-vous qu’ils
» ont travaillé pour vous, etsuppléez à la débilité
» de leurs membres impuissans et infirmes, par
» le travail de vos bras vigoureux qui doivent
» les faire exister. |
» Enfans! dès que vos forces vous le per-
» mettent, ne laissez jamais votre père piler un
» grain qu'il a récolté à la sueur de son front; il
» partage avec vous les bienfaits de cette pro-
» duction nutritive, partagez avec lui son labeur
» d’après vos facultés ». L’alpha dit aussi : « Si
» vous priez, et que vous ne donniez pas aux
» pauvres, vos prières sont perdues ».
La plus grande propreté est exigée des
bouchers des Phylanis, et une amende consi-
dérable leur est infligée lorsque le couteau qui
est pendu à leur côté est taché d’une goutte de
sang, ou quand leurs hardes en sont imbibées.
Je partois un jour de grand matn pour donner
la chasse aux caïmans qui désoloient nos rives, et
nous enlevoient beaucoup d’animaux qui vont y
boire ; accompagné de quaire harponneurs
portant aussi des filets, nous suivions en silence
un des bras de l’Ester , lorsqu'un de mes
nègres aperçut en maraude et crut reconnoître
un zation phylanis (nation veut dire compa-
triote) qui cherchoit, en s’enfoncant dans des
champs de maïs, à se dérober à mes regards,
172 VOYAGES |
de peur de punition; mais, comme personne de
notre groupe n’avoit encore parlé, l’un d’eux
nommé Fleuri, lui crie d’une voix sépulcrale :
haucou ! qui veut dire bonjour. Le malheureux
maraudeur fut saisi d'une frayeur si grande
qu'il tomba à la renverse, croyant avoir affaire
à un zomby (ou revenant); ce qu’il nous avoua
lorsqu'on alla le relever.
*
Rs LL RU
CHAPITRE DOUZIÈME.
Les nègres de Diabon sacrifient les étrangers
a leurs dieux. Empire des prétres de Bodé;
leur criminelle autorité. Les étrangers im-
molés , et l'assassinat toléré. Religion des
nègres d'Ufé, bien opposée à celle de
Diabon et de Bodé.
. notre nègre Charpentier, vint à son tour
donner des détails sur les mœurs des nègres de
Diabon , ses compatriotes. Il avoit tout récem-
ment recu le baptême, aussi ne craignit-il
point de décrier les abus de l’idolâtrie de ses
frères. « Nos dieux sont méchans , disoit-il,
» impitoyables pour les étrangers qui sont surpris
» sur notre territoire; ils paient de leur tête
» leur audacieuse erreur, et sont sacrifiés pour
D'UN NATURALISTE. 173
» apaiser le courroux de nos déïtés inhospi-
» talières ».
Les prêtres de Bodé usent avec latitude de
leurs prérogatives sur les idolätres qu’ils ensei-
gnent : leur règne est celui de la terreur la plus
iyrannique. Veulent-il se procurer des mar-
chandises sans débourser aucun argent ? ils an-
noncent que leur dieu estirrité, et qu’1ldemande
du sang. La malheureuse vicüime est choisie par
eux-mêmes dans le peuple, sil n’y a point
d'étrangers; nouveau moyen criminel d’exercer
leur vengeance envers leurs ennemis. L’inno-
cence est sacrifice, et le cadavre démembré pour
le distribuer aux sacrificateurs. Tant que ces
prêtres féroces et impies possèdent la portion
ensanglantée de leur vicume, ils lexposent
alternativement dans le marché sur ce qui leur
fait plaisir, et le marchand est obligé de leur
livrer l’objet deleur choix, sans demanderaucune
rétribuuon.
Leurs lois absurdes, immorales et contraires
à l’ordre social, autorisent le crime, loin de le
T éprimer. Par hot siun assassin se présente
comme tel à Bodé, 1l est reçu honorablement,
et toutes les jeunes fiiles vont, à l’envi Fée
de l’autre, s’offrir à lui pôur épouse ;4andis que
si un voyageur étranger est rencontré demandant
l'hospitalité, 1l est pris, malgré ses protestations
174 VOYAGES
de soumission envers les lois du pays, et égorgé
à linstant.
Les nègres d’'Ufé n’adressent point leurs hom-
mages à des simulacres faits par la main des
hommes; 1ls choisissent, pour exciter leur com-
ponction, les preuves matérielles de l’anéan-
üssement humain , preuves incontestables de
l'existence d’un Être suprême qu’on croiroit
bien loin de la pensée de ces idolâtres, mais qui
paroît pourtant en être rapproché par leurs
coutumes philosophiques, servant d’argument
irrésisuble en faveur de ces peuples, d’ailleurs
hons et hospitaliers.
Dans un lieu sombre et sauvage, au milieu
d’une nature primitive, dans des crevasses
souterraines de rochers escarpés , au centre d’un
imposant ombrage, cette peuplade pénètre en
silence, la tête baissée, et d’un pas grave et
respectueux. Aucune fétiche ne se présente à
leurs yeux , ils n’ont point de prêtres, puisqu'ils
n’ont point de mystères. Le vaste et ténébreux
édifice consacré à exciter leur componcuon, à
émouvoir leurs facultés intellectuelles, à pro-
voquer un retour au bien dans les cœurs
criminels; cet édifice, dis -je, est tapissé d’osse-
mens Mine que u mort a réunis depuis des
siècles. C’est là que pensant à Ja fragilité de leur
existence, au sort prochain qui les attend, ils
D'UN NATURALISTE. 175
2
sont frappés d’une bienfaisante terreur qui les
éloigne du mal, et les rend bons et bienfaisans.
Ïls sont déjà loin du temple , qu’ils observent
encore un silence qui n’est interrompu que
par une belle action envers les plus malheu-
reux de leurs semblables , ou par quelqu’exhor-
tauon consolante d’un père à son enfant, d’un
ami à son ami... Que pensera-t-on de cette secte
AUS USA D À 0 D À En À À 0 D en D a Ve Vo Vo Va
CHAPITRE TREIZIÈME.
Caractère des Congos. Ils n’ont aucune
considération pour les vieillards. Parure
des Congos. Ils aiment passionnément le
tafia , et recherchent la chair musquée du
crocodile.
O, peut consulter, pour la descripuon topo-
graphique du royaume de Congo, les auteurs
qui en ont déjà parlé, mon but n’étant que de
faire connoître au lecteur le caractère essentiel
et les mœurs de chaque peuplade en particulier.
Les Congos en général sont voleurs, et tellement
effrontés que l’un d’eux surpris en flagrant délit,
ne voulut jamais convenir du vol qu'il tenoit à la
main ; c’étoit une poule : « Pourquoi, lui
170 VOYAGES
» disois-je, rentres-tu à ta case avec une poule
» qui ne Vapparüent pas ? Moi, pas connor
» maîtr”, répondit-1l, mais maman poule ci lalà
» drôle oui! li vini astor jetté en haut mains
» moi. Ton dessein, réparus-je, étoit de la
» plumer et de la faire cuire? Aï! maîtr à
» moi! s’écrie astucieusement le Congo, bon Dieu
» puni moi, si moi, Capab’ faire bagage ci lalà :
» moi vlé seulement chauffé li en haut case à
» moi, guetté comme plumes à li mouillé,
» pauvr” bête » ! En disant cela , il Jui prenoit le
cou, le caressoit et l’embrassoit. IL n’étoit
point étonnant que la poule eût les plumes
mouillées , puisque, pour se dérober aux pour-
suites acharnées du nègre voleur, elle s’étoit
jetée dans un canal où il avoit su Pat-
ieindre; c’est ce que j'appris, et ce dont il ne
voulut jamais convenir , quoique lui ayant pro-
visoirement fait rendre la poule à celui à qui
elle appartenait.
Les Congos, loin de respecter les vieillards
comme les Phylanis, n’ont aucun égard pourleurs
parens âgés ou infirmes, et ils les forcent à piler
le maïs qu’ils destinent à leur unique nourriture.
Les Congos portent leurs cheveux crépus
entre-méêlés de plumes de diverses couleurs ,
piquées à l’aventure et dans tous les sens. Ainsi
que les fbos et les Nagos, ils ont les dents de
devant
D'UN NATURALISTE. 1774
devant sciées en plusieurs festons, et ils ont le
plus grand soin d’en entretenir la blaucheur et
la propreté ; c’est pourquoi ils se servent, ainsi
que les nègres des autres naüons et tous les
habitans des colonies, de racines fibreuses qu’ils
tiennenttoujours à la bouche pour les nettoyer (1).
()1l y eut à Saint-Domingue, dans les premiers
momens de l'insurrection des noirs, une horde de ces
révoltés, appelés Congos tous nus, parce qu'en effet
ils ne faisoient pas même usage du tanga. Ils avoient
pour chef un mulätre makendal. ‘Tous ces brigands,
réunis pour faire honte au genre humain et le désoler,
avoient la tête surmontée d’un casque formé d'un crâne
humain accompagné de sa chevelure. Leurs joues, leur
menton et leurs seins étoient colorés d’un rouge assez
vif pour imiter le sang. Le chef de cette troupe infer-
nale, hideux de figure, avoit des formes dispropor-
tionnées, et portoit au cou et à toutes les articulations,
des paquets de têtes de crapauds, couleuvres, et autres
semblables talismans. Par-tout la mort annonçoit
son passage , et ses satellites cruels égorgeoient
tout ce qui se présentoit à leurs yeux ; chiens, chats,
cochons, rien m’étoit épargné, et tout être animé
devenoit la victime de leur furie désastreuse et vaga-
bonde. L'amour du sang les enivroit au point qu'ils en
laissèrent par-tout des traces sur l'habitation de l'Etable,
où ils vinrent s'installer pendant quinze jours, pour
exercer leurs dégoûtans mystères. Lorsque leur chef
redoutable vouloit rassembler sa troupe, il siffloit,
et dans la position la plus indécenie, introduisant le
To II. | M
1178 VOYAGES
Les Congos sont très-friands de tafia ; un jour
que J'avois oublié de donner la rauon à un
d'eux qui me servoit d’harponneur pour la
chasse du caïman , il me dit d’un ton naïf ettout
contrit : « Maître! Congo pas encore gagné dent,
» et vous sévréz li »! Ce qui veut dire, non litté-
ralement , mais dans le sens parabolique :
« Maître, je suis encore à jeun, et n’ai point de
» dents pour manger, ne me sevrez donc pas de
» ce tafia qui va me mettre en état de prendre
» mon repas ». Je vis un jour ce même
harponneur emporter furtivement les membres
ensanglantés d’un caïman sur lequel je venois
d'observer la circulation du sang. Je ne savois à
quel propos il m’avoit dit pendant mon expé-
rience : (Maître ,n’a pas faire li souffrir comme ca
» donc ! caïman li y’oun’ boun’ bagage, et pis
» vous va malheureux , Quand vous va mouri». Je
reconnus bientôt que la chair d’un caïman mort
dans des tortures semblables , ne lui étoit plus
agréable à manger, et que pour m'engager
à lui donner à l’avenir sans être entamé par
doigt dans son anus, 1l restoit en cette posture révoltante
pendant que ses acolytes, accourus de toutes parts,
dansoient autour de lui en poussant des hurlemens
affreux. Ces brigands, par un génie imitateur, furent à
Saunt-Domingue, ce que les jacobins furent en France,
D'UN NATURALISTE. 179
le fatal scalpel , il m’annoncoit, par une conjec-
ture de métempsycose, qu'ayant fait autant
souffrir les caïmans , je serois moi-même , après
ma mort, en butte aux cruautés du premier
chasseur. Toutefois il m’assura que dans son
pays on est très-friand de la chair de ces ani-
maux, dont le goût musqué est cependant
insupportable, mais que les Congos aiment
beaucoup.
M 2
160 VOYAGES
QU SSSR ne ne nn D no D D 0 D 7
CHAPITRE QUATORZIÈME.
Idée des Faudoux (1). Définition du mot.
Leurs opérations ridicules et emphatiques.
Maladies qu'ils donnèrent & un habitant
de la Petite-Rivière, plaine de l'Artibonite,
et à des nègres dont ils étoient jaloux.
Sortiléges prétendus. Prédiction faite à
Toussaint-Louverture , chef noir à Saint-
Domingue. Tours facétieux que les vaudoux
se plaisent « faire dans les calendas.
AS beaucoup entendu parler d’une secte
idolâtre appelée vaudoux à Saint-Domingue,
et dont la réunion avoit lieu sur notre habi-
tation , je fis venir une négresse affidée qui,
après m'avoir détaillé des faits surnaturels, me
rendit le témoin oculaire des frénéuiques céré-
() Suivant les nègres Aradas, fidèles sectateurs
du vaudoux, ce mot exprime un être tout-puissant
et surnaturel, auquel les autres créatures doivent
obéir; et ce prodige quel est-il ? un hideux serpent
qu'ils déifient, mais rendant ses oracles par la
bouche de certains nègres adroits, qui deviennent
son organe, et pour lesquels les nègres initiés ont
la plus grande vénération.
D'UN NATURALISTE. 181
momies de ces espèces de convulsionnaires. « Les
vaudoux , me dit la véridique Finette (+) ,isont
de nations différentes ; ils tombent en crise par
suite d’une sympathie imconcevable. Réunis sur
le terrain qui doit être le théâtre de leurs gri-
maces convulsives, 1ls sourient en se rencon-
trant, se heurtent avec rudesse, et les voilà tous
deux en crise ; les pieds en l'air, hurlant comme
des bêtes féroces , et écumant comme elles.
» Je passois un jour , poursuivit-elle , auprès
de deux de ces espèces de convulsionnaires , et
soit que leurs prosélytes aient eu l’intenuon
d’accréditer leur système, soit que par ces
preuves irrécusables , ils aient voulu profiter de
mon jeune àge pour m'initier dans leurs mys-
tères , on m’introduisit dans le cercle, et il fut
ordonné à l’un d’eux, par le chef de la horde, de
prendre dans ses mains du charbon allumé qui
lui fut présenté, et sembla ne point le brûler; à
l’autre de se laisser enlever des lanières de chair
avec des ongles de fer, ce qui fut ponctuelle-
ment exécuté, sans que je remarquasse le
moindre signe de sensibilité.
» Dompète ( c’est le nom du chef tout-puis-
sant de la horde fanatique ) a, disent-ils, le
(1) Négresse afhdée et intelligente, dont j'ai déjà
fait l'éloge, et qui a été éduquée en France.
M 3
182 VOYAGES
pouvoir de découvrir de ses yeux , et malgré tout
obstacle matériel, tout ce qui se passe , n’im-
porte à quelle distance ; propriété ficuve bien
faite pour en imposer aux crédules, et tyranmiser
les incertains dont le défaut de confiance est
puni par le poison qui leur est familier , et, dans
les mams du Dompète, d'un usage journalier et
impuni.
» Les acolytes de cette secte ont aussi entre
eux des moyens magiques d’exercer leur ven-
geance. Un homme a-t-1l essuyé les rigueurs
d’une amante, ou l’infidélité d’une maîtresse
habituée ? un piquant de raie jeté dans l’urine
de la coupable, le venge de son outrage, en
frappant soudain l’infidelle d’unemaladie de lan-
gueur, que le vaudoux fait cesser à volonté par
une préparauon différente.
» C'est par un semblable mouf de jalousie,
qu’une négresse nommée Jeanne Claire, d’une
habitation de la plaine lArtibonite , ayant excité
l'envie de la femme d’un vaudoux , fit mettre
en opération son mari qui par un sorulége
rendit cette rivale (ou matelote) muette et dif-
forme aux yeux fascinés de son amant qui la
répudia , et ne la vit depuis qu’avec horreur,
malgré les témoignages d’attachement de cette
femme qui, pour opérer une réconciliation si
désirée, lui offrit tout ce qu’elle possédoit.
D'UN NATURALISTE. 183
L'amant d’abord courroucé, se radoucit pour-
tant à la proposition de ces offres généreuses.
Jeanne Claire se disposoit à Iui remettre la
cassette contenant ses bijoux et ses effets les
plus précieux : quelle fut sa surprise lorsqu’au
lieu de la trouver à sa place, elle n’y rencontra
plus qu’un amas de terre et d’ossemens humains !
O désolation! mais l'effet du philtre n’étoit point
éternel , l'amant creusa et fouilla le tertre dépo-
sitaire de l’opération magique, et ce fut à l’ins-
tant où la cassette reparut,que la femme double-
ment enchantée recouvra et sa voix et son
trésor.
» Une des preuves encore que les sortiléges
n’ont qu'une durée limitée, c’est, continua
l’historienne, la maladie singulière qu’éprouva,
par ces effets magiques, M. Dériboux , habitant
de la Petite-Rivière des Gonaïves. Il eut un diffé-
rend avec un vaudoux , et sans menaces de la
part de son ennemi il fut atteint dès le lende-
main d’un vomissement dans lequel il rendoit
de gros morceaux de chair crue. Ce n’est
qu'après six mois de souffrances que le maléfice
cessa.
» Un autre vaudoux, par suite de la jalousie
d’un confrère , opéra ce phénomène : son rival,
homme robuste et bien fait, devint hideux et
couvert de lèpres qu’il conserva jusqu’à ce qu'il
M 4
184 VOYAGES
eut renoncé à la femme qui lui causoit cette
infirmité. Sur la menace du vaudoux, le lépreux
quitta le quartier, et recouvra bientôt une par-
faite santé.
» Un fait non moins extraordinaire mérite
d’être cité. La femme d’un vaudoux venoit de
perdre son mari, qui en mourant lui avoit laissé
le secret de dérober son argent à la recherche
des voleurs, en leur fascinant les yeux. Joyeuse
de posséder ce secret merveilleux , elle faisoit
étalage de sa fortune, et l’élevoit de beaucoup
au dessus de sa valeur, ayant en vue par ce
stratogême d'augmenter le nombre de ses
adorateurs. Adomis , nègre cuisinier de M. Des-
fontaines |, habitant des Gonaïves, rusé et
envieux de mordre à la grappe, résolut de
chercher à lui plaire, espérant, après un items
d’assiduités et de caresses, devenir le semi-pos-
sesseur du riche buun annoncé.
» Dans ses fréquentes visites, il cherchoit à
flatter la. friandise de Claire, en lui apportant
des mets déhcats, soustraits à la table de son
maître. Un jour que par l'abondance des
gâteaux, autres provisions , et surtout une bou-
teille de marasquin , il avoit tenté de la rendre
déraisonnable au point d’obtenir son secret, 1i
fut déçu de son espérance, et apprit seulement
d’elle, que le tonneau qui se trouvoit dans le
D'UN NATURALISTE. 185
coin de la case, derrière son hamac, renfermoit
le trésor en quesuon, mais qu'il étoit défendu à
tout autre qu’elle de pénétrer jusque-là ; et, pour
preuve de son privilége exclusif, elle engagea
Adonis à tout tenter pour enlever cet argent du
baril où il étoit. Celui-ci souriant, voulut en vain
y plonger le bras à deux reprises, étant repoussé
chaque fois par une force invisible ; cependant ,
ne perdant pas courage , 1l fit une troisième
tentauve, mais quelle fut sa surprise lorsqu’en
introduisant son bras, il crut sentur une cou-
leuvre qui, par la détorsion de ses replis tor-
tueux , sembloit vouloir s’élancer sur lui! Adonis
plus prudent que courageux, renonça soudain à
expérience, mais conserva le désir d’appro-
fondir l'intensité de ce mystère. Pour sausfaire
sa curiosité , 1l alla donc trouver un vaudoux
son ami,et moyennant une bouteille de tafia,
il obunt de lui le moyen de rompre ou plutôt
de détruire le charme de ce prestige d’illusion.
Ïl reçut du vaudoux un peu de terre de cime-
üère, qu'il lui fut ordonné d’aller déposer
derrière le lit de Claire à son inscu, destinée,
Jui dit-il , à l'endormir, et avec elle son secret.
Toute canse surnaturelle étant détruite, Adonis se
présenta chez sa maîtresse qui s’endormit bientôt
dans ses bras, après qu’il eut préalablement
achevé son opération; d’où il résulta succés
186 VOYAGES
complet, au moyen duquel il fit la loi à
sa maîtresse, et ne consent à lui remettre
à son tour son trésor que s'ils s'appartenoient
l’un à l’autre. Celle-ci y consentit sans peine,
aimant Adonis plus que tout autre de ses
courtusans.
» On sait, me dit l’historienne, que Toussaint-
Louverture, à l’arrivée de l’expédition francaise
commandée par le général Leclerc , se fit dire
sa bonne aventure par un de ces vaudoux famé
dans l’art devinatoire , et qu’il lui futannoncéau
fort de la Crête-à-Pierrot, qu'il seroit trahi et
livré aux Francais par son premier chef, celuien
qui il avoit plus de confiance, de féroce Des-
salines. [’événement réalisa la prédiction du
vaudoux ». |
Les vaudoux, par un, esprit de contrariété
qui leur est personnel, ament à troubler les
plaisirs qui ne sont pas les leurs; aussi les voit-
on à la découverte des calendas (danses noc-
turnes) s'y faire des signaux , et, prévoyant
leurs succès, rire entr'eux d’avance de l’em-
barras de leurs dupes. Un d’eux plus confiant
que les autres, me prenant par le bras, me
dit tout bas intention où 1l étoit, amsi que ses
€amarades, de faire donner /e calenda à tons
les diables. I} n'eut point achevé ces paroles,
que tous les danseurs se plaignirent de borbo-
D'UN NATURALISTE. 187
rismes , qu'un bruit crépitant se fit entendre,
et que la confusion se fit remarquer sur tous les
visages étonnés; aussitôt de se fixer et de rire
aux éclats, puis de se dépiter, comme contraints
d'abandonner le poste où la gaieté les avoit
placés. Vous voyez, me dit alors le vaudoux,
combien tous nos danseurs sont’ interdits, et
Combien de vents chacun rend sans pouvoir en
empêcher ; eh bien! nous sommes les auteurs
de cette espiéglerie qui consiste à répandre
dans le nulieu du bal une poudre composée de
sucre imbu de la’ sueur d’un cheval harassé.
Voilà conuinua-t-1l, tout notre secret, mais
n’en parlez à personne; car nous aurions sûre-
ment lieu de nous repenur d’avoir troublé ce
diverussement. |
188 VOYAGES
CHAPITRE QUINZIÈME.
Caractère des nègres créoles à St.-Domingue. [nté-
rieur de leur ajoupa. Costume des hommes et des
Jemmes. Parure burlesque d'un de nos conduc-
teurs d'atelier. Tnidolence des hommes ; préve-
nances des femmes pour eux. Passion qu'ils ont
pour la danse. Anecdote à ce sujet. Procédés
cruels des sages-femmes. Coutumes funéraires
envers les enfans qui périssent entre leurs mains.
Ætiachement des mères pour leurs enfans qu’ils
élèvent mal. Punition de ces mémes enfans.
fndolence des jeunes nègres. Respect qu’on leur
recommande envers les sens âgés. Amour propre
des postillons. Adresse des nègres pour tous les
ouvrages manuels, la chasse, la péche et les
exercices du corps. [nimitié des nègres pour les
blancs. [ls croient à la prédestination. Supers-
tition des idolätres. Diverses anecdotes à l’appui
de cette assertion. Coutumes bizarres. Remèdes
ridicules des Caperlatas ou charlatans. Proverbes
créoles, Naïveté. Dénominations créoles. Impar-
tialité des nègres pour leurs semblables , desquels
ils sont toujours envieux. Leur perversité. His-
toire d'un fils dénaturé. Cruauté de deux enfans.
Lépreux chassé et abandonné. Religion avilie.
Réflexion comique d’un nègre prét à monter à
da potence. F'unérailles des nègres d'habitations.
IBinaree naturelle aux nègres, les porte à
Saint-Domingue , hors l'heure de leurs travaux,
à s’accroupir au soleil, où ils restent en cet
état plusieurs heures sans donner signe d’exis-
D'UN NATURALISTE. 1:89
tence; et la pipe à la bouche, la main remplie de
grains de maïs, ils comptent et recomptent ce
qu'ils doivent, ou ce qui leur est dû. Je ne sais
par quel contraste les femmes d’ailleurs très-
propres, aflectent une conduite contraire à
l'égard de leurs enfans : elles seules prennent
trois fois le jour les bains si nécessaires dans
les climats chauds pour la santé, et abandon-
nent leurs négrillons qui se roulent nus dans
la poussière, et se livrent à cet exercice jusqu’à
un âge trés-avancé. Les mères poussent. plus
loin et ce défaut de soin et leur mal-propreté.
On en voit sur le midr, les unes occupées à
chercher les poux de leurs enfans, pour les
manger à mesure qu’elles en trouvent, tandis
que leurs hommes à genoux auprès d’elles, s’oc-
cupent des mêmes soins ; les autres sucer le nez
de leurs enfans morveux.
S'il existe parmi cette classe d'hommes, des
soins excessifs pour leurs enfans, il est des
exceptions qui couvrent d’opprobre les auteurs
de ces cruautés. Je vis sur notre habitation, des
mères laisser à demi-mort un de leurs enfans,
coupable souvent de la moindre faute; une
autre, Ô excès de barbarie! une marâtre bien
digne de la peine du talion , qui impatientée de
ce que son enfant lui demandoit sans cesse à
manger pendantqu’elle faisoit cuire son calalou,
se lever brusquement, et lui mettre dans la
190 VOYAGES
bouche un œuf bouillant qu’elle y retint en la
lui fermant de sa main.
. Veut-on connoître un ajoupa ? Qu’on se figure
une chaumière meublée de canaris, de cale-
basses sciées transversalement par le milieu
(en guise de plats), de sicayes ou cuillers faites
d’une tranche du calebassier marron, de coëts,
ou petites calebasses traversées par une baguette
pour puiser dans le canaris, et qui servent de
pots à l’eau; quelques peaux de bœufs, ou
nattes de paille au lieu de lits : c’est au milieu
que sont rassemblés quelques tisons sans
conduit pour la fumée, et autour de lâtre
de cette case rembrunie, que se réunit
toute la famille. Un groupe de nègres de
tout âge et des deux sexes, fuyant le soir les
maringoins qui invesüssent leur rêétraite, et
qui se décèlent par leur bourdonnement , ou
d’une manière plus sensible, par leurs piqûres,
sont nus etaccroupis, les uns conversant, les plus
vieux parlant langage guinéen; ceux-ci fre-
donnant quelqu’air de calenda, tandis que les
plus jeunes se vautrent sur le ventre, entretien-
nent dans le feu des bouses de vaches sèches, et
dont l’épaisse fumée chasse les maringoims de
l'intérieur.
La mère de famille veutelle distribuer les
bananes ou patates boucanées pour le repas,
on allume le bois pin ou bois chandelie, dont
D'UN NATURALISTE, 19+
la vive clarté absorbe bientôt celle du foyer
toujours peu ardent. Souvent le père, en contem-
plant le cercle de ses enfans, se décide à piler le
maïs , ou bien le petit mil pour /e mous$a ; à
tresser le jonc ou à faire des panneaux, quelque-
fois des chapeaux de pulle, ou bien encore des
filets, pour vendre tous ces ouvrages au marché
deda ville voisine.
Passe-t-on près d’une case habitée par des
jeunes gens nouvellement établis, bravant l’a-
charnement de l’essaim des maringoins , la
femme , au son maigre et monotone du banza,
que pince le nègre son compère, s’exerce à la
danse chica , en brossant de son pied endurei la
terre qu’elle réduit bientôt en poussière par
un frotiement prolongé.
Les hommes toujours choyés par les femmes
qui ‘se disputent leurs faveurs , qu’elles
achètent quelquefois par des rixes sanglantes ,
ont pour le travail une mise simple et légère,
Un mouchoir de Madras qu'ils ceignent cent
fois le jour avec grace, ou un large chapeau de
paille tressée, une chemise décoltée très-blanche
et trés-fine, souvent en lambeaux, car le rac-
commodage est parmi eux une sorte de déshon-
neur; un grand pantalon de zinga, guinguan
ou nankin, les pieds nus ; le cou des plus
élégans, orné d’un gros collier de perles en or
192 VOYAGES
ou de verroterie ; voilà leur vêtement journalier.
Celui des femmes n’en diffère qu’en ce qu’au
lieu de pantalon , elles portent, aux travaux du
jardih, un jupon à longue queue, souvent de
mousseline la plus fine. Infatués de la supério-
rité de leurs costumes, on voit près d’eux , dans
le même sillon , leurs parens guinéens, le corps
nu, avec un seul tanga qui dérobe leur sexe aux
regards; la peau gercée, huileuse par fois ou
terreuse, auxquels les nègres créoles insultent
en disant : « Moi bèn soucié père à moi! li
» nègre gros’ peau , et moi nègre peau fin ; li sale
» trop moi dis vous; guetté li, bonda h à Pair ».
Ce qui veut dire : « Je me soucie fort peu de
» mon père; il a une peau grossière , tandis que
» Ja mienne est plus fine; d’ailleurs 1l est trop
» sale ; régardez, tout son derrière est à l'air ».
Les jours de cérémonie, de calanda’ par
exemple, qui est une danse nocturne funéraire,
pour le plaisir de laquelle un nègre voyagera
toute la nuit pour s’y rendre, les créoles sont
plus parés, mais avec ce maintien affecté qui
est du plus grand ridicule. Par exemple, nous
avions pour conducteur des moulinières à coton,
un nommé Joseph, peut maître (1) réputé
dans toute l’Artibonite, et dont la caricature
(1) On les appelle Candiots,
m'avoit
D'UN NATURALISTE. 193
m'avoit tant plue, que je le peiznis en son cos-
tume, prêt à monter à cheval. L'inceudie révf-
luuionnairé qui a dévoré ma fortune et la ma-
jeure partie de mes effets, ne me permet pas de
joindre ici ce portrait curieux ; je vais ÿ suppléer
par une description exacte, Joseph étoit sur
le point d’exercer un cheval peautre , et vint me
demander Ja permission de s’absenter, autant
pour se faire voir que pour m’annoncer qu'il
étoit désiré par toutes ses commères ; Car ces
négres sont avantageux et fort prévenus en
leur faveur. Je vis: mon homme , ayant ses
Jarges mains revêtues d’une paire de gants
blancs de femme, qu’il avoit trouvée je ne sais
où, et qui n'ayant pu se prêter, par leur élastui-
cité, à la grosseur de ses doigs, étoient déchirés
de toute part, et n'en recouvroient absolument
que les phalanges; un chapeau à la main, d’une
forme trés-haute , la tête suifée et poudrée à
blanc par derrière, et les cheveux du devant
noirs et naturellement crépus ,de longues boucles
d'oreilles ayant peine à suivre le contour de
sa cravate qui l'engoncoit jusqu'aux yeux,
et par dessus laquelle étoient trois rangs de
colliers; une veste de nankin qui, ne lui appar-
tenant pas , lui étoit de beaucoup trop courte,
et laissoit voir deux avant-bras noirs, con-
trastant avec la blancheur de ses gants; un
* Tome IL, N
194 VOYAGES
pantalon de basin, destiné à être imbibé de 2
sueur du valeureux coursier qu’il devoit éprou-
ver ; enfin des bottes, je ne sais de quel siècle,
car je ne crois pas jamais en avoir vu de pareille
forme : voilà son costume !
Voulant nous procurer le plaisir de le voir
monter à cheval, il alla chercher le sien qui
fut d’abord effrayé d'être attaché à un poteau,
et s’eflaroucha à la vue de tous les nègres
dé la grande case. Voici l'instant critique :
Joseph n’étoit point bon maquignon ; il ne put
se mettre en selle qu'après une bonne demi-
heure dessais infructueux. Il se croit déja maitre
dé l'animal indompté, lorsqu’à un malheureux
coup d’éperon , le cheval furieux , ruant et
faisant en même tems le saut de mouton, le
jette les quatre fers en l’air. Joseph est furieux ,
mais il ne veut point démordre de sa présomp-
üon; on reprend le cheval, il s'apprête à être
plus circonspect, et à ménager le jeu de ses
éperons : nouveaux revers! Pour cette fois, le
coursier l’abandonne et fuit à toutes jambes dans
les bois, pour épargner à notre écuyer créole
une nouvelle honte, |
J'ai déja observé que les hommes exigeoient,
de la part de leurs femmes, des soins exclusifs
et personnels ; on jugera, par les traits que je
vais citer, à quel point est poussée l’indoleuce
D'UN NATURALISTE. 109
de ces favoris de l'amour, et quel empire ils ont
sur leurs maîtresses. On voit sur les grandes
routes , les jours de marché, les nègres des
habitations, portant à la ville le fruit de leur
industrie, comme chapeaux, couïs et calebasses
sculptées ; d’autres des volailles , ceux-ci des
vivres de terre, ou des fruits ; les pêcheurs, du
poisson salé ; enfin les chasseurs, du gibier de
diverses espèces, comme canards sauvages, sar-
celles, gingeons, pintades marronnes, raniers,
tourterelles , etc., suivant la saison; et qui
le diroit? leurs femmes, ou leurs mate-
lotes (rivales) supportent à pied la cha-
leur du climat, portant sur leur tête les plus
lourds fardeaux , tandis que le jeune nègre,
leur amant commun, se carre seul sur un
. mulet qui souvent n’est ni sellé ni bridé Elles
cherchent, par ces précautions, à le conserver
toujours frais et dispos, et à lui éviter des fa-
ügues dont leur sexe privilégié peut braver les
inmconvéniens.
La passion de la danse est tellementimpérieuse
chez les nègres créolisés, qu'ils s’y livrent à
l'excès, et ne quittent leur indécent calenda
qu’épuisés de fatigue et d’amour par la lubricité
de leurs mouvemens, et le développement impu-
diquede ceute ivresse effrénée qui agace impérieu-
sement leurs sensations. Chaque nation y dépeint
N 2:
196 VOYAGES
son caractère, et glorieux d’en soutenir l'impor-
tance, on voit chaque individu briguer les
suffrages des spectateurs en faveur du caractère
de sa nation. Un de ces enthousiastes déja en
crise au seul bruit du bamboula (1) qu'il
entendoit encore assez loim du rassemblement, *
commenca son manége , toujours s’avançant
vers le cercle de ses rivaux. Il l’atteignit enfin ;
ivre de plaisir et de dé Jices, mais 1l étoit nègre
Ibo, et comme étranger au rond d'Arada qui
ne reconnut point sa coutume, il fut repoussé
rudement. En vain par des signes de pitié voulut:l
intéresser en sa faveur, et rentrer dans le cercle;
il‘ne parvint à attendrir les danseurs qui gra-
geoiené (2) qu'avec une des bouteilles de tafia
qu'il portoit à la main; la bouteille étant vidée,
les murmures recommencèrent : le dansomane
donna successivement l’autre, et gourdin par
gourdin jusqu'a deux gourdes , toujours en
grageant; enfin sur le point de tomber de las-
situde, mais ranimant tout à coup ses forces , il
envoie chercher ses poules et tout son avoir,
toujours en grageant, en sorte qu'après la danse,
revenu de sa manie, 1l ne possédoit plus rien, et
n’eut que des yeux pour pleurer sa faute.
"
EEE
(Gi) Tambour qui sert à faire danser.
2) Grager est une modification de la danse chica.
D'UN NATURALISTE. 197
Un autre trait dont J'ai été témoin, ca-
ractérise bien celte passion dominante. Une
négresse créole, Ursule , venoit de perdre Francois
son compère (1); elle paroissoit inconsolable de
cette perte prématurée, en venant à la case me
demander un mouton pour le calenda. Zees
banzas, les bamboulas étoient déja dehors,
et n’attendoient plus que des acteurs pour
la danse; personne du nombreux cortége ne
s’étoit encore présenté, quand on vit Ursule
sortir de la case, les veux baignés de larmes,
le mouchoir à la main, et la poitrine sul-
foquant de sanglots. « Francois li allé! disoit-
» elle, pauvre Francois! pauvre n’homme
)
æ
à moué qui mour! »! Puis en sanglo-
tant elle marchoit la tête baissée, et recom-
mencoit à plusieurs reprises ses doléances,
lorsque soudain et graduellement développant,
d’abord d’une manière insensible, puis tout à
coup déterminée, la danse des funérailles, elle
se mit touten se lamentant à danser cica pour
Francois, et à chanter en pleurmichant. « Quittez
» moi danser pour hi; quittez moi danser pour
» li. »
(1) On-donne ce nom au nègre qu'une négresse
a adopté, et qu'elle affectiônne préférablement à
tout auire,
NS
108 VOYAGES
Rien de plus brutal dans leurs manières que
les négresses sages-femmes, comme on peut en
juger par ce qui suit. Elles ne font point de Higa-
ture au cordon ombilical , au moins celles quel’on
appelle Æradas et Congos, qui se contentent
de le couper, et d'y appliquer sur-le-champ un
gros uson de feu ardent pour le cautériser.
C'est, comme on le voit, un triste, prélude pour
le nouveau né. Observant les préparaufs de l’une
d'elles , je n’avois encore rien apercu d’extraor-
dinaire , et je croyois , lui ayant vu prendre un
üuson ardent, qu’elle le desuinoit à allumer la
pipe qu'elle avoit à la bouche, lorsque soute-
nant la bonté de son opérauon, elle donna un
second conseil à la mère, si l'enfant avoit des
coliqnes. « iteméde là h facile, discitelle,
».mordez en hant nombriv à li; li va crier tout
» à stor, ça fai li tribouiller trippes venu”
» à h(r)»!!! Er le soin des générations est
confié à des êtres aussi sinpides ! Puisse un
avenir plus heureux rétablir en ce pays infor-
tuné , des lois sages qui n’y existent plus depuis
l'anarchie !
Je vais citer un trait de limpériue punis-
F
er
(1) Ce remède est facile : mordez-lui le nombril,
criera sur-ie-cham avec des efforts qui feron!
dénouer ses intestins ti!
D
D'UN NATURALISTE. 199
sable de ces sages-femmes. Je fus appelé par
M. Rossisnol-Desdunes-Lachicotte , habitant
de l’Arubonite à Saint-Domingue, et mon parent,
pour porter des secours à Mike Laurette, sa
ménagére, venant de faire une fausse-couche de
deux garcons qui n’eurent que le tems d’être
ondoyés. ‘La mère entre les mains: de deux
mévgérés, étoit accablée par les souffrances qu’oc-
casionna la sorue, à la fois, des deux enfans
renfermés dans le même arrière-faix. Cet accou-
chement contre nature désorganisa les parties
génitales , et fit prendre à ces sages-femmes igno-
rantes , le cou de la matrice sortie de posiuon,
pour le second arrière-faix, en sorte que ces deux
empiriques ürailloient dessus avec force, et
s’étonnoient que, malgré leurs eflorts, cette
partie sensible résistât à leurs fréquentes onglées.
Le siége de la pudeur aussi maltraité, meurtri
et tout contus s’enflammoit , menacoit de gan-
grène, et étoit gonflé au point de ne pouvoir
rentrer, lorsque j’arrivai trouvant la malade sur
ses deux enfans morts, et n’étant point encore
délivrée : état déplorable, triste effet d’une
dangereuse ignorance |
Il arriva une troisième sagefemme qui se
disoit plus habile que les autres, parce qu’elle
avoit vécu dix-sept ans avee un chirurgien du
pays ; ce n’étoit pas faire son éloge, car étant réputé
N 4
200 VOYAGES
sans talens , on cherche à oublier son nom, et
l’on doit remercier la mort de lavoir enlevé à la
colonne. Cette troisième empirique plus dan-
gereuse encore que les denx précédentes, se
mépreuant ensuite sur la nature de l'accident,
me proposa d'introduire ma main dans l'inté-
riear du vagin; ce que je rejetai desuite, voulant
calmer, par des émolliens, cette partie déjà
trop irritée, pour la faire rentrer dans son état
naturel dès qu'il en seroit tems. Cependant
celie dernière sage-femme revint à la charge, et
me sollicita de permeure et d’'ordonner une
inection qu'elle teuoit de ce chirurgien, son
Hippocrate : e‘étoit du fort vinaigre dans lequel
où débat un jaune d'œuf. Je reculai d'horreur ,
et la priai de discontinuer ses soins pernicieux,
me réservant de -oigner moi- même la malade,
qui se calma bien vite dès qu'elle eut pe un
bain de manves,
J'onbliois de rappeler les tourmens que firent
endurer les deux premitres empiriques à la mal-
heureuse victime de leur impériue. Voyant de Ja
lenteur dans l’accoucliement , elles voulurent
introduire dans la gorge de la malade, une spatule
de bois qui sert en ce pays à remuer les ragoüts,
sous le prétexte par ce moyen, et en lui assenant
des coups de poing sur le dos, de lui faire
faire des efforts qu’elles prétendotent salutaires :
D'UN NATURALISTE. 201
heureusement ces pfatiques_ barbares furent
refusées ; mais pour y suppléer, elles firent
avaler à la malade, pendant une courte absence
que je fis, des plumes roussies réduites en pons-
Sicre , des toiles d'araignées, et des inlsions de
calebasse, en sigrande abondance que le gon-
flement de la vessie par da suppression de
l'urine la mettoit en risque de se déchirer. Mais
je m'arrête pour pleurer snr le sort des femmes
de la colonie , cent fois moins cruel si on laissoit
agir la Nature,
M'étant assuré , par la glace ei l’alcali volaul,
de la mort certaine des innocens jumeaux, on
les fit enterrer dans la chambre de la mère,
au dessous d’un cofire, ainsi qu'il est d'usage
pour les fausses-couches dans certains quartiers
de la colonie. .
Les négresses créoles aiment beaticoup leurs
enfans, et les allaïtent des années entières si
elles ne deviennent pas enceintes. Rien de plus
gâté par la mère qu'un négnillon, tant qu'il n’a
point atteint l’âge de raison ; tout ce qu'il y a de
bon est pour lui, et le père et la mère sont de
nouveaux esclaves de sa volonté et de ses caprices.
Mais tout change bientôt; son bon 1ems est
passé, et la transiuon subite d’une pleine et
entière hberté dans ses actions, à la sévérité
d’une nouvelle conduite qu’on exige subitement
Fr
202 « VOYAGES
de lui, excitant en son arhe des mouvemens de
rebellion, 11s sont sur-le-champ réprimés par de
violentes corrections que’ mériteroient plutôt le
père etla mère, assezinjustes pour ne pas préparer
graduellement leurs enfans au service qu'ils exi-
gentincontinent d'eux. Ilsdes gätent d’abord, tolé-
rent,autorisentmèmeleurs peccadillesenfantines,
tandis que, par une soudaine réflexion, un joug
de fer est levé au dessus d’eux, et qu’on les
assomme pour leur faire perdre les mauvaises
habitudes qu’on leur a laissé contracter.
Je pris plaisir à voir la correcuon d'un petit
nègre qui se moquoit d'un estropié. $a mère
Jui tenoit les deux mains dans une des siennes,
et lui fit faire ainsi le tour des cases en lui
rappelant à chaque instant la nullité de ses
bras pour se défendre, et assaisonnant sa re-
montrance*de quelques coups de courroie : cet
enfant tout honteux demandoit la grace que
celle-ci ne lui accorda qu'après plus de deux
heures de ce châtiment.
Un mot sur l'indolence des feunes nègres :
Javois choisi, pour me suivre à la chasse et
porter mon gibier, le négrillon le plus rusé et
le plus leste de l’habitation; encore marchoit-1l
si doucement que le gibier blessé auroit eu le tems
de reprendre ses forces et réparer ses blessures
A
avant d’être pris. I] étoit si gourmand qu'il
D'UN NATURALISTE. 203
mangeoit sans cesse avec avidité des oranges,
où des goyaves, des melons d'eau à moitié
murs, sans en être Jamais rassasié ; Si PEU SOI-
gneux que mes bottes, que l’on nettoie dans le
pays avec des feuilles de palma-chrisu chauflées,
des oranges aigres et du noir de fumée pour les
rendre luisantes, 1] me les apportoit couvertes
de pepins et de plaques de noir non broyé.
Il est enjoint aux enfans, pag leur mère, de
porter respect aux gens plus âgés qu'eux ; d’ap-
peler par exemple les nègres en âge viril,
oncle, et les négresses, maman ou tante.
Il est de l'honneur des posullons nègres de
conduire les cabriolets, seules voitures en usage
D
dans le pays, au grand galop, et de chercher
souvent les chemins les plus difficiles, de tra-
verser des buissons, pour éprouver la valeur de
leur attelage, et relever leurs talens aux yeux de
ceux qu'ils conduisent. Je voyageois à mon ar-
rivée dans la colonie pour me rendre à un repas
de corps, et j'avois choisi le posullon le plus
adroit de l'habitation ; mais il surpassa l'envie
que J’avois de me rendre promptement à ma desu-
nauon, et fatigua en moins d’une heure son
premier relai de trois mulets vigoureux.
«+ Ces posullons se regardent très-humiliés de
voir rebouqués (1) les animaux qu'il condui-
(1) Terme du pays, qui veut dire harassés.
204 VOYAGES
sent; aussi le mien agissant de ses bras, de ses
jambes, frappant les insensibles quadrupèdés,
étoit-1l sur le point de se livrer à sa douleur
sans l’heureuse rencontre du second relai.
Pour ne point déroger à son caractère, oubliant
sa courbature, il remet son nouvel attelage en
baleine, et pour le réduire au même état de
lassitude que le premier, ce qui selon lui
indiquoit la supériorité de sa force sur les
animaux, il traversa les bois au lieu de suivre
les chemins , me faisant craindre pour mes
yeux le cinglement des rameaux épineux du
bayaonde et de lacacia; enfin calculant une
direction en ligne droite, et voulant se frayer
une route nouvelle à travers les bois , les
cardasses et les raquettes, 1l s’égara au point
de ne plus se reconnoître dans des savannes
aussi immenses que celles qui sont appelées
savannes l Hépital et Desdunes, prèsle bourg
des Gonaïves. Cependant, aprésbeaucoupdetours
et de détours, au cri des pintades domestiques ,
nous arrivames par un Côté opposé au chemin
que nous eussions dû prendre, à une hatte appar-
tenant à M. Desdunes-Lachicotte , et reconnimes
avec étonnement les personnes et les lieux :
mais cetendroit n’étoit point celui de mon rendez-
vous ; je changeai de posullon, etun attelage frais
m'y conduisit pour cette fois par les grands
chemins.
D'UN NATURALISTE, 205
Très-adroits dans tous les exercices du corps,
les nègres créoles sont moins lourds et moins
rustres que leurs aïeux africains ; mais ils sont
déchus de cette simplicité naturelle, propre aux
derniers, etqui est remplacée dans les créoles par
un esprit fin, menteur, vain et turbulent. Soi-
gneux de profiter des ressources que leur offres
la Nature, on voit les négres créoles dont les
besoins se sont multüpliés, peigner laloës
pitt (1) ,eten ürer une filasse d’un blanc éblouis-
gant dont ils font toute espèce de cordages; plus
loin, le père africain et son fils créole revenir
courbés sous un faisceau de’ joncs, le déposer
sous le bananier qui ombrage leur case, en
ürer les brins les plus droits, les plus fins et
les plus flexibles, les tresser , et en former de
jolies nattes destinées au service de table, ou à
reposer leur corps indolent; plus loin, «autres
portant des calebasses de toute grandeur pour
leur servir de vaisselle. Les plus adroits ont
tous les ustensiles de leur ménage ciselés de
diverses. figures; ils gravent souvent sur les
couïs qui leur servent de gobelets, des dessins
pleins de goût et de proportion , sans l'aide-de
règle ni de compas,
(1) Ou chanvre des Indiens; aloe disticha » aRpElé
cabouille à Saint-Domingue.
206 VOYAGES
Hardis plongeurs, même entourés de repules
voraces , tels que les caïmans, ils croient à la
prédestinauon , et bravent le danger le plus
imminent. L'eau semble être leur élément
favori, et dès l’âge le plus tendre ils se jouent sur
l'onde, et semblent défier les poissons par la
élocité de leurs mouvemens.
D'autres, passionnés pour Ja chasse et sûrs
du point de mire , sont chargés, dans certains
quartiers giboyeux, de faire la provision de la
semaine avec sept coups de poudre bien comptés
aussi ne la urent-ils point aux moineaux.
Ils chassent en se traînant sur le ventre (1) dans
l’eau peu profonde des lagons, portent le fusil
sur leur tête, et tuent d’un seul coup plusieurs
oiseaux toujours réunis el vivant en société ,
.tels que pluviers dorés, canards de diverses
espèces , pintades marropnes et pigeons ra-
miers.
Notre chasseur me disoit un jour, après
l'explosion de mon fusil , plus foible que celle du
sien : («Maître , qui ca vous capab’ faire z’avec
» pettards layo , qui pas pouvé arriver jou’quà
» eanards layo » ? c’est à dire, «que voulez-vous
» faire avec vos pétards de coups'de fusil , 1ls ne
» pourront jamais atteindre ces canards » ? Ces
(1) Ce qu'ils appellent aller à chatons.
D'UN NATURALISTE. 207
chasseurs trouvent leur coup manqué, s'ils ne
saignent point de la bouche par la répercussion
terrible de leur arme, où 1ls mettent jusqu'a dix
doigts de charge. Îls ne qualifient de bon chas-
seur que celui qui a assez de courage pour
supporter un tel coup.
Môins bruyant dans les fonctions de son minis-
ère, le pêcheur d'un œil avide et attentif
parcourt le rivage, décide du lieu où il doit
tendre ses filets ussus de fibres de l’aloës pitt ou
de l'ananas; cet amas de pontéderia (que les
nègres appellent volet) donne retraite à un
hodeau, à un têtard; cette vase recèle une
anguille; dans le courant, sous les racihes
nombreuses de ce mangle, doivent se trouver des
écrevisses et des tortues; vite, le projet n’est pas
plutôt concu qu'il est exécuté, et le pêcheur
assuré du succés de ses conjectures , ne revient
jamais à vide à la case" qu'il approvisionne
journellement. ”
Il règne chez les noirs, contre les blancs, une
jalousie envieuse qui les porte sans cesse à faire
du tort à leurs maîtres, et inocule en eux cet
esprit désorgamisateur qui est la base de leur
caractère anu-social. Par exemple, une plante
parasite, appelée vulgairement corde à violon (1),
(1) Espèce de cuscute,
208- VOYAGES
parce qu’elle a véritablement cetie forme,
s'étant fixée sur une haie de citronniers ou
d’autres arbres fruiuers, cause la mort de tout
arbre, aux dépens duquel elle prend son
existence , par son enlacement tortueux , et
par sa complexion circulaire autour des uges,
dont elle intercepte le mou ement de’la séve ;
cette plante préjudiciable n’étoit encore connue
et répandue que dans Ja parue du nord,
lorsque tout à coup ses ravages. se manifes-
tèrent dans celle du sud : on reconnu l’auteur
de ce maléfice , qui avoua sa faute, et la cause
de son projet désastreux.
Tous les nègres, tant les Guinéens qne les
créoles , croient à la prédestiuauion. Nous avions
pour pêcheur un excellent plongeur qui pour-
suivoit les tortues au milieu des'caïmans qui en
sont très-friands, el s’exposoit ainsi à la nage,
les narguant, les combattant même quelquelois
pour enlever leur proie, bien persuadé qu'il ne
périroit point, si ce n’étoit point son heure.
Pendant la guerre du sud, qui inspiroit aux
nègres, mêmeaux plus pusillanimies, la bravoure
et l'audace? la prédestination. Il leur étoit dit
que tous ceux qui étoient tués au combat, se
trouvoient à l'instant transportés en Guinée.
Dans la guerre des révoltés, les nègres off-
ciers prenoient le nom de leurs anciens maîtres
blancs,
CE LS
D'UN NATURALISTE. 209
blancs, pour avoir plus de droits de commander
a leurs semblables. Les officiers tués et ramassés
sur le champ de bataille, étoient enterrés avec
leurs armes. :
Une sécheresse générale désolant le quartier
de l’Arubonite, surtout les cotonneries qu’on
ne peut submerger à volonté par cause de
l’éloignement de canaux ou rivières, il y ent
en 1803 une diselte complète de vivres de toute
espèce, ressource journalière pour le cultivateur.
À cette disette étoit nécessairement attachée une
hausse considérable aux marchés des viiles voi-
sines, dans le prix des légnmes ou racines
alimentaires. Les prêtres des idolttres de notre
habitauon entourée d’eau, et tonjours féconde
en ces denrées comestibles, imaginèrent de se
servir de leur caractère, et de profiter de leur
influence pour en imposer aux idolätres de lenr
secte, etexiger d'eux une partie de leur récotte,
bien décidés à en ürer parti en leur faveur : ils
annoncèrent aux trop crédules superstitieux ,
que leur grand dieu, qui combatioit pour leur
prospérité et leur liberté, étoit allé à la guerre,
etque, par nn excès de sa valgnr intrépide, il y
avoit eté blessé ; qu'il leur interdisoit donc
jusqu’à nouvel ordre, l’nsage du calalon, de
toute espèce de feuilles et fruits du girau-
mon, etc., destinant toutes ces plantes vulné-
Tone IN, | Q
210 VOYAGES
rares , résolutives et maturatives au pansement
de ses larges et profondes blessures! Les pauvres
croyans d'apporter à l’envi tous les fruits de leurs
jardins , et de se regarder bienheureux de pou-
voir faire quelque chose en faveur de leur divi-
nité; et les prêtres trompeurs, de se réjouir et
de vendre furtivement, ou de manger tous les
topiques , et autres remèdes consacrés à leur
dieu imagmaire.
Une de ces victimes du fanatisme le plus ré-
voltant (1) que je tirai de cette erreur gros-
sière, me conduisit à leur rassemblement, et je
vis adorer, devant un gros mapou creusé par
le tems, une couleuvre qui y faisoit sa résidence,
et à laquelle, dans l’intervalle des prières, on
apportoit de quoi se nourrir, en viande, poisson,
moussa, Calalou, et surtout du lait pour se dé-
saltérer, provisions que les prêtres avoient soin
de faire disparoître au premier moment d'absence
(1) Superstitieux à l'excès, les nègres croient à
l'influence malheureuse de certains jours, et s’imaginent
pressentir souvent un fâcheux avenir, où ils augurent
mal du don qu’on leur fait, sil est offert par la main
gauche. On a vu de ces fanatiques se troubler en ce cas,
tomber malades, et enfin terminer par la mort leur
existence inquiète. C’est pourquoi les idolâtres portent
des fétiches qu'ils appellent gardes-corps, et qui les
préservent, disent-ils, de tout sortilége.
D'UN NATURALISTE. oII
des sectateurs, annonçant ces offrandes consom-
mées en leur présence, etexigeant leur remplace-
ment par d’autres. Un mouvement d'indignation
m’ayant saisi, j eus la hardiesse de leur annoncer
la nullité des pouvoirs de leur fétiche, en les
persuadant qu'un dieu dépendant de la volonté
et de la puissance de l’homme, n’étoit plus un
dieu. Murmures! mais, comme à cette époque
les nègres étoient plus politiquement soumis aux
blancs par des ordres de Toussaint-Louverture ,
j'osai achever ma tentauve, et en leur criant :
Voyez quel est votre dieu, et combien je suis plus
puissant que lui! J’ajustai aussitôt la conleuvre
reployée sur elle-même, et mon coup la cribla.
Cnis affreux !!! désolation universelle ! I se fit
un silence après lequel le chef me dit : « Maître,
» vous va voir, fusil à vous pas capab’ iuié,
» mioun’ pièce gibier z'encor’ »! Ce qui veut
dire : «Maître, qu’avez-vous fait, le dieu va
» vous punir de votre audace; votre fusil est
» faussé , et à l'avenir vous ne pourrez plus tuer
» avec, une seule pièce de gibier »! Je ris de
cette superstition, et pour mieux leur prouver
leur erreur , je tuai devant eux la première
tourterelle qui me passa à portée. Je vis tons ces
idolâtres intrigués, mais je ne sais quel eflet aura
produit sur leur morale cet événement bien fait
pour les convaincre de leur erreur.
O 2
219 VOYAGES
On peut encore juger de la supersution des
nègres par ce trail caractérisuque. J’avois chassé
toute une matunée dans les mornes du Port-de-
Paix, où j'herborisois en même tems pour ajou-
ter à ma collecuon des oiseaux, des plantes , et
iout ce qui concerne un choix de ce genre.
Un noir me guidoit dans ma course incertame ,
etse chargeoit de tout ce qui devoit être rap-
porté à la case. Nous étions au mois d’août, et
les productions animales ne pouvant se con-
server, je les dessinois pour préparer au plus
vite la peau des oiseaux. Mon conducteur ne
m’avoit point engore vu à l’ouvrage; je le fis
venir pour lui faire reconnoître les oiseaux que
javois tué le matin devant lui. Quelle fut sa
surprise, de voir dans une attitude vivante, et
sur des papiers, des oiseaux qui n’existoient
plus! il recula de frayeur, en s’écriant tout
enroué : « Ah! bon dieu!!! bon dieu!!! queu
» bagage! blanc france ci lala Ii diab” même!
» Ce comme li coucher en haut papier
» toute” bagage layo! Ah! Don dieu!!! bon
» dieu »! Rien de moins surprenant que de voir
un homme de ce genre, étonné, à la vue d’un
travail qu’il ne peut définir, mais de le voir en-
suite refuser de prendre mon verre, et d’y boire
du tafia pour lequel un nègre se feroit fouetter ;
c'est ce qui surpassa mon attente.
D'UN NATURALISTE. 213
Le relêvement de la luette , de la brisquette (r) ;:
et quelques chandelles de suif de France, sont
les seuls consolateurs des mourans, parmi les
noirs non policés. Un homme à l’agonie se dit
soulagé de quelque maladie qu'il ait, si on l’en-
lève par les cheveux pour la chute de la luette; et
c’est pour cette raison qu'en se les faisant couper,
les nègres en réservent une touffe au dessus de
la fontanelle; si donc on frappe le malade à coups
redoublés sur l'estomac pour la brisquette ; si
on lui fait cadeau d’une chandelle pour sucer ou
s’oindre le corps, on avaler dans les infusions
dont ils font usage pour toutes les affecuions de
poitrine , 1l se dit guéri.
On ne peut rendre la vénérauon qu'ont les
nègres pour le suif France , auquel ils attribuent
des vertus toutes particulières, etqu’ils regardent
comme leur panacée universelle. L'un de nos
sujets, un vieux hatuer appelé Zouts, me vantoit
un jour toutes les qualités du suif France. I me
(1) Les nègres sont fort sujets à la cardialgie,
mais ils prétendent que ce mal insupportable provient
du dérangement du cartilage xiphoide qu'ils ap-
pellent brisquette. Les nègres, ordinairement sobres,
deviennent voraces lorsqu'ils tombent malades; d’après
leur systême, de beaucoup manger pour ne pas
tuié cor à yo de grand goût. De grand goût veut dire
de faim.
03
214 VOYAGES ‘.
faisoit sa cour par rapport à une caisse de chan-
delles qu'il voyoit déballer, Comme elle étoit
molle au point de ne pouvoir la faire tenir
droite ,il en exaltoit la supériorité sur une bougie
que je lui montrois, et que je lui offrois au lieu
d’une chandelle. Il la repoussa, en me disant :
« Moi, bien connor souif” France myore passé
» cila z’Anglais layo, qui vini conyounin moun’
» de avec vié souif à yo qui pas sentir pièce, et
» qui dour semblé bâton ». Ce qui veut dire :
« Je counois bien que ce n’est pas du suif de
» France ; 1l estbien meilleur que celui des
LV
> Anglais, qui viennent tromper le monde avec
» leur vieux suif qui n’a aucune odeur, et qui
» est dur comme un bâton ».
Ce même hatuier, desséché par l’éusie ,
refusa de bons alimens que nous lui faisions
administrer, demandant en place un morcéau
de chandelle, où même de suif coulé. Il préten-
doit, appuyant son dire par de vives exclama-
uons, qu'en le faisant fondre dans de la soupe,
ou du sirop de batterie, cette panacée soutenoit
merveillcusement son estomac contre ses foi-
blesses. Enfin on ne finiroit pas de raconter
ioutes les extravagances que feroit un nègre pour
un morceau de suif.
On fait à Saint-Domingue un grand usage de
jus de citron dans les alimens, comme acide
D'UN NATURALISTE. 215
anu-putride, antuiscorbutique et rafraîchissant.
Un mulâtre m'en voyant mettre dans tous les
mets à mon arrivée, me dit qu'avec ce régime
j'aurois beaucoup de bile. II basoit son système
absurde sur la couleur jaune du jus de citron.
L'empire des noirs ayant expulsé de la colonie,
pendant la révolution, une grande parue des
blancs qui n’y étoient plus en sûreté, puisqu'on
ne pouvoit réclamer l'application des lois qui
leur étoient favorables, on fut obligé de confier à
des nègres la santé des malades de chaque habi-
tation. Je voyois sans cesse un chirurgien noir,
à qui nous payions un abonnement pour tous
nos sujets, venir faire ses visites. Îl n’y manquoit
jamais toutes les fois que l’on tuoit un porc
dont on fait grand usage dans ce pays, lors-
qu'il est boulli avec des bananes mûres ou non
mûres. Îl semble que de sa case 1l entendoit les
dermers cris de la victime. On lui avoit donné
le nom de chirurgien à rasoir, parce qu’aflublé
de sa trousse dans une ceinture de maréchal
ferrant , ayant, au lieu de bistouris, de mauvais
rasoirs, il s’étoit présenté pour ouvrir le ventre
à une femme lente à accoucher. « Qui ca, ca,
» disoit-1l, üembé femme ci lala, quitté moi baye
» faire, moi va ba-li soru z’enfant c1 làalà ». Il étoit
pressé, et vouloit, par cette voie meurtrière, hâter
l'accouchement de cette malheureuse négresse
0 4
216 * VOYAGES
dont j'eus le bonheur de sauver la vie, ayant
renvoyé l’empirique pour la délivrer moi-même.
Il estquelques proverbes très-expressifs dans le
langage créole ; en voici un quiest de ce nombre.
Pour désigner un parleur, et In: reprocher ses
verbiages, on lui dit : « Bouche à to1 pas gagné
» dimanche». Dimanche en ce cas équivaut au
MO repos.
Un nègre fainéant veut-1l répondre en même
tems à la voix secrète de son indolence, et à
celle plus criarde encore de sa gourmandise, il
se sert du proverbe suivant : « Moussa gout ;
» piler mal ». Ou bien: « Que le moussa est bon !
» mais qu'il est fâcheux d’être obligé d'en piler le
» mais ).
Lorsqu'un nègre en veut à un autre, s’il est le
plus hardi, il va trouver son ennemi; et pour
liujunier et le défier, 1l fait claquer ses doigts
pour signe de rixe, semblant dire : « Je me
» moane cle 1o1 ». Une des grandes menaces qu'on
peut citer encore, c'est celle ci; lorsque l'int-
miuées! ponssée à son période, que les murmures
conmencent, que les mouvemens impatiens
augmentent, e: que la fureur échauffe, embrase
ces cerveaux naturellement exaltés, l’agresseur
crie à son adversaire comme pour le provoquer
à lilmtie : « N'a pas taqué moué!... n’a pas taqué
« moué... z'affaire à toué, si toué capon, prends
D'UN NATURALISTE, a17
» garde! moué va casser boudin toué ». Ce qui
veut dire : « Ne m’échauffe point, ne m'ataque
» point, et si tu es capon, tremble! prends garde
» de m'irriter davantage, ou je te crève le
» ventre ».
Je voyageois de Saint-Marc au Port-au-Prince
avec le gérant de l’habitation, qui y étoit de-
mandé pour des questions relatives à notre levée
de séquestre, et pendant les trente lieues de dis-
tance on apercoit toujours, en côtoyant le rivage
de la mer, la montagne de la Gonave qui se
trouve et forme une île au milieu du canal du
Port-au-Prince. «Jean-Louis, lui disois-je,
» aimerois-tu vivre à Ja Gonave? tu y aurois
» du gibier, du poisson en quantité, et tu serots
» maître absolu dans cet endroit inhabité.
» Paix bouche à vous, me répondl, moué pas
» v’lé allé là : qui çà mon capal” faire? qui?
» Gonave «1 là? Gonave ci lala bagage après
» suiv’ moun dd’ hayo marchant sus l’eau tant
» com” monde ». Îl croyoit que la montagne
changeoit de place comme nous!
Lorsqu'un nègre créole veut parler de la
femelle du coq, 1l l'appelle maman poule :
« Vla n'iouw’ maman poule qui grasse oui » !
Ou « Voilà une poule bien grasse » ! Le mâle de
latruie, papa cochon : « Papa cochon ci Jalà
> li bon pour yo saigné li ». Ou « Il est tems
218 VOYAGES
» de tuer ce cochon ». On dit aussi : Papa bœuf,
maman bœuf, maman seringue , etc..
A l’époque de l'anarchie oùles blancsn’avoient
aucune autorité, et où leur plus pure intenuon
étoit souvent même mal interprétée , 1l s’éleva
une dispute entre deux de nos nègres au sujet
d’un cheval volé par l’un d’eux. Ils vinrent
réclamer justice auprés de nous; mais, nous
gardant bien d'émettre notre opinion, nous
envoyämes chercher le capitaine de gendarmerie
qui, nègre comme eux, prononca sur-le-champ
en faveur de celui qui pouvoit le récompenser
de son zèle.
Le pauvre condamné fut aussitôt maltraité,
hé et garrotté sur un cheval, pour être conduit
en prison ; mais je ne pus m'empêcher de rire
du dialogue suivant entre le gendarme et Aza ,
nègre jugé coupable ; le voict :
Aza. Ah ca frère, n’a pas’marrer moué si fort
donc !
Le GENDARME. Si frère (1).
Az4. Mon pas voleur pourtant.
Le GEnparme. Si frère.
AzA. Mon pas capab’ marché sans sabre tienn”
à moué. .
(1Y On sait que les nègres s'appellent frères et sœurs
Lorsqu'ils ont la méme marraine, qu'ils révèrent autant
que leur mère, :
*
s D'UN NATURALISTE. 219
Le Gexparme. Si frère.
AzA. Mon pas capab” monté en haut cheval ci
lala.
LE cexparue. Si frère.
AzA. ( Frappant du pied , pleurant et s’ar-
rachant les cheveux.) Moué pas capab” m'y
uembé. | |
LE GENDARME. Si frère. |
AzA. (Plus résolu.) Et jupe à commère à
moué; baye moué:.li pour couvrir moué... haï!..
haïl.... haï! vous ’marrez trop fort.
Du courage, Toquaille, lui crioit le gérant
Jean-Louis Aza, qui portont le même nom.
On monta Ie pauvre patent sur le cheval , et on
lui lia les pieds par dessous le ventre de l'animal;
mais 1} paroît qu'il étoit maître fripon, et exercé
dans la janglerie, puisque , maluré les entraves,
nous apprimes qu'il s’échappa.
Une négresse âgée, infirme, ayant le corps
couvert de pians (1), alloit la tête nue, vêtue seu-
lement d’un tanga en lambeaux, chercher dans le
jardin un peu d'herbe pour en faire un calalou, la
seule nourriture que ses facultés lui permettoient
de prendre, lorsqu'on vint lui annoncer l’arrivée
de son fils , guide de Toussaint-Louverture , et
resté au service depuis plusieurs années. Marie
(1) Ulères vénériens.
220 VOYAGES »
Noël sentant ses forces se ranimer au nom du
seul enfant qui lui restoit, hâtoit ses pas chan-
celans, dans l'espoir de retrouver un soutien dont
l'absence étoit l'unique cause de sa détresse ;
quelle fut sa surprise quand ce fils dénaturé
environné de tous les nègres de l'habitation qui
étoient joyeux de le revoir , apercevant sa mère
nue ou couverte de lambeaux, et dans l’état de
misère le plus complet , feigmit de ne plus la
reconnoître, et la repoussa avec horreur, en
disant que cette vieille zombie vouloit le tromper,
qu'il n’avoit jamais été son fils, qu'il rougiroit
de lui appartenir ; qu’à son départ il avoit à la
vérité laissé sa mère infirme, nrais qu’elle
possédoit un mobilier auquel il n'étoit point
disposé à renoncer! Qu'on se peigne l'état
désesperé de cette pauvre mère, répudiée par
son fils , avec menaces, coups et invectuives ; se
roulant, mordant la terre où elle vouloit entrer ;
elle appeloit la mort à son secours, lorsque nous
Papercümes , et la fimes venir à la case. Dès ce
jour elle fut mise sous notre protection spéciale,
et nourrie des restes de la table. Elle étoit
tellement décharnée qu’on eût pu pendre son
squelette d’après nature. Le procédé du fils
m'ayant donné la plus mauvaise opinion de ses
principes, j'en écrivis à Toussaint-Louverture, qui
rappela ce fils iugrat à son corps, et le fit punir.
F
D'UN NATURALISTE. or
Je frémis au souvenir des imprécations qu’un
mulätre guide de Toussaint, appelé Hazulime,
prononca sur la fosse de sa mère, en la menacant
de jeter au vent ses dépouilles mortelles, si sous
peu il n’avoit point d'enfant.
Victimes de l’anarchie, comme tous les
blancs, nos contrariétés se renouveloient cha-
que jour sur notre propre habitation, au point
que nos culuvateurs, jaloux de nous voir tran-
quilles, déhouaclèrent (1) le parc où l’on
mettoit jeûner nos veaux , afin de leur fournir les
moyens de rejoindre leurs mères , et deteter le lait
sur lequel nous comptions pour notre existence.
Une autre fois, afin d’exciter la vengeance des
têtes déjà trop exalices, quelques mal-inten-
üonnés coupérent les licous des mulets liés à un
poteau , et destinés à charrier le coton. Ce projet
tendoit à les laisser égarer dans les jardins des
culüvateurs , afin qu’ils en mangeassent les pro-
ductions. Enfin, sur notre propriété, nous
éuons moins maîtres que le dernier des esclaves
dont nous ne pouvions retirer ni services, ni
vivres.
Un nègre maquignon, ne pouvant dompter
un cheval peautre , avoit attaché à sa queue son
chien fidèle qui volugeoit impitoyablement au
nes
L]
(:) Terme du pays, qui veut dire démembrer.
2929 VOYAGES
gré de la course irrégulière du quadrupède,
lui lançant des ruades dont le chien fut tout
écloppé. La course finie, ce nègre cruel détacha
son chien, dont la première démarche fut de se
traîner aux pieds de son maître pour y chercher
encore sa main Caressante, oubliant son injustice
et sa cruauté qui venoient de le livrer à un si
affreux supplice!
Enfin on voyoit parmi les nègres créoles,
dont l’immoralité est poussée au dernier point,
et dont les principes sont incomparablement
plus corrompus que ceux des Africains ; on
voyoit, dis-je, des pères prosutuer leurs filles
pour une somme très-modique, et leurs mères
trafiquer de leur virginité.
Un mulâtre de la même habitation, qui se
vantoit d’avoir versé le sang des blancs avec
autant de plaisir et de sang-froid que celui des
animaux ,.prit, afin de se retracer ses forfaits,
une brebis qu’il ouvrit, ou plutôt qu'il déchira
vivante, pour en arracher en riant les viscères
palpitans!!!
Je revenois un soir d’un beau verger de l’ha-
bitauon , où sur le bord dé la rivière limpide de
l’'Ester je m’étois assis à l’ombre d’épais bam-
bous, pour y éplucher, peler et savourer
l'orange , la goy ave , la sapotille et Le corrosol
qui enrichissent cette plantation , lorsque je
D'UN NATURALISTE. 223
surpris deux négrillons se livrant en cachette à
leur odieuse méchanceté. L'un d’eux, après avoir
cassé la patte d’un chien qu'il avoit pris à
l’éperlin , l’avoit amarré afin de mieux le battre
à son aise, en l’écrasant entre deux planches.
L'autre , non moins cruel , retiroit par la jambe
un chevreau du tetin de sa mére, afin de Île
faire languir et crier. Quelle dépravation de
mœurs! quelle perspective pour leur vie future !
Je les fis marcher devant moi tous les deux, et je
les conduisis à leur mère qui , après les repré-
sentations convenables, leur infligea la plus dure
puniuon , en les privant du moussa et du tum-
tum (mélange de bananes mûres et de patates
bouillies et pilées au mortier) qu’elle distribua
devant les fautifs à ses autres enfans.
La nourrice de ma belle-mére, étant sur
le point de mourir, demanda dans son agomie
lente et douloureuse une goutte de tafia pour
rincer sa bouche; ses enfans lui refusérent en
Paccablantd’injures :elle mourntuneheureaprés.
Aussitôt, pour sausfaire aux coutumes du pays,
ces mêmes enfans s’arrachoient les cheveux , pleu-
roient avec sanglots, tellement qu’au bout de
six heures de cette douleur feinte, ils étoient
enroués. Voici la coutume satisfaite. Maintenar
1l fallut préparer la dernière demeure à ce corps
déjà putréfié ; aucun des parens ne voulut
224 VOYAGES
pourvoir aux préparatifs, et sans linceul , sans
cercueil, ellealloitcorrompre l’air de sa demeure,
lorsque nous l'envoyàmes ensevelir , et porter
en terre par les nègres de la grande case, dans un
cercueil qui lui fut préparé. On rassembla,
comme il est d'usage, quelques enfans pour
précéder le corps, et dout l’un d’eux portoit une
croix de bois faite sur-le-champ avec une branche
d'arbre quelconque. Les parens immoraux et
dénaturés, qui d'abord s’étoient reurés , repa-
rurent tous pour le fesuin du calenda et la danse
funéraire. Nous fûmes forcés de tolérer ce ras-
semblement, dont le composé nous révolta ; les
blancs à cette époque (1802) n’ayant plus de
pouvoir sur leurs nègres, nous nous condam-
nâmes au silence.
Les Guinéens s’entre-aident dans l’infortune,
mais les nègres créoles sont plus égoïstes, et
la plupart sans charité. Un de nos sujets,
nommé Léon, lépreux depuis long-tems (ne
pouvant être retenu à linfirmerie, puisque
l'empire des noirs les avoit abolies sur les
habitations) vivoit avant notre arrivée, à la
merci de tous les cultivatenrs de l'habitation,
Jorsque tous ses bienfaiteurs, d'un commun
accord, le chassérent ignominieusement tontes
les fois qu’il venoit réclamer de quoi alerter
son corps impotent. Îl maigrissoit à vue d’uil,
faute
D'UN NATURALISTE, 32
faute de secours, eteût infailliblement succombé
à sa misère sans notre arrivée.
La reconnoissance d’un Dieu, voilà la base
des vertus sociales ; un athée, sil peut en
exister , est-1l un être moral?! ! Sans n’étendre
sur un sujet si délicat à traiter, je rapporterai
seulement que l’impiété qui existe parmni les
nègres depuis la révolution, a été la cause
de désordres , de malheurs rénérés ;et de forfaits
inouis. Toussaint-Louverture, croyant devoir
rappeler les nègres à leur devoir, avoit ordonné
sur chaque habitation une priére du soir. C’est
à celle époque que nos nègrés divisés par les
Opinions élevérent un schisme entr'eux. Ils
rioient les uns des autres dans les cérémonies
pieuses, jusque-là que de mauvaises, mères
disoient à leurs enfans de ne pas prier Dieu,
puisqu'il ne les empêchoit pas de mourir !
Chaque habitauon dans les colonies renferme
an local destiné à recevoir les nègres défunts. Le
cimetière de l'Étable étoit loin du tumulte de
notre peuplade. Dans une enceinte protégée par
des cardasses , raquettes , pingoins, divers aloës
et autres plantes épineuses qui en interdisent
l'entrée aux animaux ; dans ce heu paisible,
témoin seulement des plaintufs accens de For-
tolan, poursuivant toujours sa compagne, ou
du roucoulement mélancolique du iourtereau
Tone LL, P
226 VOYAGES
rappelant près de lui sa tendre moitié, reposoient
les dépouilles de tous ces malheureux. Rarement
un bon fils y alloit pleurer sur l’auteur de ses
jours : plus souvent on y vit avec horreur un
être barbare, guide de Toussaint-Louverture,
insulter aux manes de sa mére, morte pendant
son absence; blasphémer contr’elle, de ce qu’il
n’avoit trouvé aucun argent pour lui à son
retour ; l'appeler par mépris négresse gros’
peau , parce qu’elle étoit originaire de Guinée ,
et par conséquent moins délicate que lui, qui
se donnoit, ainsi qu’à tous les nègres créoles, le
nom de nègres peau fin. De Îà une division , et
des rixes sur l'habitation. Ce fils pervers poussa
l'infamie jusqu'a vouloir déterrer sa mère avec
son sabre pour abandonner ses dépouilles à la
voracité des caimans qui avoient près de là leur
repaire , et qui se nourrissent volontuers de
chair corrompue. ,
Je côtoyois un jour ce cimeuère avec mon do-
mestique , lorsque j'apercus un petit scops, espèce
de chat-huant, placé près d’une fosse, sur le bord
d’un trou creusé par lui-même, et où il avoit
établi sa demeure. Familier au point de le prendre
à la main, je me mettois à même de l'ajouter
à ma collection. Déjà je couchois mon fusil en
joue, lorsque Nicolas mon nègre s’écria : « Haï!
» maitr” à moi, qui ca vous va faire ? oiseau
D'UN NATURALISTE. 227
» ci làlà n’a pas gagné malice pièce, li gardé
» toutes camarade’ à nous ; gueltéz comm ca h
» faire à vous coucout » ! Ce qui veut dire :
« Ah! mon maître, qu’allez-vous faire? cet
» oiseau n’est pas méchant, il veille auprès de
» tous nos frères; voyez comme il vous fait la
» révérence»! En effet, dès que l’on passe auprès
de ces oiseaux qu’on trouve toujours au guet aux
deux flancs de leur trou, ils poussent un peut
cri en faisant à chaque fois une révérence, et se
tournant à mesure que l’objet animé s’éloigne
d’eux ; mais cette révérence qu'on attribue au
bon accueil de ces oiseaux , est un mouvêment dû
à l'inquiétude qu’ils ont de voir quelqu’étranger
autour d’eux. La passion des calendas est si im-
périeuse parmi les nègres que les parens de l’ago-
nisant, dans l’impauence de se livrer à la danse
dès qu'il expire, lui disent tous ordinairement :
« Papa! qui ça ca? pourquoi vous pas parür
» pour l’aut moun'de, quoi ca vous tendez ?
» Boun’ Dieu, bezouin vous; faut pas boucher
» chemin à z’autres, partez pour mettre tambour
» déhors ». Ce qui veut dire : « Papa! comment
» cela? pourquoi ne vous décidez-vous pas
» à mourir, qu’attendez-vous donc? le bon
» Dieu a besoin de vous ; en restant sur terre,
» vous empêchez à un enfant de naître; mourez
P 2
228 VOYAGES
» donc bien vite, afin que nous puissions mettre
» le tambour dehors ».
Selonles nègres, dit M. Moreau-de-Saint-Méry,
Dieu fit l’homme , et le fit blanc : le diable qui
lépioit, fit un êire tout pareil; mais le diable
le trouva noir lorsqu'il fut achevé, par un chà-
ment de Dieu qui ne vouloit pas que son
ouvrage fût confondu avec celui de lPesprit
malin. Celui-ci fut tellement irrité de cette diffé-
rence, qu'il donna un soufflet à la copie, et la
fit tomber sur la face, ce qui lui QE le nez et
lui fit gonfler les Ten D'autres nègres moins
ol disent que le premier homme sorut
noir des mains du Créateur, et que le blanc n’est
qu'un nègre dont la couleur est dégénérée.
Selon MT Moreau de St.-Méry, on reconnoît
parmi les nègres d'Afrique qu’on débarque à
Saint-Donungue ,
Des Angouas: Des Créoles ;
Aoussas ; De la côte des Dents;
Aradas; De la côte des Esclaves ;
Bambaras: Des Graines ou de
Bissagots ; Malaguette ;
Blancs ou Albinoss De la côte d'Or;
von
Bouriquis ; De Madagascar ;
Cangas ; Du Benin;
Caplaous ; Cap Vert;
Congos ; Galbar ;
Cotocolis ; Monomotapà ;
D'UN NATURALISTE,
Des Fantins;
Foëdas ;
Fonds ;
229
Des Mokos ;
Foules, Poules ou
Poulardes
Ibos ;
Mais ;
Mandingues
Mayombès ;
Mines ;
Misérables ;
5
oO
2
Mondonoues ;
Mousambès ;
Mozambiques ;
Nagos;
Ouaires ;
Popos ;
Quiambas ;
Sénégalais ;
Socos ;
Yoloffes.
Je crois pouvoir intéresser le lecteur en lui
faisant aussi connoître , d’après le même auteur,
le résultat de toutes les nuances produites par
les diverses combinaisons du mélange des blancs
avec les nègres , et des nègres avec les caraïbes,
ou sauvages ou indiens occidentaux , et avec les
indiens orientau
Xe
Le
Combinaisons du Blanc.
D'un blanc et d’une négresse vient un mulâtre.
mulâtresse ,
quarteronnée ,
métisse,
mamelouque ,
quarteronnée,
sang mêlé,
maraboue,
griffonne ,
sacatra ,
quarleron.
métis.
mamelouck.
quarteronné.
sang mélé.
sang mêlé qui ap-
proche du blanc,
quarteron,
idem.
idem.
OR
230 VOYAGES
BE,
Combinaisons du nègre.
D'un nègre et d’une blanche vient un mulitre.
sang mêlé, idem.
quarteronnée, zdem.
' mamelouque, idem.
mélisse , idem.
quarteronnée, : marabou.
mulâtresse , griffe.
maraboue, idem.
griffonne , sacatra.
sacalra , idem.
ÉLE
Combinaisons du mulätre.
D'un mulôtre et d’une blanche vient un quarteron.
sang mêlé, idem.
quarteronnée , idem.
mamelouque , idem.
D'un mulatre et d’une métisse, idem.
quarteronnée , idem.
maraboue, mulitre.
griffonne, marabou.
sacalra , idem.
négresse, griffe.
IV.
. + Combinaisons du quarteron.
D'un quarteron et d’une blanche vient un métis.
sang mélé, idem.
quarteronnée , idem.
mamelouque , idem.
métisse , idem.
mulätresse , qu'rleron.
maraboue, zdem.
D'UN NATURALISTE. 291
D'un quarteron et d'une griffonne vient un mulâtre,
sacatra , idem.
négresse , marabou.
L £
Combinaisons du métis.
D'un métis et d'une blanche vient un mamelouck.
sang mêlé, idem.
quarteronnée , idem.
mamelouque, idem.
quarteronnée , métis.
mulatresse , quarleron,
maraboue , idem.
griffonne, idem.
sacatra, . mulâtre,
négresse, idem.
VI.
Combinaisons du mamelouck.
D'un mamelouck ei d’une blanche vient un quarteronné,
sang mêlé, idem.
quarteronnée, dem.
D'un mamelouck et d’une métisse vient un mamelouck.
quarteronuée, métis.
mulätresse , quarteron.
maraboue , idem.
griffonne, idern.
sacatra mulatre.
négresse , idem.
VII.
Combinaisons du quarteronne.
D'un quarteronné et d'une blanche vient uu sang mêlé.
sang mélé , dem.
RÉ cbieies quarteronné.
P 4
VOYAGES
D'un quarteronné et d'une métisse vient un mamelouck.
quarteronnée, métis.
mulâtresse ,
maruboue,
griffonne,
sacatra ,
névresse ,
VIIT.
D'un sang mélé et d'une blanche vient
quarleronnée,
mamelouque ,
métisse ,
quarteronnée,
mulatresse ,
maraboue,
griffonne ,
sacatra ,
négresse ,
IX,
Combinaisons du sacatra.
D'un sacatra et d’une blanche vient
sang mêlé,
quarteronnée ,
mamelouque ,
métisse ,
quarteronnée,
mulatresse ,
maraboue ,
griffonne,
négresse ,
quarteron.
idem.
idem.
mulâtre.
idem.
Combinaisons du sang mélé.
un sang mêlé.
idem.
quarleronné.
mamelouck.
métis.
quarteron.
idem.
idem.
idem.
mulatre.
un quarleron.
idem.
mulitre.
idem.
idem.
idem.
marabou.
griffe.
idem.
sacatra.
D'UN NATURALISTE. 2
».e
Combinaisons du griffe.
(es
[Se
D'un criffe et d'une blanche vient un quarteron.
sang mêlé, idem.
quarteronnée , idem.
mamelouque , idem.
métisse , idem.
quarteronnée, mulitre.
mulalresse, marabou.
maraboue, idem.
sacatra , griffe. ”
négresse , sacatra.
Len à .
Combinaisons du marabou.
D'un marabou et d’une blanche vient un quarteron,
sang mêlé, idem.
quarteronnée , idem.
mamelouque , zdem.
mélisse, idem.
quarteronnée, idem.
mulâtresse , mulâtre.
griffonne, marabou.
sacatra , griffe.
négresse , idem.
XII.
Combinaison des sauvages et caraïbes de l'Amérique,
ou indiens occidentaux.
Comme leur nuance est celle du mulâtre, leurs com-
binaisons ont exactement les mêmes résultats, excepté
que les cheveux sont moins crépus dans les combinai-
sons qui approchent du nègre, à partir du mulâtre,
234 VOYAGES, etc.
et qu'ils sont plus longs et plus droits dans les com-
binaisons qui partent du mulâtre pour aller vers le
blanc.
XIIL
Combinaisons des indiens orientaux.
Leur nuance étant celle du griffe, les combinai-
sons qui résultent de leur mélange peuvent être com-
parées à celles du sacatra. Mais les cheveux de ces
Indiens étant longs et plats, tant que ce caractère
des cheveux est remarquable dans les combinaisons,
on les appelle indistinctement zingres; et quand
les cheveux deviennent laineux , ils sont confondus
avec les autres combinaisons du griffe, auxquelles
ils ressemblent le plus.
Rs Ve
Je vivois tranquille à Saint-Domingue, et
je ny livrois à mes goûts constans sur l'Histoire
naturelle, lorsqu'un autre orage politique vint
gronder, et embraser de nouveau les quatre
parues de la colonie, Les événemens que cette
insurrecuon funeste fit développer, +22t trop
majeurs pour en soustraire la relation que J'ai
d’ailleurs promise. La premiére parue du mé-
moire suivant est destinée à servir d’introductuon
aux deux autres, dans lesquelles le politique
impartial apprendra à juger une couleur en
faveur de laquelle une foible piué fit long-tems
balancer l’incerutude d’un jugement qui ne doit
plus tre équivoque.
DÉTAILS DE MA CAPTIVITÉ
PAR QUARANTE MILLE NÈGRES,
Contenant des Anecdotes secrètes sur les règnes
DE
TOUSSAINT-LOUVERTURE ET DESSALINES,
Chefs des Nègres révoltés à Saint-Domingue ;
Pour servir à l’histoire de la révolution de ce pays.
RDS ee D SR SL RE RL LU D DS
AVANT-PROPOS.
Au! ne me reportez plus sur une scène
sanglante, ai-je dit bien des fois aux
amis qui m'ont sollicité de publier les
détails de ma captivité!!! Ne me re-
tracez plus des horreurs monstrueuses
dont le souvenir est affligeant autant
qu'il est pénible? Le public, à qui ce
précis es comme annoncé par les
journaux des 22 et 23 fructidor an x,
vous en saura gré, m'ont-ils répondu.
C’est donc dans l'intention de lui être
agréable que j'ai broyé des couleurs
sombres pour nuer mon tableau de son
véritable coloris.
J'ai circonstancié dans la première
partie, les principaux événements de la vie
de Toussaint-Louverture et de Dessalines
pendant les six années de mon séjour
à Saint Domingue, puisque, plus que per-
sonne, J’étois à même d'observer ces
deux principaux chefs, par le caractère
indépendant attaché à mes fonctions de
voyageur naturaliste.
Dans la seconde partie, j’airetracé des
scènes atroces dont j'ai été le témoin
forcé.
238 AVANT-PROPOS.
Enfin dans la troisième, qui est très-
précise, je nrécarte de ce théâtre san-
glant, pour exposer quelques particula-
rités qu’on ne me saura peut- être pas
mauvais gré d’avoir développées.
Ces faits marqués au coin d’une vérité
pure, donneront à connoître le génie
actuel des noirs, et la ténacité de leur
principes pour une indépendance entière
et absolue.
Et toi, 0 monpère , quel cœur est plus
digne que le tien de lire avec attendris-
sement au livre de ma vie ! Le sentiment
de la Nature que tu possèdes dans toute
sa pureté, m'est un sûr garant qu’en pen-
sant aux dangers que j’ai courus, ton ame
sensible s Te vers ce Dieu tout-puis-
sant qui, en me conservant l’existence au
milieu d’assassins inexorables, a su faire
triompher du crime , et l’amour paternel
et la piété filiale. Que de graces à rendre
au Protecteur invisible de mes jours mal-
heureux > puisque, sans sa Main tutélaire,
tu n’aurois plus de fils, et que j’ai encore
un pére!
EMPIRE ARBITRAIRE
DES NOIRS,
Avant l'arrivée du Capitaine - Général
LECLERC.
PREMIÈRE PARTIE.
Pres n'avoir point à peindre un chimat
fortuné dont les innocens et paisibles habitans
concourent mutuellement à leur bonheur com-
mun ?..! Pourquoi n'avoir point à décrire des
sites embeliis par les dors prodigues et sans cesse
renaissans de linfauigable Nature?..! Pourquoi
ne rencontrer que des monceaux de cendres,
eu des ossemens dispersés ?..! Pourquoi ne
signaler que des fronts ridés ou noircis de
fumée , des yeux ou ruisselans de larmes, ou
cuncelans de rage et de désespoir ?..! Pourquoi
enfin heurter en tous lieux le crime, et le voir
régner impitoyablement au milieu de ses
cohortes sanguinaires et'tumultueuses ?..! Pour-
quoi?..! L'ile de Saint-Domingue sourdement
consumée par un volcan assoupi, prêt à vomir de
nouveau la désolation et la mort, étoit à mon
arrivée en l’an vu (1798) l'espoir de tous ses
LL]
240 VOYAGES
babitans qui , comme les abeilles , arrivoient de
toules parts pour concourir au rétablissement
d’une colonie naguëres si florissante.
Toussaint-Louverture y régnoit alors en
souverain dominateur. À deux mille lieues de la
métropole, comme 1l le dit cent fois , 1l lui étoit
sans doute fort facile de donner des lois, de les
révoquer; de condamner, d’absourdre; d’être
soumis on révolté, d'approuver ou de réprou-
ver, de punir ou de pardonner. Aussi c’est
rassasié de ces pensées flatteuses, jaloux de sa
suprématie , comptant sur une souveraineté à
jamais récusable , qu’il me recut fort mal pour
être porteur de lettres de recommandation des
principales autorités d'Europe. Elles servirent,
comme pour mon malheur, je l’éprouvai trop
Jong-tems ! à développer en lui de jaloux soup-
cons, à concentrer plus tard un ressentiment
injuste , enfin à déclarer un coup de foudre que
le Ciel seul a pu détourner en m’enlevant à ses
coupables projets.
« Qu’ai-je besoin, me ditil alors, de ces
» lettres en votre faveur ; la France peut-elle
» voir d'où elle est, ce que je fais 1c1 ? Ne suis-je
» point maître de mon autorité ?...... libre
» dispensateur de ma protection ?..! Allez...
» allez... à l’Arubomite, je parlerai pour
» vous à M, Roume ».
D'UN NATURALISTE. a4i
Interdit par cette première réception , je crus
devoir sur-le-champ en donner avis à l’agent
du gouvernement, M. Roume , qui venoit de
remplacer le général Hédouville , avec lequel je
m'étois croisé à la hauteur de Madère.
M. Roume me recut convenablement aux
dispositions de mes dépêches, et m’imvita à
diner à son gouvernement. C’est à ce repas
qu'après s'être long-tems entretenu avec moi des
arts et de l’histoire naturelle , il m’engagea à
remplir une tâche qu'une société n’avoit pu
poursuivre , à travailler à la description anato-
mique du caïman de Saint-Domingue, qu’on
demandoit de France. Honoré de la confiance
qu'il me témoigna , je lui promis de remplir
avec vérité et scrupuleuse exacutude les fonc-
üuons dont 1l vouloit bien me revêtir. J’ai eu la
satisfaction de lui tenir parole.
Cette entrevue choqua le jaloux et envieux
Toussaint-Louverture , qui, me rencontrant le
lendemain au sorur de l’agence, me reprocha
vivement de n’être point parti pour l’Arubonite,
comme j avois paru en avoir le projet; et sus-
pendant sa visite, il me ramena à son gouver-
nement où cette fois il me combla de preuves
feintes d’affecuon, me retint à dîner, et me
forçca d'accepter de sa main une nouvelle com-
mission, en me disant que la signature du papa
Tour IL,
2/Â2 VOYAGES
Toussaint étoit connue par-tout, et que je
voyagerois avec plus de sûretéet plusd’agrément.
Jusque-là ce chefambitieux ne faisoitquerivaliser
le pouvoir de lagent Roume ; mais voulant
prévaloir sur ce dermer, et faire plus gran-
dement les choses, il m’autorisa à disposer de
quatre guides dragons toutes les fois que j'en
aurois besoin pour mes voyages. L'ordre à ce
sujet fut envoyé à tous les commandans mili-
taires : moyen ingénieux de s’assurer de ma
religion. ,
Je n’étois point encore arrivé à l’Arubonite,
qu'un courrier de Toussaint-Louverture n’y
avoit devancé, pour indisposer sourdement
contre moi le commandant de l’arrondissement,
un nommé Titus d’'Hanache , nègre im-
trigant et scélérat, qui date dans les annales
de mon séjour à Saint-Donungue.
. Fidèle observateur des ordres de son tyran,
Titus s’en rendit avec délices le scrupuleux
exécuteur, C’est pourquoi il établit sur nous un
pouvoir despotique dont les effets oppresseurs
tendoient à nous décourager. Envieax du
fermage de nos habitauons, il nous prêta des
propos contre Toussaint-Louverture , d’après
l'examen desquels il espéroit au moins produire
notre déportation.
Titus nous fit voler sans resuituuon les ani-
D'UN NATURALISTE, 243
maux de nos haras , échappés aux précédentes
dévastations par leur invalidité passagere ; il
nous fit vexer par nos propres sujets, tourmenter
par des esclaves qui refusoient hautement de
nous obéir , jusque-là que possesseurs encore
de sept cent cinquante-trois nègres , nous étions
obligés de nous servir nous-mêmes, tandis qu’im-
purément, et contre notre gré, ce chef audacieux
en disposoit habituellement.
Toussaint- Louverture indisposa également
contre nous les administrateurs des domaines
qui, sous des prétextes avantageux pour le
gouvernement, retenoient le prix des fermages
qui nous étoient accordés, et usurpant nos
droits , nous asservissoient à d’impérieux
besoins. C’est ainsi qu’on violoit en ces lieux la
foi promise aux propriétaires et aux propriétés.
Les gendarmes noirs chargés de lexécuuon
de ces dispositions favorables, refusoient de
sévir contre leurs amis ou ceux de leurs connois-
sances, à plus forte raison contrée leurs parens ou
compères, par un engagement sacré qui les unit
inséparablement. C’est pourquoi lors d’un délit,
la patrouille s’esquivoit et protégeoit par cette
tolérance une dangereuse impunité. Il falloit
souffrir sans se plaindre, à cette époque où les
blancs considéroient peu les sacrifices qu'ils
O 2
244 VOYAGES
étoient obligés de faire pour mettre leur vie en
sûreté.
Lesculuvateurs forts de l’appuide Titus, rioient
de notre impuissance, afectoient de nous voler,
sans chercher à se dérober à nos regards; et
accoutumés dans ce vice, enhardis par des chefs
perturbateurs , la flamme , le fer et le poison
étoient successivement tentés pour nous exclure
de la scène du Monde,
Maïtres de nos biens, sans en pouvoir dis-
poser , et ie meilleur terrain ayant été divisé aux
culuvateurs insolens et ingrats, nous essuyions
d'eux le refus de plantes légumineuses sur les-
quelles nous avions tout droit de prétendre,
mais dont Pinjustice nous privoit. Nos ressources
étoient modiques, les fondés de pouvoirs ne
touchoient rien , et le gouvernement s’étoit
réservé le droit de palper les revenus, à la
charge de faire passer en Europe, aux proprié-
taires, des mandats de pareilles sommes percues.
Enfin nos persécutions étoient poussées à un
tel point sur lhabitauon, que notre asile fut
souvent violé pendant la nuit, jusqu’à être obligé
de faire feu de la chambre même de mon repos;
que les torches furent nnses plusieurs fois à notre
case; que le canot de passage fut chaviré par des
plongeurs soudoyés pour attenter à ma vie;
que des embuscades furent postées, el que j’en
D'UN NATURALISTE. 245
j'essuyai sans accident le feu à plusieurs reprises ;
que nos vaches laiières, destinées à lapprovi-
sionnement de la maison, furent tuées etenlevées
à force ouverte; que les parcs furent démembrés,
nos voitures et cabriolets dérobés par autorité
supérieure; que nos chevaux furent lächés dans
_les jardins de réserve accordés aux culuvateurs,
afin de les exciter contre nous, et de pouvoir
nous impuiter les dommages involontaires causés
à leurs fourrages ; persécutions dans lesquelles
nous eûmes la douleur de voir nos fidèles sujets
maltraités , etleurs ennemis triomphans ; que nos
chevaux de selle furent ou estropiés dans les
savannes , Où empoisonnés à la maison; que nos
vergers furent pillés, les arbres fracassés, et les
fruits nous en furent refusés; que d’indécens
calendas furent affectés lors de nos maladies occa-
sionnées par le poison de nos nègres ; enfin que
nous fimes souillés par la bouche calomnieuse
de limposteur Titus.
Je fis un second voyage au Cap, où j'eus oc-
casion d'étudier plus à mon aise le caractere
bien politique du vieux Africain, ainsi que sa
pénétration littéraire. Je lui vis en peu de mots
exposer verbalement le sommaire de ses adresses,
rétorquer les phrases mal conçues , mal saisies ;
faire face à plusieurs secrétaires qui alternative-
ment présentoient leur rédaction; en faire re-
ve
=
246 VOYAGES
trancher les périodes sans effets; transposer des
membres pour les mieux placer ; enfin se
rendre digne du génie naturel annoncé par
Rainal, dontil révéroit lamémoire ,en l’honorant
comme son précurseur. Le buste de cet auteur
étoit respectueusement conservé dans chacun
des cabinets particuliers attachés aux diverses
résidences de cet Africain présomptueux.
Quant à sa vie privée, Toussamnt-Louverture
étoit sobre, peut-être par méfiance : il ne buvoit
qu'aux fontaines escarpées, dans une feuille de
bananier que lui seul coupoit de la uge; ou
bien à la ville, des mains de personnes affidées
qui répondoient sur leur tête du moindre déran-
gement de son estomac, et de la plus légère
colique qu'il n’eût pas manqué de croire oc-
casionnée par un breuvage empoisonné. L'eau
étoit sa seule boisson; jamais aucune liqueur
enivrante n’aliéra sa raison. C'est pourquoi,
le plus ordinairement , 1l choisissoit pour sa
nourriture des mets entiers, non susceptübles
d’être drogués, comme fruits , œufs, bananes sans
être épluchées. Il étoit singulier, lors de grands
repas, de le voir au premier service peler
une orange où un avocat, et trés-rare de le voir
transgresser Ja rigidité de son régime, en man-
geant une demi-douzaine de biscuits encaissés,
ou de macarons faits sous ses yeux, ou par les
femmes revêiues de sa rare confiance.
D'UN NATURALISTE, 247
La cour de Toussaint-Louverture étoit bril-
lante : il gardoit à l'égard de ses semblables,
adjudans-généraux et généraux , la retenue al-
üère, le silence imposant, dus à l'importance
du caractère qu’il représentoit.
Nul employé n’étoit introduit sans être décoré
de son uniforme. Il falloit lui parler avec sou-
mission , et surtout beaucoup de circonspection.
Mais il existoit parmi lesofficiers noirs quelques
caricatures pour parure affectée et maintien
emprunté. J'ai vu, dans ce voyage, l'original
Gingembre-Trop-Fort, homme de basse sta-
ture, mais de beaucoup de prétention : c’étoit
un colosse de quatre pieds huit pouces de hau-
teur, qui pourtant se croyoit intrépide et redou-
table. Son sabre , large comme la moitié de son
corps, étoit insoulevable, et faisoit plus de bruit
que d’exploits : son chapeau avoit de rebord la
moitié de sa taille,
On le montoit à cheval comme un mannequin.
Ses bottes étoient armées d’éperons dont les
flèches étoient si longues, qu’elles eussent pu
servir de juchoir-à plusieurs poules. Barbouil-
lant le français, cet homme épris de l’art mili-
taire étoit toujours habillé avec des marques
de disincuon. Ses deux chaînes de montres qui
lui descendoient jusqu’aux genoux, volugcoient
dans sa marche, et servoient à lui chasser les
Q 4
248 VOYAGES
mouches. Ses boucles d'oreilles, par leur masse
et leur pesanteur , avoient entièrement défiguré
cette partie. Les selles de velours à franges d’or
n'étant point assez moëlleuses pour lui, 1l avoit
l'impudence, quoique montant un cheval d’al-
lure, d’être assis sur un gros oreiller. Voilà
pour le haut parage.
D’autres officiers , ayant le cou embarrassé de
cravates à écrouelles, ne laissoient à découvert
de leur figure écrasée que deux gros yeux saillans.
Poudrés à blanc par derrière , et sans poudre par
devant, 1ls évitcient par là les contrastes dans les-
quels la teinte mixte de leur peau n’eût pas brillé,
Tous leurs doigts surchargés de bagues ma-
térielles, étoient gonflés par défaut de circula-
uon. Les simples officiers, moins éclairés et
moins répandus dansle grand monde, poussoient
plus loin le ridicule : ils portoient des boucles
d'oreilles à femme.
Si Toussant-Louverture redoutoit l'obscurité
d’un appartement, il avoit soin aussi, par le
même esprit de méfiance , de ne point se trouver
près d’une lumière pour donner prise à quel-
qu’ennemi du dehors, qu'il croyoit toujours
prêt à faire feu sur lui:: c’est pourquoi il se
tenoit conünuellement dans le coin le moins
éclairé, et hors de la portée des fenêtres ou des
portes.
D'UN NATURALISTE 249
Il manquoit rarement d'assister à la messe, et
s’occupoit , dans chaque endroit, des plus peuis
détails préparatoires. Il alloit lui-même à la
sacrisie, questionnoit tous les officians, leur
faisoit une courte morale, puis 1l retournoit
sur son siége d'honneur. Là, ses aides de camp
favoris, chanteurs de cantiques pour Jui com-
plaire, enlevoient ses armes pesanies, lui ôtoient
son mouchoir de tête, qu'il ne découvroit qu’à
l’église ou pour des cérémonies extraordinaires,
et lui présentoient un livre dont il n’interrom-
poit la lecture que lorsque le sacrifice étoit
achevé. |
Souvent s’immiscant aux foncuons du sacer-
doce , il commentoit le sermon du curé, haran-
guoit le peuple et ses soldats. Il préchoit une
morale qu'il étoit bien éloigné de suivre. Il
tonnoit contre les célibataires qui vivent en
concubinage , comme :l est d’usage dans le
pays; ordonnoit le mariage, et menacoit de
punitions exemplaires les violateurs de ces ser-
miens sacrés.
Cependant, autant en emportoit le vent,
püusqu’à la fin de chaque office 1l donnoit en
particulier ses audiences de faveur aux dames,
les portés fermées et tête à tête. Jai connu un
mari, M. G***, qui poussoit la complaisance
et la bonhomie jusqu’à faire sentinelle à la porte,
259 VOYAGES
pendant la conférence de sa femme dont il
ignoroit l’exposé , qui duroit quelquefois très-
long-tems. Mais Mr G***, bien éloigné d’aucun
soupcon, d’après la morale hypocrite qu’il venoit
d'entendre | blämoit les personnes qui se per-
mettoient les moindres plaisanteries à cet égard.
Toujours en voyage , et porteur de ses
propres ordres; plutôt courrier que potentat ,
notre chef africam poussoit l’exigeance jusqu’à
prétendre être recu au passage de chaque ville,
le plus souvent avec le dais , et toujours avec des
présens , des palmes et du canon. A:la somp-
tuosité de ces déférences qui devenoient oné-
reuses par Îleur fréquente répéution, étoit
attaché le regard favorable, ou de vengeance
qu'il fançoit à sa réception. Aussi se plaignoit-il
toujours du Cap , quoiqu'il y ait été couronné
plusieurs fois, tandis qu'il faisoit l’éloge des
autyes endroits , Saint-Marc , le Port-an-
Prince, etc., où rien n’étoit épargné pour lim
prodiguer les honneurs enviés par son ambition
démesurée,
Plusieurs dames marquantes, qui en société
en faisoient dédain , n’ont pas rougi de poser
sur leur sein des fleurs qui lui avoient été jetées,
d’entrelemr avec lui de galantes correspon-
dances , de lui faire des déclarations outrées, en
un mot de l’habiller de pied en cap, en poussant
D'UN NATURALISTE. 25 r
le ridicule jusqu’à hu broder par le bas des che-
mises de bauste.
Toussaint - Louverture avoit la mauvaise
habitude de faire venir quelquefois de très-loin
un habitant, avec promesse de l'écouter ; puis,
après l'avoir fait introduire dans son appar-
tement, de s'échapper sans mot dire par
une porte dérobée, de monter en voiture, et
de ne plus reparoître, en laissant le suppliant
dans le plus cruel embarras. Il se jouoit de ces
sortes d’aventures. |
Je fus un jour trés-mal écouté pour avoir
voulu lui parler le patois du pays, car il ne s’en
servoit que pour haranguer les ateliers ou ses
soldats , au secours de ces comparaisons
énergiques, presque toujours bien concues et
bien appliquées.
Environné par sa propre splendeur, appe-
sanüssant la verge de. sa direction oppressive
sur les hommes qui lui témoignoient de l’indifié-
rence , il ne pardonnoit jamais. Dès qu'il s’étoit
prononcé, ses décrets étoient 1rrévocables.
Doué d’une mémoire locale tonte particulière,
il reconnoissoit après plusieurs années un
individu quelconque , que souvent il n’avoit vu
qu’en passant et dans la foule; ou bien sil
avoit eu avec cet Ctranger quelque rapport, il
lui citoit son afliure en le nommant. Jamais,
252 VOYAGES
en un mot, il n’exista de plus parfait phy-
sionomiste. .
Ecuyer sans principe et sans grace, mais iné-
branlable sur le chevalle plusindompté, Toussaint
se plaisoit à monter les coursiers rétifs, et les
ramenoit pour l'ordinaire à de bonnes habitudes.
Possesseur de chevaux les plus beaux, les plus
ardens , les plus fougneux , 1l exigeoit que ses
dragons guides le suivissent dans ses voyages
précipués et de longue haleine ; aussi toujours
plusieurs chevaux périssoient-ils au milieu de
ses courses inconsidérées.
Toussaint-Louverture singeoit dans les repas
de corps la magnificence des autorités fran-
caises, et attachoit beaucoup d'importance à
faire faire par ses officiers-généraux de service,
les honneurs de son gouvernement, surtout pour
la récepuion d'étrangers, ‘els que Suédois,
Américains de la Nouvelle-Angleterre , Danois ,
Anglais, et autres capitaines de bätimens en
relation de commerce avec la colomie, visant à
en soutirer secrétement des poudres dont :ül
sut toujours approvisionner , jusqu’à encom-
brement , ses magasins de réserve placés dans
des endroits escarpés, quelquefois construits
dans les creux de rochers inabordables.
Toussaint- Louverture exigeoit, ainsi que
Dessalines, la visite journalière de toutes per-
D'UN NATURALISTE. 253
sonnes marquantes, sous peine d’être déclarées
suspectes , disgraciées , et par contre - coup
molestées soit sur: les habitations, si c’étoit un
propriétaire , soit pour les corvées de ville, si
c’en étoit un habitant.
Les diners priés des deux chefs étoient animés
par une musique bruyante. Celle de Toussaint-
Louverture étoit composéedequarante individus,
tant blancs qu'hommes de couleur ; celle de
Dessalines comprenoit le même nombre de mu-
siciens, mais presque tous noirs. Il est bon d’ob-
server que ces deux généraux, jaloux l’un de
l’autre, payoient à l’enviles maîtres de ces corps,
ou plütt leur faisoient de belles promesses pour
favoriser les progrès des élèves. Les deux chefs
eurent souvent des assauts de prépondérance
dans lesquels Dessalines, le soumis Dessalines
cédoit le pas, pour mieux caresser la passion
dominante de son chef suprême. Chaque santé
étoit annoncée par une fanfare de soixante tam-
bours et autant de fifres aigus, dont le bruit,
quoique retentissant, étoit étouflé par les salves
continuelles d’une artillerie bien servie.
Fous les soirs également, musique aux deux
gouvernemens : malheur aux acteurs qui se
rencontroient sur le passage de Dessalines , lors-
qu’il étoit de mauvaise humeur ; car l'harmonie,
loin de l’adoucir, fatiguant ses oreilles mal
254 VOYAGES
organisées , 1l arrivoit plein de fureur , et dis-
persoit à coups de bäton la troupe effrayée. :
Moins pohüque que Toussaint-Louverture ,
mais plus ouvert et plus prononcé dans sa tyran-
mic, Dessalines étoit cruel, irrascible et farou-
che ;1l n’écoutoitaucune réclamation. Que de fois
une seule observation coûta la vie à l’homme
qui eut l’audace de lui parler sans son ordre!
Semblable au farouche Assuérus, malheur à
celui qui le trouva hors de sa rare clémence:
malheur aussi à celui pour qui la fatale tabatière
étoit ouverte (1) !
(1) Le conseil des makendals(magiciens du pays) qu'il
consultoit,luiavoitindiquélesignecertain de reconnoitre
Ja perfidie et le ressentiment concentrés contre lui dans
le cœur de l'individu qu'il avoit interpellé. Ilcherchoit à
lire dans l'électre où miroir interne de sa tabatière, que
le tabac humide annonçoit des principes de résigna-
tion de la part du dénoncé, et que le sec demandoit du
sang ! Ainsi sa superstition lui faisoit au hasard décider
du sort d’un innoçent! ainsi le paisible habitant obligé
de lui rendre visit, étoit souvent condamné sans être
entendu , sous la simple dénonciation d'un soldat à qui
peut-être on avoil refusé des générosités que les cir-
constances malheureuses ne permettoient plus de faire.
« Grenadier layo, disoit-1l, vous voir nhomme ci
» làlà..... Conduis fi pisser » ! Le mot pisser indiquoit
l'effusion du sang par la mort à la baïonnette. A ce
signal affreux, les grenadiers d’antichambre avoient
ordre de se saisir de celui contre lequel la fatale taba-
tière avait élé roulée dans les mains.
D'UN NATURALISTE. 295
La classe qui toujours eut le plus à souffrir de
la vengeance de Dessalines fut celle des hommesde
couleur , en qui ilreconnoissoit un esprit de pré-
. pondérance , de domination, qui altéroit , trou-
bloit dans son imagination crainuive ebméfiante la
toute-puissance de son règne destructeur. Que
de fois sa femme, bonne et compatissante, fut
maltraitée pour avoir demandé la grace de lun.
d’eux ! Ce monstre oubliant les liens qui l’unis-
soient à elle, bravant ses pleurs , insensible à ses
supplications, tourmenté de la voir à ses genoux
implorer sa pitié pour une classe contre laquelle
il conservoit une haine inexunguible , la renver-
soit de ses pieds, et il étoit pour lors inexorable.
J'ai vu cette trop sensible femme , par un senui-
ment bien louable , le suivre en se trainant, se
déparer en s’attachant à ses habits, revenir à la
charge, et après avoir essuyé toute sorte d’hu-
miliations , obtenir enfin, par importunité , la
faveur qui lui étoit si précieuse. Alors oubliant
son humiliation , séchant les larmes de l’incer-
utude, elle voloitaux prisons, délivroit les caputs
tremblans et agités de crainte et d'inquiétude.
Què d'exemples on auroit à citer de ces traits
généreux pendant la guerre du département du
Sud , où tous les prisonniers étoient ordinaire-
ment punis de mort, quelquefcis après avoir
enduré trois ou quatre mois d’affronts, d’humi-
256 VOYAGES
hiations et d’ignominie, dans l’intérieur des
terres, par les noirs qui énervoient ainsi avec
délices leur envie jalouse et dénaturée !
Soixante-douze mulâtres relégués aux Go-
naïves où ils se rendoient utiles par leurs talens
manuels, et où, par leur bonne conduite, ils
s’étoient en général concilié l’esume et la
fructueuse compassion de ceux qui les em-
ployoient, donnèrent des soupcons à Dessalines
qui, jaloux de cette confiance accordée à leur
utilité, se les fit dénoncer setrétement comme
des conspirateurs contre sa personne! Leur bou-
cherie fut ordonnée! Ces vicumes sans appui,
sansdéfense, furent conduit Qu lieu du supplice,
au nulieu d’un peuple immense d’amis ou parens
pleurant sur leur sort, mais n’osant s’opposer à
cet arrêt irrévocable. C’est dans la savanne aride
du morne l'Hôpital, sur le bord de la grande-
route, qu'ils furent massacrés, avec ordre de les
priver de la sépulture , pour donner à counoître
a leurs partisans le sort qui les attendoit.
Comme à cette époque je faisois tous les deux
jours le chemin de notre habitation aux Go-
naïves, mon cheval effrayé , reculant d'horreur ,
heurtoit malgré moi ces cadavres infects et gon-
fiés. Je fus prévenu à la ville de passer outre,
sans faire des remarques qui n’étoient pas de
saison.
ti
D'UN NATURALISTE. 257
Il en est qui ne furent pas aussi heureux que
mo1, ou plutôt en qui des sentimens naturels
parlèrent avec tant de force que, courant à leur
perte , ils bravérent une mort assurée.
Des mères, des épouses et leurs enfans, cô-
toyant ce cheinin arrosé du sang de tout ce qui
leur étoit cher, s'avancoient avec confiance pour
reconnoître les morts, pleurer sur leurs tristes
restes, et leur donner la sépulture qui leur
avoit été refusée !... Mais... Ô excès de barbarie!!!
à peine se livroient-ils aux derniers devoirs,
que leurs corps frappés rouloient eux mêmes sur
ceux. qu'ils venoient inaumer!...... De farouches
soldats placés par ordre dans des buissons
voisins, laisoient feu sur tous ceux qui, par
humanité, se présentoienten ces lugubresdéserts!
Une mére entr'autres fut tuée sur les lieux
pour s’être glissée , à la faveur de la lune, sur ce
théâtre de sang, dans l'intention d'y rénmir et
d’arroser de larmes les cadavres de son mari
sexagénaire, et de son fils père de sept enfans!….
Les corps de ces victimes à peine décomposés
furent en parue déchirés par les caïmans babitans
les roseaux de ces parages , par des chiens aussi,
qui se disputoient entr'eux ces lambeaux hvides
et putréfiés. Quelqnes-uns cependant restérent
deux mois, leurs ossemens étant à demi-calcinés
par l’acuon réverbérante du soleil.
Toue HL R
258 VOYAGES
Dessalines , toujours altéré de sang et jamais
rassasié , ordonna une nouvelle exécution. Huit
hommes de couleur faits prisonniers dans la parue
du sud, sont impitoyablement condamnés à être
canonnés devant l’église des Gonaïves, sur la
place vague qui s’y rencontre. Pour cette fois,
Toussaint-Louverture veut repaître ses yeux des
charmes de la vengeance. Un officier est le pre-
mier qui se présente. « À bas les épaulettes, lui
» dit Toussaint? A bas! s’écrie l'officier de
» couleur, à bas! je me suis battu pour les
» gagner, Je me battrai et mourrai pour les
» défendre... qu’on approche si on l’ose.….»!
Son juge sanguinaire, interdit par cette ferme
réponse, forcé de l’admirer, lui ordonne encore
plus despouquement de passer devant le canon,
mais veut en vain l’y faire attacher. «Fais ta
» prière, lui crie le tartuffle Toussaint-Louver-
» ture ? Oui, répond le condamné, je prie
» Dieu de me pardonner ». Puis d’un ton plus
ferme : « Mais to1!....…. to1!...... toi Toussaint!
» prie le Ciel qu’il te pardonne tout le sang que
»tu as fait verser injustement ». Toussaint
tremblant de rage , ne répondit que par le mot,
feu. L'homme n’est plus, il est dépecé, et
disparoît aux yeux qui le pleuroient avant ce
coup fatal. .
Que fût devenu le général Vernet, au cœur
D'UN NATURALISTE. sa
259
bon et compaussant, pour avoir demandé la
grace de l’un d'eux , si Henri Dumirail et
Jean-Bapuste Louverture, officiers et favoris de
Toussaint, n’eussent détourné les deux pistolets
déjà braqués sur lui par le tyran africain. La
piué proscrite étoit condamnée ; et pourtant
quelle est la cause que Vernet cherchoit à dé-
fendre? celle d'individus de sa couleur, pour
lors voués à la France, et qui n’eurent d’autre
accusation que celle d’avoir bu à la santé
de Rigaud qu’ils croyoient en faveur, et devoir
commander des forces qu’on attendoit d'Europe
pour réduire les facons, et ne conserver dans
la colonie qu’un seul et même esprit.
Un. autre prisonnier fut renversé seulement
par le coup de canon, les cordes qui laua-
choient rompues ; et n’étant point incommodé
de cette percussion, il s’élançca vers la porte
de l’église des Gonaïves, comme asile sacré et
inviolable , et se précipita vers l’autel qu'il
embrassoit, pour y être à l'abri d’une nouvelle
persécution !..... Mais... Ô excès de barbarie!
des soldats le suivirent, pénétrèrent dans le sanc-
tuaire , et oubliant qu'il doit être inviolable, ils
rapportèrent la victime au bout de six baïonnettes
qui la transpercoient de toutes parts! Le curé
interrompt son office, va crier vengeance à
l'inexorable Toussaint qui, confus, veut d’abord
R 2
260 VOYAGES
s’excuser, mais finit par dire au curé : « Blane
» là gagné gros cœur, oui »! Voulant par là lui
reprocher l'intérêt trop vif qu'il prenoit à son
ennemi.
Le troisième fut un nommé Pierrette, qui
fut attaché devant le canon, en croix de Saint-
André. Le coup partant, les cordes sont coupées,
le malheureux enlevé en l'air, et blessé seule-
ment par six mitrailles dont il guérit après
avoir obtenu sa grace, pour avoir crié, Dieu
est juste!
Le quatrièmé fut emporté et disséminé, sans
qu’il restät vestige de son malheureux corps.
Le cinquième nommé fermont , ivrogne de
profession et facéueux à l'excès, en marehant à
la mort, cherchoit par son monologue burlesque
à adoucir la sévérité de son arrêt inique. Il s’a-
vancoit vers le canon à pas lents , et en faisant sa
prière , il se retourna vers Toussaint, et lui dit
naïvement : « Comment ca, général, songez
» boun’ Dieu, donc.... ca pas bèn pièce ca
» vous fais là.... aï, maman moüé qui fait
» moûé.... vous Capabl’ quitter mourr canoñ-
» nier à vous du morne Blanc » ?...! Puis allant
à genoux vers Toussaint : « Vous pas songé,
» général, moüé üré vous d’nioun” z’embus-
» cade». Et sans attendre la réponse, se relevant
brusquement : «Non, dit-il d’un ton résolu,
D'UN NATURALISTE. 261
» moïé pas vlé mourr jour di li». Vernet
obunt sa grace, et le pauvre diable oubliant
déjà que les portes du trépas lui avoient été
entr'ouvertes, s’avançcant vers son bienfaiteur
avec familiarité, il lui frappe le ventre en li
disant avec gaieté : «Eh bèns général Vernet,
» vous songé case la Crête-à-Pierrot. .... Vous
» gai encore passé moûé quand yo quitté vous
» aller. Ventr’à vous caba nev li plat... plat.
» semblé crapaud qui sec ».
Les trois autres ne furent pas aussi heureux ,
et subirent la mort.
Enfin l’ordre de destrucuon des hommes de
couleur étant donné dans tous les quaruers,
mais ‘Loussaint voulant.feindre et semblant
s’humaniser , passoit à l’Arcahaye, et demandoit
au commandant de cet arrondissement des nou-
velles de tels ou tels qu'il savoit morts d’après
ses ordres : Hss’existent plus, répond le com-
mandant. Ici l'hypocrite jouant le publie, frap-
pant des pieds et paroiïssant étonné, dit d’un
ion pitoyeux et lamentable : «Aï!.... aï!.... aïl..
» monde layo mauvais oui!!! moûüé di yo ba-
» liser.…... yo dessoucher même ». Donnant par
là à entendre qu'il avoit bien ordonné de punir
les coupables, de les reconnoître, de châtier
cette classe, mais point d’eu détruire Pespéce.
Sur quoi lui répondit le commandant, en étu-
R 3
262 VOYAGES ’
diant cette feinte. « Ga vous vlé, général, quand
» la pluie tombé, tout ca qui déhors mouillé ».
Ce qui veut dire : «Comment parnn tant de
» coupables reconnoître un pett nombre d’in-
» nocens » ?
Deux hommes de couleur échappés à ce
carnage me racontoient, ayant quitté leurs
antres sauvages à l’arrivée de l’armée française,
que , fuyant le couteau de la proscription, ils se
rélugiérent au sommet du morne l'Hôpital ;
que de là, dominant sur la plaine, 1ls furent
témoins impuissans des massacres de leurs frères ;
qu'ils y vécurent pendant sept mois de racines
sauvages, jusqu'à ce que la culiure de quelques
grains qu'ils avoient -emportés avec eux, ait
pu leur fournir une nourriture plus alimentaire.
Ba chasse aux piéges leur étoit également fami-
lière , et c’est par ce moyen, me dirent-ils, qu'ils
apprivoisèrent et se rendirent profitables des
chèvres laiueres.
Ce w’étoit point assez des adultes pour’ as-
souvir la rage despotique et envenimée de Tous-
sénérale d’enfans
5
d'hommes de couleur, sous le prétexte d’une
saint ; 1] ordonna une levée
école martale, et les fit jeter tous dans un grand
puits qu'il fit ensuite combler, sans s’adoucir
aux cris des mourans ! Le général Christophe,
aujourd’hui encore chefdes révoltés, commanda
D'UN NAFURALISTE 63
l’exécution de la parue du nord. Ces événemens
eurent lieu à l’époque du siége de Jacmal, où
Toussaint étoit furieux d’éprouver de la résis-
tance; occurrence en laquelle Dessalines forcoit
ses troupes à être valeureuses, ayant des pièces
de canon derrière les bataillons pour faire {eu
sur les fuyards, où même les indécis ; ceux,
en. un mot, dont la bravoure étoit chancelante
et point à l'épreuve.
Au reste, pendant le règne des noirs, la
prépondérance étoit du côté des Africains. Les
blancs peu considérés, pour ne pas dire auda-
cieusement méprisés, étoient hors d’état, par
l'infériorité de leur nombre, de prendre l’équi-
libre. Depuis l’arrivée des Francais, ces derniers
eurent l'avantage quelque tems ; mais, dans l’un
et l’autre cas, les hommes de couleur servoient
toujours de point d'appui pivotant à la balance
toujours active des deux classes précédentes :
aussi furenteils de tout tems le jouet et la prin-
cipale vicume des noirs, dont ils s’écartoient
volonuers par le caractère de fierté qu'ils ont
presque toujours eu en partage.
Il est un autre supplice plus secret par
lequel Dessalines, à l’époque de la même
guerre , fit périr les hommes de couleur les plus
disungués. Il avoit fait construire sous terre, à
la Crête-à-Pierrot, des casemates de six pieds
| R 4
264 VOYAGES
carrés Où on laissoit mourir ces malheureux
prisonniers , asphyxiés par les vapeurs sonter-
raines, aussi bien que par la raréfacuon de
air.
Revenons à la vie privée de Dessalines.
Sous l'apparence de la générosité, il conten-
toit son avarice. Je le vis souvent refuser de payer
des créances de trois ans, non suscepubles
d’une plus haute valeur, disant que pour
Dessalines ce n'étoit rien que cela. « Ca d’'hau
» pour case Dessalines ». I laissoit ainsi mourir
de faim son maître de musique, à qui 1l devoit
cent cinquante portugaises qui égalent aix mille
francs , lequel n’avoit pas même le droit de
lui demander un à-compie sous peine d’être
disgracié , et peut-être fusillé si ce tyran
n'étoit pas de bonne humeur. be pauvre jeune
homme, dont l'état d'insututeur devenoit fau-
gant pour, rédure l'incapacité grossière de
quarante élèves noirs qu’il conduisoit au bâton,
méritoit bien d'être payé, mais 1l perdit son
salaire par la trahison de Dessalines. °
Il entroit dans les vastes projets de Toussaint-
Louverture de flatter quelques momens les
blanes, pour les préparer à l'indépendance qu'il
avoit projetée, mais qui fut sans ellet, ses
menées sourdes ayant été découvertes. Îl eut
besoin de Pacüvité de Dessalines pour se con-
D'UN NATURALISTE. 265
cilier l'estime de ses censeurs ; 1l projeta donc un
grand changement dans le pays, la restauration
de la culture trop long-tems délaissée, ou pour
mieux dire, encore active, mais en faveur
_ seulement des nèures propriétaires , et ceux des
jardins ,. desquels le malheureux habitant,
spolhié de sa fortune, privé de tout, étoit à
l’époque antérieure obligé d'attendre une exis-
ience ürce et usurpée de ses propres terres qui
avoicent passé en d’autres mains,
Nos fermiers, par exemple, poussèrent
l’audaciense impudence avant notre mise en
possession, jusqu’à nous refuserde fourrager quel-
ques paquets d'herbe pour quelques haquenées
échappées par leur maigreur à la dilapidauon
générale de nos immenses baras. Ils nous refu-
soient de l'herbe dans une savanne vague et
étendue non entourée, et remplie d’animanx
voisins et étrangers. Le fourrage est si bon en ce
terram fertile, que le voyageur se détourne
volonuers de la route à l'aspect de cette verdure
rlante, et est invité à faire reprendre vigueur à
son cheval fatigué ; les cabrouets y sont dételés,
el jamais aucun reproche, qui n'est vraiment
pas faisable , n'a été fait aux étrangers de la part
du fermier dont l’envie et l’inimiué ne pesérent
jamais que sur le propriétaire.
Que de fois, à cette ‘époque infortunée,
266 VOYAGES
possesseurs de cinq lieues de pays et de sept
cent cinquante noirs , nous nous servimes nous-
mêmes ! que de fois on fut sourd à nos demandes
supphantes de mauvaises racines de patates jetées
au rebut pour les cochons. Nous gémissions dans
les bois, de l’inactivité des lois, et de l’insolence
intolérable et criminelle des hommes chargés
de faire mettre à exécution celle qui étoit si
favorable pour assurer le respect aux proprié-
taires el aux propriétés.
L’éperlin à la main, nous courions aussi
nous-mêmes , dans les savannes brûlantes , lacer
les chevaux dont nous avions besoin pour faire
cent démarches importunes et infructueuses
auprès des admumistrations alors avides et
vénales. Ce n’étoit point une pete affaire.que de
joindre à la course, des chevaux qui, quoi-
qu’esténués , éprouvoient encore le souvenir de
leur ancienne vigueur, à la digestion du fourrage
succulent dontils faisoient leur päture.
Qui pouvoit en süreté rester sur les habita-
uons où on avoit à craindre, comme nous
Vavons éprouvé , le feu , le fer et le poison ? On
saitque sur la plupart des habitations, les cases ,
depuis les premiers incendies, sont provisoire-
ment construites à jour en ozaclées ou échsses.
C'est. dans ces retraites peu solides que nous
avions à affronter huit et jour-la fureur de
D'UN NATURALISTE. 67
mauvais sujets toujours aigris et insurgés Contre
les propriétaires.
Toutes les nuits, vers minuit, dix d’entre
eux , guides de Toussaint, et porteurs de grands
sabres, venoient avec fracas daguer leurs lames,
dans le cruel espoir de rencontrer mon corps à
la hauteur du lit dont ils connoissoient la posi-
üon ; puis ils frappoient aux portes, me provo-
quoient, enfin ne cessérent ce manége que
lorsqu’en faveur du caractère dont j'étois revêtu
je les eus fait punir. Le curé de Saint-Marc venu
pour un baptême, fut contraint par le mauvais
tems de coucher sur l'habitation; il y tomba
malade de peur, ayant été témoin une seule
nuit de ces scènes d'horreur et de vexation qui
se renouveloient chaque jour sous des modifi-
cauons différentes.
Dessalines goûtoit alors en paix le fruit de ses
crimes , et jouissoit de notre malheur. Il faisoit
embellir , à Saint-Marc , la maison Lucas (1).
Plus heureux que cet habitant, nous échappämes
au même sort après avoir heurté la fierté du
(1) © souvenir affreux ! long-tems il fit attendre le
propriétaire de ce nom pour lui payer le montant de
cette acquisition : ce ne fut que la veille du massacre
général qu'il lui compta les cinq cents portugaises
qu'il lui reprit en le faisant assassiner le ‘premier
de tous à l'arrivée des Français.
268 VOYAGES ‘
ügre africain , en refusant de Jui vendre une de
nos habitauons dont 1l étoit envieux, et qu'il
prétendoit avoir à un prix de beaucoup inférieur
à celui d’un autre acquéreur qui, se sachant
en concurrence avec un rival si dangereux et si
passionné , se retira, en sorte que l'habitation
ne fut pas vendue : ce refus nous brouilla long-
teins.
C’est dans les salons à carreaux de marbre et
bien lambrissés de M. Lucas, que Dessalines
donnoit ses fêtes et sa musique. Celui de récep-
tion étoit orné des portraits de divers généraux
francais, célébres par leurs victoires; mais il
eut soin de laisser un vase emplacement au
milieu du pan principal, où 1l se fit peindre à
huile, de grandeur naturelle, an milieu d’un
camp de noirs, comme voulant effacer ses voi-
sins par la hauteur de sa stature, et le rébaut du
coloris. |
Résolu de travailler à sa réputation , et sentant
l'urgence de ne plus laisser dans l’acuvité et la
réflexion les noirs qui eussent bien pu retourner
sur leurs pas, et préférer leur, régime antérieur
au régime de fer qu’il leur imposoit , il usa d’un
sümulant tout particulier pour les troubler et
les frapper de terreur. Il accrut sa sévérité et
devint inabordable tellement qu’à la nouvelle
de son arrivée dans un quarüer, tout le monde
D'UN NATURALISTE. 269
trembloit, et que les ’culüivateurs passoient les
nuits au jardin, dans la crainte d’être surpris en
flagrant délit, et pour éviter une mort assurée .
en Cutre-passant la tâche qu'il leur avoit donnée
quelques jours auparavant.
En cas de mécontentement il n'épargnoit per-
sonne, et cédoit arbitrairement à Ja réaction de
vengeance d’un peui chef qui quelquefois avoit
du fiel contre celui qu'il dénoncoit, H fit ainsi
mourir sous Je bâton plusieurs blancs du
Mont-Roüï et de l'Artibonite , quelques-uns
ayant été mis vivans dans des étuves chauffées
par la bagace (1). Au reste, l’énumération des
supplices les plus affreux réjonissoit ce cœur
sanguinaire qui se complaisoit à faire reparoître
sur la scène toutes les victimes de sa despotique
barbarie. Ces récits l’égayoient !!!
Dessalines , vu l'importance de notre grande
place (2) la plus considérable du quaruer de
l'Arubomie , s’y étoit attaché particulitrement
Six mois avant l’arrivée des Français ; aussi
la fitil chan$er-subitement de face : ce n’étoit
(1) La bagace est un amas de cannes à sucre passées
par le moulin, dont on a exprimé le sucre, et qui
dans les équipages sert à chauffer vivement les four-
neaux,
(2) Le mot place dans ce cas équivaut à celui d'habi-
tation.
270 VOYAGES
plus un vaste terrain Gisif, et regrettant sa
fécondité. Il prêta ses trésors, et enfanta dès
cette année une récolte immense, dont nous
n’eûmes que la flatteuse espérance. Dessalines
en prit donc les rênes pour raflermir sa réputa-
üon , asseoir plus sûrement son nom, et le faire
planer impérieusement dans toute la colonie.
11 donnoit une tâche, et le jour indiqué pour
sa perfection , il arrivoit à l’improviste avec
quarante guides et son état-major. Les deux
cents cases étolent cernées, visitées ,*et au cas
qu’il fût heure de travail, teus ceux qui étoient
trouvés dans l’intériéur étoient condamnés * à
la bastonnade. Ainsi le plus paresseux devenoit
vigilant malgré lui, par ces mesures violentes.
Notre gérant ou conducteur principal fut un
jour trouvé endormi à sa case sur les six heures
du maun; Dessalines le fit prendre, amarrer,
et conduire pas à pas jusqu'à l’endroit du
travail (r), le faisant alternativement frapper par
ses vingt satellites qui lui crioient: « Z'affaire à
» vous papa »! Le pauvre malheureux ne put
éviter un seul coup, malgré nos instances que
Dessalines nous somma de cesser parce qu’elles
(1) Ce terrain à cultiver étoit à l'extrémité du grand
jardin d'une lieue de longueur qu'il falloit traverser.
D'UN NATURALISTE. 271
nuisoient, disoit-1l, à l’intérêt de la culture. Le
patent arriva perclus et mutlé, après plusieurs
relàches dans le chemin, et il fut rapporté à
demi-mort dans son lit où 1l enfla et resta six
mois malade et impotent. Ces scènes révoltantes
se réltéroient souvent.
Un jour que Dessalines étoit de bonne humeur,
il m’emmena avec lui dans la tournée du jardin :
au grand mécontentement de Titus commandant
notre arrondissement , et notre oppresseur ;
lorsque nous fümes arrivés, et que tous les
culüvateurs, par crainte autant que par habi-
tude , eurent crié avec exclamauon , grands
gestes et extravagance : « Bonjour, père à
» nous » ! Dessalines les fit ranger, puis leur dit
en me montrant : « Vous autr” voir put blanc
» ci làlà, c’est z’ami moûüé; li pas méchant pièce;
» ainsi vous autr’ prenn’ garde li pas arriver à
» nien ». Titus écumoit de rage. Je profitai de
ce moment favorable pour porter contre l’auteur
de tous nos maux , et du désordre de nos
ateliers, dix-sept chefs d'accusation qu’ilécoutoit
en grondant à voix basse et frappant des pieds,
étonné de ma hardiesse; voulant répondre, et
Dessalines le lui défendant par son Azur farouche,
et souvent répété avec vivacité.
Après tous mes reproches fondés , aprés le
dire de mes témoins, Dessalines lui fit d’abord
272 VOYAGES
une morale de comparaison , le dégrada ensuite
en lui arrachant ses épaulettes , et par chaque
chef d'accusation que Titus ne put démenur,
le général lui fit essuyer sur le dos le roulement
de sa garde de discipline. Ensuite 11 nous fit
accoler, en recommandant à Titus de ne con-
server en son Cœur aucun levain de ressentiment,
de ne plus faire parler de lui; puis à moi , d’ou-
blier tout le passé. Dessalines , après avoir lui-
même sarclé, pour donner l'exemple, revint
diner à la case avec ses officiers.
Titus conserva deux ans cette rancune : six
mois après celte aventure , 1] me fit écrire une
lettre par son secrétaire, mais une lettre trés-
amicale quoiqu'insidieuse, par laquelle, je ne
sais à quel propos et par quel hasard , il m’invi-
toit à venir passer une journée chez lui, sous
prétexte de pêche et de chasse dans un canot
volage et versaule, sur la rivière tourbillonnante
de l’Arubomite infestée de caïmans ,etde requins
égarés dans leur poursuite véloce et acharnée.
J'éludai cette proposition en prétextant un
voyage aux Gonaïves, que je fus obligé de faire
sans besoin pour éviter les rapports fidèles de
ses vigilans espions choisis dans nos propres
sujets.
Sot, mais méchant, Titus attendit mon retour,
et changea Le mode de la proposiuon; et ce fut
pour
D'UN NATURALISTE. 273
pour m’offrir n'importe quelle somme afin de le
peindre. En vain lui représentai-je que le genre
de l'Histoire naturelle n’étoit pas celui du por-
trait , 1l fallut céder, et: promettre, mais à cette
condiuon, qu'il viendroit prendre ses séances
sur notre habitation. Ge n’étoit plus la même
chose pour lui, et son but étant manqué, 1l
garda un silence que j'eus soin de ne pers
troubler.
Trois semaines après, je revenois de Saint-
Marc; un de mes dragons m’ayant devancé pour
les préparaufs du bac dont Titus étoit le péager,
celui-ci apprit mon arrivée; et sans paroître, il
me fit préparer un fafraichissement soporifique
qu’on vint n’offrir de sa part, à mon passage sur
le bord de la grande route. Cette ruse grossière,
cette prévenance accoutumée fit naître en moi
de justes soupcons, et RE fit très-chaud ,
je remerciai, disant qu’en route, et entre les
repas surtout, J'avois pour habitude de ne rien
prendre.
. À l’arrivée de l’expédition française lorsque
je croyois n’avoir plus rien à craindre, surtout
faisant route avec le chef de la troisième légion
de gendarmerie , mOn ami, lequel étoit en
tournée ; Titus profita d’un grain de pluie dont
nous fümessurpris, afin denousengager à prendre
Tous IL | S
274 VOYAGES
gite chez lui pour la nuit. Ne pouvant faire
autrement, nous acceptämes. Îl se ditindisposé ,
et nous laissa souper seuls. Une heure æprès, le
colonel et moi, nous fûmes saisis decoliques et de
vomissemens répétés, n'ayant que le tems de
parur sans bruit n1 bdiite-selle pour éviter de
plus grands malheurs. Malgré certaines précau-
uons prises sur une habitation voisine, nous
fûmes cinq mois attaqués tous deux de coliques
et de fièvres nerveuses. Le colonel qui mangea
plus que moi, fut empoisonné d’une si cruelle
manière qu'il en conserva plus d’un an des
reliquats douloureux et inquiétans. Titus devint
marron le lendemain , saps que nous ayons
jamais pu en entendre parler depuis.
Si Dessalines aimoit ses trou pes, c’étoit comme
soutiens de son pouvoir, et exéquteurs de sa
volonté. Employant contre les crimes politiques
Ja baïonnette, le poison, les noyades, il ne pu-
nissoit ses soldats que par le fusil ou les verges :
ce dernier supplice étoit effrayant par ses prépa-
ratfs funèbres et inhumains. Les soldats faisoient
de ce jour un jour de réjouissance : il y aveit
calenda (1) en l'honneur du défunt. Tout en
se.
(x) Le calenda est une danse nègre consacrée à
célébrer les funérailles : elle est extravagante et fort
imdécente, .
D'UN NATURALISTE 273
préparant les banzas et le bamboula (1), on
acéroit les épines des branches d’acacia qui
servent à cet affreux supplice. Le patient mar-
chant pas à pas, selon l’ordre de guerre, au
milieu des deux rangs d’exécuteurs, étoit impi-
toyablement frappé, déchiré, au bruit d’une
fanfare gaie de fifres et tambours qui redou-
bloient d’ardeur pour étouffer les cris de l’écor-
ché, percant toujours par intervalles, jusqu’à ce
que ses genoux venant à pher, il expirät enfin.
Pendant ce tems, Dessalines nageant dans la
joie, monté sur un banc en raison de sa peute
taille, pesoit tous des coups, excitoit les moins
cruels par des menaces inhumaines, en criant à
tue-tête : «Ga a n’ien, bai toujours »! Eh bien!
plus esclaves que jamais, ces nègres le servoient
en criant sive la liberté!!! Enfin” Dessalines
traçoit à ses 1mitateurs le sentier des forfaits dans
lequel il ne marchoit qu'avec trop d’assurance.
En se faisant regarder fixement par un soldat, il
J’absolvoit ou le condamnoit sans entrer en ma-
tière, et sans qu’il fut accusé. N’komme la pas
bon , n’annonçoit rien de bon en eflet; car
(1) Les banzas et bamboulas sont deux instrumenss
le premier à cinq cordes, se pince comme la guitare ;
le second est un tambour élevé qu’on fait rouler ajec les
doigts.
S 2
276 VOYAGES
tôt ou tard on ressentoit les funestes suites de
celte interprétation fatale.
Il régnoit une grande subordination dans ces
troupes mal-propres et toujours mal tenues,
contraste parfait avec le faste éblouissant de tous
les généraux nègres. À l'exception des gardes
d'honneur, linfanterie marchoit pieds nus, sans
bas, et avec des culottes courtes et déchirées;
primiuvement la jambe en l'air comme des
pantins , mais d’une manière plus régulière
depuis larrivée des soldats francais en la
colonie.
Le système acoustique des nègres est si maté-
riellement combiné, si inébranlablement cons-
iruit, qu'il leur faut double charge dans les
fusils, pour qu'ils soient satisfaits. Ils n’appellent
que pétards les simples cartouches. C’est ainsi
que les chasseurs d'habitations calculent lors-
qu'ils vont à la poursuite de bandes innom-
brables de canards qui obscurcissent Pair. Ne
pouvant ürer qu’un, ou au,plus deux et trois
coups par jour, ils vont à eux en se traïnant
dans l’eau peu profonde des lagons; et pour que
l'abondance puisse suppléer à la privation de
pouvoir ürer souvent, ils mettent deux car-
touches et deux, poignées de plomb qui s'écarte
ettucimmanquablement. Aussi se moquoientils
de mes charges; mais au moins je revenois lou-
D'UN NATURALISTE. 2-
jours sain et sauf à la case, tandis qu'eux ne
3
croyoient point avoir chassé s'ils ne rapportoient
un sac de gibier, oubliant la douleur d’une
joue contuse, ou saignante quelquefois comme
je l'ai vu, une clavicule cassée, où l’omoplate
foulée par la répercussion.
Les militaires valeureux n’ont aucune récom-
pense , et leurs acuons d'éclat restent dans
lPoubli. Les invalides, privés d’une’juste retraite,
sont réduits à trainer honteusement leur iriste
existence, el à demander avec larmes le pain de
la misère. Eh bien! le génie militaire les mai-
trise au point qu’ils aiment mieux être estropiés
sans moyens, et être honorés du nom de soldat,
dédaignant celui ‘servile de nègre de houe ,
qu'ils donnent aux culuvateurs , au dessus des-
quels ils se croient de beaucoup élevés. [ls n’ont
pas de plus grande jouissance quand ils ren-
contrent des culuvateurs, que de faire blanc
de leur épée, de grands mouvemens ; du tapage,
des simulacres de décharge d’arüllerie; et lorsque
ces gens moins rusés ont l’imaginauon frappée,
ils se font valoir à leurs yeux fascinés {1).
(1) «Eh que vous connor queug'chose, vous pauv’
» diabl, vêus baussales ?.! Vous nègr jardin pas
» connoi à rien..... Nous younn’ connoy batt la
» guerre nous Z'aut… C'est çà queuq chose que d'hatt Le
» guerré»l.....
h 2
4
278 VOYAGES
La ville du Cap comme la plus considérable
de File , étoit le théâtre des événemens politiques
aussi bien que le foyer des conjectures révolu-
tionnaires. C’est la que Tousssaint-Louverture
y tramoit ses Pas c’est la que plus d’une
fois 1l voulut secouer le joug de la France, en
ménageant dans l'esprit du peuple les avantages
de l’indépendance ; c’est là qu’on flatta son des-
pousme; c’est là que de vils courtuisans lui persua-
dérent que sa puissance étoit capable de repousser
tout ce qui oseroit altenter à la plénitude de son
autoruté ; c’est là enfin qu’un dangereux conseil
le décida à devenir ingrat envers la mére-patrie. -
Le général Moyse étant au Cap à la tête d’un
paru considérable, et fidèle au Gouvernement
francais , s'étant prononcé 1irop ouvertement
contre un décret sanguinaire de Toussaint-
Louverture son oncle, par lequel il lui étoit
enjoint à une certaine époque d’ordonner le
massacre des blancs de la parte du nord qu'il
commandoit, fut soupconné d'infidélné à sa
couleur; et pour prévenir un coup de part,
Toussaint- Louverture fit devancer la fatale
journée, en en confiant la coupable exécution à
d’autres commandans moins serupuleux , et
poussant l’astucieuse politique jusqu’à imputer
au général Moyse ce crime dont lui seul étoit
Vauteur , et ce dernier dégagé et innocent. Il le:
D'UN NATURALISTE. 279
taita donc d’assassin , et se prévalant hau-
tement du sacrifice* qu'il faisoit de son propre
neveu pour l'intérêt du sang français, il fit
marcher contre Moyse, comme rebelle à son
- autorité, le général Dessalines à la tête d’une
petite armée. Moyse s’étant rendu à discréuon ,
fat trompé dans sa bonne foi, condamné et puni
de mort , emportant avec lui, par cette mesure
atroce , le secret du grand conspirateur.
Dessalines émit quelque tems après des
espions pour sonder les projets de la métropole,
et avoir des détails de l’expédiion du général
Leclerc. Il en eut de certains , et intercepta toute
correspondance alors en acuvité ; 1l fit circuler
l’ordre , vu l’apparence d’une riche récolte, de
se tenir prêts à bien recevoir nos frères qui
alloient arriver. Etoit-ce pour ne pas nous donner
à soupconner les supplices préparés à notre,
crédulité ? je le crois. Ainsi dans le même tems
1l fit un crime de correspondre avec notre mère-
patrie, tout en paroïissant nous disposer en sa
faveur.
Voici quelque chose de plus fort. J’étois au
bourg de la Peute-Rivière , un certain jour où
Deéssalines y avoit rassemblé le canton et les
ateliers ? il donna à ses troupes, en présence des
blancs, les instructions que voici: « Soldats,
» v’là blanc’ france qui après veni; si yo tran-
280 OV OMAGES |
» quil ça bèn... vous va quitté yo tranquil';
» mais si moué va conno’ qu'yo veni pour
» chicaner v'zaut’, prenn’ garde, soldats !.…...
» prenn’ garde attenuon... hun!..… quand
» moué va dir” vous hun!... vous va cerner
» camarade” à yo... vous va coller yo... vous
» va ramasser vo tant comme moutons... VOUS
» va parqué yo..…. aprés'ca z’affaire à Dessa-
» lines ». Cette harangue mit en effervescence
Ja tête des noirs toujours disposés à la rebel-
bon, les rendit audacieux, énerva leur frein , et
nous remplit tous de consternation , puisque
notre sortdépendoitdelamoindreinconséquence,
devenant Otages de nos propres bourreaux.
C’est immédiatement après que parut im-
primée la fatale adresse de Toussaint-Louver-
ture ,-qui servit à notre condamnation , et qui
inissoit par ces mots : «Les Francais n'arriveront
» à moi, s'ils sont traîtres, qu'après avoir
» marché sur les débris des propriétaires et des
» propriétés ». Elle électrisa tellement la tête
des nègres, que par-tout on en rencontrant seuls,
armés, et se parlant à eux-mêmes ; jusqu’au
vieux hatuer, conducteur de nos troupeaux,
que je surpris adossé à un palmiste, le cachrim-
beau à la bouche, et le grand fouet sur l'épaule,
tenant à la main un long bâton ferré d’une
baïonnette toute rouillée, Il eut un monologue
D'UN NATURALISTE. 281
original que je lui laissai défiler tout au long,
ayant peine à retenir mon rire , et n'éclatant que
pour lui faire tant de peur , qu'ayant lâché mes
deux coups de fusil en l’air, le vieux boiteux
qui n’étoit point aguerri, tomba le ventre contre
terre en criant : &Aï!..aï!.aï!.. view’ Louis
» mourt là caba jour d'i.là ». En vain je le
secouois, 1] n’osoit croire encore à son existence.
Cependant Dessalines , commencant à se pro-
noncer ouvertementwcontre l’armée expédition
paire , évitoit, détestoit jusqu’à leur idiome;
c'est pourquoi il reprit irès-sévérement le fils
d’un propriétaire des Gonaïves, qui, créole de
Saint-Domingue, s’avisa de lui parler bon
français : Tiembé lague à sous, li dit-il en
le toisant avec dédain, pourquoi chercher
tienn’ les autr’ ? .
C’est également ainsi qu'il parloit en voulant
désigner des blancs anciens dans le pays,
babitués-à ses mœurs et usages , et qu'on pour-
roit, disoit-il avec faveur, épargner au besoin.
« Blanc qui savé manger calalou, li pour nous ».
C'est à semblable époque que ce général divi-
sionnaire disoitaux conducteurs des habitations,
pour les tranquiliser au sujet de quelques noirs
qu’il faisoit politiquement fusiller ponr-capter ja
confiance des blancs : « Moué après baye chat
» rat’ pour migronner li... mais serré toujours,
2892 VOYAGES
» nioun” fusil dans quiou bananier ». Ce qui
veut dire : («Je donne au chat un rat pour Pa-
» muser..….. mais soyez toujours sur vos gardes,
» et cachez un fusil dans les bananiers pour vous
» en servir au besoin ».
Enfin Dessalines avoit pour lui un jargon
persuasif. « Grand vent p’ute pluie », disoitl"
à ses soldats, en leur annonçant que les Français
nouvellement arrivés ne pourroient résister à
. leur marche forcée, et quege climat les meutroit
bientôt hors de défense.
De même Toussaint appeloit le colonel
Gingembre-Trop-Fort, le porteur de ses ordres
verbaux , Parole dans bouche , expression
forte et sigmificauve. Avar@de sa confiance, ilne
la prêtoit momentanément que par l’extrême
urgence où 1l étoit quelquefois de faire parvenir
ses ordres en même tems dans plusieurs endroits
différens; ce qui lui faisoit dire : Airé aut
mieux passé tendé. & M vaut mieux voir que
» d'entendre, ou il ne faut croire que ce que l’on
» à VU ».
« C’est pas moi, disoit-il aussi à des pro-
» priétaires des Gonaïves, qui va malheureux ,
» moi va b’entôt mouri ; mais Français layo
» veni pour chicaner vouz autr” : tendé hèn
» ça moi di vous; bœuf mouri, quitté malheur
» pour cuir ».
D'UN NATUÜRALISTE. 283
Un officier noir de ses affidés étant part
d’après les ordres de Toussaint pour aller sou-
lever la partie espagnole, se rendit à Saint-
Michaël, où par un esprit contraire à celui dont
il étoit l'interprète et qu'il venoit inspirer,
il fute tué comme chef d’une sédiuon déja
allumée. Toussamt-Louverture fit venir auprès
de lui le maire de cet endroit, et après lavoir
traité avec douceur, un jour que de Coche-
relles (1) 1l se rendoit avec ce fonctiônnaire
public au bourg des Gonaïves pour y entendre fa
messe, et qu’il cotoyoit l'habitation Desrouville,
iout en égayant la promenade de ses proverbes
habituels, tout en caressant fraftreusement
la vicume innocente qu’il'alloit faire immoler,
se voyant entre deux haies à Pabri de tous
regards, et pour seuls témoins de son crime les
initiés dans sa scélératesse, Loussaint condamue
des yeux !.... À ce signe compris, le magistrat
est assailli par quatre cavaliers armés qui Île
mutilent en un moment, et le laissent sans vie et
sans sépulture, Mme DY**, par humanité autant
que par horreur d’un tel spectacle, obunt du
général Vernet que le corps soit enterré.
Tel fui le début des massacres qui précédèrent
l'arrivée des France ais, contre lesquels Toussaint
e
(1) Habitation sur laquelle il avoit secondairement
fixé son gouvernement des Gonaives,
584 | VOYAGES
s’étoit si impérieusement élevé. Ayant toujours
contrarié la mission des agens français par des
canons et des baïonnettes, il osa enfin lever
entièrement le masque, et parut à découvert en
manifestant son projet d'indépendance. Afin de
plus sûrement indisposer les noirs contre les
militaires de l’expédiuon, et par une opposiuon
formelle, mettre à l'abri ses immenses pro-
prictés, et conserver inviolable sa suprématie, 1l
signal® l’étendard de la rebellion, s’entoura de
ses fidèles conjurés, et eût opposé une digue bien
plus meurtrière sans les prudentes dispositions
de son vainqueur. |
« La France est ingrate, leur disoitl, et loin
» de reconnoître mes services, loin d'approuver
» ma conduite, elle envoie des forces pour nous
» remettre dans l’esclavage; mais jurons, sol-
» dats, de ne jamais plier sous sa loi. Ils veulent
» nous tromper ; soyons ingrats. Ils viennent
» nous ravir une liberté dont ils nous avoient
» assuré la durée; rassemblons nos forces, et
» périssons tous , s'il lé faut, mais que nos frères
» soient hbres » !.…
Dessalines de son côté, pour mieux‘capter le
suffrage des noirs en leur faisant espérer le retour
de Toussaint-Louverture, leur annoncçoit aussi
que les Francais de cette expédition ”n’étoient
que des émigrés qui vouloient usurper le pays ;
que les vrais Français viendroient ensuite.
æ
D'UN NATURALISTE. 285
RER R VV LR RO CR Re D
TYRANNIE DES NOIRS
* A L'ARRIVÉE
DES FRANCAIS.
SECONDE PARTIE.
D parjure à son
pays , trahissant l'Espagne, disimulant encore
sa rebellion , violant les traités, en faisant égorger
des équipages anglo-américains qu’il a recus
dans les ports, comme Y ayant apporté l’abon-
dance ; Toussaint , animant plus que jamais ses
noirs contre une expédiuon qu’il déclare enne-
mie et composée de faux Francais , arme l’as-
sassin, et est plus cruel que lui. Ces anthropo-
phages unis par sympathie, par identité d'opinion,
par unanimité de vengeance , se cherchent... se
groupent , et enfantent des projets de crime et de
destruction! Leur vœu n’est pas émis qu’ils sont
déjà armés pour l’accomplhir, Leurs yeux avides
cherchent par-tout des vicumes!......, elles sont
immolées!....… et si la nuit cache une parue de
leurs forfaits, 1ls empruntent l’éclat de flimbeaux
pour se repaître à l’aise de sang et de carnage.
286 VO" Ne ES
La mort plane librement au dessus de ses victimes
expirantes, elle jouit de son triomphe, et ap-
plaudit à sa victoire!
Porté naturellement à obliger, pouvois-je
croire que l'ingraütude devoit atssi peser sur
moi ? Tranquille , environné d’orages, rappelant
le passé et mes dispositions présentes, je re-
poussois jusqu’à l’idée du malheur et de la
trahison : les couteaux étoient levés, nos bour-
reaux se disputoient nos dépouilles. Que nous
éuons loin de soupconner Fhorreur de ces assas-
sinats ! Cependant le récit de’scènes sanglantes
vint troubler la douceur de notre sérénité.
Le Cap est incendié, se disoit-on tout bas;
on fait surveiller les blancs; on se dispose à
repousser la force par la force. La nouvelle
arrive à l'instant aux Gôhaïves!.….… Soudain
règne par-tout un morne silence, et notre cou-
leur indiquée déjà de tous côtés par des yeux
sournois et farouches, est le but de tous les
regards homicides.
Marchant confusément dans les rues sans oser
lever les yeux, notre päleur annoncoit à nos
assassins enhardis que nous étions tremblans
et sans défense. Le lâche est insolent, et le
peuple commenca à nous invectiver.
Ayant des bastingages à établir au bord de Ja
mer, tout en se riant de notre impuissance pour
D'UN NATURALISTE. 287
un travail aussi rude, on spécula cruellement
sur nos travaux, et nous fûmes condamnés, par
un raffinement de barbarie, à élever ces digues
d’un tuf qu’il fallut encore aller réclamer et
arracher des entrailles brûlantes d’une terre aride
et gercée. Enfin on voulut retirer de nous quel-
ques services, avant de nous livrer à la mort.
La garnison fut doublée, et les insultes
augmentérent en raison de. l’affluence contu-
nuelle de nouveaux individus. A sept heures
du. maun , la générale batüt. On nvap-
pela à l’administration des domaines où je
me rendis, et où l’on vint signifier à tous les
blancs, de la part du gouverneur Toussaint-
Louverture, d’avoir à se réunir sur la place.
À peine arrivés, nous fûmes cernés par un ba-
taillon de noirs, et après un discours orageux,
dans lequel Foussaint finit par dire que puis-
qu’on en vouloit à sa vie, on ne parviendroit
à lui qu’en foulant les cendres des propriétés
et des propriétaires, on s’élança sur nous pour
nous désarmer. Tous les blancs de marque
furent dès ce moment arrêtés et consignés.
Un nommé Noël Rainal, homme dur et
atroce , ennemi des blancs, fut chargé de nous
conduire par les bois à la Peute-Füvière. Par
les bois !...…. Noël Ramal!...…... Cest fait de
notre existence, nous dimes-nous l’un à l’autre.
288 VOYAGES
Ainsi demain, peut-être à cette heure, nos
cadavres seront gissans à l’Aruibonite, privés
de la sépulture! Beaucoup d’autres conjectures
venoient obscurcir encore le noir horizon de nos
pensées.
Cependant on nous déposa à l’Arsenal, où
l'on distribua devant nous à nos satellites, des
cartouches et des baïonnettes. Noirs pressenti-
mens! que vous aviez d’empire alors sur nos
cœurs glacés! Des refus, des bourrades envers
ceux de notre connoissance qui venoient sin-
former de nos dernières volontés, présageoient
une mort cerlaine, sans une protection privi-
légiée de lArbitre des destins.
Le tyran vint repaître sa cruauté et repasser
en revue ses victimes, en grondant à voix basse,
et roulant avec horreur et férocité ‘ses yeux
éuncelans ; 1l ordonna tout bas à Rainal, notre
départ pour le bourg de la Peuite-Rüvière.
Nous marchions deux à deux en capufs,
coudoyés fréquemment par de durs satellites,
déjà murmurant notre arrêt. La tête baissée ,
nous traversämes le bourg devant tout*un
peuple confus, à qui il étoit sûrement encore
resté un sentimentd’humanité. Plusieurs comblés
de nosbienfaits, laissèrent échapper sur nos traces
quelques larmes de regret et de reconnoissance.
Nos farouches conducteurs , incapables de pitié,
pressoient
D'UN NATURALISE. 289
pressoient vivement les tardifs, du nombre
desquels étoit un vieillard dé quatre-vingt-un
ans (1), qui demandoit la mort à chaque pas,
accablé déjà par le poids de son âge, autant que
par la frayeur. ë
A peine avions-nous fait un quart de lieue,
qu'on cria, kalte à la téte! Les malheureux ont *
toujours de l'espoir, et c’est le seul bien qui
nous restoit dans ces cruels momens. Nous
aimiOns à croire à un ordre nouveau; nous nous
persuadions déjà que Toussaint - Louverture
étoit enfin touché de repenur. Des cavaliers
paroissent, enveloppés d’un tourbillon de pous-
sière ; nous pensons qu'ils viennent nous
donner la liberté. O méprise affreuse! c’étoit de
ces vampires affamés de sang et de brigandage,
accourus pour se disputer nos dépouilles! Ils
parlent à notre conducteur qui leur annonce
froidement qu’il a ordre de nous transiérer à
Ja Peute-Riviére, sans qu'aucun accident nous
arrive. Décus dans leur barbare attente, les
cruels tournent bride, et nous quittent en mur-
murant,
Arrivés à l'habitation de M Grammont, celui-ci
voulut répondre au mouvement spontané de son
épouse, qui s’élancoit vers lui pour lu dire
(1) M. Javin, ancien procureur.
Tome III. T
200 # VOYAGES :
un dernier adieu... mais des baïonnettes se
croisent, et nos’ farouches soldats, insensibles
aux larmes des époux, tiennent ainsi en suspens
l’épanchement simultané du malheureux couple.
Un enfant s’'avance aussi... il est repoussé! enfin
les deux époux, glacés d’effroi, portent vers
la ierre un regard humide, et n’osent plus se
regarder. On éloigne Mme Grammont, et nous
poursuivons notre route. Que je souffris en ce
moment! mes jambes chanceloient sous mon
corps presqu'inanimé.
Après avoir traversé, pendant la forte cha-
leur, la savanne torride de l'Hôpital (1), après
avoir jeté des regards amers sur nos habitations
qui se trouvent à la droite, après avoir examiné
avec sensibilité des eux paisibles où naguères
je jouissois d’une pleine et entière liberté; mar-
chant en silence, humant la poussière, accablés
de: faim et de soif, nous arrivâmes au bac de
l'Ester, où les enfans naturels de M. Désdunes-
Lachicotie ne voulurent point me donner des
nouvelles de leur père (2). Le soleil se couchoit
(1) Cette savanne immense et déserte est flanquée
par le morne l'Hôpital, ainsi nommé parce que les
flibustiers y avoient formé un asile pour leurs malades.
(2) M. Desdunes-Lachicotte, refugié dans des mangles
+ inabordables dont il connoissoit les issues, en sa qualité
d'excellent chasseur, y avoit passé dans son canot
D'UN NATURALISTE. 29
alors, et sembloit, en fuyant, refuser d’être
témoin de notre douloureuse agonie.
$
tous les plusrands dangers ; mais trahi par ses enfans
naturels, il fut livré par eux après leur avoir fait, par
foiblesse, la reconnoïissance d’une partie de sa fortune.
Ce même Lachicotte, doué de toutes les qualités du
cœur, ne fitjamais que des ingrats. Dans le désastre
affreux du débordement de la rivière de l'Artibonite
au mois de septembre 1800, continuellement occupé
à porter des secours à tous les affligés, ce brave homme
aperçut non loin de chez lui, des mouchoirs en l'air en
sigue de détresse. Il reconnut des êtres animés exposés
sur des arbres de l'autre côté de la rivière de l'Ester,
impraticable par la quantité de bois qu’elle charrioit,
et par le craquement du pont qui se disloquoit à chaque
instant , et devoit entraîner infailliblement tout ce qui
en approchoit. Rien ne peut intimider Mr Lachicotte...
ILest père, et veut sauver une famille entière. Cette
famille a déjà voulu plusieurs fois lempoisonner!....
Il oublie tout; il n’a plus d'ennemis dès qu'il s'agit
d'obliger; et 1l ne pense plus aux risques qu'il a à
courir. Il emprunte vingt gourdes, et déjà dans son
canot 1l appelle à son secours des aides qu’il promet
de payer généreusement,
Déjà l'onde frémité et cède aux efforts redoublés des
rameurs, avançant quelquefois, et plus souvent re-
poussés. [ls aperçoivent un chevron énorme qui flotte
en menaçant leur versatile embarcation. Soudain ils
se dévétissent pour pouvoir nager au besoin, mais
leur précaution devient heureysement inutile, un
contre-flot fait dévier la pièce de bois qui les
Lo
292 VOYAGES
On fit charger les armes , et après quelques pas
dans une route de traverse, on nous fit arrêter, et
disposer quatre par quatre. Tous se regardent, et
commencant à nous faire les derniers adieux ,
les plus pressés donnent au chef de la horde leurs
montres et de l’argent. Ces féroces gardiens
acceptent provisoirement les eflets, et nous
remettent en marche. La lune se leveit, et vint,
par sa pâle clarté, ajouter à notre sombre mé-
-lancolie. Chacun se rassure un moment, mais
bientôt même manœuvre : on nous cerne en res-
serrant les rangs, et on nous demande tout ce
qui a pu nous rester d'armes. On me prit à
L4
côtoie sans les heurter. Ce danger passé, un plus
grand les attend : Mr Lachicotte impatient de sauver
ces malheureux qui, pour mieux prêter à l'illusion d'un
prochain engloutissement, se balançoient dans les
branches de ces arbres qu'on croyoit sur le point de se
déraciner, approche, il leur tend les bras... Un piége
lui étoittendu, là même où aux dépens de sa vie 1]
donnoit le plus bel exemple de générosité... Les pa-
villons de détresse sont jetés à l’eau , etune décharge de
coups de fusil vient repousser un sérvice si franchement
rendu! Mr Lachicotte veut parler, une seconde dé-
charge est faite... .. Dieu dirigeoit les coups... .. per-
sonne n’est atteint!... Unetroisième et successivement
d’autres jusqu’à ceque les rameurs, ayant redoublé d’ac-
tivité et émus d'horreur contre les scélérats embusqués,
aient reporté à terre l’auteur d'un si beau trait.
D'UN NATURALISTE. 293
moi une-canne de jonc que Javois à la main,
quoiqu’elle ne fût pas redoutable autant qu’elle
étoit attrayante par sa garniture en or.
On reprit encore la marche dans ce morne
silence qui la rendoit plus sinistre. Je proposai
une halte à la plus prochaine habitauon , tant
pour le repos que pour prendre un peu de
nourriture. Au mot de rourriture nos gardes
acceptent, persuadés qu’ils mangeront de meil-
leur appétit que nous. Dés ce moment cette
austerité qui les rendoit redoutables, s’'émoussa ;
ils devinrent tous moins farouches, et poussérent
même la prévenance jusqu’à nous offrir, pres-
qu’arrivés à notre halte, une eau battue et
dégoûtante, renfermée dans leur bidon (1)
qu'ils se passoient à la ronde pendant la forte
chaleur du jour sans nous en offrir.
Un des négocians de notre malheureuse
société fit la dépense; mais personne de nous ne
put mauger, tant la terreur avoit engourdi nos
besoins. Quant aux gardes, ils oublièrent
bientôt leurs prisonniers à la vue d’un cabrit
(1) Le bidon ef un vase destiné à fournir d'eau
le soldat pendant sa route. Ceux de nos gardes étoient
simplement une calebasse emmaillée de ficelle de
pitt, espèce d’aloës dont on retire une sorte de filasse.
i Ve.
«)
294 VOYAGES
et de volailles qui disparurent en un instant. Le
tafia les enivra tellement que la sentinelle même
étoit profondémeni assoupie.
Nous avions , comme on dit, la clef des
champs; mais où fuir, étant environnés d’en-
nemis de toutes parts. La couleur blanche
proscrite et déjà condamnée, 1l étoit ordonné
aux ateliers de faire feu sur tout blanc qui ne
seroit pas escorté au moins d’un muhtaire noir.
Où trouver des partisans?! Se séparer, c’eût
été se trahir et se perdre. L'entreprise étoit donc
impratucable. Aussi notre alternauve fut-elle
une angoisse insupportable. D'ailleurs la malheu-
reuse confiance qu’on avoit en Toussaint-Lou-
verture ne nous fusoit regarder cette mesure que
pour notre propre sureté, et nous metlrée ; SOUS
la protection de la force Re à l’abri de
toute sédition populaire.
Sortis de leur ivresse, nos gardes se réveillèrent
en sursaut et de mauvaise Rues semblables
à des tigres rugissans au moindre briut. Après
nous avoir compté tous, On reprit la marche.
Nos corps affoiblis ressentirent alors des besoins
de nourriture, mais les refus que nous essuyèmes
dans les habitations où nou$ passimes nous
obligérent de nous contenter de graines de bois
d'orme qu’on donne aux pourceaux.
Arrivés au bourg de.la PeuteRivicre de
D'UN NATURALISTE. 295
P'Arubonite (1) lieu de notre destination, on
nous fait faire halte sur la place, et là , le féroce
Lafortune commandant vient nous passer en
“revue, en grondant comme un tigre à la vue des
vicümes qu’il va immoler.
Voyant autour de nous des compagnons d’in-
fortune en liberté, nous espérions la mème
faveur ; mais bientôt on nous fit prendre la route
d’une prison infecte. N'ayant pour nous enfermer
qu’un trés-peuit local, on nous ôtoit encore Pair
dès le coucher du soleil. Ge supplice de fournaise
étoit affreux et accablant.
Un blanc de l’état-major de Dessalines vint
me réclamer, et offrir sa caution pour mon *
élargissement, Mais on ne la trouva pas suffisante.
Un homme de couleur que je ne connoissois
pas eut plus de succès; prévenu en ma faveur
par Mme Desfontaines , habitante des Gonaïves,
il üsa de procédés délicats et oMicieux pour les-
quels je lui conserve, ainsi qu’à ma libératrice,
la plus vive reconnoissance.
Que de louanges à donner aux habitans du
bourg de la Peute-Rivière pour leur généreux
dévouement à la cause des prisonniers! Leurs
(x) Suivant M. Moreau-de-St.-Méry, l'Artibonite
tire son nom de la prononciation vicieuse du mot.
Hatibonico des naturels du pays.
T4
290 VOYAGES
lhibéralités envers nous, suivoient le cours pério-
dique de noire infortune : que de bénédictions
ils reçurent! Nous visitant en prison, tous
apportoient, trois fois le jour, des mets en
abondance, Les onze donzièmes étoient hommes
et femmes de couleur, qui se conduisirent avec
bien de la générosité dans cette catastrophe
épineuse. .
-Le curé se signala d’une manière admi-
rable, par sa charité bienfaisante. Le nom de
l'abbé J'idautnedoitétre prononcé qu’avec véné-
rauon et des larmes de reconnoissance. Accom-
pagné de ses deux enfans de chœur , et décoré
de son costume sacerdotal pour se ménager de
fréquens accès dans la prison , il réitéroit ses
visites , et olroit d’une manière noble une
surabondance généreuse. Tous avoient droit à
ses bienfaits , plus encore les malheureux privés
de protections et de connoïssances; le mème
ordinaire leur étoit réservé, et ses meilleurs
anis n’étoient pas mieux partagés que ces indi-
gens abandonnés.
D'autres nous faisoient des vêtemens, ceux-ci
blanchissoient notre linge, ceux-là alloient
affronter les humiliations chez le juge inexorable
£afortune.
Enfin la ville nous fut accordée pour prison,
ras aprés la plus affreuse des nuits, passée dans
D'UN NATURALISTE., 207 .
des angoisses mortelles. Les vénts inquiétoient
notre imagination craintive; le moindre mou-
vement de nos gardiens imprimoit en nos ames
agitées , cetie terreur suffocante que l'esprit de
lhomme désarmé ne peut s'empêcher de re-
douter. | 4
Les soupirs de nos compagnons d’infortune,
leurs moindres plaintes nous uroient de notre
assoupissement si désirable, retraçoient lhor-
reur de notre position, et nous faisoient pré-
sumer l'approche de nos bourreaux comme
trés-prochaine : aussi le sommeil difficile , com-
battu par de fausses visions, ne vintil jamais
surprendre nos veilles dans cet état d'angoisse et
de perplexité ; le sommeil, le sommeil même,
ce divin soulagement dans les maux qu’on en-
dure, ne pouvoit appesantir nos paupières
convulsives à qui l’effroi donnoit un battement
involontaire. Des réveils en sursaut, soit par le
tambour des marches nocturnes, soit par l'entrée
imprévue de limpitoyable geolier qui venoit
s'assurer de notre docilhité, harceloïient notre
corps tremblant et abattu. Que de fois couchés
sur une terre humide , et n'ayant pour oreiller
qu’une grosse pierre brute, 1l nous sembla que
la mort s’avancoit vers nous à pas lents, pour
nous paroître plus terrible par l'idée des sup-
plices qui nous attendoient !
298 VOYAGES
Elargi le matin sous caution, je fus recu
chez" M. Péraudin habitant du bourg, dont
l’épouse enceinte de sept mois nous assistoit
de même, et pourvoyoit à nos plus légers besoins.
En général nous recûmes des, étrangers, des
secours et des consolations que nous refusérent
des parens qui , endurcis encore par ces événe-
mens malheureux, se couvrirent d’opprobre et
d'égoïsme à la veille du trépas qui leur étoit
destiné.
Obligés de comparoître soir et matin à un
appel rigoureux, nous étions à la merci des
chefs qui jouissoient de nous faire attendre et
désirer un repas, qu'eux prenoient bien à l'aise,
et à nos propres dépens. Rentrant sans défense
au milieu de-leurs railleries amères , nous les
entendions se demander avec affectation en nous
L'espoir de pacifieauon adoucit nos bour-
reaux , ou plutôt leur fit concentrer momentane-
ment et avec eMort, leur haine inextinguible au
fond de leur cœur pour toujours ulcéré; ce
n'est point humamité, ils n’eurent jamais de
piué ! mais la crainte des phalanges françaises
les reunt dans leurs transports sanguinaires ,
jusqu’à nous accorder la ville pour prison.
Semblables à la fauvette épouvantée par
Pépervier , qui déjà lui a fait sentir sa supério-
D'UN NATURALISTE. 299
rité en la déchirant de ses serres aiguës ; comme
elle, foibles et sans défense, nous n’osions
faire un pas hors des bornes, dans la crainte
d’être repris de nouveau : l'oiseau de proie lx
caresse, la joue, lui fait éprouver mille morts,
comme nos juges inexorables en nous balançant
successivement de la vie au trépas.
Aussi passions-nous également les nuits
blanches chez M. Péraudin, dont la maison
toujours cernée étoit à chaque instant prête à
être mise à feu et à sang. Nous eûmes bien à
nous louer de la valeur intrépide d’un griffe (1)
nommé Jbhar, guide de Toussant-Louverture,
mais voué aux blancs : 1l couchoit dans notre
hangar , et repoussa plusieurs fois lui seul les
hordes mutinées qui, la torche d’une main et
le coutelas de l’autre, cherchoiïent à enfoncer
notre foible porte, en la frappant à coups redou-
blés. Quelle position ! sans armes , sans soutien,
et en butte à touic la fureur des assaillans !
Cependant notre existence, la vie de quatre
mille trois cents et quelques prisonniers tenotent
au succès d’une démarche que fit faire Toussaint-
Louverture auprès du général en chef Leclerc.
Nous ignorämes quelles étoient les clauses; mais
(1) Homme de couleur provenant du mélange d'un
mulâtre avec une négresse,
300 VOYAGES
les courriers n'ayant rien rapporté de favorable,
les fronts se ridérent , l’animosité s’enflamma , et
Vardeur de la persécution devint plus terrible
dans cet état de désespoir.
On prétexta des propos de sédition, et aussitôt
Vaccusation portée, s'étant assuré de notre
présence par l'appel général, nous vîmes sortir
de tous les coins des rues des peletons d’infan-
teric qui s’emparèrent de toutes les issues. On
nous fit rassembler en un corps à cinq pas de
l'artillerie, et les canonniers à leur poste, la
mèche allumée , disposant des seaux pour
rafraîchir les pièces, se regardant les uns les
autres en silence, braquérent sur nous les canons,
puis les pointèrent. L’infanterie appréta les armes
probablement pour achever ceux qui auroient
échappé aux premières décharges. Enfin la
mort nous environnant de toutes parts, j'avoue
que, pälissant de frayeur à la vue de notre sup-
plice, nos cœurs se fondirent , et que déja notre
existence étoit oubliée de notre imagination
paralysée. Plusieurs, pour éviter les souffrances
d’un assassinat, se placoient les premiers afin
que les mitrailles ne laissassent aucun vestige
de leur corps. |
Lafortune parut, et son regard farouche
sembloit être le signal de notre trépas:ils’avance
vers nous en grondant ; relit le chef de nos
D'UN NATURALISTE. 301
accusations arbitraires, et se contente de nous
ôter la hberté; mais, hélas! le fatal moment
n’étoit retardé que de vingt-quatre heures.
L'époque est donc fixée ! des flots de sang
. vont couler ! les bourreaux déja prêts rugissent
d’impauence. Deux heures avant le massacre
«général , un noir pressentiment du funeste évé-
nement qui nous étoit réservé , obscurcissoit nos
pensées jusqu'alors rassurées sur notre sort : le
bruit sourd et confus de groupes environnant
notre enceinte; un mouvement continuel d’al-
lans et venans sur la place ; le sourcillement
amer des gardes de l’intérieur; l’insolence du
geolier qui n’avoit plus aucune considération à
garder ; toutes ces remarques remplirent notre
ame d’amertume.
Ces ris sardoniens, expression forcée d’une
joie contrainte, ces tristes effets produits à regret
dans une angoisse inétouffable et sans cesse re-
naissante, ces ris enfin, mille fois plus cruels
que des pleurs, cesserent pour faire place à un
morne silence. Chacun marchout la tête baissée,
craignant de heurter Fami qui naguëres faisoit
sa consolation. On étoitavare de questions , et par
conséquent très-réservé dans les conjectures.
Cependant la porte s'ouvre en criant sur ses
gonds : deux blancs sont poussés du dehors;
302 VOYAGES
elle se referme soudain : tous les deux mes
parens , l’un Rossignol -Dutreuil habitant de
cette commune, et l’autre M. Bréard habitant
près le pont de l'Ester: Ils n’avoient d’autre
accusation que celle d’avoir recu de France
des lettres antérieures annonçant .l’expédi-
uon , lesquelles interceptées par ordres su-
périeurs étoient gardées en secret depuis leur
arrivée. Ces nouveaux prisonniers nous confir-
mérent nos tristes pressentimens, en nous annon-
çant que la ville étoit cernée ‘par un triple
cordon de troupes et de culüivateurs armés ;
sept pièces de canon chargées à mitraille placées
à chaque issue du bourg, en cas de résistance
lors du massacre des prisons; le transport de
l'arsenal et des munitions de guerre, bombes,
obus et boulets vers le haut des mornes, une
quanuté de torches destinées à incendier le
bourg, des cordes amoncelées à la porte des
prisons, enfin l’arrêt de mort prononcé contre
tous les blancs !.. ! Ils se taisent; nos cœurs sont
glacés; une sueur froide se répand sur notre corps.
Ils finissoient à peine leur récit qu’on frappe
de nouveau avec vivacité. Nous sommes perdus,
s’écrièrent plusieurs de nous!...! quatre gre-
nadiers s’avancent.... nous frémissons..… enfin
paroît tout à coup mon libérateur, M. Say chi-
rurgien en chef, arrivant de Saint-Marc où 1 a
D'UN NATURALISTE. 303
connu mes ouvrages sur la médecine. « Où est,
» M. Descourulz, s’écrie-t-1l, qu'il vienne à
» l'instant; le général Dessalines le dernande »!
Tour à tour agité de crainte et d’espoir, je ne
sais si je dois répondre : enfin on me fait place;
il s’élance vers moi, me prend par le bras, et
me tre hors de la prison, en me disant d’une
voix entrecoupée que le massacre va commencer
dans une demi-heure !...! Ce coup m’atterra;
cependant il falloit paroître devant ce juge inflex1-
ble, qui néanmoins ne m’attendoit pas. M. Say
n'ayant pu obtenir ma grace, vu l’immensité de
nos possessions, avoit pris sur lui, en faveur de
son influence auprès des soldais, de se dire
envoyé par Dessalines qu'il vouloit intéresser
par ma présence imprévue. Je parois : tout à
coup les yeux éuncelans du ugre altéré du sang
Desdunes (1) se dirigent vers moi, et me font
tressaillir !.. Il se trouble! Je pälis!.…
gronde !.. Je suis condamné !.. A peine les
deux canons de ses pistolets sont braqués sur ma
poitrine , qu'il a déjà fait signe à sa garde
d’obéir à son atroce volonté. Ils m’ont bientôt
saisi ! déjà l’on m’entraînoit, l’ame presqu’éteinte,
(1) Rossignol - Desdunes, famille nombreuse et
respectable du quartier de l'Artibonite, à ATEN je
suis allé.
s-
304 VOYAGES
absorbé autant par l'incertitude que par la dou-
leur. Je marchois au supplice lorsque son épouse
treimblante et alarmée embrasse ses pieds pour
lui demander ma grace. M. Say de son côté, lui
observe avec fermeté que je lui ai sauvé la vie
dans une fièvre inflammatoire; qu’il y a dela
cruauté, de l’ingratitude à me traiter ainsi. Ces
mouvemens de pitié en ma faveur le fatiguent,
irritent encore son Courroux, €t toujours inexO-
rable, 1l s’écrie d’une voix plus forte et en-
rouée : « (1) N’oncl à li mourir’. li va mourr
» tou’ jour di la. Soldats , far ca moué di vous.
» oté li douvant g'yeux à moué: conduis li
» pisser où ü vous connoi (2). Non, s’écrie
» Mme Dessalines, en embrassant de nou-
» veau son époux furieux qui la repoussoit
» toujours; non... il n'ira pas »! Elle pleure...
Le tigre est en suspens !....@Un mouvement
divin qu’il ne connoît pas achève d’émousser
pour l'instant les traits de son ressenti-
ment. 11 devient, pour la première fois de sa
(x) Ses oncles sont morts, 1l périra aussi. Soldats,
obéissez..... qu'il sorte de devant mes yeux ; menez-
le dehors où vous savez.
(2) Le mot pisser étoit le signal de la mort à la baion-
nette; il exprime dans cet idiome le ruissellement
impétueux d’un sang forcément épanché.
Vie,
D'UN NATURALISTE. 305
vie, pitoyable, et s’écrie : «Soldats, quitté
blanc-à » ! Puis à moi. « Sort devant g’yeux à
» moué » ! Son épouse étonnée de ce moment de
douceur, me fait signe en ouvrant une porte
dérobée de me cacher sous le lit. Bientôt ce
nouveau Néron rentre dans sa chambre, et
s'attable avec plusieurs officiers généraux de
son état-major. Ils sumulent, à l’aide de boissons
enivrantes et de recits de cruautés commises
par certains propriétaires blancs , leur ardent
désir de se venger des insignes vexations exer-
cées envers leurs semblables au tems de
leur esclavage. Ils plaignent plusieurs indi-
vidus qui seront victimes innocentes : une
seconde rasade interrompt ce mouvement de
piué ; Îles traîtres ne parlent plus que de
mort! Mon histoire est racontée (rt). Ils ne me
croyoient pas si près d'eux, lorsque Dessalines
se levant apercoit nne de mes jambes, et me
dit : « Ça vous faire là p’ut blanc » ? Glacé de
frayeur, je ne pouvois remuer ; il me üra par le
a —
(1) «Blancs France layo, disoit-Dessalines, gagné
muhice, ouil...... Yo connoi tout queuq'chose.
» Miré Descourtilz, li connoi musique passé qui!
li connoi traité mounde qui malade ! li connoi toute
bête layo qui après couri’ dans l'eau, comme dans
terre! li. après pinturé yo semblé si ÿo vivans, li bon
garcon, mais li assez : ça domage tuié li ».
Toue NL, 0
L-1
Y OS 3%
»
306 VOYAGES
pied , et après s’être plaint de mon indiscréuion,
1l me renvoya à sa femme. M, Seguinard, qui
avoit trouvé le moyen de se cacher sous le
même lit, ne fut pas aussi heureux que moi; car
le commandant Lafortune l'ayant aussitôt apercu,
ils s’armèrent tous de leurs sabres, et malgré les
eHorts de ses mains suppliantes , l’infortuné
fut écharpé sur la place.
Toute la Nature génnssoit de cet acte de
cruauté, les animaux eux-mêmes; d’un côté,
les oiseaux interrompoient le silence par des
chants pluinufs ; et ailleurs les quadrupèdes,
per des beuglemens sourds et entrecoupés ,
sembloient prendre part à un événement aussi
funeste. Des troupeaux immenses de moutons,
cabrits, bêtes à cornes , appartenant à Dessalines,
où provenant du pillage des habitauons de l’Ar-
übonite, qu'il faisoit conduire dans /es cahos, sa
retraite éloignée du théâtre de la guerre, six
bœufs se détachèrent de la tête, mugissant
d’une manière remarquable , et s’avancant à
regret vers un terrain qui alloit être imbibé
de sang; ils côtoyèrent la prison, fouillèrent
avec précipitation une fosse énorme (1) qui
sembloit indiquer le lieu d’une sépulture. Elle
(1) Ce fait surprenant est connu de tous ceux,qui s CU
ce bourg, ont échappé aux horreurs du massacre.
D'UN NATURALISTE. 307
servit à quelques malheureux tués des premiers
coups de feu, sans que beaucoup aient fait cette
remarque qui ne m'a point échappée.
À sept heures du soir, une heure après ce
passage, la tête des noirs étant échauflée par
le tafia, on ordonna l'incendie qui de ses
tourbillons enflammés précéda immédiatement
le massacre, J'ai conservé jusqu’à présent le sou-
venir du son aigre et funèbre de la générale,
exécutée par quarante tambours et autant de
fifres criards, percant l'air de leurs sifflemens
obstrnés par le souffle impétueux et forcé de
leur rage impatiente,
Bientôt le signal du massacre général fut
donné! Le ciel cacha cette scène d'horreur 5
la lune se levoit, mais sa transparence fut trou-
blée : de tous côtés le bruit d'armes à feu ré-
valloit la douleur assoupie. Chacun prêétoit
l’oreiile ; c’étoit pour entendre les derniers cris
plainufs de .vicüimes expirantes sous les coups
redoublés des assassins, soit à la baïonnette, soit
à la crosse de fusil! La mort de l’arme à
feu, trop douce pour assouvir la cruelle rage de
ces cannibales , ils ne s’en servoient que pour
ceux qui étoient recommandés. Les blancs du
canton, libres sur parole, furent bientôt pour-
suivis et ramassés de toutes parts. Leur cer-
V 2
308 VOYAGES
velle, jaillissant de 1ious ‘côtés, alloit s’attacher
aux murailles ensanglantées.
Bientôt le plomb meurtrier siffle de tous
côtés, la balle perfide va frapper indisinctement
le vieillard et l'enfant ; elle ne respecte personne.
Le tyran Dessalines à l’œil hagard et étincelant ,
portoit sur son front ridé l’empreinte de la
cruauté et de la scélératesse. Il appeloit d’un
geste les exécuteurs atroces de sa volonté sangui-
naire, les rassembloit, les excitoit, et les harce-
loit en les agaçant par des souvenirs d’esclavage.
Par-tout les cendres éparpillées, les cadavres
frémissans décéloient le passage des assassins,
et leur marche sanglante. Les victimes, saisies
par leurs bras vigoureux, vouloient en vain
lutter contre un groupe d'Hercules forufiés en-
core par une rage frénétiqne. Le courage s’éva-
nouissoit bientôt chez notre classe impuissante ,
pour faire place au sentiment douloureux d’une
frissonnante frayeur !
Les rues étoient jonchées de cadavres; et vou-
Jant me cacher chez M. Massicot, chirurgien de
l’ambulance Lucas, dont la maison étoit gardée
pour la sûreté des officiers de santé, je chancelois,
dans ma marche peu assurée , à la vue de
parens où d'amis expirans dans des tortures
affreuses , obligé de fouler, de meurtrir ces
chères dépouilles pour me rendre à ma desti-
D'UN NATURALISTE. 309
nauon, toujours à la veille d’être frappé moi-
même, et de grossir les monceaux de ces corps
palpitans !
J’entrai chez M. Massicot ; mais quelle sûreté
devois-je attendre dans une maison à elaire-voie,
gardée par une sentinelle déjà ivre, qui pouvoit
être culbutée par un peloton de ces assassins
elfrénés, cherchant à violer notre asile pour
- y piller le tafia et l’or qu’on savoit y être. Le
vieux Massicot, dans cet état où J’avarice devient
plus que jamais méprisable, avoit peine à se
décider à retirer de fonds sablés une bouteille de
vin vieux; il ne nous offroit que de l’eau. Il
perdit plus tard, par l'incendie, le fruit honteux
de sa fausse économie, sans exciter nos regrets.
Plus occupé de son porc à l’engrais que de sa
propre vie, 1l ouvroit continuellement sa porte,
qui toujours eut dû être fermée pour éviter des
méprises dangereuses. Et pourquoi ces précau-
uons? pour demander d’une voix tremblante et
cassée , si fanfan étoit toujours là. Fanfan étoit
le nom de son cochon.
Ces scènes burlesques, qui dans tout autre
cas eussent été récréatives, nous fatiguoient par
leur ridicule. Plusieurs de nos chirurgiens , se
croyant en sûreté, soupèrent tranquillement :
pour moi, semblable au jeune agneau qui
attaché au fatal poteau y attend son sort, je
V 3
310 VOYAGES
reslai quarante-huit heures sans manger n1 dor-
mir, mort enfin à tout sentiment. O mon épouse!
toi mon fils! à mon pére! et vous tous mes
amis! que le souvenir de notre séparation m'était
alors douloureux! Je vous criois adieu!
mais vous ne pouviez l'entendre ; hélas! des
mers immenses nous séparotent.
Pendant cette consternation générale, je
sortis un instant dans le jardin, mais.... Ô:
Bouté divine! un nègre que je ne CONNOISSOIS
pas, et que je crovois chargé de mon exécution,
vint me prendre par le bras, et m'entraiîna
d'abord vers une masure dans laquelle 1l me
dit de me mettre à genoux...... Je crus que
c’étoit fait de moi ; mais lui-même se jetant à mes
pieds ; il se nomma comme malade guéri de ma
main, et nr'assura que je n’avois rien à craindre,
Observant ensuite que cet endroit étoit trop à dé-
couvert et trop près de l’importun M. Massicot,
qui venoit d'y arriver avec son fanfan, ce bon
nègre me fit rampeér parmi des épines sous Ja
voûte touffue d'une haie de campêches jusque
vers le bord d’rn ruisseau. C'est là qu'il m'y fit
cacher sous des pois de France ramés, dont il
m'enveloppa la tête pour me laisser respirer , et
veillant sans cesse aux environs, 1l ne me quutta
pas d’un. seul instant. Malgré ses vigilantes
précautions, fut apercu par des maraudeurs.
D'UN NATURALISTE, SII
On üra sur lui; la balle vint siffler au dessus dé
ma tête. Il se jeta sur moi en contrefaisant
livrogne, et ne quittant point ce caractère ingé-
meusement imaginé, il balbutia qu’il n’étoit pas
blanc, qu’il étoit nègre Congo, mais qu'il ne
pouvoit les suivre. Aoué fini net caba, disoitil
d’une langue épaisse; moué pas capab” bougé
place la ; moué sou caba. Ce qui veut dire : Je
Suis ivre mort.
A vides de pillage, etanimés eux-mêmes par le
tafia et le vin, ces assassins crurent mon libé-
rateur sur sa parole, et tournérent leurs pas
vers de nouveaux crimes. Ainsi donc la vie
confinée dans sa derniére retraite, je la resaisis
encore aux portes mêmes du tombeau. J'étouflois
sous le poids de ce nègre bienfaisant qui, par
cette ruse, toit tout soupcon de trouver quel-
qu'un aussi près de lui. I se releva, et pleura de
joie de m'avoir sauvé. I me garda ainsi jusqu’au
lendemain maun, non sans crainte, mais tour-
menté par une juste frayeur, en nous trouvant
au milieu du théâtre d’un carnage toujours
renaissant.
Pendant ce tems, l'asile divin fut souillé;
l'autel teint du sang d’un jeune homme de seize
ans , qui, les cheveux épars, venoit à genoux
implorer la protecuon de la Divinité ; les mains
et la bouche dégoûütans de sang, nus, malgré
LR"
312 ( VOYAGES
la sainteté du lieu, les cannibales ‘achevèrent
cette victime innocente qui avoit résisté à plus
de quarante coups de baïonneue !
Bientôt la garde meurtriere fonce la porte de
la prison où l’on avoit eu soin de concentrer
dans chaque chambrée les malhenreux prison-
niers pour n'éprouver aucune résistance. Les
premiers numéros sont appelés deux à deux,
attachés par les bras l’un à l’autre, dépouillés
de leur argent, de leurs vêtemens, puis lardés a
coups de baïonnette, Déja le tas des expirans
commence à grossir , que ces bourreaux se plai-
gnent de la lenteur de l’exécution : lassés égale-
ment de plonger et replonger l'acier émoussé
dans ces chairs repoussantes, ils fusillent au
passage. Les prisonniers sortent en foule pour
hâter une mort prématurée ; le feu devient plus
vif. C’est par ma chambrée que l’on commenca;
aucun des quatre-vingt-sept n’échappa à cet
horrible carnage !
Des disputes s’élévent parmi les soldats qui
décident de composer avec chaque prisonnier
sur le genre de supplice : les uns étoieut exécutés
à l'arme à feu, ceux-là à l'arme blanche , d’après
l'argent donné aux sous officiers porteurs de
fusils, ou aux soldats munis de coutelas et de
baïonnettes. On ralentit donc de sang-froid ces
momens de carnage afin d'éviter la confusion !..!
Quelle barbarie !...!
D'UN NATURALISTE. 313
Des cris percent la foule ; bientôt paroît dans
l'obscurité le ministre apostolique revêtu de ses
babits sacerdotaux , l'abbé Vidaut, dont je répète
le nom avec vénération : consolateur de nos
momens d’anxiété, 1l ne s’étoit point contenté
de nourrir avec abondance la majeure parte des
prisonniers, pour lesquels il fit des sacrifices
énormes ; 1] falloit encore sauver la vie de quel-
ques-uns , en exposant visiblement la sienne : 1l
est méconnu par ces démons emivrés; il est
repoussé , frappé; des balles effleurent ses vête-
mens, rien ne l’étonne; 1l coupe de tous côtés
les liens qui unissent les victimes, et en sauve
un grand nombre que les soldats laissent passer ,
croyant qu'il a des ordres, et d’ailleurs apaisés
par de l’or qu’il prodigua avec libéralité.
Maintenant à Angoulême, 1l verra, je crois
avec plaisir, que justice lui est rendue par un de
ceux qu'il a si généreusement obligé, et qui
s'efforce de lui prouver toute sa reconnoissance.
Il eût été à souhaiter que dans chaque division
les ecclésiastiques se fussent conduits de même.
Enfin 1l est obligé de sorur , repoussé par les
soldats dont l’avidité insaüable ne trouvoit
plus à profiter des dépouilles. Il fuit en heurtant
absence rallume une rage lésérement assoupie.
Les têtes volent de nouveau sous le coutelas
314 VOYAGES
homicide ; le sang coule à grands flots ; les bour-
reaux sont baignés, abreuvés, rassasiés d’un
sang qu'ils ont depuis si long-tems demandé!
Une autre chambre est ouverte : quelle est leur
surprise d’éprouver un retard, de n’en voir
sorüur personne , de ne plus trouver en ce cachot
qu'un seul prisonnier! l’affreux suicide avoit
exercé son criminel empire, et devancé le terme
de la carrière de ses compagnons : les uns
étranglés avec leurs cravates , d’autres empoi-
sonnés par les narcotiques du pays, ou Popium ;
ceux-ci percés de leurs propres mains; un seul
n’avoit pas craint d'affronter la cruauté de ces
bourreaux , dans le vain espoir d’adoucir pour
quelques momens leur frénétique fureur , ou
au moins d'en suspendre les effets. M. Lapointe,
âgé de trente ans et père de deux enfans,
demandoit un retard de deux heures pour les
embrasser encore une fois avant de mourir :
vaine tentauve ! la piüé n'existe plus dans des
cœurs avides de forfaits et gorgés d’atientais!.…
On lui fait un erime de sa demande, et pour l’en
punir , on exerce sur lui mille cruautés ! 1l est
dévirilisé ! on lui rompt les doigts à la renverse,
puis tour à tour il est transpercé et muulé, on
le met en pièces. L’un d’eux qui le savoit mon
parent et mon ami, propose de n’envoyer cher-
cher, pour savoir si avec tout mon art je
D'UNANATURALISTE. 315
pourrai rassembler les lambeaux , et leur rendre
l'existence. Du sentiment!!! les cruels! Is ne
purent me trouver. Tremblant au fond de ma
fosse, je m’entendis bien appeler chez M. Mas-
sicot; mais je me serois bien gardé d’en sorur.
Un autre officier de santé fut emmené, bafoué
et maltraïté.
Düix-sept noirs furent tués sur la place,
“chacun pour avoir soupcouné son voisin du
vol d’une ceinture contenant environ trois
cents portugaises , qui font douze mille
francs. Elle appartenoit à M. Giraudeau,
sous-chef de l'administration des Gonaïves. Cet
or passa furtivement de main en main jusqu’au
dix-sepuème, qui lui-même fut té par un
officier noir qui s’en empara et s'enfuit: cet
homme immoral se plaisoit, dans‘lés camps, à
répéter ces actes d’atrocité.
Dans ces ténèbres éclairés à regret par la lune
pâle et ensanglantée, avare de son. flambeau,
sous le ciel obseurci où elle s’échipsoit à
chaque instant, soustraite par l’amas condensé
des vapeurs du sang humain répandu ; ces bar-
bares anthropophages animés dans leur férocité
naturelle par une liqueur enivrante dans
laquelle ils baignoient des membres palpitans,
un sexagénaire paisible (1), ayant près de lui
(:) M. Flacquet, demeurant à Saint-Marc.
316 VOYAGES
toute sa fortune , un fils doux et bien aimant,
s’avancoit à pas tremblans, conduit par le jeune
homme vers des campêches touffus , avec l’es-
poir d'échapper une seconde fois à la mort. Il
heurte dans cette marche chancelante un corps
ayant encore vie, qui laissa échapper une plainte
au renouvellement de ses blessures engourdies !
il est entendu d’une embuscade prochaine dont
les soldats fondent , avec l’impétuosité de tigres®
altérés de sang , sur les trois malheureux sans
défense !
Pleins de fureur, grincant les dents, écumant de
la rage du ressentiment, ils frappent! bientôt
les trois troncs sont confondus dans un sang qui
jaillit detoutes parts. Le père est décapité; et
le fils !..... contraint, malgré ses débats et
l'horreur d'une pareille monstruosité, à recevoir
dans sa bouche resserrée la cervelle famante
de l’auteur de ses jours qu’on lui a fait poi-
gnarder !....... Je reconnus ces trois cadavres le
lendemain , au sorur de la fosse où l’on m’avoit
fait passer la nuit, et je ne pus éviter ce spectacle
atroce sans la cerutude , au moindre regard de
piué, de voir le même terrair: abreuvé de mon
sang par ces bourreaux à moitié endormis au-
tour de leurs victimes !
Les tumultueux eflets de cette barbare effer-
vescence n’avoient point encore incendié de leur
D'UN NATURALISTE. 3r7
feu rongeur les habitations reculées de l’'Arui-
bonite, où les habitans, paisibles encore et
pleins de confiance en l’amelioration annoncée,
attendoient, dans un espoir flatieur, ce jour tant
désiré. M. Dubuisson, octogénaire et privé de
la vue, se hvroit dans le silence de la méditation
à de riantes conjectures lorsqu’entendant du
bruit, et tranquille encore à la veille d’une
mort violente, 1l en appelle les auteurs , croyant
appeler ses domestiques ; mais !....… le poignard
7
M. Dubuisson seul étoit tranquille !..... les
assassins se disputent le premier Coup...
-Porté par des ingrats, 1l est mortel !...…… et
des flots de sang se mêlent aux reproches
de l’octogénaire qui expire en pardonnant à
ses bourreaux!
. Les habitans du Gros-Morne, bourg de la
dépendance des Gonaïves, furent de tous les
prisonniers les plus misérablement tourmentés.
Le commandant Guibert, d’abord humain,
mais ex-aide-de-camp de confiance de Toussaint-
Louverture, en développa les principes sangui-
naires , long-tems alimentés dans son sein, dés
que livré à sa propre volonté, il s’éloigna de
son général. Docile aux lecons de son maître,
1] mit à exécution, avec une scélérate exactitude
318 VOYAGES
qui annonce un partisan zélé du crime et du
brigandage, des ordres destructeurs qu'il pouvoit
soustraire,
Toujours bien accueilhl des propriétaires,
Guibert fut insensible à leurs bontés au point
de les trahir. Au milieu d’un repas communal
auquel les habitans du Gros-Morne assistérent
avec trop de confiance, Guibert, sous le voile
mensonger d’une feinte cordialité , fit saisir ces
habitans , puis étroitement garrottés, il les fit
garder à vue, malgré les sages représentations
de Mrs Paul, Prompt et autres propriétaires
de couleur, vrais amis du bon ordre, et tou-
jours armés pour le rétablissement du pays.
El les fit conduire au milieu de terres sauvages
de la partie espagnole , en les .harcelant dans
leur marche pémble et raboteuse, pour ensuite
les faire revenir au Gros-Morne, et de là les
pousser comme des agneaux aux Gonaives,
où, leur refusant toute autre nourriture que
celle de baies de bois d’orme , après une route
forcée de plus de vingt-quatre lieues, dans
laquelle leurs bras crevèrent par la contusion et
l'expansion d’un sang extravasé , is arrivèrent
près du bourg de la Petite-Rivière où ils furent
tous massacres !
Souvenirs affreux, enveloppez-vous de vos cou-
leurs lugubres! Génie de l'amitié, venez honorer
D'UN NATURALISTE. 319
les manes de malheureuses vicumes. Auteur du
monde, frémis du haut de ton séjour céleste!
Rends-toi protecteur de victimes innocemment
sacrifiées, et dénonce à ta Justice les hordes
criminelles de ces assassins effrénés! Parle! et
bientôt punis de leur atroce scélératesse, 1ls vont
expier , dans de violens remords et dans la
misère la plus affreuse, la somme totale de leurs
iniquités. Commande, et bientôt confondus,
leurs corps grossiront les monceaux de leurs vic-
ümes pour leur annoncer que toujours les crimes
sont punis. Leurs spectres odieux iront implorer
un pardon secourable des cendres mêmes de
ceux qu'ils ont égorgés.
Ah! Marum, Cressac, Pelleuer, Imbeau, etc.
et vous tous, mes amis, dont il ne me reste plus
que le souvenir des vertus, dont les noms me
sont si doux à prononcer, du séjour bienheureux
que vous habitez sans doute, pardonnez à vos
méprisables ennemis , aux délateurs, aux bour-
reaux de l’innocence... Que dis-je, pardonnez?..!
Votre poussière s’agite.. je me tais. Je vous vois
encore, trop malheureux amis, dans les hor-
ribles supplices d’une douloureuse agonie, vos
lambeaux se révoltant sous le couteau brut de
vos lâches assassins. Et toi Jfarsan!…. mort
mille fois ; toi, dont le corps tout déchiré après
trente heures de convulsions cruelles , se tourna
320 VOYAGES
encore vers ton ami pour lui désigner d’une
main sans force le lieu prochain de ta sépulture,
une terre abreuvée de ton sang! Toi qui as
épuisé l'innovation sanguinaire et lente d’enfans
qui se jouoient de tes, souffrances , en plongeant
et replongeant leur criminel acier dans tes bles-
sures profondes et innombrables! Toi que des
soldats impitoyables n’ont pas voulu me laisser
secourir, recois l’expression de ma tristesse et de
mes regrets |
Après le repos de cette nuit désastreuse, c’est
de sang froid que les assassins veulent porter
de nouveaux coups. Le commandant Lafor-
tune annonce impudemment aux moribonds
échappés an carnage, que de nouveaux meurtres
sont nécessaires; qu'il n’a point assez coulé de
sang, puisqu'il existe encoredes blancs. Un piquet
est donc de suite commandé pour faire de
nouvelles perquisitions dans les masures à demi-
brülées ; l’ordre est donné de garrotier tous les
fugiufs , et de s’en défaire. La patrouille meur-
trière de retour chez Lafortune, raconte ses
exploits. On fait une nouvelle recherche dans la
maison même du commandant, et douze blancs
retrouvés sont martyrisés, malgré leurs supplians
gémissemens. Les uns, lardés de piquans de
raquetie sous les aisselles et les cuisses, furent
forcés de courir jusqu’à exuncuüon de leurs
forces.
D'UN NATURALISTE, 3at
forces. Des femmes enceintes furent empalées,
d’autres eurent les yeux crevés par des épingles,
et des enfans furent dévirilisés avec de mauvais
ciseaux.
Quant à moi, craignant toujours le caprice de
ces bêtes féroces, je m’étois caché pendant la
visite dans un salon du commandant Lafortune,
derrière M. Péraudin, domicilié du bourg, et
malade d’un ulcère à la jambe. A chaque fois
que quelque soldat vouloit approcher de lui, il
crioit de mamière à faire croire qu’on lui avoit
froissé sa plaie; ce qui.écartoit l’importun.
Je fus cependant envoyé, pour la dermère
visite , à l’ambulance Lucas, dont l’habitauon se
trouve à une portée de fusil du bourg; et malgré
mes représentations, On me contraignit à y aller
seul. Comme il étoit à craindre qu’au poste
du dehors, ou même dans les rues désertes,
on ne me prit pour un fugitif, j’eus la précaution
de tenir d’une main une trousse et un lancetier;
de l’autre, des bandages largement déployés,
et un pot de digesuf, pour qu’on n’ait point à
douter que mes services étoient utiles. Bien m'en
prit, puisqu’au détour d’une hate hérissée de
baïonnettes, un peloton m’ajuste et alloit urer,
sans mon empressement à crier que je suis mé-
decin de l’armée, et à en déployer les preuves
aux yeux des assistans. Cependant on m’arrête,
Toue I, X
OA * : VOYAGES
on m'examiie, et, malgré mes sermens, je ne
sais Ce qu'on auroit fait de moi sans l’arrivée de
M. Conain, ancien praticien de Saint:Marc, qui
me suivoit, et allnit, comme moi, à la même
ambulance.
Ce peloton environnoit un groupe de blancs
ramassés dans les bois, au secours de chiens
qu’on avoit mis à leur quête. On nous fit
signe de nous éloigner, pour ne pas les recon-
noître, mais Javois d’abord apercu mes deux
ivalheureux oncles, M. Rossisnol-Desdunes-
Poincy, père de famille sexagénaire , et son
frère Lachicotte, ce brave et digne homme dont
24
j'ai déjà parlé (1), M. Alain notre négociant, et
(1) M. Desdunes-LTachicotte avoit pour valet de
chambre de confiance un nommé Lubin, qui fut son
ennemi le plus prononcé. Déjà son généreux maître
l'avoit arraché des bras de la mort, un jour surtout qu'il
y fut condamné pour avoir brûlé trois cartouches sans
pouvoir ätteindre M. Lachicotte. Ce féroce favori, dé-
pourvu de naturel et de reconnoissance , se voyant enfin
au moment d'assouvir sa rage , refusa quelques pièces
d'or des son maitre, qui le conjuroit par ce dernier
présent , de lui donner au moins une prompte mori.
Lubin préféroit se repaître des souffrances affreuses
de son maître, qu'il transperça à coups de baïonnette,
Telle fut la fin malheureuse d’un ami bon, sincère
et généreux, au souvenir duquel je donnerai toujours
quelques larmes !
D'UN NATURALISTE. 323
plusieurs autres. Un marchand des Gonaïives
par exemple, basque, peut, mais très-alerte,
ayant été dépouillé de ses habits pour être poi-
gnardé, sans perte d’effets, eut la présence d’es-
prit d’étourdir ses deux gardiens par une paire
de soufflets, puis d’un élan de sauter tout nu
par dessus la haie, et de courir précipitamment
dans les sillons de cannes à sucre, pour y cher-
cher un salut qu'il ÿ trouva , quoiqu’ayant
essuyé à son départ un feu assez vif que nous
entendimes. Il restoit le jour sous le feuillage,
et marchoit la nuit à la faveur des ténèbres,
jusqu'à ce qu'il ait eu le bonheur de rejoindre
une colonne de l’armée française, ainsi qu’il me
le raconta. Son camarade, M. Rospitt, comman-
dant de la garde nationale des Gonaïves, basque
aussi, mais plus grand et moins exercé dans la
gymnastique, ne fut pas si heureux; car ayant
manqué son saut, et étant retombé au milieu des
épines de la haie , il y fut brûlé vif!
J’arrivai tremblant à l’ambulance Lucas; et
pour comble de contrariétés, on m’ordonna
d’amputer un chef des assassins, mutlé par
méprise au milieu du feu de la prison. Je ne
sais comment 1l put survivre à ses blessures ;
ce n’est que le lendemain matün qu'il se traîna
seul à l'hôpital. La vue d’un pareil monstre
rougi du sang de mes parens, de mes amis, d’un
X 2
324 VOYAGES
sang innocent confondu à celui de la scélé-
ratesse, troubla ma raison ; je m’évanouis. Cette
sensibilité pensa m'être funeste; on m’invectiva,
et les propos ne se calmèrent que quand j'eus
dit que cette défaillance provenoit d’un besoin
de prendre quelqu’aliment.
Enfin, ayant recu ordre de 1ransférer les am-
bulances au Calvaire { habitauon Miraut), nous
quittèmes les cendres fumantes du bourg de la
Peute-Rivière, pour nous acheminer vers notre
desuünauon. J’abandonnai, le cœur bien contrit,
ce terrain ensanglanté dépositaire de tant d’objets
chéris, et je tournai vers les montagnes mes
regards pleins d’amertume. Aux cadavres des
hommes étoient joints ceux des animaux domes-
üques- sacrifiés dans livresse féroce de ces
barbares , qui avoient également tué une quan-
uté immense de volailles |, sans les mettre à
profit. Ces hommes féroces poussèrent la cruauté
jusqu’à enlever aux bœufs un côté de la cuisse,
pour en faire une grillade, puis après ils
laissoient aller l'animal 1...
Le sac sur le dos, je suivois en tremblant
les cabrouets des malades, car à chaque
cahot, les blessés, qui étoient tous armés,
devenoient furieux , et me menacoient lorsqu'un
infirmier apparut soudain. C’étoit un nègre,
mais c'étoit un brave homme qui se déclara
D'UN NATURALISTE. 325
mon défenseur. « Si zautr” vlé tuié hi, tmié
nioun’ fois papa vous (1) »! leur crie le brave
Pompée, en les ajustant de son long pistolet. Sa
vieillesse et son état le firent respecter, et dès ce
moment 1l ne me quitta plus.
Après avoir ainsi long-tems combattu la
fatigue et respiré une poussière désagréable ,
nous arrivâmes au haut d’un morne couvert de
lataniers auxquels on venoit de meutre le feu,
pour prévenir les embuscades. N'ayant bu ni
mangé depuis deux jours, et rencontrant un
cabrouet chargé de provisions pour Dessalines ,
je tendis la main à une femme de couleur qui,
æprès m'avoir reconnu, me plaignit beaucoup,
et m’ayant fait désaltérer, me donna quelques
alimens que je dévorai sans disconunuer notre
marche. Enfin, Æ/onorine (c’étoit le nomde cette.
jeune mulätresse) ranima mes forces avec un coup
du tafia qu’elle portoit dans un coco aux officiers;
elle me fit aussi le cadeau d’une morue salée,
en m’essurant qu’elle ne pouvoit faire mieux pour
moi jusqu'au lendemain. À peine leus-je perdue
de vue, que cédant à ma faim insatable, je
mordis dans la morue sans la faire cuire;
et j'allois y faire une grande brèche, si le bon
_Pompée , par intérêt pour ma santé aulant que
(1) Ma vie tient à la sienne.
X 3
326 VOYAGES
par la cerutude que ce poisson nous feroit hon-
neur à notre arrivée dans un camp dénué de
tout, ne me l’eût demandé ; il la donna à sa
femme qui le suivoit avec deux ânes porteurs de
son petit équipage. |
. Honorine unt parole , et ayant parlé de moi à
Mme Dessalines : , Je recus un peu d’argent et du
porc salé, ainsi que des légumes secs , avec
recommandation expresse de garder le silence à
l’égard d’un bienfait qui ne devoit poit être
connu. Le bôn Pompée me trouvant trop géné-
reux dans une circonstance si perplexe, m'ôta
la disposition de toutes ces provisions, et les
remit à sa femme ; il employa l’argent à acheter
des andouilles de tabac, pour les revendre en
détail aux soldats : c’est ainsi qu'il faisoit valoir
mon argent qui devenoit l’objet de sa spécu-
lation. Ce peut commerce nous, procuroit le
café trois fois le jour, du sucre, des cigares
auxquels je fus obligé de m’accoutumer pour
raison, C’est à dire, afin de n’être point suspecté
de hauieur dans les entreuens que nous avions
auprés du feu avec les blessés arrivant de la”
grande armée. . Tous les soirs et les mans,
pendant que le bon Pompée me préparoit avant
le jour le"premier café , et le soir la petite goutte
de croc (tafia), j’éludois, en fumant mon cigare,
une série de questions insidieuses de la part de
D'UN NATURALISTE. 327
soldats toujours empressés à me rendre coupable
de quelqu’indiscrétion. Pompée avoit l'oreille à
iout, et répondoit pour moi avec fermeté
lorsque le cas étoit épineux et délicat.
Réduit dans ces mornes frais à coucher sur la
terre imbibée de rosée, ne possédant plus rien
pour m'envelopper, ce brave homme partageoit
avec moi sa couverture, et vouloit enfin que
tout fût commun entre nous. Tous les nègres le
respectoient à cause de son äàge, et l'appeloient
papa, expression honorable du pays qui le
mettoit plus à même de m'être favorable selon
ses désirs. Les repas étoient toujours réglés saus
que je n’en occupasse, et les mets conformes à
mes goûts que le vieux couple étudioit.
Les pillards étant arrivés au camp, Por y étoit
si commun que beaucoup d’entr'eux n'en con-
noissant pas le prix, aimoieni mieux largent
dont les pièces étoient plus larges. On nr'offrit
7 rondins (1460 liv.) pour 17 gourdes (85 fr.) ;
mais craignant que cette offre ne fñt un piége,
et d’ailleurs répugnant à cet échange souillé par
le crime, je refusai ces proposiuons.
M. Sajus négociant à Saint-Marc, et particu-
lièrement connu de moi, s’étoit sauvé de la
prison, à la faveur de deux cents portugaises
(8000 fr.) au commencement des sourds prépa-
raufs du meurtre et du carnage. Homme robuste
328 VOYAGES
et courageux, 1l avoit culbuté à son passage la
sentinelle assoupie, etpromptement escaladé une
muraille. Le péril le plus évident étoit passé,
puisqu'au moyen de cotonniers épais et plians
sous leurs nombreux flocons, il avoit attendu
dans le silence l’issue de: cette catastrophe. Je le
revis quelques jours après dans les bois de
l'habitauon du calvaire Miraut , exténué de
faugue, déchiré par les piquans et les épines
dont les bois qu’il avoit traversé étoient hérissés.
Haletant de soif, accablé par la faim, il étoit
mécounoissable. L'épreuve de tant de calamités
avoit altéré sa raison; le souvenir effrayant des
dangers passés, et l’entrevue de ceux à venir le
sufloquoient, et faisoient rouler de grosses larmes
dans ses yeux éteints par une juste frayeur. Je
tentai de calmer ses esprits, de ranimer son
courage , et je le préssai de reprendre ce naturel
stoïque que je lui connoissois. «Je ne suis plus
» homme (me dit-il avec langueur) ; ces mêmes
» facultés ne sont plus en moi! je ne suis plus
» qu'un agneau tremblant.…. Voici... voici.
» les voilà ces bouchers sanguinaires, 1ls vont
» fondre sur moi! défendez mes jours! ou
» plutôt, pour m’épargnerde nouveaux tourmens,
» qu'ils assouvissent leur fureur dans mes dé-
» pouilles agitées de trouble et d’effroi » ! A cette
déclamation qui lui étoit pourtant naturelle, je
D'UN NATURALISTE. 329
reconnus qu’il étoit frappé; cette certitude me
fit fréour. En vain je voulus lui faire entrevoir
l'espoir de son salui, en prenant sur moi de le
garder à mes côtés, comme infirmier; parü qu'il
embrassa d’abord avec des transports ontrés, et
qu'il rejeta ensuite, dans la crainte de ne pouvcr
se maintenir à la vue de canmbales dont la
présence eût rendu son existence cent fois
plus terrible que la mort. I préféra vivre errant,
dans l'espoir de tronver près de là, me disoitil,
un sûr asile qui est devenu son tombeau. Ÿ
ayant été découvert, la chaumière fut cernée
et incendiée; le malheureux prisonnier d’abord
échappé aux flammes qui l’avoient déjà noirat,
et enveloppé d’un tourbillon de fumée qui
l’étourdit et le suffoque, tombe, ‘ei bientôt
assailh par la horde crinnnelle, il a déjà recu
vingt coups qui ne sont pas mortels. Furieux
de se voir seul pour veiller à sa défense, 1l
réunit toute son énergie, arrache le coutelas
- d’un de ces meurtriers, mais il devient inuule
en ses mains; un d'eux lui ayant coupé les
jarrets , 11 tombe et reste sans défense. C’est
alors que se déployérent tous les supphices les
plus revoltans pour punir une résistance si
naturelle. Ces assasins , après des hurlemens
affreux qui annoncoient un trépas cruel et pro-
chain, lattacheut d’un bras et d'une jambe à un
330 VOYAGES
gayac , puis à l’autre flanc ces monstres infernaux
s’attélent, en grondant de joie, pour arracher,
disloquer les membres palpmans de leur victime
malheureuse! Sajus est déchiré!..! Un d’eux,
dans ses transports de rage, a oublié de punir les
regards fiers de Sajus; 1l vole à la tête séparée
de son tronc, et lui arrache les yeux avec le tire-
bourre de son fusil! Un autre, jaloux d’une
réputation parmi ses égaux, va Jui rôur les
poignets qui se sont inuulement armés du cou-
telas! Ainsi se termina la vie du malheureux
Sajus, qui ne prit même pas part aux horreurs
des deux derniers supplices. Cette scène se passa
à Cinquante pas de môn ambulance sans que
j'aie pu le secourir, étant obligé d’étouffer
jusqu’à mes soupirs au milieu de démons
étonnés de ne pas me voir sourire (1).
Mes succès dans les cures des blessés, que je
traitois par les plantes du pays d’après la com-
bustion des pharmacies, me donnérent aupres
des autorités noires un relief qui me rendit
bientôt un important personnage , non peint du
côté de la puissance, puisque sans cesse et par-tout
accompagné de quatre dragons , je ne ponvois
seul faire un pas, Car on étoit persuadé qu al
me tardoit de rejoindre la colonne francaise,
. . - ,
(1) Dent pas cœur, m'appeloient-ils alors ; disant
par là que je riois du bout des lèvres.
DUN NATURALISTE. 331
Aussi ces quatre cavaliers, considérés comme
mes protecteurs etnommés pour ma garde d'hon-
neur, avoient par dessous main l’ordre de me
fusiller au moindre projet de désertion. Comme
javois soin d’eux, et que je n’épargnois ni
le tabac ni le tafia, je captai leur confiance ,
au point qu'ils me dévoilèrent sans artifice la
consigne qui leur étoit donnée. Ils me préve-
noient également de complots ourdis par mes
jeunes infirmiers, depuis que j’avois été élevé au
grade d’inspecteur des ambulances, lesquels com-
plots tendoient à me faire mettre à mort comme
devenant inuüle, puisque ces jennes nègres se
disoient en état d'opérer; maisil n’y avoit rien de
plus faux. C’est pourquoi j'emmenai dans une de
mes tournées le général de brigade Vernet chargé
du détail des hôpitanx, et après lavoir sondé
sur ses dispositions à mon égard , je lui racontai
le sujet de mes justes inquiétudes. Plein de
fureur , 1l voulut de suite faire fusiller le cou-
pable , mais c’eñt été gâter mon affaire ; je
profitai au contraire de cette occurrence pour
prouver aux malades des différentes salles qne
J'avois à visiter , l'incapacité de ces élèves , ei le
danger pour eux de laisser opérer ces ignorans
sans que Je les aidasse de mes conseils.
Les nègres qui, lorsqw’ils sont malades, font
de leur médecin leur divinité, crièrent tous,
332 VOYAGES
quoique prévenus contre moi, qu'ils n’en
vouloient point d'autre que p’tit médecin blanc.
Ainsi leur cœur se changa en un instant. C’est
alors que mettant à profit ce vœu général,
j'ordonnai aux deux plus muuns élèves de faire
lamputation de l’humerus ganche ; mais, trem-
blant de he point réussir, ils annoncérent par
cette juste méfiance leur véritable incapacité
pour la plus légère opération. Ils tournoient
gauchement les instrumens dans leurs mains va-
cillantes, et dans leur confusion les laissant tom-
ber, ils se jaugérenteux-mêmes. Le général Vernet
les disgracia publiquement, retrancha leur raüon,
et leur fit prendre le mousquet à poste fixe pour
mieux surveiller leur conduite équivoque.
Le nommé Sans - Souci, le plus intrigant
des deux, recut la bastonnade en convenant de
son propos atroce et perturbateur que voici :
« Blancs yo va toujours blancs : yo bons pour
» iuié, pour corcher tant comm’ camarade à
» yo». L'impudent s’attendoit tellement à me
remplacer, qu'il s’étoit déjà fait broder l’uni-
forme de mon grade. Nous ne pümes jamais
savoir par qui, et comment.
Saisissant les instrumens devant les con-
damnés, je fis l'opération; je dus’ à mes succes
la célébrité progressive de ma réputation, et la
bonne intention des malades qui se plaignoient
D'UN NATURALISTE. 335
amérement quand je ne présidois pas au moins
aux pansemens.
Il ne faut pas croire que Dessalines m’ait
jamais offert de traitement ni de graüficauion.
11 me regardoit très-heureux d’avoir été épargné
pour soigner ses malades, gt insultoit sans cesse
à ma position. Sachant aussi que je voyageoiïs
ordinairement avec célérité, il chercha à me
mortifier eñ me donnant des chevaux boiteux,
ou, quand ils étoient valides, la selle en étoit
dessanglée , de peur que je ne me laissasse em-
porter par mon désir vers le camp des Francais
qui étoit de l’autre bord de lArtubonite.
Camp de Plasac.
Comment étancher leur soif insatiable? com-
ment adoucir des fanatiques révoltés ? comment
détourner de leur proie les yeux étincelans
de ces vautours affamés ? comment apaiser leur
furie dévastatrice? comment les empêcher de se
repaître avec sang-froid de ces scènes de déso-
lation?
A Plasac, huit jours après le grand carnage
qui commencoit à se ralentir, Toussaint-Lou-
verture voyant les succès de l’armée francaise ,
et craignant de trouver en quatre cents Espa-
gnols forcés de se battre sous ses drapeaux , des
sentimens opposés aux siens ) résolut de s’en
334 VOYAGES
défaire, pour ne point avoir à redouter dans
cette troupe disciplinée , un obstacle à ses vastes
projets; 1l les fait désarmer la nuit, et de suite
l’ordre de mort, pendant le même sommeil,
est annoncé par le son fatal de la trompette : il
étoit minuit. Je fus éveillé en sursaut par un
peloton élancé vers mon ajoupa; voulant en
vain échapper à une mort inévitable, c’est
inutilement qu'ils cherchoient à fuir’ Où diriger
leurs pas ?..! la lueur funébre de torches allu-
mées les décéloit par-tout. Ma porte mal fermée
fut bientôt ouverte sous leurs coups redoublés ;
les prenuers sont sacrifiés par ma senunelle
même , et leurs corps dans leur chute viennent
rouler à mes pieds, en laissant échapper les
dernières plaintes de la Nature! Mon asile est
méconnu , violé , et devient un lieu de carnage ;
les balles sifllent de toutes parts, je n’ai que le
tems de m'élancer par une fenêtre étroite, pour
n'être point confondu , et ne point grossir
l'amas de ces sanglantes vicumes! Le dehors
n'étoit pas plus sûr : à mes côtés la mort planoit,
et je fus obligé de monter sur le chaume pour
me soustraire aux feux croisés. Ne trouvant pas
dans le fusil une arme convenable au raffinement
de leur cruauté, les nègres en viennent à la
baïonnette , et repaissent plus lentement leur rage
frénétique ; 1ls plongent et replongent leur cruel
D'UN NATURALISTE. 335
acier dans le corps des innocens soldats espagnols
pour sausfaire leurs yeux et leurs oreilles.
Enfin lés femmes qui avoient suivi leurs époux
éprouvérent le même supplice !
Quelques-uns de ces Espagnols, sans avoir
échappé à la mort, avoient trouvé pour leur
malheur les moyens d’en retarder le moment
fatal : cachés dans des boucauts et dan8 des
arbres creux, ils furent découverts! La soif
ardente de s’entretenir dans le crime fournit à la
troupe de cannibales l’idée monstrueuse de ces
tourmens.
L'un eut le corps scarifié profondément,
afin d'y pouvoir ranger des cartouches qu’on. y
allumoit. Non content de ces déchiremens dou-
loureux , on lui mit dans la bouche un énorme
marron d’arufice pour lui faire sauter la tête : ce
fui la fin du supplice!
Un autre eut les membres désossés, ét son
corps fut abandonné privé de son souuen!...!
Un troisième fut écartelé par des-arbres for-
cément arqués qui lui prirent chaque pied,
lesquels en se redressant déchirèrent le pauent !
Un quatrième... quel génie peut inventer un
tel supplice ?,..! eut les paupières arrachées , les
oreilles coupées ; il fut saigné aux quatre veines
par un digne complice de ce Sans-Souci dont il
a été déja parlé, et chassé du camp à coups de
336 VOYAGES
fouet, en lui disant d’aller porter cette nouvelle
aux autres ! Il ne fit pas un long trajet !.
_ L'ordre arrivé d’évacuer les ambulances pour
les établir dans les mornes des Cahaux , il fallut
travailler aux dispositions préparatoires. Il me
tardoit de quitter un champ inondé d’un nouveau
sang innocent, par l'espoir au moins de trouver
le repos et la paix dans la concentration de ces
doubles montagnes ; mais la valeur française qui
ne Conunoissont point d'obstacles, franchissoit les
endroits les plus escarpés, les plus périlleux,
enfin penétroit au milieu de retraites inconnues,
en nous forcant plus d’une fois de nous
déplacer.
L’inhumain Dessalines poussoit l’injustice au
point de me rendre responsable corps pour corps
de la mort d’un de ses soldats blessés ; et à cette
époque , d’après les états fournis, j'en comptois,
le jour de cette menace, trois nulle sept cent
vingt-deux, provenant des deux colonnes en
marche. Comme parmi ces malades il y en
ayoit d'aigrefins , j'avois soin de me les
attacher par quelques préférences, car leur
témoignage étoit d’une grande influence aupres
du tyran farouche et cruel, de ce Dessalines,
qui souvent dans ses tournées générales fit
fusiller des infirmiers pour des bandages mal
appliqués, en lançant toujours quelques propos
contre
D'UN NATURALISTE, 337
contre l'inspecteur; mes partisans soutenoient
alors ma cause, et apaisoient le courroux tou-
jours croissant de l'inexorable Dessalines. |
Je comptois parmi ces parusans plusieurs
colonels, dont l’un surtout très-douillet, pous-
soit les hauts cris aux pansemens d’une balle
morte qui m’avoit excité qu’une Jégère con-
tusion. J’avois bien som, comme on peut le
ptnser, de l’entretenir dans sa pusillanimité. Au
reste, je savois à propos ternir les plaies de ces
êtres méchans qui, trop tôt gunéris, n’eussent
plus fait cas de moi; et pour ne point rougir
de m'avoir quelqu’obligauion , eussent fort
bien pu se déclarer mes antagonistes : car leur
confiance, tant 1ls sont méfians, est souvent
accordée et retirée plusieurs fois le jour. Deux
événemens furent sur le pont de me coûter
la vie.
La colonne francaise, au grand étonnement
des noirs qui croyoient cette marche impra-
ücable, étoit de beaucoup plus élevée dans les
montagnes des Grands-Cahaux que notre ambu-
lance principale alors fixée, à mi-côte, au
Coral-Miraut (1). Le soleil n’étoit point
encore levé que je m’occupois déja de ramasser
(1) Ca pas z’hommes qui après grimpé là haut,
à haut, disoient les nègres, ça diab’ même.
Toue LIL, Y
335 VOYAGES
les plantes nécessaires aux ‘pansemens du
maun. Mon cœur semblant s’élancer vers des
hommes de ma couleur, j'avois trouvé le moyen,
de cafier en cafier, d'approcher d’eux. Je fus
apercu , et tout à coup cerné par les brigands ;
mais je ne me déconcertai pas, et je leur exposai
le besoin d’une plante qui ne se rencontre qu’au
haut des mornes. On me ramena à l’ambulance,
non sans murmurer; quant à moi, d’abord
confus, je repris mon sang-froid , et rentrai avec
un air d'importance, en grondant mes infirmiers
de ne m'avoir pas suivi.
Une autre fois on m’amena un dragon blessé
dangereusement par l'explosion d’une poudrière
dont il lui avoit été ordonné d’allumer la mèche.
Cet homme inepte avoit eu la bonhomie de
rester auprès à fumer sa pipe. L'explosion ayant
eu lieu , 1l fut jeté à vingt-cinq pas de sa place,
eut les deux jambes cassées, la tête brûlée, un
œil crevé, la poitrine ouverte, une clavicule
luxée ; enfin, en arrivant à l’ambulance, 1l
n’avoit plus forme humaine. Il avoit pour père
un nommé Jarnak, cuisinier de M. Coursin,
habitant de l’Artibonite, Ce Jarnak, maître
assassin , qui conduisoit son fils, me le recom-
manda avec menaces. Je frémissois au souvenir
de ma terrible responsabilité ; cependant il falloit
répondre avec assurance , et ne point hésiter.
D'UN NATURALISTE. 339
Au renouvellement du premier appareil, trou-
ant toutes choses en bon état, les brûlures
guéries (1), je consolai son père qui, pleurant
à mes pieds, devint mon pourvoyeur et mon
cuisinier. Îl est bon de remarquer qu'après
avoir brülé nos habitations, nos magasins rem-
plis de coton, dix-sept caisses d'histoire naturelle,
recueillies dans mes voyages, et contenant les
préparations anatomiques du caïman; plus de
deux mille cent planches de mes ouvrages mis au
net; qu'après n'avoir pris tout ce que je possé-
dois , ils ne me donnoient point même de traite-
ment. Sans ration ni graüfication , É vivois des
dons de mes malades, qui par jour m’apportoient
de quoi nourrir une vingtaine de PUCES
attachées à ma suite, parnn lesquelles j’avois le
bonheur de compter quinze blancs ramassés
dans les bois où ils vivoient errans, échappés
au massacre, ©t que j'avois nommé 77es £1i-
Jirmiers. :
Tout se passoit bien lorsqu'une fusillade pro-
chaine fitlever l'ambulance. On y laissa pourtant
ceux qui étoient hors d'état d’être transportés. Le
père du brûlé, Jarnak , craignant les Français , au
souvenir de leur sang qu’il a versé et qui crie
QG) Voyez son traitement par les plantes du pays,
dans mon Manuel indicateur des plantes des Antilles.
Y 2
340 VOYAGES
vengeance , fait disposer un hamac pour son fils.
En vain je lui représente que ce moyen est tota-
lement inconvenable, que les fractures vont se
rétablir, que son fils mourra; 1l ne veut rien
entendre. On l’emporte malgré moi, en disant
qu'il m’étoit facile de parler ainsi, puisque
c'étoient mes camarades, etqu’eux au contraire,
comme ennemis des blancs, alloïent être traités
sans quartier, Enfin ils montérent le malheureux
blessé par des ravines si dangereuses à escalader ,
qu'ils le renversèrent dans une falaise profonde,
où ii disparut bientôt à nos yeux sans que ses
dermiers cris aient pu se faire entendre. L’armée
française n'ayant pas paru, on jeta sur moi la
faute , et j'en devenois peut-être la vicume , sans
la ronde du général Vernet.
Les brigands passèrent la nuit dans des in-
quiétudes mortelles, et rassemblés autour de
leurs boucans , ils interrompirent souvent mon
sommeil par leurs qui vive immodérés. As-
soupi vers le maun, j'ouvrois à peine mes pau-
pières, couché depuis un mois à la belle étoile,
sur une terre humide , en pente et rocailleuse ,
exposé d’ailleurs à une température froide, au
pied d’un oranger , n'ayant pour oreiller qu’une
grosse pierre brute, qu’un nouveau piége m'étoit
ourdi.
Le commandant Léandre, propriétaire des
D'UN NATURALISTE. 34
salines , et assassin de toute la famille Rossignol-
Desdunes à laquelle j'appartenois, sachant que
dans les Cahaux 1l existoit encore un de ses
rejetons, quitta ses camps, ses pillages, pour
venir assouvir une autre fois sa cruauté. Il
n’osoit exécuter son crime publiquement ; 1}
craignoit Dessalines, la surveillance de mes
malades , et plus encore la vigilance du vieux
Pompée, qui nuit et jour, aux dépens de son
repos, baranguoit en ma faveur les blessés, et
montoit là garde autour de moi, armé de son
long pistolet. Voici donc le stratagême inventé
par la plus noire perfidie. Léandre m’envoya
quatre dragons et un cheval de monture sellé et
bien harnaché, avec invitation de venir au se-
cours de sa femme qui venoit d'accoucher d’un
enfant mort , et étoit dans le plus grand danger.
Mon heure sûrement n’étoit point encore venue !
Je me senus de la répugnance à faire cette démar-
che; de son côté Pompée , saisissant le tafia, offre
la goutte aux quatre dragons, les fait jaser, puis
de suite monte la tête des malades, afin qu'ilsne
me laissent pas parur, en disant que jeleur suis
spécialement destiné, etque le général Dessalines
seroit offensé de la moindre absence. Convaincus
de la vérité de cette assertion par le vieux
Pompée, ces envoyés se lèvent en masse, ap-
pellent un autre officier de santé, M. Conain,
d'a
342 VOYAGES
respectable praucien de Saint- Marc, le font
monter à cheval, et m’entourent en me cares-
sant. Un génie bienfaisant veilloit assurément
sur mes jours , puisqu'à l’arrivée de M. Conan,
le commandant Léandre se voyant confondu,
le renvoya brusquement sans lui offrir de ra-
fraichissemens , contre l'usage du pays, et lui
cria de loin qu'il n’avoit plus besom de son
ministère.
Les culuvateurs, moins féroces et toujours
trompés , sout les plus à plaindre. Conunuel-
lement vexés par le premier soldat, ils secoue-
roient le joug s'ils l’osoient, mais le système de
terreur qui pèse sur celte classe opprimée,
affoiblit leurs sentimens; et cette terreur pa-
nique a tant d'empire, que même entr'eux ils
craignent de se raconter leurs peines. Je vais, en
passant, fournir un exemple de cette tyrannie
inconceyable.
Lorsque je fus conduit pour la dernière fois
sur l'habitation Rossignol-Desdunes, la mieux
ienue et la plus riche en bras de toute la
plaine de l’Arubonite, dont enfin la restauration
ne fut qu'imaginaire par son triomphe éphé-
mère, } y trouvai quatre bataillons de nègres qui
l'avoient, cernée, et qui faisoient mettre bas les
armes aux nombreux culüvateurs dont une partie
s'étoit réfugiée dans les marais des mangles,
D'UN NATURALISTE. 343
pour échapper à leurs recherches, et être libres
de leurs volontés. On ne se contenta pas,
moi présent, d'y brüler tout ce que j'y pos-
sédois; le coton entassé s’enflammant avec peine,
le commandant Garçon, chef d’escadron des
guides de Toussaint-Louverture, etnotre ennemi
juré, en faisoit hâter l'incendie avec des torches
goudronnées , des paquets de cardasses dessé-
chées, et des coups de feu réitérés. On pilloit
aussi tous les culuvateurs, on tuoit leurs ani-
maux domestiques , et tout en maltraitant ces
malheureux , on les forcoit encore de porter
eux-mêmes ces provisions pour la troupe , et
cela sans aucune rétribuuon. En vain ils vou-
loient éteindre le feu mis à leurs grains , on les
repoussoient impitoyablement , en les forçant de
marcher promptement, et fusillant les traineurs
pour inspirer aux autres une terrible frayeur.
Arrivés aux montagnes des Grands-Cahaux ,
après dix-huit lieues de marche, on leur fit dé-
poser leurs fardeaux énormes de viande à moitié
gätée , en leur prescrivant de ne point s’écarter
du camp, sous peine de mort. Ainsi près de
quarante mille culuvateurs de divers quaruers,
tels que Plaisance, Limonade, le Pilate , le
Gros-Morne, les Gonaïves, la Désolée, l'Aru-
bonite, le Cabeuil, la Peute-Rivière, Saint-
Marc, le Mont-Roii , etc. n’étoient maintenus
YA4
344 VOYAGES
dans cette discipline rigide et inhumaine que
par un simple cordon de troupes, à la vérité
inexorables. Il n’étoit point permis à ces esclaves
culüivateurs d'aller au loin chercher une nourri-
ture dont on les avoit frustrés; on poussa la
barbarie, quoiqu’on ne leur donnät aucune ration
dans ces parages dépourvus de ressources, jusqu’à
leur refuser la permission d’aller ramasser une
perue de leurs bestiaux inutilement égorgés
et sans profit pour personne,
Un d’eux , à mon ambulance du Corail-
Miraut, mourant de faim, fut trouvé occupé
à couper à lParbre un régime de bananes, par
Laurette homme de couleur , aide de camp de
Dessalines, qui lui traversa le crâne d’une balle
qui pénétra précisément dans l’œil où 1l le visoit.
Je ne sais si c’éloit pour essayer son adresse,
ainsi que tous ces soldats noirs l'exercoientsur les
pauvres prisonniers, mais, au Coup de pistolet,
ayant mis des soldats à la découverte, je vis
arriver Laureite en riant, puis essuyant son pis-
tolet, il me cria de loin : « Moué pas manqué
» di, c’est ca bèn üré»!!!
Au reste, les capitaines ont droit de vie et de
mort sur leurs soldats, sans avoir besoin d'ap-
peler un conseil militaire, ce qui hmiteroit leur
autorité despouque. C’est pourquoi les nègres
D'UN NATURALISTE. 343
culuvateurs, révoltés intérieurement de cette
suprématie injuste, voudroient trouver entr’eux
et les militaires noirs une puissance intermé-
diaire qui püût les protéger. C’est bien ce que
craignoit Dessalines, qui avoit soin de les écarter
des villes , de peur d’une désertion en masse. Le
pouvoir des chefs actuels des révoltés ne üent à
rien, et le moyen le plus sûr de les subjuguer
seroit de diviser leurs cohortes, et de les con-
vaincreencore plusintimementquecetteexistence
vagabonde n’en est plus une, et qu'il est un
terme à tout ;. ce qu’ils comprendroient d’autant
plus facilement qu'ils sont las de voir sans cesse
en proie au brigandage leurs animaux domes-
üques, les produits de leurs jardins, et qu'ils
regreltent hautement les douceurs qu'ils rece-
voient au tems des habitations bien disciplinées.
Les malades surtout, qu'on laisse à présent
périr faute de secours, font les vœux les plus
ardens pour le rétablissement des anciennes
infirmerics, où tous les soins leur étoient pro-
digués ; et les jeunes mères soupirent en se rap-
pelant les cadeaux que l’on faisoit à chacun de
leurs nouveaux nés, et dont il ne reste plus
que l’agréable souvenir.
Leur rapprochement des phalanges meur-
trières rendirent cruels les culuivateurs témoins
de leurs abominauons , en les électrisant du même
346 VOYAGES
feu de vengeance, et si leur stupeur leur ôtoit le
triste mérite de l’innovauon, ils étoient exécu-
teurs. Toutefois , sans piué pour les soldats
blancs qui perdus dans les bois et accablés de
fatigue, croyoient, en mettant bas les armes,
trouver protection et vie, ils les conduisoient
aux chefs de la horde en les frappant cruellement.
C’est aux Cahaux que des supplices atroces
leur furent préparés. Par exemple, après avoir
coupé aux uns les extrémités, attaché leurs
membres, on les suspendoit à huit pieds au
dessus de terre, accrochés par la mâchoire infé-
rieure à un piquet de bois très-aigu, et on Jes
y abandonnoit, remettant au tems seul de les
tourmenter plus lentement. Ainsi exposés le jour
à l’ardeur d’un soleil brûlant etinsupportable, le
soir et la nuit à l’incommodité inexprimable de
légions sans nombre de vareux , moustiques et
maringoins attirés par le sang dont ces victimes
étoient frotiées , 1ls ne passoient jamais plus
de trente à quarante heures dans cette torture
inouic !
Tantôt, quand il se trouvoit un baril de
farine vide , on y enfermoit le malheureux
prisonnier, et 1l étoit précipité du haut d’un
rocher dans une falaise rocailleuse ,, lardé
par les épines et les éclats de verre qu'on y
introduisoit avec lui! Ce supplice excrtoit de la
D'UN NATURALISTE. 347
part de ces cannibales, des éclats de rire im-
modérés. |
Une autre fois! je le vois encore courbé sous
sa douleur !. un officier français fut pris.
Sans égard pour son âge, 1l est mis nu et hon-
teusement fouetté de verges épineuses pour le
préparer au supplice le plus affreux. On lus
enlève la plante des pieds avec un rasoir ébréché ;
il est mis debout, les nerfs à découvert, et on
le force à coups de fouet de courir sur des
épines semées exprès pour augmenter ses souf-
frances! L’infortuné Français tombe à quelques
pas. on le relève avec brutalié!... Sa sueur
douloureuse inondoïit son visage abattu !... On
le harcèle; on le force encore à courir quelques
pas : 1l est atteint du tétanos, tombe sans con-
noissance, et meurt lapidé. La cohorte lavoit
abandonné sans sépulture , et deux jeunes
enfans revinrent à la charge, et lui cassérent les
dents à coups de pierres. Le malheureux n’étoit
déjà plus!!!
Nous eûmes l’ordre de reporter l’ambulance
des montagnes au Calvaire : c’est dans ceute
route pémible que nous trouvâmes le corps du
fameux Aignan, lassassin le plus cruel de tous,
entouré de quatre corps blancs bien conservés.
Ce ügre fut reconnu avec étonnement , ayant la
main droite déchirée, pourrie, et tous les os
348 VOYAGES
disloqués. Ce monstre renouvela linvenüon
barbare de la chasse aux hommes. C’est lui qui
mettoit, à la quête des réfugiés dans les bois, des
chiens qu’il agacoit pour les exciter à la décou-
verte, satisfaire son avidité inhumaine, etrougir
ses membres d’un sang innocent.
L'aide de camp Diaquoi, qui plus d’une fois
m'avoit donné des preuves manifestes de son
sincère dévouement à la classe opprimée, m’at-
tendit un jour à ambulance de la grande place
Miraut, au bas du fort de Za Créte-à-Pierrot.
Je le trouvai, au retour de ma ronde générale,
assis ; près de la rivière, sous les panaches flottans
d’un épais bambou. 1] avoit la tête appuyée sur
ses mains, et les yeux fixés vers la terre. Îl
songeoil à moi, ainsi que me le confirmérent sa
surprise et quelques larmes versées sur le sort
qu’on me préparoit.
Ce bon noir, après m'avoir considéré en
silence, s’élanca vers moi, s’écriant : « Non,
» vous ne périrez point »! Puis 1l me détailla le
sujet d’une conférence dans laquelle Dessalines
m'avoit condamné à mort, se voyant à la veille
d’évacuer ses postes, perdant tout espoir, et
voulant n'ôter la consolaüon de rejoindre les
Français. Il m’apprit les noires calomnies des
chefs contre lesquels je n’étois formellement
prononcé; me dévoila leurs stratagèmes ma-
D'UN NATURALISTE. 349
chinés par leur esprit de prépondérance, al-
lumés au feu de leur ambiuon jalouse ; leur
noire perfidie enfantée dans l’ombre de la ma-
lice et du mensonge; leurs faux témoignages
que fit déclarer la soif ardente de mon sang, d’un
sang Si long-tems désiré.
« Ces propos, me dit le brave Diaquoi, atten-
» tatoires à votre sûreté personnelle et tramés
» dans les camps, se sont développés ce maun
» sous les couleurs les plus sinistres : l’infirmier
» que vous aviez rejelé pour cause d'incapacité
» a vomi contre vous, devant le général Dessa-
» lines , tout ce que la calomnie peut inventer
» de plus atroce et de plus impudent, jusqu’au
» point qu'il osa vous traiter d’emnpoisonneur de
» nègres. Eh ! où sont donc vos vicumes ?.......!
» Æmpoisonneur!sécria Dessalinesenfureur.….,
» 1l périra. À ces mots suivis d’un morne
» silence, tremblant de ne trouver personne
» sur qui 1l püt assouvir sa rage dévorante, il
» la fit rejaillir sur moi qu'il sait vous être
» dévoué; je m'évadai secrétement du conseil de
» discipline, et je me glissai jusqu'ici à l’aide
» des campèches iouffus et des cotonniers ; mais,
» poursuivit Diaquoi, vous n’avez pas un
» moment à perdre ; Dessalines est actif dans ses
» résolutions, peut-être déjà même le général
» a-t-1l mis des émissaires dehors, travaillons
350 VOYAGES
» donc sur-le-champ à assurer notre fuite ; la
» colonne francaise est sur l’autre bord de l’Ar-
» übonite guéable au peut passage , il ne s’agit
» que de tromper la surveillance de quatre sen-
» tinelles, pour exécuter notre projet cette nuit
» au lever de la lune. : |
» Tromper la vigilance des quatre sentinelles
» n’est pas chose impossible, lui répondis-je,
» ceci est mon affaire ; ne pensons plus qu’à
» réunir un noyau respectable de personnes du
» même sentiment, à bien nous armer , et à ne
» point commettre d’indiscréion; enfin dissi-
» mulons notre joie ».
Nous allämes trouver Mr Say, chirurgien
en chef, Clemenceau, Bouilll père et fils, et
aprés être convenus de nos faits, chacun s’occupa
de préparer ses armes; plusieurs hommes de
couleur se réunirent à nous pour grossir noire
peloton. Il fut donc arrêté que le soir du même
jour, Diaquoi, en se promenant, toussant,
ruminant , enfin tout en jasant avec les senti-
nelles qui ne le savoient point disgracié, leur
feroit désirer un coup de tafia dont ils étoient
frustrés depuis si longiems , qu’il feroit valoir
son artifice, et vanteroit sa générosité, que la
bouteille seroit ouverte, puis rebonchée,
qu’enfin il en seroit donné une rasade à la
dérobée , et sous condition expresse d’une exacte
D'UN NATURALISTE. 351
surveillance, Belle promesse! le tafia contenant
de l’opium devoit les mettre hors d’état de
service. |
L'espoir adoucissoit nos maux , et calmés par
cette flatteuse illusion, nous éuons déjà au milieu
de nos frères , et leur racontions en pensée nos
aventures, lorsqu'une joie trop prématurée fit
échouer tous nos projets. Notre escouade au
nombre de quatorze, fut apercue par les blessés
de l’ambulance qui toujours nous surveilloient
de fort près : cet amas d’armes qu’on n’y voyoit
pas ordinairement, un mouvement trop confus,
des ris involontaires naissant et disparoissant
soudain , des signaux de silence, des œillades,
quelques confidences encore plus mal-adroites
faites à voix basse, décidèrent de suite des
attroupemens , des murmures, enfin un député
vers Dessalines pour linstruire de ce qui se
passoit.
Bientôt arrivent à toute course huit dragons
porteurs d’un ordre de Dessalines, de me con-
duire au fort , ainsi que M. Say. Nos satellites
ayant été sommés de ne pas répondre à nos
questions, leur silence farouche nous glaca
d’effroi. Les compagnons d’infortune dont nous
éuons séparés, pressentant notre mort pro-
chaine , se returoient de nous en cachant leur
douleur pour dissiper nos alarmes, et par là
352 VOYAGES
retarder nos tourmens. Nous montämes la
croupe du zzorne dans un état taciturne et
langoureux , souvent baignés d’une sueur froide,
présage avant-coureur d’une mort violente;
heurtant à chaque pas, dans cette obscurité pro-
fonde , les cadavres infects et à denn-démembrés,
vicumes de l’atiaque de. la surveille, Nous nous
figurions ce tombeau des blancs, vallée de
larmes à répandre, devoir être aussi le lieu de
notre sépulture. Il nous sembloit déjà être
assaillis , abattus, percés, expirans..…. Enfin
notre imagination frappée ne parvint à s’éclaircir
qu’au premier qui vive des sentinelles avancées
du fort redoutable. s
Crêéte-a-Pierrot.
Le brouhaha du camp, la retraite qu’on ÿ
battoit , la transiuon subite du silence à cette vie
bruyante, nous fit conjecturer qu'écartés et
qu’éloignés des monceaux de corps morts, élevés
au dessus des précipices qui nous faisoient
horreur, nous ne péririons pas sans être en-
tendus.
Le pont-levis fut baissé, et la premicre per-
sonne que nous y apercümes, fut Dessalines ,
roulant dans ses mains la fatale tabatere : il
s’avance vers nous, gronde, mais se posséde
assez pour concentrer sa vengeance , ei nous dit,
d’un
D'UN NATURALISTE. 353
d’un ton aussi dissimulé qu’impérieux : « Zes-
» pion” fien’ à moué (1) veni là jourdi; yo di
» moué comm’ ca, qu'vzautr” vlé quitté moué ;
» moué pas cré ça pièce. Ça pas fait à rien :
» moué connoi tout’ blanc france, moutons
» danda laÿo après veni doumain grand bon
» maün à z’assaut. Si VO entré, vous va mourir...
» Si yo poussé là bas, vous va pauser moue et
» camarad’ à moué qui blessés... Grénadiers,
» condui blancs là coucher » ?
Quelle récepuon ! que de réflexions à faire
à la veille de la décision de notre sort! quel
souhait former en pareil cas?! Après ce
discours de Dessalines, on nous conduisit en
silence sous un hangar où nous passämes une
nuit douloureuse, dévorés d’angoisses mille fois
- plus cruelles que la mort.
Dessalines avoit été bien instruit : /a diane
avoit été interrompue par un coup de canon üuré
du fort sur un peloton qu’on apercevoit au bas
(1) Mes espions sont venus me trouver aujourd'hui;
ils m'ont dit que vous vouliez in’abändonner ; je ne
le crois point. Au surplus, je sais aussi que les Français
se proposent , demain de grand matin, de venir monter
à l'assaut. S'ils sont victorieux.... vous êtes morts...
S'ilssont repoussés, je vous laisserai vivre pour me
panser, ainsi que les autres soldats, en cas de blessure.
Tome lil, £
354 VOYAGES
de la montagne. Dessalines sans repos, sans
sommeil , étoit déjà, la lunette à fa main,
occupé à donner de$ ordres préparatoires contre
un assaut bien combiné , à diriger son arul-
lerie, à garnir les basunguages d’un triple rang
de mousquetcrie, à faire enfin des signaux à la
À )
5
Martinière , commandant la redoute placée prés
du fort.
Tout étant ainsi disposé, Dessalines vint à
nous , et nous dit : « (1) Na pas quitté chambr”
» à vous jourd'i là ; songé malades layo assez...
» Tiembé vous tranquilles, Dessalines après
» batt’ pour vou’z'aut” ».
2
Les colonnes s'étant d’abord avancées, mais
l'attaque en fascines ayant été remise à quelques
jours plus tard , il n’y eut de part et d’antre que
quelques blessés. On nous fit panser ceux du :
fort; mais la garnison sorut pour aller exercer
sur les blessés restés sur le champ de bataille, des
cruautés inOuies , accompagnées de hurlemens
hornibles !
Après une vive canonnade de six heures sur
les troupes francaises, la horde révoltée sortit de
(1) Vous ne sortirez point de votre chambre, et
vous ne vous occuperez que de vos blessés... .., Soyez
tranquilles, Dessalines va se battre pour vous.
D'UN NATURALISTE. 355
son fort redoutable, pour se repaître à son aise
de la vue des blessés qui, partie dans les fossés,
parue déja élancée vers les basunguages, n’avoient
pu être ramassés par leurs frères d’armes! C’est la
que, violant les droits sacrés de la guerre, ils
martyrisérent six soldats intrépides de la cin-
ième demi-brigade légère , par des tourmens
dont le récit seul fait horreur. Ces prisonniers
étoient français, voilà tout leur crime! Et moi
français , j’étois témoin de ces supplices, et sans
cesse exposé, au moindre signe de piué, à
éprouver le même sort, en aturant sur moi
la coupable indignation des nègres qui me rete-
noient capüf | :
Les femmes, plus féroces encore, sorurent à
la tète de cette légion démoniaque, dont la
marche étoit annoncée par des cris affreux et
confus. Le premier Français sur lequel ils se
jetèrent étoit jeune; 1l est dépouillé, éventré,
a le cœur arraché , rôti, mangé; tous s’abreuvent
au ruisselement de ses artères! ..... Il n’est
plus 1.352
Le second fut dévirilisé, eut les intestins arra-
chés, enfin fut rôu!
Le troisième plus âgé, se plaignant de leur
dureté inhumaine, eut les membres cassés, et
fut dépecé comme un animal. Ils insultoient
La
356 VOYAGES
encore aux lambeaux dispersés, aux ossemens
rompus de cette victime innocente!
Le quatrième et le ciñquième eurent le corps
déchiré pour y couler des balles fondues, puis
attachés ensemble, et jetés dans une casemate
de six pieds carrés, où on les laissa expirer l'ap
après l’autre de faim et de douleur.
Le sixième eut les yeux crevés et arrachés;
les ongles extrpés , le crâne scié , dans lequel les
noirs burent, à la ronde , de son sang fumant; ses
restes ensanglantés mis sur un petit feu , autour
duquel ces barbares dansoient en confondant
leurs hurlemens aux plaintes à demi étouflées
des mourans qui expiroient dans des tourmens
affreux ! |
Un officier de la soixante-dix-neuvième demi-
brigade fut également amené au fort, Dessalines
l'ayant arraché aux anthropophages qui l’avoient
déjà cerné pour le supplicier. On eût bien voulu
le faire parler, mais ce brave nulitaire, sans
s’épouvanter de Ja barbarie-de ses bourreaux ,
garda le silence. On ne me permettoit de le
panser que le dernier.de tous , et j’avois beau-
coup de peine à lui faire passer une nourriture
que les barbares lui refusoient. I fut délivré
le jour de l évacuation.
Pendant l’action , Dessalines, en commandant
les feux, tomba sur un piquet, et se meurtrit la
D'UN NATURALISTE. 357
poitrine. La douleur qu'il en ressentoit le lende-
main l’obligea à n’appeler pour lui préparer un
breuvage capable de le soulager , et de prévenir
les accidens de la contusion. J’envoyai un de
ses dragons à la montagne, à l'effet d’y chercher
des feuilles et de l'écorce du précieux vulnéraire,
le sucrier (1); mais la pouon étant préparée, 1l
refusa de la prendre, en me soupconnant de
quelque mauvaise intention à son égard. Sa
haine se ralluma injustement contre moi, et
quoique quelques momens auparavant il m’eut
parlé sans apparence de ressentiment, 1l concut
d’horribles projets qu'il couva dans son sein,
pour les développer plus tard avec ce sang-froid
politique, cette joie feinte qui caractérisent si
bien l’homme cruel et vindicauf.
Concentré dans ses noirs desseins, isolé dans
ses fatales réflexions , séquestré de son état-
major , 1l passoit dans un petit pavillon des jours
d’inquiétudes et d’alarmes. Ce n’étoit plus Des-
salines revêtu de ses riches broderies, de sa
ceinture magnifiquement frangée ; 1l ne montoit
plus un coursier fougueux , accablé sous le poids
de ses harnois d’or massif, lui-même éperonné
du même métal. Sa tête naguères parce d’un
(1) Voyez mon Manuel indicateur des plantes
usuelles des Antilles.
Z.5
358 VOYAGES
chapeau brodé, garni de son panache flottant ,
n’étoit plus décorée de ce fameux peigne à dia-
- mans, qui seul eût fait la fortune d’un malheu-
reux! Dessalines n’étoit plus le même; ce n’étoit
plus le conquérant de la partie du sud, il avoit
des Francais à combattre... L’oœil morne et
troublé , la bouche grincant de rage , vêtu gros-
siérement d’un gilet gris à manches, d’un de
dessous écarlate, les bottes mal-propres, des
éperons de fer, un chapeau rond percé , sans
peigne qui ne lui servoit d’ailleurs que d’orne-
ment, puisqu'il portoit une queue; son cheval
toujours fougueux , pour fuir au besoin, étoit
très - simplement recouvert d’une peau de
mouton. Enfin Dessalines avoit l'oreille très-
basse, et il ne la redressoit qu’à la prise de
quelques prisonniers francais , sur lesquels il
éteignoit le feu dévorant de ses caprices et de
son inimilé. Hot +
Son état-major mouroit de faim ; fui-mèême,
sans table paruculiére, se contentoit de deux
‘bananes boucanées sous la cendre. Il ne nv'of-
froit ni d'argent pour acheter, n1 de permis
pour aller en maraude : ne pouvant demander
à personne , j'étois réduit à attendre du souvenir
de mes malades , quelques mets grossiers, et du
maïs grillé dont je fus obligé de me nourrir.
Mais bientôt, sous le rapport de la table, tout
D'UN NATURALISTE. 309
changea de face, M. Say ayant fait venir pour
nous deux des provisions de ‘sa batte de Ja
Savanne-Brulée, située de l'autre côté du fort.
Quelquefois dans ses momens d’espoir , voici
quel étoit le calcul de Dessalines , etquel discours
il tenoit à ses officiers : « (1) Vouz autr’ tiembé
» cœur... tembé cœur, moi dis vous : blancs
» france layo pas capab” tenir contr” bon homme
» Saint-Domingue ; yo va aller, aller , aller,
» puis va rester; yo va malades, yo va mourt
» comme mouches. Coutez bèn si Dessalines va
» rendre cent fois, h va trahi cent fois. Ainsi
Le
(1) « Prenez courage.... prenez courage, vous
» dis-je, les Français ne pourront pas résister long-
» tems à St.-Domingue; ils marcheront bien d’abord,
» mais bientôt ils seront retenus malades, et mour-
» ront comme des mouches. Ecoutez bien : si Dessa-
» lines se rend cent fois à eux, 1l les trahira cent
» fois. Ainsi, je vous le répète, prenez courage, et
» vous verrez que quand les Français seront en petit
» nombre, nous les inquiéterons, nous les bataille-
» rons, nous brülerons leurs récoltes, puis nous nous
» sauverons dans nos mornes inabordables. Ils ne
» pourront pas garder le Days, et seront forcés de
» le quitter. Alors je vous rendrai indépendans. I]
» ne faut plus de blancs parmi nous; nous sommes
» assez pour fabriquer des pirogues, et aller prendre
» à l'abordage tous les bâtimens de commerce que
» nous trouverons dans nos croisières ».
Z 4
360 VOYAGES
» moi di vou z'autr tiembé cœur, et pis vous va
» voir quand yo va p'üt, p’üt, nous va chicaner
» yo, nous va bat’ ÿo, nous va brülé toutes
» récoltes layo; puis nous va caché dans mornes
» à nous. Êh , que yo capab’ tenir; yo va aller...
» Après, Dessalhines va rend’ vou z'autr’ libres.
» Blancs caba parmi nous ; blancs caba outi
house... Nou z'autr’ assez pour gagner pi-
» rognes, et aller prend’ toutt bâtmens layo
4
> qui apres filer dans mer ».
Dessalines, après avoir ainsi harangué la gar-
nison , sut par ses espions que les Français se
proposoient de bombarder le fort. Il fit tout son
possible pour les inquiéter dans leurs travaux
dont les suites devoient être funestes à sa retraite
mal .assurée. La forteresse n’offroit le secours
d'aucune provision de bouche; on n’y avoit
pas même d’eau, quoiqu’à la portée d’une rivicre;
et par dessus tous ces inconvéniens, on avoit
à redouter dans le bombardement, les éclats des
roches énormes dont le fort étoit pavé et par-
tout hérissé ; ce qui assuroit le mortel effet
des bombes qui devoient y tomber. Après avoir
réfléchi sérieusement anx dangers qu’il avoit à
courir , en restant présent à celte atiaque, Des-
salines résolnt le soir de la veille de lattaque
de sortir sans tambour n1 tompette, accom-
pagné seulement de ses secrétaires et de ses
D'UN NATURALISTE. 361
aides de camp. Lorsque je le vis ainsi disposé,
je lui demandai la permission de le suivre, ne
jugeant pas ma présence nécessaire dans le fort
où il ne m’avoit fait appeler que pour lui.
Tiembé cœur , me dit-1l, ca bèntét caba (1).
Quelle profonde scélératesse ! d’une main il
serroit la mienne en souriant, de l’autre ,le traître
donnoit derrière lui au chef d’arullerie (2),
l’ordre de me faire sauter avec la poudrière en
cas d'évacuation. Je fus bien prévenu de la
trahison qui m’étoit réservée, par cet officier
que j'avois guéri autrefois d’une ophtalmie
dangereuse ; mais quel pari prendre ? je ne
pouvois prévenir les malheurs qui m’étoient
préparés. Ainsi l’idée d’une mort prochaine et
inévitable nourrissoit de nouveau ma douleur
d’une mélancolie noire et accablante , lorsque je
me rappelai un songe que j'avois eu quelques
annéesauparavant,etquim'avoit toujours frappé;
les événemens me prouvèrent que c’étoit un
pressentiment. Je me vis en rêve au milieu du
bombardement de ce même fort que je ne con-
noissois pas à cette époque. Les bombes et
(1) Prends courage, me dit-il, cela va bientôt
finir.
(2) M. Macé, capitaine artilleur des Gonaïves.
362 VOYAGES
obus éclatant à mes côtés, je les voyois
renverser les soldats, les mutiler, jeter par-tout
l’épouvante, et ne me faire aucun mal.
Le lendemain le bombardement commenca,
dura trois jours et trois nuits pendant lesquels
on ne put prendre aucun repos. Les feux se
croisant de deux parties opposées, nous lancoient
sans interrupuon ou des bombes, ou des obus,
ou des boulets ramés dont le passage rapide
entraînoit la chute des charpentes fracassées.
Le feu ayant été mis par l'explosion des bombes
près des tentes construites en feuillage de lata-
nier, on fut obligé de les démembrer, et de les
jeter dans les fossés.
Occupés à valler conunuellement à la chute
des bombes, nous les éviions quand leur
explosion n'étoit pas trop soudaine; on voyoit
néanmoins à chaque instant des membres épars,
des ironcs ensanglantés de malheureux qui n’a-
voient pu se soustraire à ces terribles effets !
Un canonnier ayant apercu une bombe tomber
près de son ami malade, regardant son sommeil
comme précieux, ne voulut pas le réveiller.
1 s’élançca sur la bombe, coupa la méche
allumée, et délivra par cette intrépidité son ca-
marade dont la mort paroissoit inévitable,
'
D'UN NATURALISTE, 363
_ Un grenadier ne fut pas aussi heureux. lvre
de sommeil dont nous étions privés depuis trois
jours, el s’y abandonnant malgré l’éminence du
danger, un obus tomba près de lui; on lui
cria de s’en garantir en se jetant le ventre par
terre; mais encore appesanti, à peine s’étoit-1l
frotté les paupières qu'il disparut à nos yeux.
Ün morne silence régnoit par-tout , afin de
mueux prêter l'oreille à l'explosion de la batterie
française qui nous indiquoit d'avance le passage
de ces produits destructeurs. À la vue de leur
sillon de lumière, un cri général étoit poussé ;
puis jugeant de la direction de la parabole,
aux mots unanimes de gare & la bombe , de
longues files de soldats tombés les uns sur les
autres vouloient forcer ma chambre où ils se
croyoient plus en sûreté. Enfin l’emborras que
ces êtres pusillanimes nous causoient dans la
préparation de nos bandages étoit si grand, que
je fus contraint pour cetie raison, autant que
pour ménager nos vivres el notre eau , de metire
à la porte de mon réduit deux senunelles armées
d’espingoles.
Les cris des blessés s’élevoient dans les airs.
On blasphémoit contre le nom francais, et les
malades mêmes que je pansois m'insultoient par
leurs outrages. On me retira les infirmiers blancs
364 | VOYAGES
dont je m’étois entouré (1), pour les forcer de
faire des cartouches, et fondre les balles qu’on
desunoit à leurs compatriotes.
Les troupes privées d’eau et de pourriture
avec cette chaleur accablante, obligées de mâcher
des balles de plomb dans l'espoir d’étancher leur
soif insupportable, provoquoient par cette tritu-
ration une salive bourbeuse qu'ils trouvoient
(1) De ce nombre étoit M. Vauthier, préposé de
l'administration des domaines aux Gonaives, que
Jeus le bonheur d’arracher deux fois des mains des
brigands, mais qui finit par être supplicié en exerçant
ses fonctions de préposé lors du rétablissement ap-
parent de l'ordre. M. Vauthier fut remplacé le
15 prairial an x par M. Masson-Durondon, auquel je
suis lié dès la plus tendre enfance par les droits de la
nature et de Famitié. Actuellement sous-inspecteur
des eaux et forêts à Boiscommun, cet agent honore
ladministration qui le possède, par ses talens, son
activité, et le sacrifice constant de ses intérêts personnels
pour ceux de la partie qu'il a embrassée. Le Gou-
vernement ne sauroit trop tôt reconnoitre les services
de ce zélé forestier par un avancement qui ne seroit
pointune faveur. M. Masson-Durondon qui possède une
pépinière intéressante, et une collection rare de bois
indigènes et exotiques, travaille depuis trois ans avec
moi à deux ouvrages didactiques sur les eaux et forêts,
que des expériences multipliées ne nous ont point
permis de publier jusqu'à ce jour, mais que nous nous
proposons de livrer incessamment à l'impression.
D'UN NATURALISTE. 365
encore délicieuse à avaler. Ils souffroient sans
se plaindre, par l’espérance de se venser. Lan-
guissans de faim, agités par la peur, ces soldats
promenoient ces deux sensations opposées sur
leur figure moribonde.
Pendant cette affreuse calamité, travaillant
sans salaire, privé, ainsi que l'agneau que l’on
va égorger, d’une nourriture qui me devenoit
inutile , un Dieu veilloit néanmoins à mes
besoins, et sans le secours des chefs qui m’avoient
établi, j'avois de l’eau, du pain, du vin, du
tafia , et autres provisions qu’eux-mêmes eussent
bien désiré de posséder, quoiqu'il ne fut guères
possible de manger de sang-froid, ayant par-tont
autour de soi la mort présente !
Cent cinq soldats avoient déjà été victimes
des effets meurtriers des bouches à feu, vomis-
sant le trépas et la désolation, que jaloux de
me voir tranquille, et point inquiet dans ma
chambre voisine de la poudrière peu solide, et
qui n'étant point à l’abri de la bombe, rendoit
ma place plus périlleuse , ils poussérent la bar-
barie jusqu’à m'envoyer visiter des soldats déjà
enlevés aux souflrances de la vie! C’est ainsi
que les chefs cruels n'’exposoient au même
sort, en me forcant d’assister aux pansemens
dans Pendroit qui paroissoit le plus endom-
magé par les bombes et les boulets. 11 1omba
366 VOYAGES
près de moi des bombes avec un. horrible
fracas, je fus même souvent interrompu dans
mes fonctions. Pansant un soldat dont les deux
cuisses avoient été emportées, mon plumaceau
disparut de mes mains tremblantes, et de mes
deux infirmiers porteurs de l'appareil des ban-
dages, l’un fut exterminé à mes pieds, tandis
que l’autre, ainsi que moi, nous fümes jetés à
trois pas plus loin , et couverts de poussière
par la répercussion de la colonne d’air rompue
avec vibrauon.
Une autre fois je fus également renversé
par un éclat, mais seulement engourdi, et
point du tout blessé, tandis que le même éclat
coupa la tête de celui qu’on m’avoit envoyé
panser. Enfin cetie protection à qui j'ai dû
cent fois la vie pendant ces désastres,» m’ar-
racha visiblement des bras de la mort 1rm-
puissante, travaillant par-tout en vain à ma
destruction.
Les dangers augmentant en raison de la
vivacité des feux, je refusai bientôt d’aller aux
pansemens , qui ne pouvoient plus se faire faute
d’eau et de linge. C'est alors que les murmures
s’élevérent, et que les malades demanderent à
haute voix /a mort ou l’évacuation du fort. Je
peuchai pour le dernier part, dans lespoir de
saisir un inslant favorable pour néchapper. et
D'UN NATURALISTE. 367
‘me soustraire au trépas qu’on me réservoit. Car,
quoique je susse que le moment du départ étoit
celui de mon supplice, je préférois encore sortir
‘de mes anxiétés et de mes doutes cruels, et avoir
une prompte solution de vie ou de mort.
Les officiers commandans vinrent à moi, et
troublés par la crainte de tomber au pouvoir des
Français qu'ils avoient si maltraités, ils réso-
lurent tous de s’empoisonner , et de fuir à
l'aventure. C’est pourquoi ils s'emparèrent de
mon opium dont ils prirent tous, après m'avoir
demandé la dose nécessaire pour provoquer le
sommeil , et qu’ils augmentèrent en raison de
leurs projets de suicide. Ils venoient à tous mo-
mens me faire part de leur crainte de n’en avoir
point assez pris , tant 1ls en trouvoient les effets
tardifs (1). Les uns éprouvant déjà les progrès
funestes du narcotique, faisoient en faveur de
grenadiersleurstestamensaccompagnésdelarmes
et de sanglots; d’autres plus audacieux, sentant
les avant-coureurs de la mort, harceloient encore
(1) Je leur donnai Fopium en voyant préparer la
fnèche du magasin à poudre où l'on devoit m'en-
fermer. C'est le commandant du fort qui, pour me.
dévoiler ce secret, me dit de le suivre vers le magasin.
Inquiet, absorbé d'une froide langueur , je regardois
autour de moi, croyant être saisi et précipité dans le
caveau.
368 VOYAGES
leurs soldats, révalloient en eux leur rage
assoupie dans cet état d’anéantissement. Enfin
il fallut songer plus sérièusement à l'évacuation,
combiner la retraite, prévoir lés surprises, cal-
culer les fausses attaques, et convenir de la
parue la plus foible de la colonne qu’on atta-
queroit pour se frayer un passage vers les mon-
tagnes des Grands-Cahaux. Les chefs étant hors
d’état de donner des ordres pour le transport
des malades , exigèrent de moi ce nouveau ser-
vice, le dernier qu'ils pensoient que je pusse
leur rendre. Ces détails contrarièrent mon
projet de fuite, par l’attention qu’il me falloit
porter aux mille quesuons à faire en pareille
occurrence.
Tout se disposoit à tenter, à la chute du
jour , ce départ tant désiré. Déjà les tambours,
suivis de la musique, étoient distingnés des
autres corps encore confondus ; déjà les sa-
peurs et les grenadiers venoient à la suite,
que le cœur palpitant, je désespérois de mon
salut, lorsqu'une fusillade se fit entendre de
la redoute la Martinière , et que les senti
nelles des remparts criérent, aux armes !
Une terreur panique s'empare de la garnison,
les soldats courent éperdus , se heurtant les uns
et les autres, cherchant en désordre, sans pou-
voir les trouver , leurs armes éparpillées : enfin,
voulant
D'UN NATURALISTE, 369
#oulant à l'aventure risquer une incursion , ils
profitent de ce que les forces attaquoient un
autre point. Le pout-levis est abattu , ils se pré-
cipitent en foule dehors , et sont bientôt ren-
contrés par la garnison Ja Marunière qu'ils pren-
nent pour des Francais ; ceux-ci dans la même
méprise commencent, à bout portant, un feu
suivi qui oblige la garnison du fort à batire en
retraite. Les deux corps oppposés rentrent dans
le fort qu'ils ne se sont pas aperçus de leur
erreur ; pourtant on la reconnoît enfin, en criant
toujours en vain : Na pas français... na'pas
tiré (1)! Mais la rage qui anime de part et
d'autre ces révoltés les pousse à faire un feu plus
long. Ils n’écoutent aucun ordre qu'ils n'aient
employé jusqu’à la dernière cartouche , et qu'ils
ne se soient mutuellement écharpés en se urant
à quatre pas. Quant à moi , me trouvant entre les
deux feux , je me Jetai à plat ventre , et marchant
sur les pieds et les mains, je m’éloignai de la scène
pour joindre un bastinguage : jy montois, lorsque
retenu par le pan de mon habit, on me crie :
Où allez-vous ? J’examine , répondis je avec
empressement , que le quatrième régiment (2)
nn |
(1) Ce ne sont pas les Français, ne tirez pas.
(2) Le régiment de Dessalines.
Tome IL Aa
350 VOYAGES
a l'avantage. On le croit, et pendant qu'ils
courent s'assurer de cette fausse nouvelle , je me
précipite dans un fossé de douze pieds de pro-
fondénr. On fit feu de peloton sur moi; mais
mon corps dans sa chute étant à l'abri par les
bastinguases, 1l n’y eut que les basques de mon
habit qui, plus légères et faisant drapeau , furent
criblées: je fus également atteint d’un léger coup
de baïonnette qui, lors de mon élancement,
me fut porté par un soldat se trouvant près
de moi. :
Ma chute fut terrible, et M. Say qui m'avoit
suivi, l’aggrava en tombant sur moi; je me crus.
quelque membre brisé : cependant les circons-
tances étant impérieuses , je me trainai, comme
je le pus, jusque dans la ravine, afin d'y con-
certer plus à l’aise et avec plus de sécurité, sur
les mesures à prendre pour diriger notre course
incertaine vers le feu du canon français qui
percoit au travers de cette obscurité profonde,
en l’éclairant par intervalles. Nous avions à
passer devant Ja redoute la Martinière pour nous
rendre aux batteries des Français les plus voisines
du fort, et nous craignions de rencontrer des
sentinelles perdues ; ainsi le cœur agité de mille
idées contraires , nous rampions en silence , sans
respirer , lorsque nous reconnûmes avec joie que
la redoute étoit évacuée, et que le feu y avoit
D'UN NATURALISTE. 371
été mis. Bientôt à la lueur des pièces nous nous
assurâmes que nous étions près d’un posle où
nous désirions depuis s1 long-tems de nous
rendre, et nous en fûmes certains aux mots
français : « Halte là, au large » ! C’étoit une
senunelle avancée qui avoit ordre de faire feu
sur les fugiuis échappés à la poursuite des ré-
voliés par les colonnes francaises réûnies.
Après nous être nommés, la sentinelle, s’étant
mise en règle, nous fit conduire au camp. Notre
groupe avoit grossi; M. Moilet notaire de
© Saint-Marc , et M. Alain. marchand. de la
même ville, devenus mes infirmiers par conve-
nance, et un homme de couleur nous avoient
rejoints, après s'être laissé glisser dans les falaises,
et s'être déchiré le corps en remontant au travers
des épines dont elles sont hérissées.
Où nous présenta au capitaine-générol Leclerc
qui, après beaucoup de questions paruculières,
me félicita personnellement devant l’adjudant-
général Huin, l’ordonnateur Colbert , et le com-
missairè des guerres Leclerc, tous amis alarmés
sur mon sort, d’avoir pu effectuer ma fuite,
puisque le lendemain le fort devoit être attaqué
à la fascine, et indubitablement pris d'assaut ;
qu’alors l’ordre étoit donné d’y passer au fil de
l'épée toute la garnison qui avoit eu l’impudence
A a 2
972 VOYAGES
d’arborer aux quatre coins le pavillon sans
quaruer (1).
Mes amis me voyant l'esprit plus tranquille,
m’emmenérent prendre quelque nourriture
dont j'avois le plus grand besoin. On envoya un
de nos camarades avec un détachement, s’assurer
si, comme nous l’avions annoncé, le fort de
Ja Crête-à-Pierrot étoit évacué , s’il y avoit un
oficier blanc que jy avois laissé blessé, et vingt-
cinq milliers de poudre dans une soute que
nous avions indiquée, et à laquelle on m’avoit
sûrement pas eu ke tems de mettre la mèche.
On trouva toutes choses conformes à notre
rapport, et de plus les musiciens blancs de
Toussaint-Louverture, qui attendoient l’instant
favorable de pouvoir se sauver sans danger. Quoi-
qu'on sût bien qu'ils y étoient retenus par force,
on les fitnéanmoins prisonniers, pour la forme,
parce qu'ils avoient joué les fanfares de ça ira ,
lors de la retraite des Francais. Les pauvres
malheureux y étoient bien forcés, j'en ai été le
témoin , car j'ai vu un d'eux, basson, recevoir
(1) Drapeau rouge, pour annoncer qu'ils ne se ren-
droient jamais, et qu'ils furent pourtant obligés d’a-
mener. Ce signe de rébellion fit quadrupler l'activité
du bombardement.
D'UN NATURALISTE. 373
une grêle de coups de bâton, parce qu’il avoit
quitté un instant son instrument pendant la
fanfare. |
L'heure du repos approchant, chacun se
retira sous sa tente. Que ce sommeil fut doux
pour moi! Il étoii depuis silong-tems écarté de
ma paupière que la nuit ne me parut qu'un
songe, surtout au réveil où, au lieu de voir
autour de moi des assassins, je ne vis que des
frères armés pour ma défense.
Aa 3
374 VOYAGES
PR RE RL
NOUVELLES TRAMES DES NOIRS
DEPUIS L'ARRIVÉE
DES FRANCAIS.
TROISIÈME PARTIE.
Ja reposois encore, lorsque les tronpes impa-
Uentes avoient déja été mises en marche pour ras-
sembler les garnisons du fort de la Crête-a-Pierrot
et de la redoute la Marunière , disséminées dans
l'épaisseur des halliers et le creux des rocliers
où ils cachoient leur honte et leur confusion.
Mais l’œil pénétrant des Français sut bientôt les
y découvrir; et ces lâches bourreaux ne pouvant
sontenir l’intrépidité des manœuvres de nos
troupes légères, cherchèrent dans la fuite un
salut qui leur fut refusé , puisque par-tout
poursuivis , ils eurent à éssuyer le donble feu du
cordon concentrique vers lequel ils se portèrent
tous à dessein de le rompre, et de s'enfoncer
dans les bois des montagnes voisines.
Nos tronpes en firent un carnage complet, et
leur mspirèrent une telle terreur que plusieurs
se tuèrent de leurs propres armes, dans la crainte
de tomber au pouvoir de leurs ennemis.
D'UN NATURALISTE. 3-5
Le camp français ayant changé d’emplace-
ment, Je visitai les ruines du bourg de la Peute-
Rivière, et jy pleurai encore sur quelques osse-
mens épars et à demi consumés par l’action
d’un incendie aussi considérable,
Je partis du bourg pour me rendre au Port-
au-Prince , où je fus présenté au général Dugua;
chef de l’état-major-général. Après avoir exa-
miné mes manuscrits restés en dépôt en cette
ville , et les seuls que j'avois échappés aux
flammes ; après m'avoir félicité de mon travail,
m'avoir chargé d’une nouvelle organisation qui
me mettoit dans le cas d’avoir l'honneur de
correspondre avec l'Institut national, dont j'ac-
quérois par cela même le titre de membre
honoraire, ce général me témoigna lintérêt que
le Premier Consul prenoit aux beaux arts, et
nv’ofrit, au nom dugéneral Leclerc, la décoration
parüculière d’une ceinture noire , ou cordon de
mérite, comme fondateur du lycée colonial , et
il joignit à cette marque honorable un traitement
annuel de six mulle six cents francs, à dater
du jour de mon arrivée dans la colonie, comme
médecin-naturaliste du Gouvernement, à l'effet
d'y continuer mes observations, et de recevoir
par là un dédommagement à mes pertes im-
menses.
Cependant, pour me distraire sur une série de
Aa 4
356 VOYAGES
réflexions tristes, sans cesse renaissantes , le
général Dugua exigea que je m’absunsse pendant
quinze jours de tout travail de cabinet. C'est
pourquoi il me procura des promenades en
rade , et me fit entendre au gouvernement plu-
sieurs fois le jour de la musique d'harmonie,
par l'espoir d’adoucir l’âäpreté de mon système
nerveux sans cesse crispé. Ce général mourut; et
des événemens postérieurs n’ont plus permis Île
développement d’un établissement uule, duquel
je lui avois présenté le projet d’après son autori-
sation, C’étoit le lycée colonial , dont les membres
ont tous été depuis dispersés , OU vicumes
de nouvelles insurrecuons. Mais je joins ici
un des tableaux que je présentai alors, et
qui échappa au désastre (r).
Je me promenois un jour avec ce général , au
retour d’une course botanique, que, tout en
foulant aux pieds et examinant deux espèces de
sensitives , Mminosa pudica , dont les bords du
cimeüère du Port-au-Prince sont garnis et
touffus , nous fmes conduis par un peut sentier
———
(1) Je crois devoir y joindre ceux des plantes
usuelles de la colonie, dont je ne puis ici donner
histoire. Elle con'ient seule un fort volume que je
me réserve de publier plus tard, avec mes tableaux
symptômatiques des maladies des Antilles.
EXPOSÉ DE QUESTIONS
à résoudre
PAR LE LYCÉE COLONIAL DE SAINT-DOMINGUE,
Sur divers points de l'Histoire Naturelle de ce pays, applic
= ="
ables à l'utilité publique,
RÈGNE MINÉRAL. RÈGNE VÉGÉTAE.
|
| De l'Air Quels sont les moyens à
opposer contre l'influence maligne
{de l'air dans la saison des pluies, et
\quelles sont Jes:causes des fièvres
d'alors ?
Quelles sont les plantes médeci-
nales applicables à l'économie de
l'homme et des animaux ? |
Quelles sont celles dont les p_
concrets où fluidesdeviennentutiles
L'Eau. Quels sont les principes | aux arts ?
nstituans, des eaux douces, ou
umätres où minérales qui ar-
rosent le sol de Saint-Domingue ?
Quelle est l'influence des vivres
ou fruits sur le tempérament des
Créoles, et des Européens nou en-
Terres et Sables. Quels sont les| core acclimatés ?
(plus utiles et les plus propres aux
besoins de l'homme pour l'édifi-
lcition des bâtimens? et quelle est
linalyse des terres salines fournies
par divers cantons où l'on trouve
le mtre, la soude, le natron, le
“iliol, le sel gemme , etc. ?
Quelles ressources les arts peu-
vent-ils tirer du mapou à coton , des
pites el des écorces dont on fait les
gros et fins cordages ?
Quels sont les sommes et brais
déposés par la Naturedanslestiches
frs : É ie?
Pierres. Quelles sont les pierres arbustes de la colonie £
6splus propres à la bâtisse , et quelle
la position desdites carrières ,
u des grottes qui fournissent les
lbâtres, cristaux, etc. ?
Quels sont les bois propres aux
constructions, à Ja teinture étàla
marqueterie ? 3
Quel est l'antidote
du pays ? 7 EE
Soufres et Bitumes, De l'exploi-
lion des soufrières des montagnes
la Selle, et autres grottes ou
tres À volcans ? Quel est le traitement curatiP des
maladiesvénériennes parles plantes
du pays ?
Mines. Quelles sont les mines les
M digues d'être exploitées ?
l'u
|
|
|
RÈGNE ANIMAL.
6 1
Quadrupèdes. Quels sont les re-
mèdes à opposer contre l'épizootie
desanimaux'de hatte et autres?
Ornithologie. Quels sont les oi-
seaux dont le plumage estrecherché
pour la parure , et devient précieux
aux modistes et plumassiers, et
quels avantages pourroit-on retirer
de la domesticité de plusieurs oi-
seaux de Saint-Domingue ?
Ichtyologie, Quelles sont les es-
pèces de poissons qui fréquentent
certains parages? quels sont ceux
qui sont dangereux à manger ? à
quelle époque leurchairdevient-elle
funeste? que peut-on opposer à cette
qualité vénéueuse ? el uelles sont
les propriétés de leurs huiles pour
les arts ?
- Entomologie. Quelles sont les
mouches épispastiques ; les insectes
applicables aux arts? quels sont les
remèdes contre la piqûre des in-
sectes Venimeux ? et comment na-
turaliser les vers à soie ?
Conchyliologie. Quels sont les
individus qui composent cetteclasse
nombreuse ?
Zoophytes. Quelles sont les es-
pèces qu'on pourroit y recueillir ?
Reptiles et Serpens. Quelle est
tilité de Ja partie adipeuse de
certains reptiles ?
mingue, et de Cuba île espagnole ;
Sunt-Donungue.
Casse, n°. 1. Tamarin, n. 2. Prunier épi-
neux, n. 3. Glayeul, n. 4. Ebenier de Saint-|
Domingue, n. 5. Colocolia, n. 6, Cassier puant, :
n. 7. Bignone noire , n. 8. Agaric, n. 0.
Aloës , n. 10. Rhubarbe , n. 11. Argémone , n. 12.
Lauréole , n. 15. Soldanelle , n. 14. Jalap, n. 19.14
Belle-de-nuit , n. 16. Ipécacuanha, n. 17. Violette, À
n. 18. Coccis , n.19. Symarouba, n. 20. Gourde, #
n.21. Grand médecinier, n.22. Liane à Bauduit, |$
n.23. Ricin, n. 24. Médecinier bâtard , ou pignon À
d'Inde , n. 25. Figuier maudit, n. 26. Sablier, à
n.27. Liseron catartique, n. 28. Bryone, n. 99. | À
Pois pouilleux, ou pois à gratter , n. 50. Bondue
commun , où pois quenique , ou œil-de-chat, n, 51. |
Aimenia aculeata , etc.
m.
Aïl, n°. 1. Citron limon, n. 2. Orange douce |
de la Chine, n. 3. Orange de l’Arcahaye, n. 4.
h.
\
Urange amère, n. 5. Bois ramon, n: 6. Cou-
courout, n. 7. Girofle, n. 8. Corail, n. 9. Sucrier
de montagne, ou bois cochon, n. 16. Liane à
serpent, n.11. Valériane, n. 12. Cacone grim-
pante, n. 13. Mal-nommée , n. 14. Casse puante,
Nn. 15. Galéga, n. 16. Herbe à courette, n. 17.
Mirte-poivre de la Jamaïque, n. 18. Mélisse
globulaire , n. 19. Epine blanche, n. 20. Faux
romarin, n. 21. Dompte venin, n. 22. Liane
laiteuse, n. 25. Herbe aux flèches, n.24. Anacarde,
n. 25. Clématite , n. 26.
Plante rapportée dans d’autres classes, La
cannelle.
= —
nn”
Tome I, page 36, n°.
TRAITÉ des Plantes usuelles d’une parte dé
par M. E. Descovrrirz , Médecin -N
Antilles, principalement de Saint-D
aturaliste du Gouvernement À
igue, et de Cuba île espagnole ;
Siint-Domingue.
Issue
des humeur.
————— —————— ——_—_—__ "lt
Emétiques. .
Leurs proprietés. |: Leur action,
Par
vomissement,
Purgatives,
alvines,
Catartiques, de déjections /ribres des intestins
Maladies
dissipées.
Es
Embarras des Tamarin, n. 2. Pruniec épi=
premières voies, Sabure ; bile, Onif ayeul, n, 4. Fbenier de Saints
irritation de à sérosités”, glaires supéci
l'estome, ct et viscosités. _ |ou œsopii
convulsions
spasmodiques.
n.23. Ricin, n. 24, Mé ht
inde, n. 25. Figuier maudit, n. 26. Siblier :
a. 27. Liseron catartique, n. 28. Dryone. n.
Pois pouilleux, ou pois à gratter, n°30.
commun , où pois quenique , ou œil-de-chat
Aimeuia aculeata, ete.
on.
Te
Humeurs
relächées. grossières , ete.
|
TECRIQUES TRRANTES NET, RTS
- jubier-croc-de-chien , n, 3, Gombo , n. 3. Chou |
almiste, à. 4, Dattier, n. 5. Figues, n, 6.
coton , n.7. Canne à sucre, n. 8, Mauves, ne: 9.
Urène, n. 10, Ooli, n, 11. Martynia, D. 19.
rires Béchiques divisantes, Capillairo , n°15. Herbe
B. adoucissantes, Par ponernes Tour asthme; ” ] Bouche/pe#,){ charpentier, n. 16. Kaataus 238 AUDE
Béchiques expectoration du poumon affections urine €t 4 dier laiteux , n. 16% Pistaches , n. 17. Ananas pain
qe 3. dissolvantes. À de crachats.| |compr Reno pituiteuses. transpiration. \de sucre , n°18, Gommier blanc, 220 ae ae
la passion , n. 20, Ruta muraria, he 215 Lonchi
n. 22. Aunée, n.25. Aster à fcvilles de primeyere
A, 0: 24. Frangipanier, n. 25, Dot
immortel épineux, n. 26. Pois d'angole , n. 27.
Plantes rapportées dans d'autres classes. Mauves,
Fougères; Grand-cousin.
Le nez, en
Te excitant un | Pétun, n°. 3. Aoutarde ; m. 3, Herbe aux
cerveau s picotement \caïmans, n, gembre , n. 4, Santolin, n, 5,
ea irritaut LES g 5 D ns
Léthargie qui resserre ]Piment,/n gl, n. 7. Poivrier, n. 8. Cacte-
L Far la membrane à 7 ere le Pyre
- Ja me 1 & maux| les glandes def épineux , n.g. Tithÿmalé , n. 10, Pyrethre ar se
rem Attoire Fe pituitaire ot tes] UPPER a membrane | Laurierrone y, 1e pee Congo , n. 13.
sinus fronteaux pituitaire Plantes rapportées dans d'autres classes, Le
ONÉR qu'elle tapisse, glayeul , l'herbe à plomb, la sauge.
| déterger.
Glandes du palais( | Farlyaïe La boule,
S î t de la bouche,) de là lüngue, e nez, Foyez les sternutatoires,
Sialologues. Por Le ealire Gone ne pituite abondante, et autres ve E
salive. maux de dents, * Lémonctoires
H | Calamus aromaticus, n°, 1, Clÿtoria, n. à. Sen
ère partie, siva pudica, n. 3. Aristoloche, n° 4, Jonc odurant,
Le" “Menstrues rétablies , n. 5. Clitoris, n.6. Herbe manvzelle, n.7.Sorussi, M
cs ê] leurs: jo, 8. Matricaire, n. 9. Avocat: , 0.10. Mélisso
UM Pacrore EE 2 Mélisse puante , n.:2, Chardon étoilé puan
4 4 lu soxe, Affections migrainé/ebMaaiue 0) Matrice, Poia sucrier, n. 14. Liane à caleçon , n: 15:
Hystériques, de la matrice. xoïeçuritle. À Pois puant,-n, 16. Schocnanthé, n. 17. Arbre
ï d'estomac des P ?
— Evacuation) ê Sennes de ne rsllee aux savonnettes, n.14. Mauve puante , n. 19, Valé=
L. -% des vidange C2 pr tn) raie, de 40, Trékbe carrée, naar Brin d'AMOUr,
pass särdoniques. me22. #
Plante rapportée dans d'autres class. L'o=
cuantes, range amère. j
——
Chicorée sauvage, n°. 1. Oscille marronne, n, 2. L
Patience, n.5, Fraisier, n; 4. Bonbon-couleuvre,
n. 5. @il de bourrique, n. 6. Saxifrage, n, 7- Célers
marron, n.8. Cardinale , n, 9. Poincillade, n. 104]
| Fcnoud, n. 11. Pett-Houx, n. 12. Chiendents
p.23. Graînes du sapotillier, n. 14, Liane à savon
15. Oignon, n. 16. oireau n 17. Pois chiche y
In. 38. Sapin, n. 19. Coton flo, ü- 20. Gran |
Les chaudes par ( En procurant z mahot, n. 31. Chardons, n. 2, Persil, n: 3%, Æ
leurs sels âcres et À une fltratiôn |Glaudes des Fins (Sérosités qu sang, Oscille de Guinéern oh -
Diurétiques. ARS ne MRC En ca bre nl CAES
es urin de a CPR ANR
Les froïdes par | parlogitation | dégorgées. DÉAS Ever. ER en
relâchement. du sang. .
pi |
} |
f É 5
4 Jon-béni, n. 2. Noyer
ë Par 3 RE nd AN EDEN +
Sudorifiques. transpiration Pleurésies par l'acajou, n 3: \Dras,:n. 4: IT
e PATATE dépuration du sang.) Pores Ja quine, 6, Bois RTE RE
ï iques. : Sang calme. deln peau, /rette franche, n. 8. re em DRE
Diaphorétiques. g ‘Tumeurs voïetrinsle | d'a ON S age ehatutd
ñ : scrofuleuses, etc. igouia,n. 1 #n118:
Diaphorétiques, { mA Bois de Féroles marbré, 5:15.
sa ‘
à « Citron limon, m, 2: 0)
.: | i Orange deux se
4 ne 5 JL Fri 1
: Syncopes, défail= re ee Gil, CT
# | lances, sara 2 “au "bols
i mens , malädies
: Cœur fortifié contagieuse;
Fi Agissant ré “ Pores
Cordiall 5 c'est à dire, isons | MOISUrE
Cordiales: den tEs) RU ertemanntlabfes À es Pt de là pes.
PRO Lang mis enaction. | renimeutes,
Hèvres maligées
Dre
Céphaliques.
Ophtalmiques.
Stomachiques.
Séconde partie.
Effets
moins sensibles.
Flontesaltérantes
du premier ordre.
—
acal
iopathiques.
Première
division,
———
Hépatiques.
Leurs propriétés:
Carminatives.
Antiscorbutiques
Leur action]
=
EE
Détersives|
rafruclissantés.
Amers,
Acides.
A la suite dis
remiers accèside
! ji qui .
1 les urines.
En assurant
parfaite scerétlon
de ln bis]
En divisant
matières crues,
visqueuses ct
gluantes, gonflées
par des vents.
Par ses selalféres,
soit fixes Doi
Ye Tee
or rBe M odlree
avec les aéides du
r
d
Par dépuration
neutralisation
des-sels âcres;
et nérosités
Parties
soulagées,
Issue
des humeurs.
Par expansion | La tête et les
engourdi.
is nerveux,
ranimé ou
détendu ,
picoté où
relâché.
Les yeux.
us nd OP] lobes du cerveau.
Canaux
Malsd(es
dissipæs.
{ Apopletie.
{
| re
Les yeux
nations
vie
Î
|
conte :
agacemint,
irritation, dpuleurs,
syncopes,
évañoui<Emens,
ürailleihens.
Uscérustules
ne rasières.
Corrodantes.
En stimulant
et donnant du
ton aux fibres,
pour régénérer
les humeurs
croupies par
leur stagoation.
L'estomoc.
par
transpiration 5
et de plus
comme
toniques, en
L'estomac.
Tes autres
excrétions,
sabure
morbifique.
da
artie
le la
Par la
fluide |
Le foie par
les hépatiques,
Par la partie
limoneuse
de la bile qui
colore
les excrémens.
La rate par
les spléniques.
Par
ertpitation
ou miasmes
d'exhalaisons
patrides.
En purifiant
le sing
et sun
son action,
L'estomac,
Les intestins,
Sang dépuré,
Temgton
des yeux.
; Les yeux.
Voies hautes
et basses.
j Indigestions.
Ver
ct corruption,
Orifice
supérieur,
voies
roro
ct excrémen-
telles.
Fidvres.
Mala
et
4h foie
© Porosité
de la peau,
Bafare oQO RES
Dana et cxerémen-
hypocondrique , tielles.
ardeur d'uridé} etc.
?
î.
|
(E
Suintemont Orifices
de séroutés supérieurs
ichoreules.
Î
Le |
| Par
Scorbht. secrétions
M diverses.
F et sauge fuméc pour ophtalmies céreuses.
Noms vulgaires des Plantes.
ë Sauge, n. 2 Laurier ou boil
n. 3. Cannelle, n. 4. Girolle, n, 5
Murcdes n. 6. Busilic moyen et violet, n. 7
Franc-basin, n. 8. Collet Notre - Dame, n. 9)
Bndigo sauvage, n. 10, Sarriète, n. 11. Laurie
à fruits de glands, me 12. Bois de rose, n, 13
'Alibousier,-n. 14. Cuille-lait, n. 15. Boi à
soie, ou bois ramier, n. 16. Tilleul, n. 17.
Plantes rapportés dans d'autres classes. |Boï
d'aloës; feuilles de cucurbita, de pontédtcin
et du glayeul ; huile et citron antispésmol
diques.
Plantain, n°, 1. Mombain ,/n. 2. Chélidoine!
eanthe , n. 3. VetYeiue, n, 4. Lia
LE espèces de bryone, n. 5. Chevr
Plantes rapportées dans d'autres classes. L'u-
Absinthe, n°. 1. Baume, m2,
Cacao, m4, Vanille, n.
+ Poivre F
9. Sauge 10. on!
5; Vo in Absntliorles AM
Lysimaque mille graimes, n. 14. Liono à ver
n°15. Hoccone, n. 16. Abricotier, n. 17. B
de campèche, h. 18. Tète-de dragon , n.
Mélisse do Moldavie, n.20. Papayer, n. 2]
Poivrier, n. 22: Andira où angelin à grapptl
n, 33. Badomier du Malabar, n. 24. Canies
n: 25 Balatas on sapotillier marron , 1.18, Foi
pour cette dernière, la XX1me clusse,
Café, n
B:!
reluc, n
4
Idem, Orange , citronnelle , herbe au charpen
tier, ail; corail, comme abiorbant; cannelle
muscade , etc. ; rhubarbe, fougère , gingembre:
ZE:
winquina, n°. 1. Acacia, n°7. Centauréo
n. 3. Pukinsone, n. 4. Mangles noirs ou pal
tuviers, n. 5. Mois de chêne , n° 6. Iudig
tiré, Epineux jeune, n: 8. Citron
n.9. Bois lniteux, n. 10. Cacte, n. 112 Castarille
me 12, Bois do Cassie , n. 18,
| rem: Les purgatifs ci-dessus convien:
8 de fièvre, dont ils expülsent Jénlen
poincillade, café ct citron, vert
coucoûrout.
Aigremoine , n°. 1. Fnpstofie m2
purs n: 5, Fougères me Polypodéysn
erfouil, n. 6. Grand-cousin, n:#7:
Mahot, n. 8. Lianc brûlante, 1.9:
Centaurée, n. 10. Hydrocotilé, n. 1:
-violon , n. 12.
Idem. Absythe, frêne, verreines
Anis, n°, 1. Poivrier do montagne
Courbaïil ou gommo animée, 1. 5.
Idem. Zestes d'orange ethde cit
gembre , absinthe , menthe qu
pontédéria en lavemens pond
tau de coco en lavemens, à
+ Gresson, n°. 1. Mén
aquatique, n, 3. Cannelle
halle da Péron, n° 4-1 Cann
kollée, n° 5. Manguier, ne
Cocotier, n. 8, Bois d'nisett
u. 10.
Idem. Otille, patience si
tarde , bourgeons de citrol
pour rincer la bouche,
,
Urilidil Ces 7
et excrémen- Idem. Les purgatifs ci-dessus conviennent en
üelles. cas de fièvre, dont ils expulsent le levain;
poincillade, café et citron, verveine en lavemens,
coucourout,
an foie
pendre, n. 5. Fougère, n. 4. Polypode, n. 8.
jrate.
Cerfeuil, n. 6. Grand-cousin, n. 7. Grand-
Porosité ; *
Mahot, n. 8. Liane brülante, n. g. Grarde
Aigremoine , n°. 1. Eupatoire, n. 2. Scolo-
de la peau,
« ! + 1 S
uctions | Centaurée, n. 10. Hydrocotile, n. 11. Corde-
Lee voiesurinaires\ “€!
FÉES et excrémen- \à-violon, n. 12.
Lire tielles.
+: Idem. Absythe, frène, verveine.
(e, etc.
dont Orifices
supérieurs
et inférieurs.
.
Idem. Zestes d'orange et de citron, gi
gembre , absinthe , menthe, café, sirop
pontédéria en lavemens pour coliques chaudes}
eau de coco en lavemens.
. . 0
Anis, n°. 1. Poivrier de montagne , n. 2
Courbaril ou gomme animée, n, 5.
|
Cresson, n°. 1. Ménianthe, n. 2. Patienc
aquatique, n. 3. Cannelle blanche, ou cam:
nelle du Pérou, n. 4. Cannelle noire, ou gi
Par roflée, n. 5. Manguier , n. 6. Curcuma, n. 7
: secrétions Ç(Cocotier , n. 8. Bois d’anisette, n. 9. Latanier
° diverses. na. 10.
Idem. Oseille , patience sauvage, tabac, mou:
tarde, bourgeons de citronnier et de mombain.
pour rincer la bouche,
5 —
Géranium, n°, 1, Bois d’ortie, n. 2. Raisi-
nier, n. 3. Grenadier, n, 4. Ycaque, n. 5.
Jaune-d'œuf, n. 6. Liège, n. 7. Noisetier,
n. 8. Orme , n. 9. Vesce de loup, n. 10. Baume
de’tolu, n. 11, Gomme Gargne, n. 12. Genipa,
n.15. Goyavier, n. 14. Cousin (petit), n. 15.
Cœur-de-bœuf, n. 16. Grande -ortie, n. 17.
Jonc, herbe à Couteau , n, 18. Jone d’eau ,
n. 19. Petites caïmites, n, 20. Caïmitier po-
miforme , n. 21. Ayoine de chien, n. 22. Bru-
nelle pain d'épice, n. 25. Corrosolier , n. 24.
Brésillet bâtard, n. 25. Bois marie, ou baume
vert, n. 26. Herbe aux charpentiers, n. 27e
Mombain bâtard, n. 28. Bellone , n. 29. Qué-
dec, n. 30. Sanguine, n. 31, Prêle d'Amérique,
mn. 52. Apiaba, n. 55, Pommier d’acajou, n. 34
Tailleau-chou-caraïbe , n. 35. Bois de lance,
Ir TO Bruns-feld, n, 97. Dombey, n. 38. Cro-
ton à feuilles d’origan, n. 39. Tendre acajou ,
n. 40: Bayaonde, n, 1. Cupani, espèce de
châtaignier, n. 42,
“tion
Plantes rapportées dans d’autres classes. Ana-
carde, sucrier , karatas » plantain, rhubarbe,
corail, œil-de-bourrique , bananier , acacia.
Plantes
altérante
| 0! . Je ,
u second Bananier, n°. 3. Médecinier petit, n. 2.
Manihot A feuilles Dome 7 Cie —— 2.
| Petit concombre Sauvage , n. 7. Melon sucré
Troisièm , vert, n.8. Pourpier, n. 9- Riz, n. 10. Ponté-
division. déria , ou volet, num Oseille savanne , n. 12,
Glayeul d’eau, n. 13. Grénadille, fleur de pas-
commen sion , n. 14. Cerisier, n, 15. Sucrin > 1. 16. Gre-
nade, n. 17, Ananas rouge de pitt, n. 18. Liane
Multapte®Se (à eau, n. 19. Torchons , n. 20. Volette , Ou né-
nuphar, n. 21. Mouron blanc, n.22. Barbe de
En, jupiter , n, 253. Grossulaire, n. 24. Cachimen-
tier, n. 25, Tête anglaise, n, 26. Campanule à
fleurs planes, n. 27, Balatas > Où sapotillier mar-
ron, n. 28. Blette épineuse, n. 20. Brignolier,
n. 50.
fdem. Les émolientes , les béchiques chico-
racées, citrons, ananas . cotonnier, callebasse ram-
Pante, concombre arada ; gommes , etc.
Leurs propriétés.
Vulnéraires
astringentes.
Plantes.
Itérantes
ccund ordre,
Deuxième
n FR
mm
sion.
Vulnéraires
détersives,
Vulnéraires
apéritives,
roisièmo partie] Emollientes,
Effets
Sins sensibles.
Plantes
altérantes du
deuxième et
ième ordres,
Résolutives,
Tdoines
vamultaptes,
—
Deuxième
A troisième
divisions.
———
Assoupisantes,
[Tritèno ordre.
| ——
| Troisième
ivision,
—
Moltaptes,
[mn | Rafraïchissantes,
|
|
|
Issue
des humeurs.
Parties
soulagées.
Maladies
dissipées.
Leur action.
Leur infuson
acidulés,
suivant Jofcas ,
ivise
€ laïleuse
Apaisent
les hémorragies,
chutes, cours de
ventre, flux
En recserrant
Toutes celles
dejpain d'épice, m 25. Corrosolier ; ne 24:
De eee mêlée aÿec | auxquelles elles Jimmodérés des mois, Transpiration /Brésilet bâtard, n. 25. Bois marie, ou Laume
ct absorbant la lymple, conviennent, Qet des hémorroïdes, et | RES UT aux charpentiers, n. 27.
leurs sérosités. dégor excepté dans [fleurs blanches, etc.; | urincdi \Mombain bâtard, n. 28 Ji lono, n. 29. Qué
les glandes, Îles infammations. |jauvisse opiniètre ! ec, n. 30. Sanguine, n. 51. Prèle d'Amérique
ARE. rhumatismes Apiaba , n. 35. Pommier d'acajou , n. 34.
DE Tteer etes Failleau-chou-caraïbe, _n. 35, Bois de lance,
ina que M: 56. Bruns-feld, n. 57, Dombey, à. 38, Cro-
de transp
Canau Noms rulgaires des Plantes.
Géranium, n°, 1, Bois d'ortie, n. 2. Ras
[ nier, n. 3. Grenadier, n, 4. Ycaquo, n. 5,
Jaune-d'œuf, n. G. Liège, n. 7. Noïetier
F5 fn:8 Orme, n. 9. Vesce de loup, à. 10. Baume
de tolu, n. 11. Gomme carogne, n, 12, Genipas
di 3. Goyarier, n. 14. Cousin (petit), n 18.
Cœur-de-bœuf, ‘n. 16. Grande-ortie, n. 17.
F2 Vonc, herbe à couteau, n 18. Jone d'eat,
[5 Un. 19. Petites caïmites / n. 20, Caÿ
[= fmiorme, m1: Avoine
| Juelle pain dé
ton à feuilles d'origan, n. 39.
n. 0. Bayaonde, n. 41
chätaignier, n. 42,
“'eudre acajou,
upani, espèce de
Plantes ropportées dans d'autres classes, Ana-
cardo, sucrier, Kat lantain ; rhubarbe,
corail, œil-de-bourrique, bauanier , acacia,
Bananicr, n°: 1. Médecinier petit, n.
Moniho rt à
H ui
a e 3 D: 5. Pomme de mer—
veille, n Bois
de corail, n, 7. Herbe à
plomb, n. 8, Cévadille, n. 9. Hliotropes n. 10.
Serpentaire, n. 11, Brésillot, n, 12, Renonculo. |
: Bois chandelle noir, -n. 14, Borbone!
É Mn. 15. Calebassier à feuilles longues, n. 16!
Brésillet à teinture des Anülles, n. 17. In
| Transpirition [el 0: 18. Herbe à chiques, n. 19. Liane à
s ETS es É FnpRe OR cœur, n. 20. Liane à minguct, n. 21. Herbe
nage Chute des cire HE Parties Locales “tou diable, n.12: Liane à crocs do chien, n 23.
1 âcre et lixiviel.] et baveu:bs. À plaies détruites: urinet. |Liane francho, n, 24, Bois jaune, n, 24. Bois
sel âcre et li savanne à flcurs pyramidales, n. 16. Gras d
sale, n. 27. Petite coquemollicr, n, 28. Acomas ;
M29- Dicrville, n. 30, Croton à feuilles de |
châtaignier, n. 51. Bois épineux jaune, n. 32,
Bois de cheval, n. 33. Bois à pians, n. L
Î Idem. Absinthe, mente, aristoloche, saugo
f scolopendre , mombain, bois chandelle, véro
| nique de Plaisance,
|
| Obstructions Fin, n°, 1. Bois chandelle, bois de itron,
| détruites, sables ct bois jasmin, n.2. Vergo d'or, n. Pois
| - matières glaireuses Par blanc tachcté de noir, n. 4. Collét Notr
Par leur vertu Par | Reins, estomac dissipées, etc. ; urétères Dame, n. 5. Balisier, bihaï, bananier marron, .
incisive, pénétranteÀ transpirs io. ct asthmes,_fèvres ct pores \n, 6 Bidens ou herbe à aiguilles, n. 7. Véro
et sudorifique. autres viscères. putrides, dela peau. |nique, n. 8. =
migraines ,
cancers, etc. j Idem. Neryeine,
p
|
| Circulation
En adoucissint
Jeur ücreté
Sur.la tension
et Ja eécheresse
de certaines parties
dans
les inflammations
internes ct externes,
la décoction
de ces plantes
on lavemens,
fomentations
et cataplasmes.
néphrétiques ;
fièvres, etc.,
En divisant le sang
etles extravasions
dans les porosités
des chairs, por
catsplasmes
et fomentations,
ane
Humeurs locales,
08e À redevenues fluides.
|
| «
Comme incrassans , :
est d'apaiser L Fièvres ardentes ,
RE Par les urnes, JHumeurs adoucies | inmm d'urine,
Rineun Tel iène tt € ct épaissies. RUE
donner plus de \commelaxtifs, de gorge, etc.
consistance en |
diminuant leur à
ücreté. j
En calmant les
douleurs , et
royoquant
Féonmells
Siége
des maladies.
dysurie, strangurie.
engorgée , rétablie. z Z
Humours, Dee nltAneE =
décoremees por MUilionser, rénreutes,
Eu 2
Toutes douleurs
aiguës et rebelles,
et celles provenant
d'irritation.
Maïs,
ayaonde,
n. 6. Gommes, n47: Quamoclit, n. 8. Lise”
ron, n.9. Patate, n. 10. Hoïs cac, n. 11, Cus=
Pore: sier, herbe à-dartres, n. 12: Absinthe , 0m. 19.
de la pehu.
Guimaue eatinéo, n°.,1. Manyo, n: 2. Liane.
molle, n. 5. Raquette, n, 4, Épinards marrons,
| » 6: Rain, on: ê Amaryliss ny orelle:
nd-houx,n?g-Parñétiire, ñ.
Grande - mauv
eneçon , n. 15. ’
n 17. lois dé bambou, n.18:186re ;
Linaire, n, 20.
+ Pourpier, lav, gombo , pontédéria,
Arbre à pain, ou rima, n.
15.
Petit mil, n°, 1. Mil chandelle sn
2. 5. Pois, n. 4. Orties,n. 5. Gomme
14. Bois de fustet,
Idem. Brai du figuier maudit.
in. 4. Québec, n. 5, Canne do Madèro,-nuG
Ptanihôt, n. 7. Solan
. 8, Béringène, n.
um à feuilles d'icanthe,
Morello amouretté, n10%
Mancenilier, n. 11, Pommier-rose, n. 12, Li
fn. 35 Solonum épineüx, n..14. Pomme (
neuse, n°15, Aconit, n
dote assuré, le citron,
ou lavemens dé tabac
u
a
16. Opium pour anti=
émétique pour d'autres ,
Apocin à frait épineux, n°. 1. Apocin corne
cabrit, n. 2. Cynanque hérissée, 3, Camériét,
Petit concombre sauvage, n, 7: Melon sucré
vert, n.8, Pourpier, n. 9, Ri
, n. 10. Ponté-
déris , ou volet
; B,31
erisier, n,15, Sucrin , ne 16
Ananas rouge dé pitt, n°18, Liane
à eau, n. 19. Torchons, n, 20 Voleite, ou né
puphar,n. 21. Mourom blanc, ». 22. Parbe de
jupiter, n. 25: Grossulairey 124. Cachimen=
Gier, n. 25. Tête anglaise, n. 26. Companulesà
leurs planes, n. 27. Balatis où sapotilliéemar-
ron, n. 28. Dlette épineuse, n. 29. Brignolier,
n: 50. = É
Idem. Les émolientes, les béchiques chico—
races, citrons, ananas, cotonnier, callebasse ram
:\ pante, concombre arada, pommes , £tcs
Grosse calebasso rampante, n°, 1. Ciraumon
verrue, n. 2. Mirliton, n. 5, Courges , n, 4.
Concombre arada, n, 5. Melon d'eau, n. 6.
Le
Le
“.
D'UN NATURALISTE. 377
à un ajoupa caché sous l’épais feuillage de deux
chênes du pays, bignonia quercus. La construc-
uon de cette chaunnère, autant que son site
original près d’un endroit dont on s'éloigne
naturellement le plus qu’il est possible, exci-
tèrent notre curiosité ; d’ailleurs son ensemble
‘pittoresque la rendoit une jolie fabrique à faire
dessiner. |
Quelle fut notre surprise d’y voir, après avoir
respirélong-tems un air contagieux, un nègre âgé,
occupé à nettoyer et faire sécher des intestins gâtés
pour en faire des andouilles qu’il vendoit au mar-
ché de la place. Ce vieux scélérat se trouvant
en flagrant délit à la vue du général, se troubla,
balbutia, et en dit d’abord beaucoup plusquenous
ne lui en avions demandé. Il convint que sans
ressource, dans un âge aussi avancé, ayant eù le
malheur de perdre son cochon et sa vache, il
s’étoit déterminé à déterrer à mesure tous les
corps des morts récemment inhumés; qu'avec
leurs intesuns 1l avoit entrepris un peut com-
merce qui le faisoit vivre. Le général Dugua à
ces mois, entra dans une grande fureur , et
J'ayant livré à l’un de ses guides, cet homme
dangereux fut conduit dans les prisons, où il a
été jugé. Ainsi, tous les jours on s’étonnoit, 5on
seulement de voir des Européens atteints de
la maladie dû pays, mais même des habitans
378 VOYAGES
acclimatés, et de plus des naturels noirs ou de
couleur, dans qui le germe de la peste et de la
corruption étant inoculé par cet abus désorga-
nisateur, en devenoient aussi les victimes! Cette
calamité fit d'autant plus de ravage: qu’on est
volontiers dans l’habitude de manger aux
divers repas, des andouilles , surtout aux déjeû-
ners à la fourchette, et que la consommation
en est si grande chez les habitués. du pays
qui en employent dans leurs calalous, que
dans leurs marchés l'air est infecté de la puanteur
de ces préparations; c’est à ce degré de féudité
que les andouilles, parmi les créoles, sont
réputées exquises.
Qui sait si dans toutes les villes , le même sys-
tême de destruction n’avoit point été établi par
Dessalines, ainsi qu’il avoit annoncé un jour à
ses soldats , en leur jurant qu’il employeroit tous
les moyens connus et occultes pour concourir
d'autant plus sûrement et plus promptement
à la destruction et à lanéantissement de la
classe des blancs, pour la réduire à ce peut
nombre qu'ils-pourroient alors subjuguer sans
peine ? Cette conjecture paroît d'autant plus
fondée , qu’un jour à Saint-Mare, faisant la visite
de l'hôpital pour le médeein mon ami qui étoit
alors malade, je me crus obligé, en homme
d'honneur Me dénoncer à la jusuce du gouver-
D'UN NATURALISTE, 3-
/
nement , deux infirmiers nègres, qui non-seu-
lement négligeoient leurs salles, mais qui se
rendoient coupables de plns grands crimes , en
donnant des pouons échauffantes dans les ma-
ladies inflammatoires, au lieu de celles qui
étoient indiquées, etc... Conduite atroce qu’on
ne réprima que trop tard, faute de s’en être
apercu , et que Dessalines, par ses espions,
faisoit encourager sous l'espoir d’une prochaine
récompense.
Un nouveau hasard me mit à même de ne
plus douter des intentions perfides du brigand,
chef des révoltés. Je me proémenois tous les
maüns à Saint-Marc , dans la convalescence de
mon second empoisonnement ; mais noire gar-
mison inquiétée alors par des embuscades enne-
mies placées dans les halliers des environs des
fossés, je ne pouvois m'écarter, et suivois à
cheval les contours des bastions sous la protec-
uon des forts et des pièces de remparts. Un jour
qu'après avoir ramassé à la marée basse des
coquilles , fongipores , et autres productions
marines que je voulois dessiner , je rentrois, en
côtoyant le nouveau cimetére , par la porte de
l’'Arcahaye, lorsque j’entendis la conversauon
suivante , entre un infirmier et un fossoyeur.
L’IxrimutER. Pour qui ca toutes fosses Jayo ?
Le Fossoyeur. Eh! pour blancs lavo donc?
580 VOYAGES |
L'ixrirmier. Blancs layo , mouton’ france ?
Le Fossoyeur. Oui, yo va bèntôt caba, et
nous va matri asteur. Mouquieu Dessalines li
connoi toute quet chose va, quitté hi faire, li va
béntôt vinir.
L’IxriRMIER (à voix basse). Moué connoi ca
pique Lucas li vini jourdi là même , li di moué
comme ca, toujours bèn droguer malades layo;
que général Dessalines li content d’moué en
pile...
Ici mon cheval ayant henni, ces nègres cés-
sèrent leur conversation , mais c’étoit plus qu'il
ne m'en falloit pour me convaincre que mes
soupcons étoient fondés ; j'en avertis le médecin
et le chirurgien en chef: les infirmiers furent
chassés, et on interdit l'entrée de l’hôpital à
tout étranger nègre; alors la mortalité cessa, et
les deux coupables qui s'évadèrent aussitôt,
rejoignirent Dessalines. Que d’hommes valeu-
reux ont été traîtreusement sacrifiés ainsi par les
ordres de ce lâche brigand!
Que ne fit-il pas pour garder fidèlement
son serment de trahir cent fois, s’il.se rendoit
cent fois! A l’époque de sa première reddition
il fut nominé inspecteur de la culture; le
commandant Huin ayant été envoyé sur les dé-
combres des Gonaïves pour restaurer le quartier
D'UN NATURALISTE. 381
de lAruhonite et les quartiers environnans,
désarmer les cultivateurs, et assurer protection
aux propriétaires, ce brave et franc militaire à
la tête seulement de vingt hommes de troupes
convalescentes de la cinquième demi-brigade
légère, et de quelques propriétaires de couleur,
respectables par leur dévouement à la cause des
Français, s’y étoit rendu formidable aux bri-
gands; il avoit, par ses veilles et fatigues , surpassé
l'attente de tout le monde, lorsque Dessalines
vint Jui faire perdre le fruit de toutes ses solli-
citudes. Inquiété du désarmement des culuiva-
teurs dont 1l réservoit la masse à quelque coup
de paru, 1l les réarma par dessous main des
mêmes armes dont 1l étoit autorisé à disposer
pour le rétablissement de l’ordre, et créer,
disoit-1l, ses colonnes de discipline : dès qu’il fut
parvenu à ses fins, qu'il eut fait enfouir ses
poudres et autres munitions, 1l déserta de nou-
veau et emmena dans sa fuite tous ceux de
son parti.
Nousignorions encore cette nouvelle trahison,
quand le commandant Huin étoit part en tournée
pour /’Ærtibonite. I m'avoit emmené, ainsi que
deux de mes parens, pour visiter une premiére
fois nos habitauons depuis leur funeste dévasta-
üon. Trop confiant en son courage, ayant
emmené que deux dragons avec nous, nqus
a
3382 VOYAGES
pensâmes être victimes de sa sécurité. Arrivés
sur l’habitauon Desdunes père (grande place),
on fit sonner la cloche; un brouhaha s'élève,
personne pe paroît, Nous étions à cinq lieues des
Gonaïves, six hommes seulement au milieu d’un
essaim que Île commandant venoit de faire dé-
sarmer. On sonne de nouveau avec menaces,
les vieillards sont les seuls qui paroïssent. Un
d’eux fort heureusement vint nous averur de ne
point visiter les jardins; que près de trois cents
culüvateurs armés et embusqués dans les cotons
nous y attendoient. Nous n’eûmes que le tems de
le remercier , de remonter promptement à
cheval, et de nous enfoncer à tout hasard dans
le quartier de l’Artubonite, avec l’espoir desren-
contrer le renfort de queique patrouille.
Entre deux rivières très-hautes, plus de pont
sur l’Ester, plus de bac sur l’Aruübonite; il nous
falloit le secours de quelques nègres et un canot
pour repasser la rivière , et affronter le chemin
des Gonaïves déjà investi par les brigands réin-
_surgés d’après les ordres de Dessalines.
Une ondée de pluie nous obligea à demander
un asile, à qui? À ce Titus dont il est parlé
dans la première partie de ces Mémoires, et qui
ce jour-là nous empoisonna, ainsi que le com-
mandant Huin. Nous retournâmes heureusement
CI
y 3
D'UN NATURALISTE. 383
aux Gonaïves sans coup férir, mais attaqués de
coliques convulsives.
Pendant la convalescence de cet empoisonne-
ment , étant retournés par mer à Saint-Mare, le
chemin de terre n’étant plus praucable pour les
blancs, nous avions fréquemment des nègres
fidèles de l'habitation qui venoient clandestine-
mentnous porter leurs plaintes ,etnous demander
quand les Français auroient le dessus, nous an-
nonçant que tous les culuvateurs voudroient bien
nous revoir, que les soldats de Dessalines les
pillent et les désolent , ravagent en un mot leurs
jardins ; enfin, pour mieux nous prouver leur.
bonne foi , ils nous dévoilèrent les secrets de la
position alors inconnue, du camp Marchand,
dernière retraite de Dessalines, où 1l devoit s’en-
sevelir, lui et les siens, sous les décombres de
souterrains minés qui eussent entraîné également
la perte de tous les assiégeans français. Ils nous
avouérent aussi que les nègres Congos et autres
Guinéens étoient tellement frappés de supersuuon
par les discours de leur général, que Dessalines
étoit parvenu à leur faire croire que mourir, tués
par les Francais, devenoit un bonheur pour
eux, puisqu'aussiôt ils étoient transportés en
Guinée, où ils reverroient papa Toussaint qui
les y attendoit pour compléter son armée qu'il
destine à reconquérir St.-Domingue. Ce système
384 VOYAGES
absurde lui a tellement réussi, disoientils, que
tous vont au feu avec intrépidité surnaturelle,
en chantant des airs guinéens, comme déja épris
de l'espoir de bientôt revoir leurs anciennes
connoissances.
Ne pouvant donner à ces nègres aucune so-
lauon , ils retournoient à habitation, impatiens
de voir leurs désirs accomplis. Que leur dire au
moment Où toute communication étoit inter-
ceptée, où mourant de faim dans les villes, on
ne pouvoit sorur qu’à force de baïonnettes et
de fusils destinés à protéger le butin que les
affamés alloient enlever dans les habitauons les
plus voisines ?
Le vigilant Dessalines avoit donné ordre de
ne plus tracasser, inquiéter les maraudeurs, afin
de les engager plus facilement dans le ‘piége
affreux qu'il leur tendoit. Ayant su par les
espions qu'à la suite de l’édificauon des nouveaux
forts et remparts de la ville de Saint-Marc, une
nouvelle maraude étoit promise, 1l fit passer
nuit et jour des troupes considérables pour
cerner le lieu seul abondant en vivres, pour
laquelle on la desunoit.
Nos gens enhardis par leurs succès sur les
noirs, se rappelant que dans des courses déjà
faites aux environs de Saint-Marc, une peute
parue des assiégés avoit mis en déroute des
phalanges
D'UN NATURALISTE. 389
phalanges entières d’ennemis embusqués, se dé-
cidèrent à être de la maraude, mais ils y allérent
avec trop de sécurité.
Dédaignant le terrain circonscrit près de la
ville, qui fournissoit encore des vivres en assez
grande quanuté, on voulut s'éloigner, et foncer
dans le pays ennemi. Dessalines avoit déjà prévu
que le 12 mars 1803, les assiégés de Saint Marc
viendroiïent, par leur trop grande confiance ,
chercher un carnage assuré dans une ravine où
l’on étoit hors de tout secours par la distance du
chemin, et la difficulté de communiquer avec la
ville à cause de l’embuscade que quelques-uns y
savoient placée depuis plusieurs jours mais dont
ils ne voulurent pas parler, dans la crainte d’être
soupconnés d'intelligence avec le paru de Des-
salines.
Un intérêt sordide porta donc la plupart des
maraudeurs à sorür sans munitions de guerre,
tant la perspecüve leur étoit attrayante. Beau-
coup cependant avoient un noir pressentiment
qu'ils chassèrent loin d’eux pour n’être point
contrariés.
M. MY**, un de mes amis, fut commandé
comme dragon : son ami, mon beau-frère RFF,
ne vouloit pas le laisser aller seul, tous deux
s'étant promis mutuellement de se secourir en
cas d’attaque ou de blessure, Bon, paisible.
Toxe HI, Bb
386 VOYAGES
et ennemi de la turbulence, M. MY** avoit ete
déjà plaisanté lors de récits journaliers de diffé-
rentes escarmouches qu’on ent à essuyer. Mais
celui qui n’a pas mis la force de l'homme dans
son propre courage, avoit donné à celui-ci une
foi inflexible au milieu du danger.
R*YY*, au caractère belliqueux, fut au con-
traire troublé en voyant pour la première fois ,
autour de lui, la mort planer de toutes parts.
Déja nos malheureux concitoyens, engagés
dans une embuscade, étoient la vicume d’un
feu nourri ei continuel. Déja leurs corps percés
par plusieurs feux croisés et obliques tomboient
avec le feuillage criblé de balles. Déjà les cris des
femmes et des enfans écrasés par la cavalerie,
apitoyoient sur leur sort leurs protecteurs 1m-
puissans par la pénurie de mumitions. L’épou-
vante, au front päle, les saisit; ils perdent
l'espoir en perdant leur force, la déroute s’em-
pare d'eux, ils veulent fuir et éviter le trépas qui
les poursuit, mais ils ne peuvent se faire jour:
les ennemis qui ont prévu leur chute et leur
défaite, ont barré le chemin par des embuscades
placées dans toutes les positions.
Lassés de la fumée fulminante, on en vient à
l'arme blanche : c’est alors que péle-mêle on
voyoit les bras voler, et les crânes ouverts en-
D'UN NATURALISTE. 38
traîner avec eux le néant de cette machine
mortelle.
L'avantage des embusqués redoubla leur rage,
et dans leur fureur ils crioient : « Nous grand
» gout jourdi là, nous vlé saccagé toutt’ blanc
» et mulätr’ layo de Saint-Marc » ! Quoiqu’assu-
rant protecuüon aux femmes, ils les brülèrent
dans les pièces de cannes où elles se cachoient,
et d’où le feu les obligeant de s'échapper à
demi consumées , elles venoient, pour ainsi
dire, recevoir une nouvelle mort des satellites
posés tout autour, qui les ürailloient comme
des bêtes fauves sortant d’un bois touffu! Mais Ja
colère la plus enflammée perd son effet à la voix
du Dieu des batailles. Il rend nulles à son gré
toutes poursuites; 1l se plaît à secourir ses élus
dans leur détresse, et à leur manifester sa haute
puissance, en les éprouvant par les plus grands
dangers et les angoisses les plus poignantes.
Ün nègre échappé au carnage, vient à la ville
appeler au secours, et chercher un repos à son
agitauon convulsive. On le voit passer égaré, et
pâle des couleurs de l’agonie que rendoit
encore plus livides le tems sombre qui pré-
sageoit ce malheureux événement.
Tous les habitans de Saint-Marc se réunirent,
et d’un même accord nous implorâmes la misé-
ricorde du grand Maître des destinées pour tous,
Bb 2
388 VOYAGES
et chacun pour ceux qui les intéressoient plus
parüculièrement; etau versetde David, « Lange
» de l'Éternel campe autour de ceux qui le
» craignent, et 1l les garantit », nous fümes
consolés , et concümes une juste espérance.
C’est alors que l’ange de ténébres, à tête hé-
rissée , au flambeau discordant, soufllant de
tout son pouvoir le meurtre et le trépas, fit son
dernier eflort, mais 1l fut impuissant. L’éternel
Dieu vivant, fidèle à ses promesses, le culbuta
avec ses vaines espérances,
Déjà M. M***, dans sa bonne foi, avoit fait
halte à Ja voix d’un dragon ennemi qui, profi-
tant de sa méprise, lui assena un coup de sabre,
mais 1l l’esquiva par une feinte soudaine. Deux
coups de pistolet lui sont urés à bout portant,
mais les balles déviées par une trop forte explo-
sion, ne purent l’attemdre.
RYY* de son côté, ayant à essuyer les horreurs
du désespoir de trois chefs qui le harceloïent,
entend siffler six balles à ses oreilles, et est
noirci par les amorces. Il se trouble... tombe
à la renverse... Les cavaliers, au comble de
leurs vœux, mettent pied à terre, mais 1ls sont
bientôt forcés de reprendre selle par l’arrivée
de deux de nos gendarmes, au moment où
R*** d’une voix étouflée crioit, 7e me rends!
il fut donc, par cette rencontre heureuse et
D'UN NATURALISTE. 389
inattendue, enlevé au fer tranchant de ses per-
sécuteurs.
Il se traïnoit avec peine , abattu par l’effroi, et
tremblant par l’idée de la mort qu'il venoit
d'éviter ! Soudain il apercoit M*** , et ranimant
ses forces, 1l oublie la perte de son chevel, et
monte en croupe sur celui de son ami. À peine
pouvoit-il embrasser son corps de ses mains
débiles et tremblantes; à peine avoitil trouvé
l’aplomb sur sa selle vacillante, que le coursier
vole plutôt que de marcher, jusqu'à ce que
les deux amis soient hors de l'atteinte des
embuscades semées sur le chemin; et ce qu'il v
a d'étonnant, c’est que le cheval de R***, qui
étoit mon coursier favori, reparoît devant eux
tout équipé et sortant du bois, sans avoir voulu
se laisser prendre par aucun étranger. Ils avoient
en croupe chacun leur petit nègre qui, enten-
dant crier, #iembé chapeau gance d'or,
demandérent en grace de les laisser descendre,
se regardant plus en sûreté à terre.
Mes deux amis rencontrérent un praucien
de senuers détournés, qui les guidèrent dans des
chemins raboieux et impraticables, au milieu
desquels tous les chevaux rebouquèrent (1)
air)
excepté les deux miens. Mes deux amis évitérent
(1) Terme du pays, qui veut dire Aarassé.
Bb 3
390 VOYAGES
encore au bas du morne, l’embuscade du
retour qui venoit d’être relevée, et se rendirent
enfin à nos désirs.
Leurs compagnons d’infortune qui avoient
échappé au carnage et à la désolation, se trai-
noientet paroissoient de tous les coins des bois.
Le cœur étoit navré de voir le lendemain , à
la rentrée des fugitifs, de petits enfans lever au
ciel leurs bras ouverts, et courir vers eux du plus
loin qu'ils les apercevoient, pour y retrouver
une mère en lambeaux, que beaucoup, hélas! ne
purent rencontrer.
Un capitame de la cinquième légère, troupe
si redoutable, arriva transpercé de balles et de
baïonnettes : 1l avoit pour épouse la fille du gou-
verneur de Cadix , jeune espagnole qui Pavoit
suivi. Je ne vis jamais de spectacle aussi atten-
drissant que la réunion de ces deux époux. Le
mari s'étant sauvé à travers des monceaux de
cadavres, les mains liées, les vêtemens arrachés,
n’ayantenfin sur lui qu’une partie de sa chemise,
s’'évanouit de joie et de fatigue en abordant la
porte de la ville où lattendoit sa vertueuse
épouse , déja éplorée par la crainte de ne plus
le revoir. Je fus édifié des soins assidus qu’elle
lui prodigua, des veilles qu’elle supporta ,
quoique délicate, pour protéger le sommeil
du blessé en Féventant ou lui chassant les
D'UN NATURALISTE. 391
bigailles (1) aturées par ses innombrables
blessures.
Un homme de couleur revint également
percé de douze balles.
Trois blancs et deux hommes de couleur
s'étant jetés dans les bois, gagnèrent le bord de
la mer , et furent aperçus par un pêcheur qui
alla les chercher.
Enfin nos ennemis, quoiqu’ayant eu Pavan-
tage par la supériorité du nombre, furent
tellement maltraités, que le lendemain ils com-
blèrent deux cabrouets de blessés, ayant laissé
sur le champ de bataille les morts confondus
à quelques vicimes de notre paru; ce qui fit
dire à Dessalines : « Si toutes les victoires me
» coûtent autant que celle-c1, 1l ne faut pas en
» remporter souvent ».
Pendant toute l'affaire , on vit dans une réserve
Dessalines et son état-major , à pied , tous riche-
ment vêtus, les bottes luisantes, magnifiquement
éperonnées ; poudrés à blanc , et portant tous des
uniformes à l’anglaise ; puis un brick de cette
naion, mouillé à peu de distance du rivage de
la mer, et qui fut sûrement leur pourvoyeur ;
car 1l étoit en rade ennemie, à portée de pistolet
des tentes de l’armée noire.
(1) Essaims de moustiques et maringoins fort income
modes pour les malades.
: B b 4
392 VOYAGES
Ma santé étant rétablie , je fus appelé au Port-
au-Prince, pour y être présenté au général
Thouvenot, successeur du général Dugua. Ce
premier, également ami et protecteur des arts,
confirma non-seulement l'emploi qui nv’avoit été
décerné ; mais ayant eu des détails sur ma posi-
Uon critique, après m'avoir annoncé que dans ce
moment la pénurie des caisses ne permettoit pas
de me faire compter mes cinq années de traite-
ment, 1l ajouta que le gouvernement néanmoins
ayant égard à mon zele et à mon dévouement,
n'accordoit provisoirement une graüficauon de
mille livres que je recus d’après les soins égale-
ment recommandables de M. Daure, préfet
colonial de l’île de Saint-Domingue.
Le général Thouvenot, juste appréciateur des
sciences que lui-même culuve, m'offrit aussi
un local à l'état-major pour y travailler à la
mise au net de mes manuscrits ; mais ces offres
me devinrent infructueuses, puisque le jour
même , on apprit de nouveaux troubles qui déci-
dérent mon départ pour la France , ma présence
devenant inutile dans un pays où les arts sui-
voient les phases de la révolution.
Ah! Dessalines, tu n’as que trop prouvé la
ténacité de ton caractère, et la stabilité de tes
promesses. français layo, dit-il bien des fois
en ma présence, yo va bouquer, yo va aller
D'UN NATURALISTE. 393
dans pays à z'autres , et nous va maitr'astor,
et francs (1). Pourtant les bases encore peu
solides de cette indépendance pourroient être
ébranlées :
10. En intéressant à l'expédition d’une nou-
velle conquête de l’île, les puissances maritimes,
qui le doivent pour la sûreté de leurs colonies;
2°. En divisant les chefs noirs;
30. En s’emparant d’abord des villes et des
magasins, ainsi que des arsenaux ;
4°. En faisant garder scrupuleusement les
côtes ;
5°. En établissant des colonnes mobiles, à
l'effet de ravager dans les montagnes voisines et
éloignées les denrées , les vivres, et par là
forcer les culuvateurs, qui sont les seuls bien
disposés , à se rapprocher des villes d’où on les
proiégeroit jusqu’à la défaite des militaires noirs;
6°. En s’assurant de tous chefs militaires
supérieurs ou inférieurs qui jamais, nOn jamais
ne plieront leur tête aluère sous la rigide disci-
pline de la culture. Que dire de Dessalines, qui
ne fut sous Toussaint-Louverture que le levier
de sa souverame autorité, forcé, comme subor-
(:) Les Français vont se lasser de leurs foibles avan-
tases, 1ls retourneront dans leur pays, et alors nous
seront libres et imdépendans.
304 VOYAGES
donné (1), de mettre à exécution des projets
homicides combinés dans une intime réserve,
et que son activité seule pouvoit faire éclater,
puisque, depuis qu’il a régi de son propre mou-
vement, 1l a cessé ses exécutions, apaisé ses
vengeances, fait des prisonniers pour grossir les
peuplades, et a recu des blancs qu’il a rangés sous
rebut de fa Nature! Sa mort est donc un pas
assuré vers la conquête du pays, et le chef qui
Va remplacé ayant moins de moyens, sil étoit
assuré de sa grace, deviendroit un précieux ins-
trument de la restauration de la colonie par son
extrême influence , et renonceroit au vaste
projet d'indépendance déjà ébranlé par la divi-
sion intestine des trois départemens, à ce projet
dont Toussaint-Louverture lui laissa le plan,
concu et favorisé par des correspondances anglo-
manes qui n’ont cessé d’exister, etqui aujourd'hui
surtout se manifestent ouvertement dans les
ports évacués par les Francais, où le commerce
se fait avec les puissances américaines usurpa-
trices de nos propres dépouilles.
Dessalines fatigué de ses sanglantes exécutions,
et désirant enfin un repos qu'il ne pouvoit
trouver en pratiquant le crime; accusé par ses
(:) Falet pas maître , disoit-il pour s’excuser.
D'UN NATURALISTE. 395
remords, cherchant à détourner de quatre-vinats
individus le glaive menacant dont Toussaint-
Louverture l’avoit armé, s’étoit rendu clément
envers Mrs Carrerre, etc... du Port-au-Prince,
sur le sort desquels l’oracle de destruction avoit
déjà prononcé. Détenus en rade à bord d’un brick
américain , et y attendant dans des transes mor-
telles l’issue de leur prison, ils recurent enfin de
Dessalines l’ordre de leur élargissement.
Carrerre et ses compagnons ayant cru devoir
leur liberté à l’arrivée soudaine de Toussaint.
Louverture, allérentle remercier ; maiscetyran,
par un effet rétroacuf de sa volonté suspendue,
frémit, se troubla..……. et gronda sourdement de
m'avoir point été obé1. Il renvoya tremblantes
ces quatre-vingts victimes, sur la vie desquelles 1l
se hâta de prononcer une seconde fois , et appe-
Jant Dessalines : Prenn’ gard’, lui dit-il avec
Vaccent dela fureur , dimain moué tendé parlé,
monde layo(x1).Pour cette fois Dessalines, contre
son habitude, revint sur ses pas, fit arréter pen-
dant la nuit et massacrer les quatre-vingts blancs
qui révèrent seulement leur bonheur.
Que dire aussi d’un Maurepas, général com-
mandant au Port-de-Paix, qui, par respect pour
(1) Prenez garde que demain j'entende encore parler
de ces prisonniers,
396 VOYAGES
son ancien maître mort de maladie, lui fit
rendre avec pompe les honneurs de la sépulture,
et se rappelant son premier äge, quitta ses habits
somptueux pour creuser lui-même la fosse qu’on
avoit négligemment préparée ?
Quant à Toussaint-Louverture , outre ses
crimes politiques, tantôt protecteur, tantôt viola-
teur des temples consacrés à l'Eternel, 1] mit au
jour sa monstrueuse hypocrisie en blasphémant
à la nouvelle que les Français avoient sur lui
l’avantage. 11 dit au curé des Gonaïves, en tenant
un crucifix à la main : « Je ne veux plus servir
» ce Dieu »! Puis l’écrasant sous ses pieds, lui-
même, de son bras sacrilége 1l commença à
incendier l’église!
Après beaucoup d’autres événemens, je re-
parus par ordre du chef d’état-major-général
Thouvenot, qui, par intérêt pour les arts, me fit
sauver mes manuscrits, VOyant que tout espoir
de restauration étoit vain jusqu’à nouvel ordre.
D'UN NATURALISTE. 307
LS AA ASS en A he D D nn 0 nn ne Te ne D Te D Sa a CE
DÉPART DE SAINT-DOMINGUE
POUR LA FRANCE.
L'xonzox politique s’obscurcissant de plus en
plus, et son tonnerre grondant déjà sourde-
ment, plusieurs officiers généraux m'engagèrent
à sauver mes manuscrits qui devenoient ma seule
espérance. Le général Thouvenot, chef de l’état-
major, approuva mon départ avec l'intérêt d’un
protecteur des arts; c’est pourquoi il m’obunt
du capitaine-général Rochambeau , une gratifi-
cauon , et un passage à bord de la corvette Za-
torche, qui partoit le soir même pour la France.
Ce départ précipité du Port-au-Prince me fit
laisser une parue de mes effets à Saint-Marc,
m'esimant heureux de me soustraire à un car-
nage inévitable, et trouvant l’occasion d’être
utile pendant la traversée aux dames de l’adiu-
dant-général Huin , mon ami.
Le canon du départ s'étant fait entendre, nous
nous embarquämes à six heures du soir, le
4 prairial an xt, et relichämes au Cap, pour y
prenûre le général de division Quanun , accom-
pagné de quelques ofliciers de sa suite. Noire
traversée fut heureuse sous les rapports de la
308 VOYAGES
navigation, mais désagréable par la désumon
qui régna parmi les passagers. J’en essuyai peu
les contrariétés , ayant lié paruculièrement con-
noissance avec un colonel doué de talens et
d’amabiliié, M. Dalvimart, en qui les jeunes
années s’annoncent par quelques perfecuons où
découvertes en peinture et dhittérature ; et
M. Bazin, enseigne de vaisseau , qui, à des
mœurs douces et sociales , joint des talens supé-
rieurs en mathématiques , dessin et navigation ,
qui lui ont fait des envieux.
Nous mouillimes le 8 frucudor an x1, à sept
heures du matn, dans la baie de Cadix , au lieu
de celle de Toulon notre desunatuion, après
avoir été vainement chassé par une frégate
anglaise qui vint jeter l’ancre auprès de notre
corvelte; cependant nous n’eûmes rien à re-
douter de son voisinage , étant sous la pro-
tecuon des farts d’une puissance neutre.
Nos deux vaisseaux saluèrent ensemble la ville ,
et on répondit alternativement à nos deux salves
d’arullerie.
La ville de Cadix, bäte sur un terrain peu
élevé , ne se voit que de cinq à six lieues en mer;
mais les montagnes de Hedina-Sidonia , situées
a l’est de Cadix , se découvrent de douze lieues
au large. La parue la plus apparente de Cadix
est de la plus grande élégance et d’une blancheur
D'UN NATURALISTE. 309
éblouissante, La régularité de ses bâimens qui
sont d'une architecture moderne, plaît généra-
lement, Les maisons sont élevées , et terminées
en haut par des tourelles qui tracent sur lPazur
du firmament des dessins d'autant plus variés et
délicats, que leur forme n’est point constante.
Sur le bord de la mer se trouve une promenade
publique, appelée la Meda , fréquentée tous
les soirs par les habitans de Cadix et les
étrangers ; elle est éclairée d’arbre en arbre par
des fanaux, qui de la rade font le plus joli
effet.
On ne nous laissa pas jouir long-tems d’un
point de vue aussi enchanteur, et notre arrivée
des colonies fut bientôt suivie de la visite des
membres du comité de santé, qui, sans s’appro-
cher de notre bord, déclarèrent, après quelques
questions d’usage , que nous subirions la qua-
rantaine. Cette mesure est d'autant plus sage,
que la peste de Malaga venoit d’être commu-
niquée par des balles de coton venant des îles
Anulles ,et qui y avoient été déballées sans pré-
caution ; et pour mieux nous faire sentir l’hor-
reur d’un tel fléau , on nous apprit qu'à Malaga
les habitans d’une maison entière dans laquelle
s’étoient développés les germes de la peste,
avoient cessé de communiquer avec qui que ce
soit, etque, par mesure de sûreté publique, on
4oo VOYAGES
avoit maconné toutes les ouvertures de cette
maison dont ceux qui l’habitent étoient con-
damnés à périr , faute de secours, au milieu des
horreurs de la famine!
Cependant un vil intérêt engagea des mar-
chands de toute espèce à s'approcher de nous
pour recevoir nos commussions , et le prix de
leurs achats, abus d'autant plus blämable, que la
sévérité du réglement de police est nulle à la
vue de l’or. En effet, on trempe d’une main
tous les écrits dans le vinaigre, comme pour
neutraliser les miasmes méphyuques, et on
recoit de l’autre largent et divers objets qui
n’ont point été assujelus à cette formalité de
précaution. On nous apporta des provisions et
des fruits qui nous furent vendus à un prix
exorbitant. Le vin de Pakaret, justement
estimé, eut la préférence sur tous ceux de
dessert que l’on nous fit goûter.
D'après le rapport fait par les membres du
comité de santé, on vint nous signifier l’ordre
d’aller en quarantaine à l’extrémité de l’île de
Léon, près de la terre ferme, et à deux lieues de
Cadix , dans un couvent abandonné, situé sur”
le bord de la mer. Nous débarquämes en cet
endroit silencieux , et quoique solitaire , nous le
préférâmes sous tous les rapports au séjour de
noire vaisseau.
Les
D'UN NATURALISTE. 401
Les yeux s’y repaissoient avec avidité de la
verdure des palmiers, dattiers , oliviers et juju-
biers , dont les jardins en friche étoient ornés.
Les mouettes et les goélands venoient dans leur
vol raser les plates-formes de notre retraite , et
nous témoigner par leurs cris importuns leur
étonnement de voir habiter des lieux si long-
tems déserts. N'ayant autour de nous personne
capable de nous donner des renseignemens sur
l’état de l'endroit que nous devions habiter, et
ayant, à notre arrivée , trouvé toutes les portes
ouvertes, nous parcourions les longs corriiors
du couvent, pénétrés de réflexions singulières ;
chacun y choisit son appartement qu’on meubla
avec un matelas du bord.
Nous éuons gardés au dehors par des soldats
espagnols ayant ordre de ne point communiquer
avec nous, et ne nous parlant que de très-loin.
La barrière qui nous séparoit du corps-de-garde
n’étoit qu'une simple corde qu’on ne pouvoit
franchir sans les risques de recevoir un coup
de fusil. Cet ordre sévère fut pourtant enfreint,
grace à de légères graufications qui nous per-
mirent d'aller, pendant la nuit, porter nos pas
incertains au nulieu des campagnes qui nous
environnoient. Îl résulta de ces excursions que
nous découvrimes la véritable situation de notre
lieu d’exil. Le couvent que nous occupions est
Tous Hl Ce
402 VOYAGES
séparé du bourg ; ‘c'est là que fut transférée
depuis 1769, la résidence de la marine du roi
d'Espagne. L'île communique avec la Caraque
par un canal large et profond qui peut porter
des vaisseaux de guerre.
Nous eûmes un soir d'assez vives inquiétudes
sur le sort de notre vaisseau, qu’un brülot
anglais, abandonné à la dérive, fut sur le point
d'incendier. On savoit que notre bâtiment avoit
à son bord beaucoup de poudre ; d’après le
calcul des vents et des courans, le brülot en
étant déjà prés, le capitaine en fit couper les
cables, pour s'éloigner d’un danger si immi-
nent, Un instant avoit vu embraser le vaisseau
incendiaire , un autre fut témoin de ses flammes
perfides, mais bientôt sa carcasse désunie em-
porta avec elle , au fond des eaux , l’espoir
trompé et la honte des agens de la cour bri-
tannique.
Notre quarantaine étant finie sous les plus
heureux auspices (1), nous fimes voile vers
Cadix, et nous y descendimes à la posade des
(1) Si au milieu de Ja quarantaine quelqu'un des
passrgers tombe malade , la quarantaine recommence,
à moins d'avoir quelque crédit auprès du comité de
santé, qui seul peut décider si la maladie survenue
west point d'une nature épidémique.
D'UN NATURALISTE. /0o3
deux Palombes, chez un Francais marié à une
Espagnole de laquelle il avoit deux filles
modestes et d’une figure angélique, Dona
Maria et Dona Técla, qui me parurent avoir
la plus haute esime pour les Francais, redou-
blèrent, à notre arrivée, de soin et d'activité, et
affectérent, pendant notre séjour-à Cadix , une
parure recherchée, propre à flatter nos sens. Le
voile noir qui contrastoit d’une manière sédui-
sante avec leur buste d’albâtre, leur robe de
taffetas noir ornée de trois rangs de basquines (1),
et coupée par un bas de soie ; une chaus-
sure élégante, une étude enfin dans le maintien,
annoncèrent que nos jeunes Espagnoles cher-
choïent à nous intéresser, mais elles ne préten-
dirent qu’à notre estime.
La ville de Cadix est bâtie sur une langue
‘ de terre, à l'extrémité septentrionale et occi-
dentale d’une île appelce le de Léon. Ses rues
les plus commercantes sont étroites et mal-
propres. Ce séjour est gai en ce que c’est le
point de réunion du commerce de toutes les
nations. On y voit le silencieux Anglais, le trop
confiant Francais, l’adroit Algérien , le géné-
reux Musulman , l’ingénieux Italien, et le fier
Le
————— ——— —— — —" "" ———
(1) Ce sont des franges torses de même couleur,
Ce 2
4o4 VOYAGES
Espagnol concevoir des projets d’une fortune qui
leur est constante ; un trafic somptueux est
ouvert, un commerce universel et une uule
consommation y sont entretenus par les marins
revenus de croisière, pour semer l'or, et le
prodiguer aux spéculateurs avides de l’amasser.
La température brûlante de ce climat pro-
voquant les mêmes besoins qu’à Saint-Domingue,
on y vend, dans les marchés, une partie des
fruits et des légumes de cette colonie; on y
trouve entr'autres des charretées de pastèques
et de cantaloups , des tomates , des pimens
d’une espèce particulière, des poissons que la
rade fournit en abondance, et parmi lesquels
on disungue une prodigieuse quanuté de raies
d’une espèce peu connue, des soles , etc.
Je fus indigné d’un abus fanatique dont je fus
témoin tous les jours. Les marchés sont remplis
de mendians ; des padres parasites les suivent,
et aux noms de pro Sancté Trinitate , pro
Sancté Marid , exigent des pauvres mêmes
qui osent refuser, la restitution de l’aumône
que ces malheureux recoivent d’une main,
pour la verser de l’autre dans la bourse d’hy-
pocrites qui, après une quête fructueuse et
forcée, vont s'installer chez des marchandes
de modes, pour y faire des cadeaux à leurs mai-
D'UN NATÜRALISTE. /o5
tresses , qu'ils y conduisent effrontément. C’est
pourquoi les pauvres, dans la crainte de faire
des demandes en présence des quêteurs , prennent
les plus grandes précautions, afin de reurer
quelque fruit,des aumônes qui leur sont faites.
On construit à Cadix une cathédrale de l’ordre
Corinthien , dont tout l’intérieur est en marbre
blanc. Il se trouve à l'extrémité de la ville un
hôpital où lon remarque une assez belle
bibliothèque, et une suite de pièces d'anatomie
exécutées en cire.
Je ne sais quel auteur prétend que les Espa-
gnols, peu faits pour l'harmonie, n’ont ni oreille
ni mesure. Je ne connois point au contraire de
pays où les musiques militaires et les chants
guerriers des régimens soient mieux exécutés
qu'à Cadix, où les musiciens d’instrumens à
vent y soient d’une force supérieure pour la qua-
lié du son, et y exécutent des morceaux de Ja
dernière difficulté. Je crois deviner la raison
pour laquelle l’auteur inconnu ne reconnoit
dans les Espagnols, ni mesure ni oreille : c’est
que le soir, au moment de la retraite, les exécu-
teurs de cette harmonie imitaüve sont placés
par groupes, et, séparés les uns des autres,
jouent des airs sous des mesures différentes;
ce qui en eflet produit à l’oreille peu exercée,
des faux tems que l’action des tambourins fait
Ce 3
406 VOYAGES
prendre pour des contre-mesures; mais si l’on
entend séparément chaque groupe, on doit
porter un tout autre jugement. Cette cohorte est
précédée de fanaux d’une forme originale, et de
sectaires du rosaire qui aiment à s’immiscer dans
toutes les cérémonies.
C’est après cette retraite que l’on se rend aux
promenades, dans les cafés pour y prendre des
glaces, et où, pour le dire en passant, un de
mes amis recut un coup de stylet qui m’étoit
destiné, en raison , je crois, de mon haut plumet,
et du costume étranger dont j'étois revêtu. Cet
ami n'eut fort heureusement que le bras traversé.
On remarque à Cadix deux portes de ville,
celle de terre, et celle de mer. Il y en a bien
deux autres, ou espèces de poternes, dont lune
sert pour aller sur le môle de la pointe de
Sainte Croix , et la seconde, voisine de la nou-
velle douane, qui donne passage sur un peut
môle où l’on embarque et débarque les mar-
chandises ane les vaisseaux de transport doivent
charger pour les Indes occidentales, ou qu’ils en
rapporient à leur retour.
La porte du port est double; on entre dans la
ville d'un côté. et on en sort par l’autre, afin de
rendre plus difficile l'introduction des marchan-
dises de contrebande, et de faciliter les visites
qui se font exactement tant à l'entrée qu’à la
D'UN NATURALISTE. 407
pi
sortie. La porte de terre est resserrée par une
langue de terre étroite, et elle offre des forufi-
cations redoutables.
Cadix est une des villes les plus commercantes
de l'Univers ; c’est l’entrepôt du commerce des
colonies espagnoles. Il y entre, diton, année
commune pour soixante-douze ou soixante-
quinze millions de livres tournois en or et
en argent, tant mOonnoyés que travaillés en barres
ou lingots, et pour vingt-cinq à trente nullions
de denrées coloniales.
Les visites à la porte du port ont deux buts :
1°. d'empêcher le trafic du tabac rapé, et
de s’opposer à la sorte frauduleuse de For et
de l’argent. Il est défendu d'introduire dans le
royaume d’autre tabac que celui d'Espagne, et
les lois les plus sévères atteignent les délinquans
qui sont condamnés au travail des mines.
29. L'or et l'argent importés doivent un droit,
ainsi que ceux qu’on exporte: Le droit pour le
dermier est de quatre pour cent. Les vaisseaux
de guerre n'étant point assujetus à la visite, pro-
tégeolient ce transport illégitime. On appelle les
fraudeurs en ce geure, picaros.
il y a à Cadix deux salles de spectacles , mais
dont les acteurs sans jeu et sans costumes n’ont
pas le droit d’intéresser un habitant de la Capitale
de France. Je vis néanmoins avec intérêt deux
CC
498 VOYAGES
enfans des deux sexes y danser avec grace an
pas de caractère en agitant leurs castagnettes,
au son d’un so/o de flûte mélancolique que
je sus distinguer au milieu d’un nombreux
orchestre. C’est dans ces lieux publics que l’on
voit les marquis aux vêtemens bigarrés sans
élégance, ayant la tête couverte d’une résille et
ornée d’un énorme catogan. On y voit encore
les grands d'Espagne sans costume disuncuüf,
les chevaliers de Saint-Jacques, ceux de Cala-
trava, ceux de Saint-Charles, ceux d’Alcantara,
et ceux de Montesa (1) se confondre aux groupes
de la populace dont ils savent peu communé-
ment se faire respecter. Ils gardent même sou-
vent un maintien peu décent : Jai vu un
chambellan négligenment vêtu, quoique por-
ur du bijou qui le fait reconnoître, se
vautrer sur les bancs devant les spectateurs
accoutumés probablement à cette honteuse fa-
miliarité , et y manger avec voracité des gäteaux,
ou provoquer publiquement par des gestes non
équivoques les Fénus de moyenne vertu dont
ces assemblées sont en grande partie composées.
Dona ‘Fhecla, notre charmante posadera, me
donna beaucoup de renseignemens particuliers
sur les mœurs des habitans de Cadix , mais qui
(1) Les cinq ordres recounus en Espagne.
D'UN NATURALISTE, /og
ont tant de rapports avec les coutumes de Ja
ville de Saint-Yago, île de Cubes, que j'ai
décrites à la fin de mon premier volume, que je
me crois dispensé de les répéter 1c1.
* On paie un droit à la douane pour sorur de
Cadix la poudre à ürer qui y est d’une qualité
supérieure, et la cire d'Espagne.
On mange en Espagne beaucoup de friture,
comme le mets le plus simple à préparer; mais
on se sert à cet eflet d’ane huile épaisse et
infecte, qui a d'autant plus de réputation que
son odeur est plus forte. Je crois que sa
mauvaise qualité provient d’un défaut de pré-
paration dans son extraction des olives si com-
munes en Espagne.
Les porte-faix de Cadix se font charger sur
le dos les ballots les plus pesans; ils y sont
seulement retenus sur une natte de paille qui
prend naissance sur leur front en guise de ban-
deau., et se prolonge au long de l’épine dorsale.
Cegrossier paillasson n’étant pointglissant, main-
uent les paquets par ses aspérités, Ces hommes
ont d’ailleurs l'habitude de se servir d’une corde
destinée seulement à conserver l’équiibre. Les
porteurs d’eau ont des vases immenses. On voit
à Cadix beaucoup de négocians de la Catalogne,
revêtus d’un manteau brun dont le dessous est
de couleur rose. Ils ont la tête couverte d’une
Aro VOYAGES
résille, qui ne diffère de celles qui furent si
long-tems de mode à Paris qu’en ce que le cul-
de-sac se prolonge davantage, et est terminé par
une rosette descendant jusqu’au bas des reins.
Par une singulière snarrerie les décorations
militaires s'accordent en Espagne, et se modifient
en sens inverse relativement à notre pays. C’est
pourquoi les officiers supérieurs n’ont leur uni-
forme relevé que d’un simple liseré galonné,
tandis que les capitaines ont les épaulettes de
sous-lieutenant, ceux-ci et les lieutenans, des
épaulettes de capitaine et de chef de bataillon ,
enfin les bas-officiers porten#celles de colonel.
Par un semblable contraste, lorsqu'un facuon-
nare porte les armes à un officier , 1l lui tourne
le dos pour exécuter sa manœuvre,
Les dames espagnoles ont beaucoup de graces
sousleurs costumes; souventc’est un gros bouquet
placé sur un large chapeau qui fait leur seule
parure ; une autre fois le même bouquet se
relrouve, et se joue sous un voile élégammient
drapé qui, docile à l’haleine officieuse d’un
zéplhur badin , laisse admirer une gorge d’albätre
où brillent les diamans, ou dont de simples
perles font souvent le plus bel ornement. Leurs
bras nus sont également chargés , à diverses
distances , de bracelets des mêmes bijoux.
Parmi les fruits qui acquièrent sous ce chmat
D'UN NATUÜRALISTE, 4ri
favorable une qualité supérieure, on disungue
les raisins des environs de Malaga , et dont les
espèces les plus vantées sont /e lagrima et le
guindas. 1] n’est pas rare d’en voir des grappes
du poids de douze livres, dont chaque grain
est de la grosseur d’une prune moyenne. C’est
de ce fruit par excellence qu’on obtient les vins
cuits délicieux de Malaga, Ximenés, de Rota,
de Rancio, de Xérès, et tant d’autres qui ont
acquis une juste célébrité. On voit en ces con-
trées privilégiées le pommier auprès du datuer,
l'olivier et le cocotier près d’autres arbres euro-
péens qui ne prospéreroient point en des cli-
mats plus clauds. Les figues y sont excellentes,
et on en récolte en telle abondance qu’elles
fournissent au commerce, par leur exportation,
une branche importante lorsqu'elles ont été
préparées. On m'assura que la Catalogne et
V'Andalousie fournissent en Espagne les plus
belles figues, tandis que Séville est réputée pour
ses belles ohves.
Enfin le climat tempéré de la partie méridio-
nale d’Espagne, abrité du vent du nord par
la réunion de montagnes qui forment un demni-
cercle rapproché des côtes de l'Est, est si propice
à la végétation , queles cannes à sucre y réussissent
trés-bien à Valence, ainsi que le remarque un
auteur. Cette précieuse production, ditil, fut
hr2 VOYAGES
apportée de l’Inde en Egypte; sa culture s’intro-
duisit en Sicile, ei les Maures la portèrent sur
les côtes de Grenade. Lorsqu'ils en furent chassés
en 1483, on y trouva quatorze plantations,
grandes et peutes, et deux moulins à sucre.
Les Espagnols ayant découvert l'Amérique,
y porterent cette plante, dont la culture s’étendit
bientôt jusqu’au golfe du Mexique. Depuis ce
tems elle à été négligée par la mère-patrie, mais
on en irouve encore assez pour fournir à une
fabricauon considérable.
On remarque aux débouquemens de Cadix
deux prismes appelés colonnes d’IHercule , et
par les Espagnols, Saint-Pierre et Saint-Paul.
les servent à diriger les marins dans leur
navigalion.
Nous repartimes de Cadix, dans l'intention
de traverser l'Espagne dans sa plus grande
étendue, pour nous rendre à Bayonne; c'est
pourquoi, après avoir fit mes adieux à M. Leroi,
commissaire-général francis des relations com-
merciales à Cadix, je m'embarquai avec le
général de division Quantin et on état-major,
pour le port de Sainte-Marie, qui est situé près
le port Réal, et à trois lienes par mer de Cadix.
Notre réunion devenoit d'autant plus uule que
les routes d'Espagne sont peu sûres; aussi
donna-t-on une garde d'honneur à notre
général.
D'UN NATURALISTE, 413
Non loin de Sainte-Marie on rencontre au
milieu des champs peu culuvés quelques trou-
peaux épars, et le long des grands cliemins, des
croix qui indiquent le lieu de la sépulture de
voyageurs assassinés. On y remarque beaucoup
d’ohviers, dont ies plantations régulières sont
disposées en échiquiers. Ces arbres ont le feuil-
lage argentun qui contraste avec la verdure fon-
cée d’alentour ,etils fournissent les grosses olives
d’Andalousie, renommées pour leur volume et
leur saveur. On y côtoie la Guadalète, peute
rivière ombragée par la longue chevelure du
saule pleureur, sur les bords de laquelle
Rodrigue, en perdant un sceptre et une cou-
ronne, fut tué et son armée défaite par deux
cent mulle Maures.
La plupart des possessions rurales y sont en-
tourées d’aloës pitt, appelé pingoin, que ses
feuilles radicales, armées d’épines aiguës rendent
inabordables. On remarque dans l’intérieur , des
semis considérables de pins, de mélèzes et de
cyprès.
Nous fümes importunés vers midi par une
poussière impalpable qu’une nuée de moustiques
rendit encore plus incommode. Je ne vis jamais
ces insectes sous une mulüplication aussi in-
nombrable. Bientôt une nature riante vint nous
consoler de cette contrariété passagère, et la
9
414 VOYAGES
vue de nouveaux plants d’oliviers végétant sur
une terre rougeâtre, de chaumuéres agrestes
cachées sous un hierre touffu qui en fait le plus
bel ornement, d’'Espagnols cultivateurs campant
au milieu de landes embaumées par le romarin,
le myrte, le thym et le serpolet, au milieu
desquels ils prenoient un repas frugal, fut pour
nous une surprise autant agréable que délassante.
Nous foulàämes aux pieds Ze talcite et le granit,
si communs en ces lieux qu’on en construit des
bornes et des ponts.
Nous arrivames à Xérès de la Frontéra, vil-
lage situé près la rivière de Guadalète , fameuse
par la bataille de 1713 , dont je viens de parler,
et non par la tenue de ses posades, puisqu’après
une route fatisante on ne nous servit que des
tomates , de l’ooille, des feuilles de chou frites
dans de l'huile puante , un pain plat et sans le-
vain, enfin pour boisson, du vin de Xérès qui
nous fut offert dans un a/karasas (1), espèce
de carafe flanquée d’un tube recourbé, et que
l’on passe à la ronde. Xérès de la Frontéra est à
neuf lieues de Cadix , c’est à dire à six lieues du
port Sainte-Marie.
Nous avançämes dans l’ Andalousie, et traver-
sàmes successivement la Venta-de-Saint-Antonio,
(1) Appelé en Egypte bardac, selon M. Sonnini.
4
D'UN NATURALISTE. 15
: Virera , Mayréna, Carmona et Rio-Frio, pour
arriver à Ecija , ville d'Espagne , située non loin
du Guadalquivir, et à trente-deux lieues de Cadix.
N'ayant point fait pendant cette route aride des
remarques dignes d’être citées , puisque je n’y
observai de particulier que des citernes où l’on
conserve précieusement l’eau de pluie pour bois-
son, Ce qui annonce un pays peu fertilisé , je vais
entretenir mou lectear d’Ecrja.
L’extérieur des maisons d’Ecija flatte la vue,
et fait honneur au premier peintre-décorateur
qui a imaginé de représenter sur les murs des
décorations théâtrales, ou d’autres paysages
pittoresques, tandis que l’intérieur des apparte-
mens , sans luxe et sans ornement , ne présente
à l’œil que quatre murailles blanchies à pans
réguliers , d’autres cintrées, formant des voûtes
qui rendeni ces appartemens très-sonores. Les
écuries y ont paruculèrement fixé l'ambition ou
plutôt la curiosité recherches de l'architecte ;
elles sont dans la ville et aux environs, d’une
somptuosité et d’une propreté remarquabies ;
et le voyageur est étonné d’y voir les chevaux
mieux logés que les hommes , puisque les pi-
liers mulupliés de ces utiles et spacieux empla-
cemens sont formés par des colonnes de granit,
ou tout au moins de pierres trés-régulièrement
arrondies.
416 VOYAGES
Les chevaux de choix y sont tenus les pieds
attachés à des anneaux fixés en terre, ce qui rend
leur position pénible et faugante : on leur pro-
digue le fourrage, on veille sans cesse à leur en-
tretien , et ces soins sont en quelque sorte une
somptuosité de la part de celui à qui ces chevaux
appartiennent.
Les Espagnols d’Ecija font un usage immo-
déré de gros piment doux ei de tomates qu’on
mêle à tous les ragoüts et au mets favori du pays,
qui est une réunion de lard rance, de pois ronds
avec leurs gousses , de courges , et de feuilles
tendres de melon.
D'Ecija , nous fimes route pour Cordoue, qui
est à quarante lieues de Cadix , et où nous arri-
vâmes en passant par la Carlote, pays peu digne
de remarque , si ce n’est par l'usage de ses puits
à chaînes garnies de godets destinés à puiser
l’eau.
Nous entrèmes dans Cordoue , grande ville
qui est placée au bord du Guadalquivir.
La grande place est spacieuse et entourée de
maisons garnies de portiques réguliers et impo-
sans : c’étoit l’arène destiné aux tournois des
Maures, et c’est dans cet espace que se donnent
maintenant les combats des taureaux. La ville,
peu habitée, offre des quartiers déserts, beaucoup
d’églises et beaucoup ‘de cloîtres. Cordoue est
dominée
D'UN NATURALISTE. 417
dominée par la chaîne des montagnes de la Sierra-
Morena , couverte de la plus riche verdure, et
où les citronniers, les orangers, les oliviers et
des arbres fruitiers de toute espèce annoncent la
faveur d’un printems perpétuel. Aussi les neiges
et les frimats ne viennent-ils pas attrister ces
endroits enchanteurs, soigneusement culuvés, et
d’où jaillissent des milliers de fontaines qui en
entretiennent la verdure.
On arrive à la cathédrale de Cordoue sous
un quinconce d’orangers , dont les parfums
s’unissant à ceux de l’Arabie que l’on offre à la
Divinité, entreuennent autour du lieu saint une
atmosphère embaumée. L'église, très-vaste , à
dix-sept entrées dont les portes sont couvertes
d’arabesques : ce fut une mosquée bâtie par
Abderame au huitième siècle ,etque Ferdinand,
en 1236 , consacra au culte catholique. On y
remarque trois cent soixante-cinq piliers de
granit et de jaspe, composant les vingt-neuf
nefs de l’intérieur. Le tabernacle du maître
autél est d’une richesse inconcevable : on y voit
briller les pierres précieuses, et les jaspes les plus
rares , diversement colorés , y flattent la vue et
excitent l’étonnement.
Ou montre aux étrangers qui visitent ce lieu
saint, une colonne de marbre éur laquelle un
crucifix fut gravé par l’ongle d’un esclave chré-
Tous I. D d
418 VOYAGES
tien qui y étoit enchaîné , et qu’on vouluten vain
converür à la religion mahométane.
On fait voir également la peute chapelle où le
Coran étoit renfermé; elle est d’une architecture
originale. De là , on nous introduisit dans une
chapelle dorée où se trouve la statue équestre de
Saint Louis, roi de France. Le trésor de la cathé-
drale offre des richesses immenses qu’on eut peine
à nous découvrir : des vases sacrés , des croix ,
des encensoirs et des expositions y sont en or
massif, et incrustés de pierres précieuses colo-
rées dont la Nature est si avare, et qu’on ne
découvre que dans ses réservoirs secrets.
Cordoue, sous le règne du sultan Alkehem IT,
fut le berceau des sciences et des arts : il y exis-
toit alors une bibliothèque immense , des écoles
de médecine , de géométrie, d’astronomie , de
chimie et de musique, où se formérent de grands
talens. Ce fut la patrie des Sénèque , des Lucain ,
des Gonzalve Fernandez.
Les environs de Cordoue fournissent une
quanuté prodigieuse de müûriers qui alimentent
des vers à soie, du produit desquels on fait un
grand commerce. Ce terrain fécond y protése
également la culture du guercus ilex, espèce de
chêne, sur lequel se plaît /e lermès, insecte
précieux , duquel l’on üre la couleur incarnate ,
et des plantes aromatiques de tous genres, dont
D'UN NATURALISTE. 449
le suo bonifie la chair des animaux sauvages
où domestiques qui en font leur pâture. Ces
riches climats recélent aussi, de même que
la Nouvelle -Casulle , le cèdre alüer, l’uule
cotonmier et l’odorant poivrier.
L’amateur de chevaux attend que je lui parle
de ceux de l’Andalousie. Leur réputation n’a rien
d’exagéré; beauté de formes , regard fier et éun-
celant, naseaux couverts d’écume, vigueur et
souplesse dans les mouvemens, voilà les précieux
caractères auxquels on reconnoit les étalons
andalous qui font la folie de leurs cavaliers.
On a pour ces animaux des soins outrés, et
leur exportation, ou l’imtroduction de chevaux
étrangers sur le territoire espagnol y est éga-
lement, interdite sous des peines très- graves.
11 existe à Cordoue un haras royal digne de ceux
- de l'Arabie, et 1l est comparable à celui d'Aran-
juez près de Madrid. Les chevaux andalous sont
plus beaux, mais moins vigoureux que ceux du
royaume des Asturies.
On voit dans les rues de Cordoue, auprès de
la porte d’entrée des maisons, de grandes tonnes
enfoncées en terre et où chaque propriétaire
conserve le produit de ses oliviers. Cette huile
quiexposée au soleil, n’y acquiert aucune odeur
agréable, y reste jusqu’à la récolte suivante,
époque à laquelle elle peut facilement être con-
Dd 2
420 "VOYAGES
sommée , tant les Espagnolsen font un usage im-
modéré: cette huileremplacele beurreetla graisse.
Les posaderas n’y sont point actives comme
dans le reste de l'Europe, et un aubergiste voit
de sang-froid arriver un voyageur sans s’informer
de ce dont 1l peut avoir besoin ; les domestiques
même fainéans à l'excès , regardent les arrivans
les bras croisés, et se contentent de leur
montrer du doigt dans Ja basse- cour la
volaille qu’on est souvent obligé de plumer et de
faire cuire soi-même, ainsi que nous l'avons
éprouvé tant de fois. Il est vrai que voyageant
avec des militaires francais dont la vue inumide
les Espagnols, nous ne pümes étudier facilement
leur caractère; car , dès qu'ils nous aperce-
voient , 1ls se melloient à crier : Carnèro ,
carnèro , signor francèse ! et. disparoïssoient
subitement en nous laissant dans le plus grand
embarras, et dans la nécessité de rassembler, apres
beaucoup de recherches, tous les ustensiles néces-
saires pour la préparation de nos mets. Ils
se rapprochoïent cependant, et devenoient plus
familiers lorsqu'ils voyoient que nous éuions à
la fin de notre repas; alors, ne craignant
point de nous regarder face à face , ils exigeoient
de nous une récompense pour des soins qu'ils
n'avoient point pris.
Les soldats de notre escorte étoient fort doux
D'UN NATURALISTE. or
et trés-sobres. Leur costume consistoit en une
veste légère, un chapeau à haute forme où ils
déposent leurs cigares, et un léger havre-sac.
Ils avoient tous des guêtres lâches , retenues par
des cordons au lieu d’être boutonnées, et pour
chaussure des sandales.
On culuve beaucoup d’aneth dans les environs
de Cordoue, et l'instrument qui sert à scier
cette plante aromatique est semblable aux fau-
cilles de nos herbières d'Europe. Tous les
mulets y sont tondus, usage qui ne leur est
pas favorable, et qui déplaît singulièrement à
la vue.
Les Espagnols ne connoissant d’autres jouis-
sances , d’autre bonheur que dans l'amour, ils
ne respirent que pour aimer. Leur véritable
passion est moins celle des sens que celle de
l'ame. Une Espagnole apprend-elle linfidelné
de son amant, elle en est inconsolable, dans la
ferme persuasion de ne pouvoir le remplacer. O
suprême délicatesse, que n’êtes-vous de même
honorée par les Françaises! Mais abusant de leur
empire sur nos cœurs et de leur amabilité , elles
causent souvent plus de tourmens qu’elles ne
font d'heureux. Changer pour mieux jouir,
telle est, hélas! leur fatale devise ; devise d’abord
engageante, mais qui t0t où tard donne d'elles
une opinion pémible, Les amans espagnols,
Dors
422 VOYAGES
trouvant rarement l'occasion de pouvoir se rap-
procher, vivent de désirs, de privations qui
alimentent leur flamme pure. Un amant se
trouve heureux lorsqu'il a seulement entendu la
voix de sa maîtresse approuvant les sons timides
de sa langourense guitare, ou lorsqu'il saisit
dans Pair avec transport un bouquet qui lui est
jeté, et qui, déjà placé sur le sein de son amante,
y à acquis un prix inappréciable ; soumis aux
volontés de sa maîtresse ,1l s'éloigne en couvrant
de baisers le gage précieux qui doit faire sa
consolation et son unique espérance. Si ce n’est
un bouquet, c’est un ruban, un billet que son
haleine brûlante ou décolore ou efface. Que de
fois je vis de ces couples heureux se parler au
moyen de Palphabet digital, et rapprocher les
distances en rendant leurs doigts dociles l’in-
terprète de leur cœur, et le messager de leurs
amours !
On aime à Cordoue à côtoyer Ze Guadal-
quivir, dont les eaux nourrissent /e calamus
arundo que les habitans emploient pour leurs
voitures couvertes, en guise de cerceaux.
Les rejets de lataniers qui s'élèvent dans la
plaine des environs de Cordoue, sont quelquefois
entre-mêlés de futaies d’yeuse ou chêne vert, et
üe buissons d’une autre espèce de chère à
fsmiles de houx. Le gland du premier est in-
D'UN NATURALISTE. 423
14
comparablement plus alongé que celui du
second qui est raccourci, et présque sphéroïde.
. Nous repartimes de Cordoue pour la Venta-
del-Carpioz, et comme nos voitures alloient fort
lentement, je me déterminai à marcher, ou
plutôt à chasser le long de la route pour essayer
un superbe et excellent chien braque nommé
coronello, provenant des chenils du roi. Les
cantons que nous eûmes à parcourir sont très
gtboyeux; aussr les Espagnols qui habitent ces
contrées ont-ils chacun plusieurs lévriers et
chiens couchans. Les fusils de chasse en Espagne
étant beaucoup plus matériels et plus durs à la
détente que les nôtres, sont par cela même
moins commodes, et plutôt propres à la chasse
d’afft qu’à celle du vol. Nous traversimes la
Venta-del-Carpioz et Aldea-del-Rio pour nous
rendre à Anduxar, ville de l'Andalousie ;
éloignée de Cadix de cinquante lieues.
La ville d'Anduxar n'offre rien de paruculier.
On rencontre à quelque distance des rochers de
grès servant de repaire aux mallaiteurs qui
infestent ces parages, et à la gauche du chemin,
de longues plantauons d’ohiviers, au milieu des-
quels on voit se poursuivre et se jouer l'espèce
de geai bleu, appelé Ze jaseur de Bohéme. Nous
trouvâmes à la droite de la route, une potence à
laquelle pendoit le bras desséchié d’un chef de
D d 4
424 VOYAGES
voleurs, qui venoit d’être supplicié par ordre du
roi d'Espagne. Cet exemple est bien fait pour
imunnder le crime, et le détourner de ses projets.
Comme ces pays sont peu habités, et qu'on y
voyage d'autant moins sûrement que les voleurs
y sont de conmvence avec les habitans qui
servent leurs desseins crinnnels , on à som de
se munir d'armes, et de ne marcher qu’en
nombreuse compagnie. Les voyageurs portent
des outres renfermant le vin nécessaire pour les
repas, où pour les haltes. On y vend à bon
compte des melons de diverses espèces venus en
pleinc terre. On trouve dans les montagnes des
ostracites unies à des pholades.
On remarque aussi dans les villages que l’on
traverse, les tristes effets du désœuvrement. Le
jour, ce sont des familles éntières étendues non-
chalamment au Soleil, ei occupées à se chercher
les poux, ou à des soins mal-propres; le soir, ces
mêmes gens passent leur tems avec leur guitare,
tandis que d’autres, animés par des passions plus
déréglées, profitent de l’obscurité pour attendre,
un poignard à Ja main, le voyageur fatigué et
trop confiant.
Nous pénétrâmes , -en quittant Anduxar,
dans un pays agréable, qu’une culture nais-
sante commence à embellir, et qu’elle enrichit
déjà par ses bienfaits. La premiére posade où
D'UN NATURALISTE. 425
l’on nous donna asile fut à Baileu, d’où nous
nous rendimes à Guarda-Dornian, à six Rieues
plus loin qu'Anduxar. Nous reconnûmes ensuite
la Carolina, chef-lieu de ces cantons, qui est situé
sur les bords du Xenil, pays également ferule,
et récompensant le laboureur au dela de ses
espérances. On remarque aupres de cette petite
ville une longue avenue d’ormes , au pied des-
quels végète l’aloës. On fait usage d’alkarazas
dans toutes ces provinces, et d’outres pour les
voyages.
Le lendemain, en nous rendant à Sainte-Hélène,
pays montueux , nouvellement habité et dé-
friché, nous traversämes un passage dangereux
au milieu de mornes escarpés , dont les aiguilles
ou pics ont les parois couvertes de soufre su-
blimé, de terre martiale et d’efflorescences
virioliques. On y remarque également de beau
schist , du mica , du schorl en masse et-en
prismes, et de l’horn-blende. Les eaux con-
tenues ou filtrant dans les cavités de ces rochers,
sont très-améres et empreintes de sels méulli-
ques. Élles sont pour la plupart oxidées et
lerrugineuses; quelques-uns de ces rochers sont
couverts de /ycopodium.
Nous rencontrames deux moines qui chas-
soient le chevreuil au nmnulienu de ces bois
giboyeux , et qüi nous firent apercevoir une
426 . VOYAGES
troupe d'environ trente voleurs, dont ils nous
conseillèrent d'éviter la rencontre. Nous fîmes
halte au pied de ces montagnes, pour nous
désaltérer chez un Espagnol assis sur le devant de
sa porte, el occupé à empailler des siéges avec
des tresses formées des feuilles du latanier.
Bientôt nous foulämes les montagnes fertiles
et enchanteresses de la Sierra-Morena, qui four-
nissent uniquement l'espèce d'orange appelée
damasquinas. Ce fruit, d'une forme oblongue
et d’un goût délicieux, a choisi pour sa patrie
ces imposantes futaies parmi lesquelles 1] n’est
pas rare de le rencontrer. Ce canton jadis
culuvé par les Maures, et dont les bois furent
long-tems après le repaire des bêtes féroces, est à
soixante-trois lieues de Cadix.
Après avoir traversé la Venta-de-Cardenas et
la Ventadel-Judeo, nous arrivämes à Santa-
Crux, première posade de la Manche, canton du
bon vin, et où ma qualité de médecin me valut,
grace à mes consultations latines, des présens,
des attentions extraordinaires en ces pays
peu policés ; ce qui nous fit voyager plus
agréablement.
Nous passämes snccessivement à /’al-de-
Pénas, à Menzanarez et à F'illa-Harta. Nous
reconnümes ensuite un beau paysfameux par les
exploits de Don Quichotte, et où 1l fit ses mer
s
D'UN NATURALISTE. 427
veilles. Nous remarquämes dans les vêtemens des
habitans de Port-la-Piz, et surtout de ceux de
Tremblaque, une bizarre coutume, qui consiste
à tacher cà et là leurs vêtemens rembrunis avec
du plâtre dissous dans de l’eau; ce qui fait
prendre les hommes et les femmes pour autant
de goujats. On n’y voit point de cheminées
s'élever au dessus des maisons.
La Guardia, ville distante de 87 lieues de
Cadix, est un pays situé au milieu de cronpes
rocailleuses, dans l’intérieur desquelles se trouve
un antique et modeste tombeau du roi des
Maures , indiqué par un bloc de pierre, carré
et surmonté de trois croix. Si môtre vue se récréa
en ce pays, bientôt notre estomac languissant
nous annonça qu'il étoit tems de suspendre
notre enthousiasme ; mais nous ne pünes satis-
faire promptement notre faim excessive. La
posade étoit dénuéé de tout; et comme il n°y
avoit point d'Espagnols malades en ce lieu , les
lîiches domestiques nous ayant montré de loin
les volailles qu’on nous destinoit , se retirèrent
selon leur coutume , et nous laissèrent la peine
de poursuivre ces gallinacées si souvent efflarou-
chés, enfin de les plumer pour les préparer
nous-mêmes. On nous servit seulement, après
de grandes supplications, du chocolat, espèce
d'eau grasse aussi dégottante à l’œil qu’insipide
428 VOYAGES
au goût; un pain sans levain happant au palais,
et pour bidon, une outre garnie de son robinet.
On remarque à la Guardia d’anciennes foru-
fications, des casemates à moitié démolies , et
qui ne laissent plus que le souvenir des fléaux
meurtriers dont les anciennes guerres ont désolé
ces Campagnes,
Nous nous rendimes avant notre départ à
Véglise, pour y être témoins d’une cérémonie
funéraire. Au cortége nombreux que nous ob-
servames , et à la musique funébre que nous
entendimes, nous reconnûmes que l’on célébroit
les obsèques de quelqu'un de qualité. Curieux
comme des voyageurs qui cherchent à s’instruire,
nous écartämes la loule, et nous apercüûmes au
milieu de la principale nef, une famille éplorée ,
vêtue de velours noir, posant unanimement
leurs chapelets, en priant sur le corps nu et à
moitié découvert d’un enfant couronné et couvert
de fleurs, symbole de la félicité incontestable que
cet être pur éprouvont déjà dans le ciel devenu sa
patrie. |
Nous marchions vers Ocana, lorsqu'une
patrouille d’alguazals que nous renconträmes,
nousprévint de nous tenir sur nos gardes contre
une troupe d’assassins dont la tête étoit à prix,
et que, pour le malheur des voyageurs, certains
Espagnols tarés dans l'opinion publique recé-
D'UN NATURALISTE. 429
loient chez eux. Nous avancions au milieu de
bois sombres et silencieux, lorsque le général
qui commandoit notre escouade nous engagea
à faire un feu de file, comptant sur l’écho de
ces forêts pour averur les malveillans que nous
éuons en état de défense.
Nous arrivämes à une posade suspecte, où
lon nous recut même de mauvaise grace.
Croyant déméler des intentions perfides de la
part des Espagnolsiqui l’occupoient , nous cher-
chions à éloigner ces soupcons peut-être injustes ;
mais quelle fut notre surprise, lorsque nous
apercümes cachés dans les greniers, les assassins
qui nous attendoient dans l’espoir d’une bonne
capture! 11 fut décidé que nous camperions
auprès de Nos-Tiros-Largos, et que toute la nuit
seroit destinée à la plus exacte surveillance.
En vain Morphée commencoitil à appesanur les
paupières de certains de nous accablés de fatigue,
il fallut éloigner ce dieu trompeur , et lui repro-
cher jusqu’à la douceur de ses bienfaits. Le mot
d'ordre fut donné , et les qui vive qu’on en-
tendoit au moindre mouvement annoncérent à
la troupe intimidée que nous éons déterminés à
vendre chèrement notre vie. Confondus dans
leurs projets, nous apercûmes ces trente bri-
gands s'évader par des fenêtres au milieu de
la nuit, pour allercacher, sous la double obscu-
439 VOYAGES
rité des forêts , leur honte et leur lâcheté. J’ou-
bliois de dire que nos dames avoient été forcées
de camper auprés de nous, ayant reconnu dans
la chambre qui leur étont destinée, des ouvertures
communiquant avec-les caveaux de la posade,
dans lesquels on précipitoit probablement les
victimes dès qu’elles étoient immolées. Ce qui
me fit horreur, c’est qu’en allant m’assurer des
lieux et de la propreté des draps , et que nv’étant
avisé de soulever celui n , Je trouvai
l’autre encore imbu du sang d’un malheureux tué
le jour même, et qui avoit laissé en se débattant
l’empremte de ses dents sur le linge , et par-tout
des traces de son désespoir. Nous repartimes de
cette posade sans témoigner notre surprise , mais
avec lintention de faire notre rapport en arri-
vant à Madrid,
Arrivés à Aranjuez, l’une des maisons de
plaisañce du roi d'Espagne, nous remarquämes
beaucoup de logis peints à fresque. Celui du
maitre de poste offre les vues les plus pitores-
ques. Les murs du château sont baignés par le
Tage, qui y roule ses eaux limoneuses et tour-
billonnantes. On sait que le Tage est le fleuve le
plus grand qui existe en Espagne, et celui dont
le cours est le plus prolongé ; il arrose cent vingt
lieues de terrain, depuis sa source jusqu'à
D'UN NATURALISTE. 43
Lisbonne, où 1l confond ses eaux douces à la
mer : le sable du Tage contient quelquefois, prin-
cipalement du côté de Tolède, des particules
auriféres, mais en si pelle quantité que sa
récolte ne dédonimageroit point du tems qu’on
pourroit y emploÿer.
L'Espagne est encore fertilisée par le Tinto,
dont les eaux d’un jaune topaze sont lapidifiques,
et propres à lincrnstation ; par le Mino, le
Duero , la Guadiana , le Guadalquivir, lEbre,
Je Xucar, la Sagura , et beaucoup d’autres peuts
ruisseaux qui ne suflisent point encore pour
entretenir sur ce sol brülant une fraîcheur
bienfaisante souvent remplacée par des crevasses
arides, ou une poussière incommode. Les deux
Castilles éprouvent particulièrement de grandes
sécheresses , les Espagnols indolens ne profitant
plus des avantages que pourroit leur offrir l'irri-
gauon; ce qui rend leurs récoltes beaucoup
moins abondantes qu’elles ne l’étoient sous les
Romains et les Maures, où l’agriculture étoit
en Espagne dans l’état le plus florissant.
D'’Aranjuez, distant de quatre -vingt-seize
lieues de Cadix, nous nous rendimes à Valde-
moro , puis à Madrid , capitale de l'Espagne.
La ville de Madrid est située à cent trois
lieues de Cadix. Ses environs, qui étotent autre-
432 VOYAGES
fois couverts de foréts, sont maintenant sans
verdure et d’une aridité désolante (+).
Les rues de Madrid sont larges et alignées:
Les promenades publiques, décorées de fontaines
d’une parfaite archiiecture, sont irès-fréquentées.
On se réunit aussi sur les bords du Manzanares,
au Prado, à la porte d'Atoches.
(1) «Une chose digne de remarque, parce qu'elle
influe sur la température de l'Espagne, dit un auteur
moderne, c'est la singulière hauteur de ce pays au
dessus du niveau de la mer. Le plateau occupé par
l'intérieur de ce royaume est le plus élevé de tous ceux
de l'Europe qui occupent une certaine étendue. La
hauteur du mercure dans le baromètre, observée à
Madrid, est de vingt-six pouces deux lignes; elle est
moindre par conséquent de deux pouces que la hauteur
moyenne observée sur les bords de l'Océan. Cette diffé-
rence donne à la capitale de l'Espagne une élévation
de deux cent neuf toises au dessus de la mer. Ainsi
Madrid est quinze fois plus élevée que Paris, trois
fois plus que le mont Valérien, un tiers plus que
Genève. Cette hauteur influenécessairement sur latem-
pérature. On est étonné de ne pas trouver d’orangers en
plein air sous le quarantième degré de latitude ; mais
ja température moyenne de Madrid w’est que de deux
degrés + plus élevée que celle de Paris, et moindre
d'un degré que celle de Toulon. Les montagnes de
l'Espagne renferment une immense quantité de grottes,
de cavernes et de souterrains ».
Les
D'UN NATURALISTE. 433:
Les maisons de plaisance du roi sont, Bueh-
Retro, la Grange , le Palais Neuf, Aranjuez, le
Pardo, bäu par le roi Charles Ex ; l'Escurial,
situé sur un plateau à demi-pente de la Cordilière
de Guadarama; ce dernier lieu est consacré à la
sépulture des rois d'Espagne. Je ne m’étendrai
point davantage sur des objets connus, ce seroit
augmenter inutilement le contenu de ce volume,
et m'écarter de la tàche que je me suis prescrite.
Le chimat de Madrid est humide, mais 1l n’est
point mal-sain. La ville offre au curieux voya-
geur plusieurs établhissemens remarquables. Le
palais du roi renferme une collecuon précieuse
de tableaux des prenners peintres de plusieurs
écoles; auprès de ce palais se trouve un colisée
d’armes et d’armures antiques. On admire aussi
à Madrid un riche cabinet d'histoire naturelle,
mais dont la collection immense est rangée sans
méthode. La classe des minéraux offre surtout
la réunion la plus complète en ce genre; mais
on pourroit appliquer, à l'égard des animaux
empaillés de cette collecuon, préparés sans
art et sans goût, cette phrase remarquable de
M. Bernardin-de-Saint-Pierre, dans ses Études
de la Nature : « Ou la Nature. est morte, ou
» l’art est animé ».
Les rues de Madrid sont longues, et les
maisons y sont à quatre, cinq et sept étages; les
Tous II, Ee
454 VOYAGES
feffêtres sont garnies de balcons plus ou moins
somptueux. Je fus parfaitement accueilli par
l'ambassadeur Beurnonville, chez lequel je fus
invité plusieurs fois, et où je vis avec bien du
plaisir de superbes tableaux de chasse.
Nous éuons logés à l’hôtel de la Providence,
où l'hôte francais, M. Picard , nous servit souvent
des cannes-pétraces, fort communes dans les
environs de Madrid; ce qui n’est point faire
l'éloge du terrain, puisqu'on saitque ces oiseaux
se plaisent de préférence dans les friches ou sur
les grouettes.
N'ayant rien de mieux à faire, j'allois fort
souvent au spectacle, où je vis avec intérêt
exécuter une danse de caractère par deux enfans
de six ans, agitant avec grace leurs castagnettes
au son alto d’un solo de flute, qui toutes: les
fois me porta à la mélancche.
Il me reste à parler d’un autre spectacle que
les Espagnols aiment avec passion, etqu'ils pré-
férent à tout autre; c’est le combat du taureau.
Le cirque choisi à cet effet à Madrid, a trois
cents pieds de diamètre, et l’arène seule a plus
de deux cents pieds. L’amphithéätre destiné au
public peut contenir environ de douze à quinze
mille spectateurs.
Un magistrat chargé de la police se trouve
5
présent à chaque combat, et accompagné de
A
D'UN NATURALISTE. 435
deux alguazils eu exempts, desuinés à maintenir
le bon ordre.
Bientôt le magistrat, par un signal, annonce
que le combat peut commencer. Aussitôt une
porte est ouverte, et l’on voit du fond d’une
étable un taureau inquiet, d’abord s’avancer
lentement, puis enfin fondre avec impétuosité
dans l’arène. 11 semble interdit par l’afluence
et les clameurs d’un peuple nombreux ; 1l
s'arrête, promène en silence ses regards autour
de lui, semblant défier le téméraire qui à
osé le provoquer au combat; un beuglement
prolongé et étouffé semble menacer d’une ven-
gcance prochaine le piquier (picador) qui pa-
roit à cheval à l’autre extrémité opposée, armé
d’une lance, et s’avancçant vers lui. Ces deux
antagonistes, ménageant leur marche et leurs
feintes, font un pas, puis s'arrêtent, s’observent,
combinent leurs mouvemens avec lenteur et
retenue. Cet état d’incerutude et d’irrésolution
intéresse le spectateur qui déja forme des con-
jectures. Alors le taureau , qui croit ne pas
devoir plus long-tems contenir sa fureur, baisse
la tête, et réumissant toutes ses forces, fond
avec impétuosité sur le picadôr. Cet adversaire,
au premier mouvement du taureau, qu'il a
su juger, s’est mis en défense, et tenant sa
Jance en arrêt, il en dirige le fer vers l'animal
Ee 2
&36 VOYAGES
furieux, qui par une feinte souvent en rend
l'effet impuissant, en la faisant voler par éclats.
C'est dans ce moment que /e picador est en
danger ; et que, pour le délivrer, paroïissent deux
chulos, jeunes Espagnols agiles qui viennent
agacer le taureau avec des peus manteaux ou
draperies rouges; ce qui lui fait oublier son
premier ennemi, qui profite de ce moment
favorable pour se remettre en selle s’il a été
cuibuté, et pour se réarmer. Les chulos étant
à pied , ne peuvent tenir long-tems en présence
du taureau animé; c’est pourquoi à la première
menace 1ls battent en retraite, et s’élancent dans
une double enceinte où ils sont hors de danger,
et d’où 1ls narguent le taureau furieux d’avoir
laissé échapper ses vicumes.
Il apercoit bientôt derrière lui Ze picador,
et soudain àl fond sur lui, dans l'espoir de
J'immoler à son ressentument. Souvent il ne fait
que le renverser, et dans sa méprise il perce les
flancs du cheval qu’il fait sauter en l'air d’un
coup de ses cornes, Je vis un de ces chevaux
tellement éventré, que tausses intestins tracoient,
dans sa course forcée, l'arène ensanglantée ; mais
Join d’éloigner lé cheval pour lui donner quel-
ques soins, /e picador ne peut en descendre
qu'au moment où épuisé de fatigue et ayant
perdu tout son sang, l'animal, malgré sa valeur,
D'UN NATURALISTE. 437
tombe et expire. Le taureau, satisfait de sa vic-
toire, s’avance vers le cheval, et le foule aux
pieds en signe de triomphe.
Lorsque le taureau a reconnu son impuissance
contre /e picador qui sut l’éviter , 1l reste
‘immobile et se refuse au combat ; alors on met à
ses trousses es banderillos ou chulos. Ge sont
huit jeunes Espagnols tenant chacun à la main
une poignée de petites flèches on banderillas
qu'ils doivent lancer au taureau pour l’agacer et
Pirriter. Ils l’excitent, et lorsque l'animal baisse
la tête en fermant l'œil, pour fondre sur ces
nouveaux importuns, les banderillos profitent
de ce moment favorable pour lancer leurs
flèches. L'animal est atteint, et le chiquetis des
banderillas aux moindres mouvemens Fin-
quiétant , 1l devient furieux, frappe la terre de
son pied, la creuse, et fait voler la poussière en
écumant de rage; 1l cherche ses ennemis, mais
ils ont disparu. Souvent le taureau, déjà fatigué,
ne cherche point à s'approcher des banderillos
lorsqu'ils paroissent; alors ces derniers ont
recours à la moleta où écharpe de couleur écar-
late qu'ils portent à la main gauche, et qu'ils
agitent devant le taureau en passant près de lui,
pour le närgner et l’exciter davantage à la ven-
geance. Quelquefois, malgré la rapidité de la
course , il en est qui sont fortement pressés par
Ee 3
438 VOYAGES
le taureau ; alors ils lui abandonnent, en s’échap-
pant, la moleta , sur laquelle le taureau assouvit
sa rage, en la déchirant en pièces après lavoir
flairée, Si maigre cette ruse , que l’animal souvent
dédaigne , ils n'ont pu sauter au dessus de la
barrière qui doit les mettre à l'abri de tout
danger , alors les autres banderillos s'avancentet
attaquent le taureau pour laisser échapper leurs
camarades.
Quand le taureau a suffisamment combattu,
on le condamne à mort. Alors un Espagnol qui
n’a point encore paru, et qu’on appelle rna-
tador (1), se présente, tenant d’une main la
fatale épée, et agitant de l’autre a rmoleta. Ce
mnatador a dû, pendant le combat, examiner
Je taureau , et étudier son caractère. C’est pour-
quoi il a dû disunguer s’ilest claro, c’est à dire,
lougueux et sans ruse; alors 1l peut s’en appro-
(1) Les matadors ordinaires sont des torréres du
combat, ou bouchers de profession, qui doivent être
doués de courage et de sang-froid. Le matador est
souvent un preux chevalier où amant espagnol, qui
aime à remporter celte victoire aux yeux de sa belle.
Je visun de ces malheureux devenir la victime de son
courage imprudent, et, par je ne sais quel sentiment, les
spectateurs crier brave ! et applaudir à outrance, tandis
que le jeune homme en perdant son sang rendoït le
dernier soupir.
D'UN NATURALISTE,. 439
cher sans défiance, et être assuré de sa victoire,
Mais si l'animal est obscuro, c’est à dire rusé ,
froid, réfléchi et lent dans ses résolutions, alors
le matador prend plus de précautions. I s’en
approche , le regarde en silence, alors ruse
contre ruse, l'attaque ou se défend , "mais 1l
trouve toujours le moyen de profiter du moment
où l’animal baisse la tête pour frapper, et lui
enfonce sans peine le glaive entre les vertébres
cervicales. Le taureau en beuglant tombe aussitôt
transpercé sur l'arène, sans la rougir de son sang :
car 1l meurt par la secuon de la moëlle épinière.
Lorsque le taureau tombe aux pieds de
matador , la trompette sonne, et on voit entrer
trois mulles richement RE el qui, aC-
coutumées à ce manége, entraînent le corps atl
grand galop. On tue plusieurs taureaux par
combat , et ce spectacle est tantsuivien Espagne,
que le pauvre même y sacrifie tout son avoir
pour ne laisser passer que rarement use repré-
sentation sans y aller. Îl y a toujours un prêtre
prêt à administrer les sacremens aux combattans
blessés à mort.
On critique cet usage sanguinaire chez Le
Espagnols , sans réfléchir que nous avons le
jeu de l’oie, dont les détails sont d'autant plus
révoltans et l'attaque peu généreuse, Le CCE
oiseau est sans défense , el que souvent le cou
Le À
440 VOYAGES
aux trois quarts tranché , on le laisse languir en
cet état des heures enuères !!!
En quittant Madrid,on rencontre des hameaux,
des maisons éparses et rares ; par-tout des mains
oisives , des visages basanés, maigres et blèmes ;
des haïllons , de la vermine , apanages dégofñtans
de la misère et de la pauvreté; par-tout des chau-
mieres en rune, où les hommes, les femmes,
les enlans et les animaux sont groupés sans dis-
üncuon.
Ce qui contribua le plus à rendre ma route
agréable , fut la société du célèbre Crescenuni,
qui fait en ce moment les délices de Paris , et la
connoissance que je fis aussi de M. Libon,
aruste distingué, qui, à des mœurs douées,
joint un talent supérieur sur Je violon. Ces
deux virtuoses retournoient à Paris, et à chaque
posade , pour oublier les fatignes du voyage et
les désagrémens de la route , ils s’exercoient
avec des morceaux de musique qu'ils avoient
composés pour les concerts de Paris, J’entendis
avec ravissement la scène des Horaces, de la
composition mélodieuse de Crescentini, et de
beaux concerto de violon par M. Libon, qui font
le plus bel éloge de sa composition.
Non loin de Madrid à Saint-Sébasuen, le sol,
semblant consterné d’être aussi près du tour-
billon des villes , laisse suinter les pleurs de
D'UN NATURALISTE. 44x
cette nature désolée. Le pays est marécageux ,
mais triste, et on n’apercoit autour de soi qu’un
terrain nu, dénué d’arbres et de verdure , enfin
le tableau monotone d’une aridité qui engour-
ditles sens. Les femmes, sérieuses ettaciturnes, y
cousent en silence sur un traversin, pourvues
par-devant d’une poche destinée à recevoir le
peloton de fil. On remarque aux bornes des mai-
sons où le roi descend , des chaînes qui, au lieu
de servir de mauvais augure, annoncent qu’elles
sont dégagées de toute espèce d'impôts:
Nous quittämes Saint-Sébastien à la pointe du
jour , et nous marchäâmes vers la Venta-Molaris,
au milieu d’une nature riche, et de sites pitto-
resques et romantiques. Âu centre de gorges
mamelonnées , formées par des blocs de quartz
micacé et de marcassites, d’où s'échappe avec
un doux murmure une eau claire et limpide
coulant sur un lit tortueux, on apercoit des ha-
bitans vêtus de cuir, poursuivre le chevreuil
et les lèvres communs en ces cantons. Ces ani-
maux fréquententcesravines hérisséesderochers,
et vont se désaltérer en paix au milieu de ces
blocs de granit, où ils trouvent, après leur pour-
suite, à reposer leur corps faugué sous l’ombrage
du hêtre touffu ou du chêne antuque.
Le lendemain, nous fimes ronte vers Bou-
Uago , la Suelta et la Venta-de-Coronilla : nous
442 VOYAGES
passâmes la nuit dans ce dernier endroit. Nous
avions admiré pendant la journée ces paÿs riche-
ment boisées, et ces montagnes fécondes où les
hètres ei les pins s’élèvent au milieu même d’im-
menses rochers qui vomissent à gros bouillons
des torrens d’eau et d’écume. Une belle rivière
coule dans ces campagnes, sur des rochers
escarpés, de granit noir.
Nous couchâmes le jour suivant à la Frezmillo-
de-la-fFavente, et nous dümes notre bonne
réception, en la pausade , à une consultation en
Jaun que je donnai au posadero, qui avoit trois
enfans eu bas âge attaqués depuis quinze mois de
fièvres quartes. La joie vive qne ressentit ce bon
père, par l'espérance de revoir bientôt ses enfans
rendus à la santé , le fit nous prodiguner ses pro-
visions ; 1l poussa la délicatesse et la générosité
jusqu'a ne vouloir accepter aucune rétribution ,
que je distribuai aux valets d’écurie.
Nous cheminâmes vers Aranda , pays très-
giboyeux et richement boisé. Les troupeaux (1)
(1) L'Espagne, dit l'auteur de l'ouvrage intitulé :
Campagnes des Armées françaises en Espagne et en
Portugal, a été de tous tems le pays des troupeaux.
Les laines de la Baltique et du pays des Cantabres
éloient très-estimées à Rome. Les belles races dégé-
nérèrent sous les Maures; mais les Arabes d'Afrique
qu leur succédèrent, renouvelèrent les espèces, eë
D'UN NATURALISTE. 45
ÿ paissent au milieu de hautes fougères , de ge-
nevriers , de mélezes, de thuia et de pins, de
serpolet et d’autres herbes aromatiques qui
communiquent à leur chair un goût exquis : on
y tre l’eau des puits à l’aide de grands leviers
mis en équihbre vers leur milieu sur une poutre
perpendiculaire, et dont le sommet est aigu;
alors 1l suffit de peser à l'extrémité opposée à
celle où est auaché le seau, où de soulever la
grosse pierre qui y est enchaînée, pour plonger
ou reurer le seau du puits. Cette mécanique est
améliorèrent les laines. Don Pedro IV fit venir une
grande quantité de béliers d'Afrique, et même des
troupeaux entiers de brebis. En 1394, sur la demande
de Henri IIL, Catherine, fille du duc de Laucastre ,
Jui apporta en dot plusieurs milliers de bêtes à laines
choisies. Ces animaux s'acclimatèrent parfaitement
dans les deux Castilles. Le croisement des espèces
d'Afrique et d'Angleterre avec la race espagnole,
donna à celle-ci la qualité supérieure qui la distingue,
On compte en Espagne deux espèces de bêtes à laine 3
les unes voyagent tous les ans, on les appelle merinos ;
les autres restent dans leur pays, et rentrent toutes
les nuits dans leurs bergeries. On estime environ à huit
millions les moutons promeneurs, et à cinq millions
les moutons voyageurs.
On évalue à cinq cent mille quintaux la quantité
de laines fournies annuellement par les troupeaux d'Es-
pagne. Ces laines sont généralement longues, soyeuses
444 VOYAGES
bien différente de la chaîne hydraulique dont on
fait usage dans certains endroits près de là. Cette
chaîne, composée de godets ou potiches de
terre , fabriqués à Jandouka , est plongée
dans l’eau, et les godets s’emplissent pour
ensuite verser le liquide, par un mouvement
circulaire , dans une rigole qui la transporte
dans un vase quelconque.
Nous nous rendimes à la Venta-della-Praële,
et douces; celles des troupeaux voyageurs paroissent
emporter sur les autres. Les mérinos, acclimatés en
France depuis douze ans, n’ont point dégénéré; les
agneaux qui en proviennent ont non seulement con-
servé la pureté de leur origine, mais ceux qu'on a
obtenus par le croisemeut des races françaises four-
nissent dès la quatrième génération des laines aussi
belles que celles d'Espagne, pourvu qu'on n'allie les
femelles métisses qu'avec des béliers de race pure. Il ÿ
a aujourd'hui peu de départemens en France, où ces
races espagnoles ne soient introduites.
Les plus belles laines d'Espagne sont celles des en-
virons de Segovie, de Baytrago, de Léon, de l'Aragon.
l'est probable que les moutons espagnols, actuellement
acclimatés dans divers pays de l'Europe, le seront
bientôt dans la presque totalité de sa surlace, et alors
ie commerce ce laines que fait l'Espagne sera entiè-
rement perdu. Le ministre d’Aranda disoit : « Si l'on
» m'eûi consullé, jamais un seul mouton espagnol ne
» fût entré en France».
D'UN NATURALISTE. 445
où les cherninées des cahuttes matériellement
construites, ressemblent à une forme à sucre.
Ces espèces de maisons sont bâties avec des
uules denu-cvylhindriques, posées en recouvre-
ment. On voit s'échapper du faîte formé par un
double cerceau surmonté d’un coq enterre cuite,
une fumée plus ou moins condensée. Les maisons
de ville sont peintes à l'extérieur. On récolte en
ce pays beaucoup de lin.
Nous voici dans la Vieille-Castille, et la ville
de Zérma fut la première que nous y rencon-
trâmes. Les maisons y sont bâties en briques de
terre, et les cabrouets sont traînés sur des roues
pleines par des mulets tondus et mutlés. Les
habitans ont pour coiffe une espèce de capuchon,
sont vêtus de cuir, et sanglés de la même mauëère.
On nous conduisit à l’église qui est magnifique-
ment décorée. Elle est ornée de tribunes et de
deux beaux jeux d’orgues. Au milieu s'élève le
superbe mausolée du duc de Lerma; il est en
airain. L'église située sur la place, correspond au
palais du duc par de vastes galeries tournantes.
Elle est bâtie sur une éminence au bas de la-
quelle coule une tres-belle rivière.
La campagne enchanteresse qui s’offroit à
mes regards de tous les côtésÿ m'engagea à
descendre sur le pont élésamment construit qui
446 VOYAGES
traverse l’Artanzon , d’où j'ai dessiné le charmant
point de vue que je vais décrire.
Au premier plan, sur la droite, s’éléye avec
majesté l’église qui est construite avec une
élégance rare, décorée d’horloges, de mansardes
symétriques, d’un clocher quadrangulaire sur-
monté d’une croix à trident qui sert de girouette.
La couverture des bätuimens environnans est
formée par un assemblage de tuiles demi-cyÿhin-
driques.
Sur la gauche se trouve un pont qui, dans sa
courbe, comprend six arches sous lesquelles
coule mollement la riviere Hmpide d’Artanzon.
Elle arrose dans son cours le tertre de l’église, et
va au loin feruhiser les campagnes. L’Artanzon
réfléchit sur son onde les longues chevelures
des saules pleureurs qui la bordent, mais elle
ralenut plus loin son cours, et se divise en
ramifications sinueuses qui arrosent la belle
prairie dont elle est environnée. On trouve ca et
là de jolis ponts jetés sur les bras les plus larges,
et qui favorisefit la tonte des prés et l’exploi-
tauon des foins qu'ils produisent, Au milieu de
celte riante prairie offrant à l’œil le plus’ beau
tapis de verdure, on apercoit une chapelle des-
servie par un hermite, laquelle est à moitié
dérobée aux réards du voyageur par un cirque
de châtaiguiers, dont le saint homme fait,
D'UN NATURALISTE, 447
diton, sa principale nourriture. Auprès se re-
marque une croix de pierre élevée sur un
gradin.
On voit sur ce sol ferule toujours animé par
la présence de quelques voyageurs ou de jour-
naliers, és tiros qui remplacent en Espagne les
voitures de poste. Ce sont des berlines assez mal
suspendues traiînées par six mules, et qui font
l'office de nos dihigences. Les voituriers con-
ducteurs sont appelés #2ayoraux. Is marchent
sans fouet, et n’ont recours qu’à leur voix pour
exciter nonchalamment leurs bêtes lentes et pares-
seuses. La vue aime aussi à se fixer sur des lai-
tières vêtues légérement, et portant sur leur tête
V’'urne de terre de Jandouka, qui conuent le lait
qu'elles ont à vendre. |
On disungue à l’ombre des saules les pêcheurs
occupés à tenter fortune; plus loin , des chasseurs
dans la plaine, ici un groupe de padres, là des
cabrouets tels que je les ai décrits. Enfin le
lointain offre des plantauons de châtaigmiers,
tandis que l'horizon se termine par un rideau
de forêts surmontées par les pics embrumés
des Pyrénées occidentales.
Nous couchämes le lendemain à Burgos, une
des plus grandes villes de la Vicille-Castille.
On y arrive par une route ferrée et superbe,
quoiqu'étrointe. Elle est garnie d’ormes dans
448 VOYAGES
toute sa longueur , à l’instar de celles de France.
La ville de Burgos est remarquable par sa
bonne tenue , par ses ponts, et la beauté de ses
promenades ornées de statues. On y voit une
très-belle place décorée de plusieurs fontaines.
Le pays est trés-boisé ; on y récolte du lin.
Nous reconnûmes ensuite Pradano , et à
deux lieues plus loin, Birbiesca. On voit à
Pradano des moulins à eau sans roues. On ÿ
touve beaucoup d'Ayèbles, d'érysimumn, de
narrube, de mille-pertuis , et dansles prairies,
communes en ce pays, beaucoup de presle ;
elles sont ombragées par des peupliers qui
paroissent y prospérer d’une manière avanta-
geuse. Les femmes y ont la tête nue, et divisent
par derrière leurs cheveux en plusieurs tresses.
De Birbiesca nous parvinmes à Pancorvo,
où Crescentni, ce virtuose doux, complaisant
et modeste, voulut bien me chanter en parücu-
lier et dans la dernière perfecuon, sa magni-
fique scène des Horaces, dont la rare harmonie
sera toujours présente à mon souvenir. Ce
pays est ados$é à des mornes; il est bien
arrosé, conséquemment fertile et bien cultivé.
Les femmes y portent des cheveux trainans,
sans être tressés; ce qui offre à l’œil, en raison
de leur mal-propreté, le désordre le moins
flatteur.
Nous
D'UN NATURALISTE. 449
Nous arrivâämes à Miranda, peute ville où
passe l'Evro, belle rivière qui fournit des mer-
Juches en abondance, que nous eussions trouvé
excellentes s1 elles eussent été accommodées
avec du beurre, au lieu de l'huile puante du
pays.
Entre Miranda et Vitoria on rencontre un
couvent bien heureusement situé dans un pays
aussi désert. Eloignés de toute habitauon, les
moines y jouissent d’une paix délicieuse, et de
tous les agrémens de la vie champêtre. La
chasse, la pêche, plaisirs doux et innocens,
ne leur sont point interdites. Protégé dans ses
récréations par de hautes futaies dont une
rivière poissonneuse entretient la fraîcheur , le
silencieux pêcheur n’y est distrait que par
l’écho qui répète la voix des chiens courans, ou
par le coup fatal qui suspend leur poursuite,
devenant désormais inuule, Ce couvent de /«
Poevela est, en un mot, très-favorablement
situé pour un ami de la Nature. On y donne
pendant trois jours l'hospitalité à tout voyageur,
et s’il est malheureux , il y trouve des secours et
des consolauons.
Tout à coup le pays change de face, et re-
prend sa stérilité qui fait regretter les bocages
du couvent. Le terrain est inculte, les chemins
sont raboteux, les villages presqu’en ruine, et
Tome EL, Ff
450 VOYAGES
les habitans , selon leur honteuse coutume ,
indolens et paresseux , passent la majeure parue
du jour au soleil.
Nous arrivämes à Y’üoria, ville principale
de la Biscaye, et entourée de très-belles prome-
nades, au milieu desquelles on a pratiqué un
jeu de longue paume: C'est là que les Espagnols
oiseux passent une grande parte du jour à jouer
ou à regarder les acteurs du défi. Leur indo-
lence est telle que souvent un voiturier y fait
arrêter ses chevaux , et qu'il oublie pendant une
demi-jonrnée ses occupations, si la partie s’en-
gage avec chaleur.
En passant à Salinas, on remarque au mi-
leu de hautes montagnes une descente trés-
rapide. On voit depuis le sommet jusque dans
les falaises, bouillonner et juillir de belles cas-
cades qui eurichissent la verdure des châtaigne-
raies et des fougères. On culuve dans les
environs, des champs de navets dont les animaux
se nourrissent.
En faisant route pour Mondragon , nous
renconträmes sur les chemins de ces montagnes
escarpées, des groupes de muleuers transpor-
tant des marchandises. Les sons des longues
cloches (voy. planche XL.) attachées derrière les
ballois recouverts d’une toile rouge, interrom-
pent le silence imposant de cette nature agreste,
D'UN NATURALISTE. A5t
tandis que le costume particulier des habitans y
récrée la vue du voyageur. Les hommes ont
un chapeau très - haut de forme, étroit et
placé sur le sommet de la tête ; un gilet et un
pantalon d’un drap grossier et brun : les
manches de ces vestes sont réunies par des
lacets relâchés. Ils ont les jambes enveloppées
d’une étofle de laine à barres brunes et blanches,
et relenue par un ruban qu'ils dirigent autour
de la jambe en serpentant (planche XI). Les
femmes ont un corset large et rouge, et le jupon
brun ; elles marchent la tête nue, et leurs che-
veux lisses sont tressés par derrière dans toute
leur longueur , et pendans jusqu’au bas de la
taille. ( Foyez planche XL.)
Les enfans à Mondragon parlent basque, et
portent les cheveux relevés comme les Chinois.
On y voit pendant la messe les veuves à genoux
sur la tombe de leur mari défunt, puis étendues
sur un drap qu’on brûle au bout de l’année , qui
est le terme de leur deuil.
Nous nous mimes en route le lendemain pour
Beurgara, où se trouve un séminaire; et après
avoir côtoyé les hautes montées des Pyrénées
occidentales, nous cheminâmes vers 7’illa-Real.
En nous rendant à ’illa-Franca, nous nous
arrêtämes à 7’illa-Real où l’on nous servit,
pour la première fois pendant la route, du vin
Ff 2
452 VOYAGES
de dessert. On y célébroit un mariage. Je pris
plaisir à voir les danses basques ou fandango,
qui sont fort lubriques. Le nouvel époux, pré-
cédé d’un tambourin et d’une espèce de fla-
gcolet, marche à la tête de la colonne des jeunes
gens pour chercher, par une évolution 1or-
tueuse , son épouse que la colonne des jeunes
filles tente de dérober à sa vue et à ses embras-
semens, en la placant au centre. On la cache
ainsi dès que l'époux paroît. «fin, 11 me smble,
de provoquer les désirs du marié; alors le but
étant rempli, le son du flageoiet devient plus
vif, le tambourin redouble ses mouvemens, et
les évolutions cirenlaires s'engagent. De là une
mêlée complète à la faveur de laquelle Pépoux
est réuni à celle qu’il poursuit si ardemment. Une
exclaration unanime annonce sa victoire.
Nous arrivämes ensuite à Tolosa, ville de la
Biscaye, assez importante, où nous couchämes.
On rencontre sur les routes des environs, des
habitans montés dos à dos sur les flancs d’un
mulet bien harnaché , et assis sur des chaises
(voyez planche XL.) , ce qu’on appelle afler en
cacolais ; d’autres transportant de la sanguine
et du fer, objet principal de spéculation que
fournissent les entrailles de ces hautes mon-
tagnes. Le costume des habitans de Tolosa
est à peu pres celui des Vendéens.
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D'UN NATURALISTE. 453
Après avoir reconnu Joarson , Andonin et
Hervania |, nous passâmes à Jron, dernier
bourg que nous rencontrâmes en Biscaye (1).
Ce pays montagneux offre des sites imposans
et dignes du plus célèbre pinceau ; j'y suis
resté deux heures en extase devant des pré-
cipices affreux , des falaises caverneuses , hor-
ribles à la vue , mais d’un riche effet en pein-
ture. Ces montagnes sont culuvées dans leur
(1) La Biscaye, dit un auteur moderne, est bornée
au nord par la mer Cantabrique, à l’est par la Guipuscoa,
à l’ouest et au sud par la Castille. On y compte une
ville, vingt bourgs, dix vallées, soixante-dix com-
munes, et 112,371 habitans, dont la plupart sont dis-
persés dans les hameaux. Le pays est très-montueux ;
il abonde en carrières de marbre et en mines de fer.
La terre est argileuse, et en général de mauvaise qua-
lité ; mais les légumes sont excellens, et le raisin muscat
aussi bon que celui de Frontignan. Les Biscayens cul-
tivent avecsoin plusieursarbresfruitiers. Leurs pommes
sont renommées; ils en font de très-bon cidre. Les
marronniers produisent de beaux marrons que les
Hambourgeois éxportent pour les vendre en Alle-
magne. Les poires doyennés, beurrés, bergamotes et
bon-chrétien sont aussi savoureuses que communes.
Les figues y sont très-bonnes. Le bois y est abondant ;
et les Biscayens s'entendent fort bien à l'aménagement
desforêts. Ily a dans la Biscaye cent quatre-vingts mines
qui fournissent annuellement quatre-vingt mille quin-
taux de fer. Les mines de ce métal les plus Fenommées
FF 3
A54 VOYAGES
parue la moins abordable , et une riche fer-
ulité s’y annonce par les irrigations de ruis-
sceaux hmpides.
Les habitans y ont nn beau sang , et sont
laborieux ; ils parlent un patois, ou espa-
pagnol corrompu, et font éciater dans leurs
. moindres actions une gaieté vive que leur
inspire leur parfait état de iberté dans le
commerce, en raison de la modicité des impôts.
C'est aussi le séjour favori des nobles peu for-
tunés, qui méprisent les Casullans comme
pauvres et toujours mélancoliques.
Nous traversämes le lendemain le pont de
hmites, jeté sur la Bidassea, rivière qui sépare
la France d’avec l'Espagne, et sur les bords
de laquelle se plaît le Haurier-rose qui y forme
des berceaux délicieux, Deux sentinelles de
nation différente occupent les extrémités du
pont. Désormais nouvelle vie, autre langage,
sont celles de Sorromestro. Les habitans de la côte
sadonnent beaucoup à la pêche, et le poisson de la
mer adjacente à cette province, est le meilleur de l'Es-
pagne. Les Biscayens sGnt gais et polis, mais d'un
entêtement qui est passé en proverbe. Les femmes
aident les hommes dans leurs plus rudes travaux , et les
dames de ce pays grimpent aussi lésérement que des
chèvres sur les rochers les plus escarpés. Le climat
quoiqu'humide est très-sain,
ITINÉRAIRE DE CADIX A BAYONNE,
Par l'Andalousie , la Manche, la Nouvelle et la Vieille Casulle, la Biscaye et le royaume
de Navarre,
Cantons. Distances.
Villages ou Hameaux.
© —— —
| Noms des Villes, Bourgs,
De Cadix al Puerto de Santa-
Maria, par mer. tt
À Xérez de la Frontéra . :
la Venta de St.-Antonio. .
Vtrera. 7 - -
Mayrénas 4. 4
Carmona: , + Lu .
Rio-Frio.
Ù Ecija .
la Carlote . 42. . .
Cordoue , 4...
la Venta del Carpioz . .
Aldea del Rio. « . « +
Anduxar . . ".
lieues.
L'Andaslousie.(
Bailaut
Gunda Donna F
la Carolina « « + + + se
Santa-Helena , « 4 40. «à
la Sierra Morena.. 2 + «
la Venta de Cardenas, , . .
la Venta del Judep.. . .,
Santa-Crux « + +. ..
Val de Pénas.. ee
Menzanarez
Villa Hart
|. port la Piz |. .
A Tremblaque. . ! « .
la Guardiu . : fase
Ocana, , + + Î û
La Manche
Boutrago, . .
Aranjueze en 0:
Val de Moro. , b .
Toy Madrid, De»
AS ntesébretien. Pre à
nouvelle. la Venta Molaris ss
la Swelta._ . ; ü
la Venta de Condnilla. - :
Ja Frezmillo de laFayente .
Araudass. 27. Eee
la Vonta della Praéle. .
Lermu 7 . . t .
Burgos.
Royaume f
de Castille
viville.
Pradono. . « L':
Birbiesca, - : | -
Pancorvo, .
Miranda . .
Vitoria, . , . |
Salinas. . ,
Mondragon .
Beurgara. - .
Villa Réal. , .
Villa Franca, .
Tolosa. , » ,
Andonin, . .
Jogrson . . .
Orogna .,. .
Saint-Jean de Lup . . +
Bayonne, , . «
Discayo. |
Départem, des
Basses-Pyrén,
LE bb OU 5 b b OU GR ER ob at h DIR OIUIDIEN LIN OI 4 O1 OI O1 O7 Di Or ON O1 + OT Re OR 1 ON
oraL.... 189 lieues.
|
;
Loue UT, page 495.
————@——_—_———————————
OBSERVATIONS,
Bonne posade.
Mauvaise posade,
Mauvaise posade.
Bonne posade.
Mauvaise posade.
Citerhes.
Mauvaise posade.
Bonne posade. £
Puits des champs à Godets.
Grande ville.
Mauvaise posade.
Mauvaise posade,
Bonne posade.
Mauvaise posgdose = c
Cheftieu situé sur les bords du Xenil,
Mauyaise posade-
Payg nouvellement défriché,
Culture de l’ancth,
Maüvaise posade.
Mauvaise posade.
Excellent vin.
ÿauvaise posade,
Mauvaise posade.
Lieu des exploits de Don Quichotte.
Maupaise posade.
Mauÿaise posade.
Mudpaise posade.
Beal pays, maisons peintes à fresque,
MauVaise posade.
Ville florissante. * è
Pays aqueux.
Côtes montagneuses ct giboyeuses.
Pays bien arrosé.
Rivière coulant sur du granit.
Rivière coulant sur du granit ct cascades.
Culture du lin, mélezes, thuia,
Le gibier a une saveur aromatique.
Culture du lin, ot maisons singulièrement construites.
Bcau point de vue, prairies: LT er
Belles promenades. Te
Lesfemmes y portent leurs cheveux trdîhans, muis (ressés, |
Pays arrosé ct adossé à des mornes.
Pays arrosé par lIvro qui fournit des merluches,
Promenades et jeu de paume.
Châlaigniers, Pays fertile et arrosé, cascades,
Pays commerçant.
Sanguine et mines de fer,
Châtignes, ot bon vin de dessert,
Noblesse biscayenne.
Sañiguine, et mines de fer,
Voyageurs allant en cacolais,
Mauvaise posade,
Mauvaise posade.
Limites d'Espagne.
Pays commerçant,
Pays commerçant,
454 VOYAGES
:
PRES . AD iè 3400
be disdie
Biscaye. ) Villa Réal. .
à Villa Franca.
Tolosa.
Andonin.
Joarson .
Orogna . . .
Ë Départem. des ( Saint-Jean de L
| Basses-Pyrén. Bayonne.
DUNSNATURALISTE. 455
nouveaux costumes. Nous apercumes l'île fa-
meuse de la Conférence. Enfin, après avoir
traversé Orogna et Saint-Jean-de-Luz, nous
arrivämes à Bayonne, où nous séjournämes
quelques jours. ( 7’oyez le tableau iunéraire.)
Nous en repartimes pour arriver à Saint-
Vincent, pays aquatique et mal-sain. Les habi-
ans en étoient presque tous fiévreux ; leur
costume est à peu près celui des Béarnais.
On rencontre de Bayonne à Saint-Vincent des
femmes allant à la récolte de la résine. Elles
sont vêtues d’un peut chapeau de paille,
d’une camisole de drap non ajustée à leur
taille, d’un jupon court rouge ou rayé,
de bas drapés bleus, et de gros sabots; elles
portent à chacun de leurs bras un pamier
d’osier de forme sphérique, ayant à son som-
met une étroite ouverture , et à leurs mains la
racloire et le volin. Les hommes les suivent,
portant une badine en forme de crosse.
De Saint-Vincent, nous nous rendimes à
Majès, qui fournit de très-belles moules de
rivière servant d’aliment aux pauvres de cet
endroit. Ce pays de sable d’un jaune pâle,
est trés-boisé en lièges, pins et sapins. On
passe près d’un étang qui fait un singulier
contraste par la blancheur de son onde tran-
A
456 VOYAGES
quille, avec le vert sombre des forêts de l’ho-
rizon. On y récolte du maïs et du peut-mil
qui remplacent le blé; on rencontre très-
souvent dans les bruyères des environs de ces
forêts , beaucoup de lézards verts et de cou-
leuvres , mais ces repules ne sont nullement
dangereux.
De Majés nous fimes route sur Castez , où
l’on remarque une pente escarpée , effrayante
pour le trajet des voitures, et ferulisée par
deux rivières. On rencontre dans les forêts
de pins de ces parages, les habitans, hommes
et femmes, munis de paniers propres à rece-
voir la résine, d’un gout ou volin pour
entailler l'arbre et en enlever les lanières de
son écorce, puis d’une racloire pareille à celle
du ramoneur, mais assujettie à un long bâton
qu'on proméne de haut en bas pour ramas-
ser et détacher la résine, et la faire couler
dans des sacs ou paniers placés au bas de
l'arbre. Un pin taillé sur les quatre faces,
donne un revenu annuel d'environ dix sous.
Après quarante où cinquante années de pro-
duit, on coupe sa quille, on fend les büches
qu'on met dans un fourneau, ou bassine car-
relée et trouée à son centre pour l'écoulement
du brai liquide : pour opérer cette distillation
per descensum, où recouvre le fourneau de
D'UN NATURALISTE. 457
mottes de bruyère, de manière que ce dôme
soit imperméable aux vapeurs ascendantes. Le
feu étant mis sous le fourneau, le bois du
pin s’échaufle , et la résine suinte dans un
réservoir pratiqué au dessous de la bassine.
Cette opération , désagréable au maniement ,
entête ceux qui ne sont pas habitués à cette
odeur forte, mais elle procure de belle résme
épurée , si précieuse pour les brais et pour les
goudrons nécessaires à la marine.
Après avoir passé à Harie, à la Bouerrgh
et à Muret, à la distance de Bordeaux de onze
lieues, nous arrivâmes à Belain que l’Aïsne
arrose, disposés à en repartir le lendemain pour
les Landes. s
Nous traversämes ces Landes, qui sont de
vastes plaines de sable et de bruyère , parsemées
ça et la de forêts de pins, dont les produits
font le commerce principal du pays. On uüre
aussi de ces contrées désertes les mâts de cha-
loupes et autres petits bâtimens , ainsi que
ceux de hune et de perroquet.
On y rencontre également des chènes verts
ou yeuses, et l’arbre dont la précieuse écorce
donne ie liége.
Ces Landes, qui sont presqu'inhabitées ,
sinon par une peuplade différant en tout des
458 VOYAGES
mœurs de nos pays, ont trente lieues d’é-
tendue du midi au nord, et quinze dans la
largeur de l’est à l’ouest. La rivière d’Adour
les traverse dans leur parte méridionale, l'Océan
Jes borne au couchant.
Les habitans de ces rustiques contrées sont
pauvres , et vêtus comme on représente la
Folie; ils n’ont pour retraite, dans leur isole-
ment, que des cabanes mal construites, mais
trés-élevées, dans l’intérieur desquelles ils sont
obligés de pénétrer, grimpés sur leurs échasses.
Beaucoup d’entr'eux, les bergers surtout,
n'ont pour se mettre à l'abri des injures de
l'air, que des tentes placées et déplacées,
selon le pacage de deurs bestiaux ; 1ls couchent
à terre sur des peaux de moutons, et toujours
habillés ; 1ls se recouvrent, en guise de draps,
d'autres peaux des mêmes animaux : jamais
le Jin blanc ne vient rafraîclur leur corps tou-
jours investi de graisse , et exhalant une odeur
rance.
Les habitans des Landes sont presque tous
chasseurs : ils tendent des pièges aux lièvres
ümides , communs en ces parages ; à la perdrix
confiante qui vient trouver la mort dans leurs
appäts, et aux cannes-pétraces qu'ils prennent
sur Jeurs nids. Ces ressources de la Nature
leur procurent toujours une nourriture dél-
D'UN NATURALISTE. 439
cate, mais dont ils ürent un trés-mauvais
parti, par des assaisonnemens baroques qui
rendent ces mets dégoûtans. Ils marchent tou-
jours armés de leur fusil, et vendent le superflu
de leur gibier dans les villes voisines de leur
habitauon.
Les habitans des Landes de Bordeaux ne
font point de pain , et remplacent cet aliment
par excellence, avec des cruchades, espèce
de pâte faite avec de la farine de maïs ou de
millet ; 1ls trempent ces cruchades dans de la
graisse de lard , et font ainsi leurs repas des
jours de la semaine. Les travailleurs trouvent
à leur rentrée des champs leur part préparée
par la maîtresse, qui ne double jamais cette
poruon. ls se nourrissent l'été de fruits, et
ne boivent du vin que les jours de fête. Alors
les familles se rassemblent, et célébrent leur
repos par ane danse grotesque.
Dès l’âge de dix ans , les enfans cessent d’ha-
biter avec leur père; 1ls se construisent eux-
mêmes des cabanes, ce qui les rend laborieux
et vigilans ; ou bien 1ls couchent dans les granges,
sans jamais se déshabiller.
Ces habitans nourrissent leurs bœufs d’une
mamere bien frugale: chaque ration consiste en
douze poignées de paille, au milieu de laquelle
ils mettent quelques pincées de sel et de son.
460 "VONACES
Les habitans des Landes s’éloignent de leurs
demeures, les uns pour laisser paître à l’aven-
ture leurs troupeaux dans ces plaines arides et
immenses ; d’autres pour chercher des forêts et
y faire du charbon. Dans ces sortes d’émigra-
tions , ils ménent une existence sobre et frugale.
Ils s’occupent pendant l'été de la fenaison , et
pendant lhiver ils se rassemblent pour se con-
soler entr’eux, à la lueur d’un feu péullant,
des horreurs de cette saison ennuyeuse. En vain
la neige et les frimats les environnent de toutes
parts, on ne cesse d'entendre leurs chants et
leurs cris d’alégresse.
Rien de plus comique que d’apercevoir de
loin à lhorizon de grands fantômes s’avancer
à grands pas au moyen de leurs échasses , dévorer
les espaces, pour ainsi dire, et surveiller à fa
fois les flancs et la tête de leurs énormes trou-
peaux qu'ils enjambent, sans même les effrayer.
C'est par ce moyen ingénieux qu'ils rassemblent
en un moment les moutons qui se sont trop
tloignés, et qui ont à redouter dans ces écarts
lointains la dent meurtrière des loups, si com-
muns en ces déserts où 1ls sont attirés par ces
proies journalières. Un de ces bergers s'étant
approché de nous, nous remarquâmes avec plus
d'attention son costume original.
Au lieu d’un chapeau, ce berger (pl. XI.)
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D'UN NATURALISTE, 46t
portoit une barrette, à l'exemple des Béarnais :
:l avoit un gilet brun à manches , surmonté d’un
doliman de peau de mouton, la laine en dessous,
parce qu’il faisoit froid ; deux autres peaux de
mouton réunies par un bandage lui servoient de
bas, et se marioient aux fourrures de ses gros
sabots ; 1l avoit par dessus cet accoutrement un
grand manteau gris, et sa tête étoit recouverte
d’un capuchon dépendant de ce manteau , den-
telé vers tous ses bords recouverts de morceaux
de drap de couleurs vives, et ornés de crins de
cheval.
La hauteur des échasses de ces bergers accé-
lère si prodigieusement leur marche, qu’un
cheval au trot a peine à les suivre. Îls en font égale-
ment usage lorsqu'il s’agit de franchir des marais
el des fossés de vingt à vingt-cinq pieds de largeur.
Le bâton qui leur sert à cet effet et destiné à pro-
iéger leur équilibre, est surmonté d’une pom-
mette de six pouces environ de diamètre , et qui
sert en arc-boutant à appuyer leur siége et à les
reposer. Îls restent dans cette position des heures
entières , et considèrent leurs troupeaux avec
autant de sang-froid que d’autres bergers plus
mollement assis sur le gazon. Quand dans l’inté-
rieur de leurs cabanes, dont les portes fort
élevées n’ont pas de barres ni de traverses, ils
veulent quitter leurs échasses, ils s’asseyent sur
462 VOYAGES
des armoires, et y débouclent les montans de
ces Jambes gigantesques. Si c’est en plein champ,
ils se placent sur un arbre, quand ils ont le
bonheur d’en rencontrer , ou bien ils le rem-
placent par leur bâton de support dont ils savent
alors se contenter.
Les brancards de notre voiture ayant essuvé
un échec dans la route , je fus charmé de profiter
de cet incident pour pénétrer dans l’intérieur
des habitations de ces bergers.
Les habitans des Landes sont très-hospita-
liers, et ne refusent jamais aucun voyageur. Il
semble que la Providence dispose en leur faveur
les cœurs de ces braves gens en raison de Ja
nullité d’autres ressources à espérer dans ces
déserts spacieux. a
Les femmes ont pour coiffure, les jours de
travail, une espèce de turban formé par la réu-
nion de plusieurs serviettes. Les jours de fête,
c’est un bonnet blanc garni de dentelle rouge, qui
relève l’'embonpoint des habitantes des Landes. :
La piété est la première de leurs vertus , et
fidèles à la foi catholique, cette religion devient
leur plus puissante consolation dans les événe-
mens pémbles de la vie: quand il tonne, la
femme la plus âgée arrose la chambre d’eau
bénite, et invoque hautement lassistance du
Seigneur Dieu du tonnerre.
D'UN NATURALISTE. 463
Ces heureux pâtres ont pour le mariage des
coutumes assez bizarres. Lorsqu'un jeune homme
veut se marier, 1l se présente avec deux cruches
de vin chez le père de la fille qu'il veut épouser,
et on lui ouvre la porte sans difficulté; alors tous
les membres de la fanulle se lèvent, et on fait une
omelette. Au dessert qui est le moment décisif,
si la proposition n’est pas acceptée , alors la fille
apporte une assiette pleine de noix en signe de
refus : l'amant est obligé de sorur, et de ne
jamais revenir en cette maison.
Les cérémonies funébres se font avec beaucoup
de respect pour les morts, et elles sont toujours
terminées par un grand repas de famille, où lon
rassemble également les amis du défunt.
Voilà ce que j'ai pu apprendre des mœurs et
coutumes des habitans des Landes, qui nous
virent parür à regret.
Arrivés à Bordeaux , nous y passämes peu de
jours, car il me tardoit , après une aussi longue
absence , de revoir un fils doublement chéri, un
bon père , des parens et des amis, qui me recu-
rent avec transport dans les bras de la Nature et
de l’Amiué.
Fin du troisième et dernier Volume.
DE L'IMPRIMERIE DE J.-L. Canson,
rue et Maison des Mathurins , n° 10,
eV ER ER RRLE LL ET ELU URL R RL R
TABLE
Des mauères du Tome troisième.
Ayame-rsoros. Page 5
Division de l'Ouvrage. Du Caïman.
Caapirre Ier. Utilité pour l'Histoire naturelle, de
donner une idée juste du Crocodile de St.-Domingue,
afin d'éviter une confusion déjà trop grande dans
les nomenclatures. ‘Tableau comparatif. Parallèle du
squelette avec celui du Crocodile du Nil. Iappartient
plutôt au Crocodile qu'au Caiman, décrit dans la
nouvelle Encyclopédie ; mais c’est une espèce parti
culière , et qui n'atteint jamais la tulle de celui du
Nil. TE
‘Tableau méthodique du genre et des espèces de Croco-
diles, par M. Cuvier. :6
CaapiTRE IL. Physiologie raisonnée du Caïman de
Saint-Domingue. Proportions du sujet décrit, ayant
quatre pieds huit pouces. 18
CuaAriTRE I IT.Ostéologie du Caiman de St.-Domingue,
le sujet décrit ayant quatre pieds huit pouces. 56
CaapiTRe IV. Examen comparé de Myologie et
Névrographie. idem.
Cnapirre V. Splanchnologie , ou Examen du larynx,
de l'œsophage, des poumons, des lobes du foie,
de la rate, du cœur, du pancréas, et autres vis-
cères, 37
CHariTREe VI. Examen des organes de la génération.
À
CHariTRE VII. Préludes de son amour; détails sur
son accouplement ; et indication de l'âge auquel il
peut produire : assertions appuyées d'un tableau tracé
par l'expérience. id.
CuapriTREe VIIL Conduite du Mâle et de la Femelle
avant et après la poute. sh
Caapirre IX. Naissance du Petit, et ses diverses
positions dans l'œuf. ; 58
CHAPITRE
TABLE. 265
CHAPITRE X. De ses mœurs; des ruses qu'il emploie ,
et de la finesse de son odorat. Pace 62
Réfutation du voyageur Williams Bartram , sur l'article
du Crocodile. 2
CaaprTRe XI. De la chasse qu’on fait au Caïman dans
les lagons et au bord de l'eau; de la manière de
découvrir les nichées au frai de la femelle, et du
_ danger éminent de cette chasse. r
Cuarirre XII..De la chasse en canot, 8:
Cæapirre XIII. De la chasse aux repaires. 87
Extrait du rapport fait à l'Institut de France, sur un
Ouvrage manuscrit relatif au Crocodile de Saint-
Domingue. 98
Explication de la planche TIT. Splanchnologie. 105
Anatomie de la langue, du larynx et de la trachée-
artère. 106
Explication de la planche V. Œufs du Caïman. 108
Essai «ur les mœurs et coutumes des habitans de Guinée,
à Saint-Domingue. 109
Avant-propos. 111
Introduction de l'essai sur les mœurs des Guinéens. 115
CHAPITRE Ier. Nècres Dunkos, et Aradas. Belle
stature de ces peuples. Atiachement prononcé des
femmes pour les hommes, etc. 116
CHariTRE II. Nègres de Fida. Les femmes y sont
extraordinairement coquettes, mais tatouées, 124
CHAPITRE III. Coutumes funéraires des nècres
d'Essa. 125
CuariTRE IV. Cruautés des nègres d'Urbas leur
conduite arbitraire en cas d'un meurtre commis.
Obsèques du corps assassiné, etc. 127
CnapirRe V.Les nègres Aminas croient à la Métemp-
sycose. Mère ayant sacrifié ses enfans à Saint-
Domingue , pour les dérober à l'esclavage. 150
CuariTRe VI. Les nègres Ibos sont fidèles dans leurs
sermens d'amour, etc. 152
CHariTRe VII. Candeur des jeunes nésresses de
Beurnon. Considération des prétendues pour leurs
époux futurs. Soumission des femmes envers leurs
maris, etc. 157
Toue IL, Ge
4GG TABLE.
Caapirre VIII. Les Mozambiques professent la
religion catholique , qui leur a été communiquée par
les Portugais, etc. Page 148
Cuapirre IX. Sépulture des rois de Dahomet, Leur
barbarie euvers leurs prisonniers, etc. 15t
CuaprTRe X Les Akréens, Crépéens et Assianthéens
ont la peau et les cheveux diversement nuancés.
Leur nourniture. Idée de ces peuples sur l'existence
de Dieu, etc. ; 155
CuariTRE XI. Murs des Phylanis. Ils mènent une
vie errante. Lieux qu'ils choisissent pour y camper,
eux et leurs troupeaux, etc. 160
Cuapiire XII Les nèses de Diabon sacrifient les
étrangers à leurs dieux. Empire des prêtres de Bodé :
leur criminelle autorité. Les étrangers immolés, et
l'assassinat toléré. Religion des nègres d'Ufé, bien
opposée à celle de Diabon et de Bodé. 172
Caaprirre XJIL. Caractère des Congos. ls n’ont aucune
considération pour les vieillards. Parure des Congos.
Ils aiment passionnément le tafia, et recherchent
la chair musquée du crocodile. 195
Caaprirre XIV. Idée des Vaudoux. Définition du
mot. Leurs opérations ridicules et emphatiques.
Maladies qu'ils donvèrent à un habitant de la Petite-
Rivière, plane de l'Artibonite , et à des nègres dont
ils étoient jaloux. Sortiléges prétendus. Prédiction
faite à Toussaint-Louverture, chef noir à Saint-
Dominque. ‘Tours facétieux que les Vaudoux se
plaisent à faire dans les calendas. 180
CrapriTRE XV. Caractère des nègres créoles à Saint--
Domingue. Intérieur de leur ajoupa, etc. etc. 188
Dénombrement de diverses peuplades guinéennes. 228
Résultat des nuances produites par les combinaisons dæ
mélange des blancs avec les nègres, etc. 229
Détails de ma captivité. : 23%
Avant-propos. 25
Hmpire arbitraire des noirs, avant l'arrivée’ du Capi-
tuine-Général Leclerc. 239
T AB LE. 467
Règne de Toussaint-Louverture ; son pro'et d'indé-
pendance présumée par l'hiérarchie de ses pouvoirs.
| Page 240
Réception que me fait M. Roume, agent du Gouver-
nement, | £ 241
I] me charge d’un travail sur l'anatomie du caïman de
Saint-Domingue. id,
2 : . K.
JInquiétude de ‘Foussaint-Louverture, au sujet de ma
conférence avec M. Roume. id,
Toussaint m'accorde une nouvelle autorisation de
voyager dans l'intérieur de la Colonie avec quatre
guides, pour protéger mes courses d'histoire natu-
relle. id,
Vénalité des gendarmes nègres. 244
Vexations des propriétaires. id.
Partage agraire en faveur des cultivateurs. id.
Pénétration littéraire de ‘Foussaint-Louverture. 245
Vie privée de ‘Toussaint-Louverture.
240
Etiquette de sa cour.
247
Caricature du colonel noir Gimgembre Trop-Fort. ïd.
Parure affectée des officiers noirs. 245
Méfiance de ‘Toussaint - Louverture dans l’obscu-
rité. id,
T'oussaint-Louverture simmisçant aux fonctions du
sacerdoce, et honneurs qui lui étoient rendus à l’église.
| 249)
Vie active de Toussaint-Louverture. 250
Son goût pour les honneurs. id.
Abus d’autorité de la part de Toussaint. 294
Toussaint offensé de ce que je lui parlois créole. xd.
Qualité de sa prodigieuse mémoire. id.
Sa passion pour les beaux chexaux. 252
Sa représentation en présence des étrangers. id.
Son exigeance pour les visites. 253
Rivalité des deux chefs pour leur musique militaire
aux repas de corps. id.
Caractère anti-harmonique de Dessalines. id,
Parallèle de ‘Toussaint et de Dessalines. 254
‘Jyrannie superstitieuse de Dessalines , à l'ouverture de
sa fatale tabatière. id,
Gg 2
468 TA BL E.
Son ininutié pour les hommes de couleur. Page 255
Bonté généreuse de Mme Dessalines. id.
Massacre de prisonniers mulâtres aux Gonaives. 256
Horreurs exercées contre les parens qui venoient leur
donner la sépulture. 257
Canonnade aux Gonaives, des hommes de couleur
prisonniers de la partie du Sud. 258
Vie privée de Dessalines. 264
Vexations envers les blancs sur leurs propriétés. 263
Yyrannie de Dessalines pour le paiement de ses
créanciers. . 268
Punitions atroces qu'il infligea, comme inspecteur
général de la culture. 271
Dessalines me recommande aux nègres. id.
Projets honucides du commandant ‘Fitus. 272
T1 persiste dans l'intention de m'empoisenner. 273
Titus exécute son projet criminel; suites de mon
empoisonnement. 274
Dessalines modifie d’une manière cruelle la discipline
- militaire. 27h
Ce tyran condamne sans entendre et d’après son senti-
ment intime. 276
Tenue de ses soldats , et leurs coutumes. 14,
Ils se glorifient du nom de militaire. 277
Toussaint-Louverture projette au Cap de rendre la
colonie indépendante, et ordonne le massacre de
tous ceux qu'il croit devoir s'opposer à ses projets. 278
1! sacrifie son neveu Moyse comme rebelle à la France,
mais plutôt parce qu'il s'étoit permis des réflexions
contre la possibilité de l'indépendance. 279
Dessalines est instruit de l'expédition française, parune
correspondance intercepiée. Sa harangue au bourg
de la Peute-Rivière. id.
Espnit et adresse de T'oussaint-Louverture aux Colons à
l'arrivée des Français. 280
Frayeur du vieux Louis, armé de pied en cap. 281
Proverbes de Dessalines au sujet de la nouvelle expé-
dition, id.
Assassinat du maire de Saint-Michaël, par ordre de
T'oussaint-Louverture. 263
Il prévient ses soldats contre l'expédition française. 284
PLAT AL: EE, 469
Tyrannie des noirs à l'arrivée des Français. Seconde
arte.
Page 285
Incendie du Cap. 286
Arrestation des blancs. 287
Préparatifs de leur supplice. 288
Leur transport à la Petite-Rivière. 289
Trait héroique de M. Desdunes-Lachicotte, 290
Angoisses qu'on fait éprouver aux blancs pendant leur
conduite à la Petite-Rivière. 202
Nous apaisons la férocité de nos gardes par des pré-
sens, 204
Procédés généreux des habitans de couleur du bourg de
la Petite-Rivière. ‘205
Dévouement exemplaire de labbé Vidaut à la cause
des opprimés.
206
On nous accorde la ville pour prison. A
Nuits douloureuses que nous eûmes à passer. 297
On attente à notre vie. 299
Emprisonnement des blancs. 5ot
M. Say vient me délivrer, comme étant utile aux ma-
lades de l'armée. 502
On me traduit devant Dessalines, qui me manque de ses
pistolets.
503
1lme condamne à mort. 304
Dangers auxquels je suis exposé. 505
Nuit horrible du massacréxles blancs à la Petite-Rivière ;
et détails à ce sujet. 506
Un nègre que J'ai guéri devient mon libérateur en cette
nuit de sang. 510
L'asile divin est souillé, et l'autel teint du sang inno-
cent. “hE:
Courage et conduite louable de l'abbé Vidaut, qui
sauva beaucoup de blancs. 313
Assassinats des prisons. no? 752%
Les assassins forcent un fils de boire dans le crâne de
son père qu'on lui a fait poignarder. 515
Martyre d'un vieillard octogénaire et des blancs du Gros-
Morne. 517
Fribut payé à l'amitié. 514
Nouveaux massacres des blancs qui ont échappé au
premier, 320
470 TABL LC
Cruautés commises à l'égard de femmes enceintes et
d'enfans. Page 321
Service rendu par M. Péraudin. id.
Nouveaux dangers que je cours en me rendant à l'am-
bulance Lucas. 20
Chiens mis à la poursuite des blancs échappés au mas-
sacre. 522
Âssassinat de Mrs Desdunes-Poincy, Desdunes-Lachi-
cotte et Alain. id.
Courage héroïque. Présence d'esprit d'un basque pour
échapper à la mort. 329
M. Rospitt n'est point aussi heureux. 1.
Horreur ressentie à la vue d’un assassin blessé qu'on
m'ordonna d'amputer. 1d.
Ordre de transférer les ambulances au Calvaire ( habi-
tation Miraut ). 524
Cruauté des soldats, même envers les animaux domes-
tiques. . id.
Je suis menacé par les blessés , et sauvé par le généreux
Pompée mon nègre infirmier. n
Rencontre d’une suivante de Mme Dessalines au mo-
ment où j'allois expirer de besoin. 329
Effets d'une faim dévorante. 1d.
Conduite généreuse de Pompeée à mon égard. Per-
plexité que j'éprouvois au milieu de nègres qui vou-
loient me trouver des torts, 527
’ : ;
Abus du pillage. 14,
Rencontre de M. Säjus, en qui les dangers ont troublé
la raison. id.
Détails sur son assassinat. 529
Mes succès dans les cures des blessés m'’acquièrent de la
célébrité. 330
Déclaration de ma garde d'honneur, qui avoit l’ordre
de me fusiller au moindre projet de désertion. 33:
Complot formé contre moi parles infirmiers nègres. 24.
Les malades jurent de me défendre. 352
Punition infligée à Sans-Soucti chef de la sédition, et
aspirant à ma place d'inspecteur-général des ambu-
lances. | Id.
Dessalines, me croyant trop heureux d’avoir échappé à
la mort, me ine donne aucun traitement. 353
T À BL E. k7i
Massacre des soldats espagnols au camp de Plasac.
Page 333
Dangers que je cours en cette nuit malheureuse. id.
Nouveaux supplices exercés contre les soldats espagnols
qui avoient échappé au premier massacre de
Plasac. ÿ 5355
Nouvel ordre de transporter les ambulances dans les
mornes des Cahaux. 336
T'errible responsabilité qui m’est annoncée. id.
Marche intrépide de la colonne française. 337
Mon désir de la rejoindre, mes projets découverts. 338
Un assassin m'amène son fils blessé par l'explosion
d'un magasin à poudre. id,
Une fausse attaque nous fait lever lambulance. 339
Mort du soldat brûlé qu’on m'impute injustement. 340
Nouvelles trames conçues contre moi par le com-
mandant Léandre. 341°
Cultivateurs lassés de la tyrannie qu’exercent envers
eux ceux de leur propre couleur. 342
Les capitaines ont droit de vie et de mort sur leurs
subalternes ; anecdotes à ce sujet. 344
Les nègres de houe regrettent leurs anciens maitres. 545
Nouveaux crimes des nècres. 346
Ordre reçu de transporter nos ambulances au Cal-
vaire. 347
On trouvele corps de l'assassin Aignan, rénovateur de la
chasse aux hommes au secours des chiens, . 348
Le nègre Diaquoi vient me prévenir d'un nouveau
complot contre moi. 349
Notre projet de fuite. 350
Nous sommes découverts et conduits au fort de la Crête-
à-Pierrot, 30:
Notre réception par Dessalines, au fort de la Crête-à-
Pierrot, Il me menace de la mort si les Français qui
doivent venir à l'assaut sont victorieux. 555
Attaque du fort, ordre impérieux qui m'est donné de
ne point paroitre. 354
Cruautés exercées envers les blessés de l’armée fran-
aise, id,
Dessalines éprouve au milieu de l'assaut une chute qui
liuquiète. Il me fait appeler. 356
459 TABLE.
Il refuse par méfiance une potion vulnéraire qu'il
m'avoit d'abord demandée. Page 557
Dessalines arrété dansses victoires, devient rêveur et
pusillanime. id.
Il n'est plus somptueux dans ses vêtemens, et cherche
à faire ignorer son titre sous des costumes étran-
3 558
Il harangue ses soldats. 559
Il quitte le fort en désespéré, et loin de me permettre
de le suivre, 1l ordonne au chef d’artillerie de m’en-
fermer lors de l'évacuation, dans le magasin à
poudre auquel on aura eu soin de mettre une
mèche. 361
En remettant cet ordre d’une main, il me tend l’autre
en souriant et en m'engageant à prendre courage. 1d.
Effets désastreux du bombardement de la Créte-à-
Pierrot. 562
Pénurie absolue de vivres et d’eau. 563
On me retire les infirmiers blancs pour les occuper à
faire des cartouches et à fondre des balles. id.
‘Fribut d'amitié envers M. Masson-Durondon, id. .
La disette augmente , et les assiégés demandent l'éva-
cuation de la forteresse, ou la mort. 564
La garnison du fort est presqu'entièrement victime par
l'éclat des bombes. 565
Effets singuliers des bombes. 366
Les officiers noirs à la veille d'évacuer le fort perdent la
tête, et craignant de tomber entre les mains des Fran-
ças, sempoisonnent avec mon epium. 567
On se dispose à une excursion vers les mornes des
Grands-Cahaux. 365
On fait une sortie du fort. Méprise des soldats de part
et d'autre, 369
Dancers que je cours en m'élançant du haut du bastin-
guage pour fuir et rejoindre l'arméefrançaise. 370
Plusieurs autres blancs se réunissent à moi, et nous
sommes reconnus par la sentineile des avant-postes,
et présentés au général Leclerc par l'adjudant-général
Huin , fordonnateur Colbert, et le commissaire des
guerres Leclerc, tous les trois mes amis, 551
é
F A BL E. 473
Les Français s'emparent du fort de la Crête-à-Pierrot
après son évacuation. Page 372
Nouvelles trames des noirs depuis l’arrivée des Fran-
çais. 574
Après quelques heures de repos je fais route vers le
Port-au-Prince , où je suis présenté au général Dugua,
chef de l’état-major-cénéral 575
On me décerne , d’après l'examen de mes manuscrits,
le cordon noir de mérite, et une pension de 6600 fr.
à dater du jour de mon arrivée dans la colonie. cd.
La révolution que me fit éprouver mes malheurs me
rendit pensif; on s'opposa à une application qui
pouvoit me devenir. funeste. 3
T'rames horribles de Dessalines contre les blancs qu'il
fait empoisonner. id.
Andouilles faites avec les intestins d'hommes morts de
la maladie du pays, vendues dans les marchés par
ordre de Dessalines. 578
Nouvelles preuves de la trahison de Dessalines. Conver-
sation à ce sujet entre un infirmier nègre et un
fossoyeur de la même couleur. 579
‘Tournée avec le général Huin à l'Artibonite , où nous
fûmes sur le point d'être assassinés. 581
Nous sommes forcés en nous échappant, de demander
asile au commandant Titusd’'Anache, qui nousempoi-
sonne. 353
Démarche de nos nègres pour nous engager à retourner
sur l'habitation de l'Etable. . 384
Suites funestes d’une maraude dans le pays ennemi. 385
Anecdote concernant un officier de la cinquième demi-
brigade légère. 590
Les révoltés déplorent leur fatal avantage. 591
Les Anglais protésent visiblement la funeste insut-
rection des nègres. id.
Je suis présenté au général Thouvenot, successeur du
général Dugua. 592
On nr'accorde une exatification. 1,
Moyens de rétablir l’ordre à Saint-Domingue. 595
Nouveaux massacres de blancs. 395
Sacrilége de Toussaint-Louverture qui foule un crucihix
sous ses pieds. : 596
474 BAPE LC E
Départ de St-Domingue pour la France, sur la corvette
Latorche. Page 507
Nous mettons à la voile le 4 prairial an x1; je lie”
_ amitié avec MM. Dalvimart et Bazin, tous deux
remplis de talens. | 598
Nous mouillons dans la baie de Cadix, le 8 fructidor
an XI, après avoir élé vainement poursuivis par
un vaisseau anglais. id.
Description de l'extérieur de Cadix. 399
Visite des membres du comité de santé. id.
On nous condamne à faire la quarantaine. id.
Nature du lieu de notre exil. 400
Détails sur notre quarantaine. 401
Incendie d'un brülot lancé par les Anglais. 402
Débarquement à Cadix. 405
Observations sur la ville. Les coutumes espagnoles,
et les droits d'importation et d'exportation. 405
— sur son commerce, et les deux salles de spec-
tacle. 407
— sur les décorations militaires, et sur la parure des
dames espagnoles. 410
— sur les fruits. 411
Remarques sur les deux colonnes d'Hercule, servant
aux débouquemens,. 412
Départ de Cadix pour Bayonne. Voyage par
terre ; et arrivée au port de Sainte-Marie. id.
Départ de Sainte-Marie, province de lAnda-
lousie. 413
Observations de la route. id.
Nous foulons le talcite et le granit, avant d'arriver
à Xérès de la Frontéra, village situé près de la
rivière de Guadalète. 414
Nous traversons la Venta de Saint-Antonio, Vtrera,
, Mayreéna, Carmona et Rio-Frio, pour arriver à
Ecija. | 415
Détails sur cette ville. id.
Entrée dans Cordoue. 416
‘empérature agréable de cette ville; description de
la cathédrale, et détails historiques sur Cordoue. 417
Des chevaux andalous. 419
Jounes servant à renfermer l'huile. id.
Tndolence des Espagnols. Page 420
Costume des soldats de notre escorte. 1d.
De la culture de l’aneth. 421
Les Espagnols sont aimants. id.
Description des environs de Cordoue. 422
Départ de Cordoue pour la Venta del Carpioz ; des
chasses de l'Espagne. 423
Après Aldea-del-Rio, nous nous rendons à An-
duxar. A
Détails sur la route, 24
De Baileu, de Guarda-Dorman, de la Carolina et
de Sainte-Hélène. 425
: Des montagnes fertiles de la Sierra - Morena, de la
Venta-de-Cardenas, de la Venta-del-Judeo, de
Santa-Crux, où je fis usage de’ mes connoissances
en médecine, pour être mieux reçu dans les po-
sades. 426
De Val-de-Pénas, de Menzanarez, et de Villa-
Harta.. td,
Du Port-la-Piz, de Tremblaque et de la Guardia,
où se trouve un antique tombeau du roi des
Maures. . id:
Cérémonie funéraire pratiquée à la Guardia. 428
D'Ocana, et des dangers que nous fit craindre la
rencontre d’une troupe de voleurs. 429
Arrivée à Aranjuez. 450
Des principales rivières d'Espagne. 453t
Entrée dans Madrid. id.
Description de la ville ; nature de son climat, 432
Combat du taureau. 454
Des environs de Madrid. 440
Rencontre agréable de MM. Crescentin: et Libon,
artistes célèbres. id.
Moœurs et coutumes des habitans de Saint-Sébas-
lien. 44gt
De la Venta-Molaris, de la Suelta, et de La Venta-
de-Coronilla. :d.
De la Frezmillo-de-la-Favente. 442
D'Aranda, et des troupeaux d'Espagne. id.
De la Venta-della-Praële. 444
456 TAB LE
Description de la ville de Lerma, et de ses envi-
Tons. | 7 Page 445
De Burgos. 447
De Pradano, de Pirbiesca, et de Pancorvo. 448
De Miranda, Vitoria, et du site enchanteur du
couvent de la Poevela. 449
De Salinas et de Mondragon. 450
De Beurgara, Villa-Real, et de Villa-Franca. 451
De Tolosa, où lies habitans vont en cacolais. 452
De Jocrson Andonin , Hervania et Jron. Détails
sur 11 Discaye. 453
D Orogna et de Saint-Jean-de-Luz, de Saint-Vincent
et de Mayés. 455
De Castez. 456
De Harie, de Bouerrgh, et de Muret. 457
Des Landes de Bordeaux. id,
Moœurs et coutumes des h:bitans de ces Landes. 458
Arrivée à Bordeaux, et retour à Paris. 463
Fin de la Table,
UNIVERSITY OF ILLINOIS-URBANA
HN
972.94
DH5v
ne